Sociologie de l`art et analyse des réseaux sociaux

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25-26
Sociologie de l’art
et analyse des réseaux sociaux
Sociology of Art
and Social Network Analysis
Sociologie de l’art et analyse des réseaux sociaux
Sociology of Art and Social Network Analysis
SOCIOLOGIE DE L’ART
NOUVELLE SÉRIE – OPUS 25-26
Sociologie de l’art et analyse des réseaux sociaux
Sociology of Art and Social Network Analysis
© L’Harmattan, 2016
5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.harmattan.fr
[email protected]
ISBN : 978-2-343-09079-5
EAN : 9782343090795
COMITÉ INTERNATIONAL
DE PARRAINAGE SCIENTIFIQUE
Howard S. Becker, San Francisco, Californie, USA
Guy Bellavance, I.N.R.S. - Montréal, Canada
Francine Couture, Université de Québec à Montréal, Canada
André Ducret, Université de Genève, Suisse (Fondateur)
Nicole Everaert-Desmedt, Facultés universitaires Saint-Louis, Belgique
Jean-Pierre Esquenazi, Université Jean Moulin Lyon 3, France
Jean-Louis Fabiani, EHESS, Paris, France
Marcel Fournier, Université de Montréal, Québec, Canada
Nathalie Heinich, CNRS-EHESS, Paris, France (Fondatrice)
Antoine Hennion, École des Mines de Paris, France
Susanne Janssen, Université de Rotterdam, Pays-Bas
Jean-Pierre Keller, Université de Lausanne, Suisse
Jacques Leenhardt, EHESS, Paris, France
Mary Leontsini, Université d’Athènes, Grèce
Jean-Marc Leveratto, Université de Lorraine, France
Jean-Olivier Majastre, Grenoble, France
Jan Marontate, Université d’Acadie, Canada
Raymonde Moulin, CNRS-EHESS, Paris, France
Alain Pessin, Université Pierre-Mendès-France – Grenoble 2, France g
Arturo Rodriguez Morató, Université de Barcelone, Catalogne, Espagne
Daniel Vander Gucht, Université libre de Bruxelles, Belgique (Fondateur)
Pierre Zima, Université de Klagenfurt, Autriche
Vera Zolberg, Université de Newschool for Social Research, New York, USA
COMITÉ DE RÉDACTION
DIRECTEUR DE PUBLICATION
Jacques Leenhardt
DIRECTEUR DE LA RÉDACTION
Florent Gaudez
RÉDACTRICE EN CHEF
Cécile Prévost-Thomas
SECRÉTARIAT DE RÉDACTION
Chloé Delaporte, Marie Doga, Fanny Fournié, Olivier Zerbib
CONSEIL DE RÉDACTION
Martine Azam, Université Toulouse – Jean Jaurès
Ève Brenel, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3
Chloé Delaporte, Université Paul Valéry – Montpellier 3
Marie Doga, Université Grenoble Alpes
Emmanuel Éthis, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse
Laurent Fleury, Université Paris Diderot – Paris 7
Fanny Fournié, Université d’Albi
Florent Gaudez, Université Grenoble Alpes
Sylvia Girel, Université de Provence
Jeffrey Halley, Université du Texas, San Antonio, USA
Pierre Le Quéau, Université Grenoble Alpes
Cécile Prévost-Thomas, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3
Serge Proust, Université Jean Monnet – Saint-Etienne
Alain Quemin, Université Paris 8
Fabienne Soldini, CNRS-LAMES, Aix-en Provence
Jean-Philippe Uzel, Université du Québec à Montréal, Canada
Olivier Zerbib, Université Grenoble Alpes
COMITÉ DE LECTURE – OPUS 25-26
RESPONSABLES DU DOSSIER
Martine AZAM, Université de Toulouse –Jean Jaurès
Ainhoa DE FEDERICO, Université de Toulouse –Jean Jaurès
MEMBRES DU COMITÉ
Olivier Thévenin, Professeur Université de Haute Alsace
Clara Levy, Professeure Institut d’Études Européennes, Université Paris 8
Nicky Lefeuvre, Professeure Université de Lausanne
Michel Grossetti, Directeur de recherche CNRS, Directeur d’études EHESS
Béatrice Millard, Professeure Université Jean Jaurès Toulouse
Marie Pierre Bes, Professeure Sup-Aéro Toulouse
Nathalie Chauvac, Maître de Conférences associée, Université Jean Jaurès, Toulouse
http://sociologieart.wordpress.com
Sommaire
Sociologie de l’art et analyse des réseaux sociaux
ÉDITORIAL
Sociologie de l’art et analyse des réseaux sociaux
MARTINE AZAM, AINHOA DE FEDERICO
13
Sociologie du cinéma et théorie des réseaux.
Pour une analyse structurale des « Européens à Hollywood »
CHLOÉ DELAPORTE
39
Le singulier collectif. L’auteur à travers ses réseaux
OLIVIER ALEXANDRE, ADELINE LAMBERBOURG
63
La force des liens en danse : une étude du regard dansé
DAFNE MUNTANYOLA SAURA
83
Le capital social, l’art contemporain et les carrières
NATHALIE MOUREAU, BENOÎT ZENOU
109
Varia
Le peuple est dans la rue.
Politiques du street art dans les barrios vénézuéliens
FEDERICO TARRAGONI
129
Les architectes au Portugal : entre la vocation et la profession
VERA BORGES, MANUEL VILLAVERDE CABRAL
153
Spectateur de théâtre : l’apprentissage d’un rôle social
DOMINIQUE PASQUIER
177
Le « musée encyclopédique » dans la controverse
sur les restitutions d’œuvres et d’objets d’art anciens.
Enjeux et propositions pour une enquête sociologique
MORGAN JOUVENET
193
Fiches de lecture
JEAN-CLAUDE TADDEI
Les Territoires du jazz
PAR WENCESLAS LIZÉ
225
ANNE JOURDAIN
Du cœur à l’ouvrage : les artisans d’art en France
PAR DAVID GRANGE
231
Résumés de thèses
KAOUTAR HARCHI, La formation de la croyance
en la valeur littéraire en situation coloniale et postcoloniale
241
FRÉDÉRIQUE JOLY, Formation et socialisation des adolescents
et des étudiants en écoles d’art de pratiques amateurs et supérieures
243
CÉCILE LÉONARDI, L’œuvre d’art comme outil de lecture de la sociologie.
Relire Goffman à partir de quelques pièces de Pina Bausch
245
Agenda
247
Table of Contents
Sociology of Art and Social Network Analysis
EDITORIAL
Sociology of Art and Social Network Analysis
MARTINE AZAM, AINHOA DE FEDERICO
13
Sociology of cinema and network theory.
Towards a structural analysis of « Europeans in Hollywood »
CHLOÉ DELAPORTE
39
The collective singular. Authors through their networks
OLIVIER ALEXANDRE, ADELINE LAMBERBOURG
63
The strength of ties: a study of the danced glance
DAFNE MUNTANYOLA SAURA
83
Social capital, contemporary art and careers
NATHALIE MOUREAU, BENOÎT ZENOU
109
Varia
The people is in the street. Street art’s politics in Venezuelan barrios
FEDERICO TARRAGONI
129
Architects in Portugal: between the vocation and the profession
VERA BORGES, MANUEL VILLAVERDE CABRAL
153
Spectateur de théâtre : l’apprentissage d’un rôle social
DOMINIQUE PASQUIER
177
Le « musée encyclopédique » dans la controverse
sur les restitutions d’œuvres et d’objets d’art anciens.
Enjeux et propositions pour une enquête sociologique
MORGAN JOUVENET
193
ÉDITORIAL
Sociologie de l’art et analyse des réseaux sociaux1
L
es milieux artistiques autant que les sociologues travaillant
sur ces domaines connaissent depuis longtemps l’importance
des réseaux en matière d’art – qu’il s’agisse de la
production/création, de sa diffusion, de sa consommation/réception ou de la production de la valeur –, mais ils n’ont
fait l’objet d’une attention que récente, et souvent plus
métaphorique qu’effective.
Les réseaux sont pourtant placés au cœur de la réflexion de H. S.
Becker dans Les Mondes de l’art2. Un monde y est défini comme
un réseau de personnes coopérant à faire exister une activité
qu’elles s’entendent pour considérer comme de l’art. Si le terme
et l’idée de réseau sont présents, les recherches n’incluent pas
pour autant les apports de la sociologie des réseaux sociaux telle
qu’elle émerge dans l’anthropologie britannique au milieu des
années 1950 et telle qu’elle se dessine aux États-Unis à partir des
années 1970 autour de la figure de Harrison White, de ses
étudiants et d’autres chercheurs tels que Linton Freeman.
1
Cette introduction, ainsi que les articles qui composent ce numéro thématique,
font partie d’une publication conjointe entre les revues Sociologie de l’Art et
REDES (Revista hispana para el análisis de redes sociales), où ils sont parus en
espagnol. La revue REDES est une des cinq revues scientifiques spécialisées en
analyse de réseaux sociaux.
2
Becker H. S., Art worlds, Berkeley, University of California Press, 1982.
14
Éditorial
Les travaux de P. Bourdieu, en particulier ceux portant sur
Flaubert dans Les règles de l’art3, analysent la genèse du champ et
montrent l’importance des relations interpersonnelles dans le
champ artistique. L’idée de réseau est également inscrite en
arrière-fond de la notion de capital social, lequel renvoie à
l’ensemble des personnes pouvant être mobilisées par un individu
pour avoir accès à une ressource.
Monde ou champ, réseau de coopération ou capital social, la
thématique des réseaux – personnels et/ ou entre entités – est
présente dans les recherches qui ont structuré les débats en
sociologie de l’art sans que l’analyse des réseaux sociaux soit
mobilisée. Au-delà de ces travaux essentiels dont l’entrée vise à
asseoir une théorie du social, les recherches qui ont suivi – on
peut penser à celles axées sur la question de la construction de la
valeur en art – se sont développées à l’écart des possibilités
offertes par la sociologie des réseaux. Ce constat nous a conduits
à proposer la publication conjointe de ce numéro Art et Réseaux,
aux revues Sociologie de l’Art et Redes.
Dans l’introduction de ce numéro thématique, nous proposons un
bref rappel des principaux jalons de la constitution de chaque
spécialité. Leur développement parallèle laisse apparaître des
moments où les croisements auraient pu se produire et nous
pointons leur ancrage méthodologique qui nous semble être une
des raisons de leur ignorance réciproque. Sur fond de curiosité
émergente des artistes pour la thématique des réseaux, nous
montrons comment peuvent se dessiner aujourd’hui de nouvelles
pistes. Pensé pour encourager cette dynamique, ce numéro
inaugure un rapprochement qui ne va pas de soi, ni d’un côté, ni
de l’autre comme nous le verrons à la fin de cette présentation.
Pour autant, les articles de jeunes chercheurs que nous
présentons montrent tout le potentiel que représentent des
investigations empiriques conduites à l’articulation de la
sociologie de l’art et de la sociologie des réseaux. Les journées
3
Bourdieu P., Les règles de l’art : genèse et structure du champ littéraire, Paris,
Le Seuil, 1992.
Martine AZAM, Ainhoa DE FEDERICO
15
« Art, réseaux et trajectoires »4, qui se sont tenues en avril 2015 à
l’Université de Toulouse, ont également contribué à initier cette
fécondation croisée.
Quelques étapes du développement de l’analyse des réseaux
sociaux
S’il est coutume de faire remonter la réflexion théorique à G.
Simmel5 au début du XXe siècle, les travaux empiriques sur les
réseaux sociaux ont d’abord été développés par des chercheurs
en psychologie sociale et en anthropologie, en parallèle des
approches en sciences dures, en particulier en mathématiques. La
première étape de l’histoire6 de cette spécialité se situe dans les
années 1930 avec Jacob Moreno7, spécialiste en psychologie
sociale, fondateur de la sociométrie et des sociogrammes.
D’autres chercheurs de la même discipline, proches de la Gestaltthéorie (Kurt Lewin, Fritz Heider), s’intéressent aux dynamiques
de groupes. Parallèlement, depuis les années 1950, l’École de
Manchester, avec John Barnes, Clyde Mitchell et Elizabeth Bott,
4
Journées organisées par Ainhoa de Federico, Martine Azam et Nathalie Chauvac
dans le cadre du groupe ReSTo (Réseaux Sociaux à Toulouse).
5
Simmel produit une réflexion théorique sur un niveau intermédiaire entre les
structures sociales et les individus. Pour lui, les formes sociales qui résultent des
interactions entre les acteurs forment le cœur de la sociologie. Simmel n’utilise
pas à proprement parler le terme de « réseau », qui apparaît dans les années
1950 sous la plume de l’anthropologue britannique John Barnes (Barnes, J. A.,
« Class and Committees in a Norwegian Island Parish », Human Relations, n°7).
6
Pour en savoir plus sur l’histoire de l’analyse des réseaux sociaux, en français et
en accès libre : http://eco.ens-lyon.fr/sociales/reseaux_merckle_03_origines.pdf
(Mercklé P., « Les réseaux sociaux. Les origines de l’analyse des réseaux
sociaux ». CNED Ens-lsh., 2003). Voir aussi Degenne, A., « L’analyse des réseaux
sociaux – Un survol à travers quelques jalons », Bulletin de Méthodologie
Sociologique, n°118, 2013 ou encore Van Meter, K., « Network Analysis in French
Sociology and Anthropology », in Encyclopedia of Social Network Analysis and
Mining (sous la direction de R. Alhajj et J. Rokne), New York, Springer, 2014. En
anglais, deux livres l’examinent de manière plus complète : Scott J., Social
Network Analysis. A handbook, Londonand Beverley Hills, Sage Publications,
1992 et Freeman L. C., The Development of Social Network Analysis: A Study in
the Sociology of Science, Vancouver, Canada, Booksurge Publishing, 2004.
7
Moreno, J. L., « Who shall survive? A New Aproach to The Problem of Human
Interelations », Nervous and Mental Disease Publishing, Washington D.C., 1934.
16
Éditorial
travaille avec les méthodes classiques de l’anthropologie. De leur
côté, des mathématiciens comme Robert Norman et Dorwin
Cartwright formalisent les interrelations individuelles avec la
théorie des graphes. Graphes et sociogrammes ont en commun
de dépasser la simple représentation graphique et permettent le
développement des premiers outils conceptuels sur la structure
des réseaux sociaux. Dans les mêmes années, le débat est
alimenté par Elihu Katz qui promeut pour sa part les matrices, en
lieu et place des graphes. Ultime étape de cette première période
multifocale et multidisciplinaire : les années 1970. Sur fond de
développement de l’informatique, se produit un mouvement
décisif impulsé par les sociologues, en particulier Harrison White,
physicien de formation, dont le projet scientifique est de proposer
des définitions stables et des formalisations permettant de rendre
compte des structures sociales. C’est à White que l’on doit la
formation de nombreux jeunes chercheurs en Amérique du Nord8,
qui contribuent fortement à l’essor de la sociologie actuelle des
réseaux sociaux. L’article devenu célèbre de Mark Granovetter9,
et plus largement les contributions de ces jeunes chercheurs,
stabilisent et opérationnalisent un ensemble de concepts
permettant la reformulation et la validation empirique de
problèmes proprement sociologiques. L’intérêt majeur pour la
sociologie est de montrer que la structure des réseaux de
relations a une efficacité propre, indépendante des
caractéristiques sociales et psychologiques des individus. Se
développe à partir de là ce qui relève d’une analyse structurale
des réseaux s’appuyant sur des logiciels de traitement des
données relationnelles10.
À partir des travaux de White, les approches et les études de
réseaux qui s’appuyaient sur des méthodes variées adoptent une
8
Par exemple Edward Lauman, Ronald Breiger, Nicholas Mullins, Claude Fischer
ou encore Mark Granovetter développent leur carrière aux USA alors que Barry
Wellman, Nancy Howell Lee et Bonnie Erickson le font au Canada.
9
Granovetter, M. S., « The Strength of Weak Ties », American Journal of
Sociology, vol. 78, Issue 6, 1973, p. 1360-1380.
10
Quelques exemples sont Ucinet, Pajek, Netdraw, Visone, Egonet, Stocnet,
Gephi etc. ou encore Venmaker, Nvivo, Yed pour des approches qualitatives.
Martine AZAM, Ainhoa DE FEDERICO
17
forme quantitativiste très marquée. Avec la génération qui suit, le
travail des mathématiciens et des sociologues s’articule de façon
plus profonde. En 1976, Barry Wellman crée l’INSNA
(International Association for Social Networks Analysis), qui
devient un lieu de rencontre interdisciplinaire et internationale
sur les réseaux sociaux.
Les années 1980 sont le moment de l’explicitation théorique et
conceptuelle et de la multiplication des investigations et
applications à divers objets dans un nombre croissant de pays,
permettant de parler de l’émergence d’un nouveau paradigme en
sciences sociales.
Anglophone au départ, comme le montre cette histoire partielle,
l’analyse des réseaux débute en France dans les années 1970 avec
Alain Degenne11. Le récent article d’Alexis Ferrand et d’Ainhoa de
Federico12 retrace l’émergence et la structuration de la sociologie
des réseaux sociaux en France comme une spécialité particulière
et son extension à des domaines divers. Le développement de
cette spécialité passe également par la diffusion de compétences
spécifiques13 qui articulent concepts et traitement de données
dont l’ouvrage d’Alain Degenne et Michel Forsé à destination des
premiers cycles universitaires est significatif14. Ce dernier point est
le signe d’une spécialité encore marquée principalement par des
approches quantitatives, malgré certaines recherches classiques
de nature qualitative15 et des inflexions récentes16.
11
Degenne A., « La construction et l’analyse des réseaux sociaux », L’Année
Sociologique, 1978, n°29.
12
Ferrand A. et de Federico A., « L’analyse des réseaux sociaux en France :
émergence (1977-1991) et diffusion des compétences (2005-2013) », Socio-logos
[en ligne], 2013.
13
En France, les Écoles d’été du CNRS ainsi que les formations dans un certain
nombre d’universités (Lille, Toulouse, Paris-Dauphine) jouent ce rôle. La page
web http : //www.cmh.pro.ens.fr/reseaux-sociaux/ rend compte de ces
initiatives.
14
Degenne A. et Forsé M., Les réseaux sociaux, Paris, Armand Colin, 1994.
15
Si John Barnes connaissait bien les mathématiques, son travail fondateur
n’implique pas une enquête quantitative à proprement parler, mais de
l’observation et des propositions de conceptualisation formelles. Elizabeth Bott
18
Éditorial
Plus que les aspects méthodologiques et les outils, la complexité
et la maturité croissante de cette spécialité produit la
convergence des chercheurs de ce domaine : les réseaux offrent la
possibilité de penser les phénomènes sociaux au-delà de
l’articulation entre le niveau macrosociologique des institutions et
le niveau microsociologique des individus proposant une
approche fréquemment qualifiée de méso-sociale.
La sociologie des réseaux explore aujourd’hui des domaines de
recherches tels que la sociabilité, les liens d’amitiés, les marchés,
l’accès aux ressources, les migrations, la santé, les inégalités
relationnelles, la diffusion des innovations, la production
scientifique, etc. L’art et la culture restent encore en périphérie de
l’attention des spécialistes17.
Quelques étapes de la sociologie de l’art en France et aux ÉtatsUnis
L’histoire de la sociologie de l’art reste à écrire pour chaque aire
géographique : Amérique du Nord, du Sud, Europe. De même, il
serait nécessaire de clarifier pour chaque pays les relations
qu’entretiennent la sociologie de l’art et celle de la culture. Ce
travail de fond est trop ample pour être entrepris ici mais dans
l’optique qui est la nôtre, nous proposons quelques étapes
indicatives de cette histoire.
Les sociologies de l’art et de la culture se développent en France
aux environs des années 1950. À cette période, on prête une
(dans Bott E., Family and Social Network, London, Tavistock, 1957) procède au
moyen d’entretiens conjoints. Ces travaux qualitatifs inspirent le mouvement des
années 1970 et permettent ultérieurement la conceptualisation des réseaux
complets qui s’appuient sur des modélisations.
16
Par exemple, les méthodes mixtes telles que celles développées par Michel
Grossetti, Marie Pierre Bès, Nathalie Chauvac, Ainhoa de Federico, Béatrice
Milard à Toulouse ou encore Claire Bidart, Silvia Dominguez et Bettina Hollstein.
17
Qu’il s’agisse de recherches sur les mondes de l´art, sur la construction de la
notoriété ou sur les trajectoires d’individus, les références manquent. C’est par
l’usage des nouvelles technologies de l’information que l’analyse de réseaux a
fait l’objet d’une attention croissante. Citons par exemple Cardon, D. et Granjon,
F., « Social networks and cultural practices: A case study of young avid screen
users in France », Social Networks, vol. 27, Issue 4, 2005, p. 301-315.
Martine AZAM, Ainhoa DE FEDERICO
19
attention particulière à la spécificité de la production artistique et
les auteurs traitent des œuvres en mettant en perspective les
structures de la société et celles des productions artistiques. Nous
pouvons citer, dans ce registre, Pierre Francastel18 pour la
peinture, Jean Duvignaud19 pour le théâtre, Lucien Goldmann20
pour la littérature. Encore proches de l’histoire et d’une certaine
philosophie esthétique, ces recherches se situent à un niveau de
généralité trop important pour restituer la matérialité des
rapports sociaux dans lesquelles s’inscrivent les productions
artistiques d’une époque. Le coup d’envoi des directions de
recherche qui alimentent les trois décennies suivantes est donné
au tournant des années 1970 par Raymonde Moulin et Pierre
Bourdieu. Moulin21 introduit l’analyse socio-économique dans le
domaine des arts plastiques, dans un mouvement similaire à celui
initié par Cynthia et Harrison White outre-Atlantique. Bourdieu de
son côté ouvre la voie à l’analyse des pratiques culturelles22.
Si, pendant l’après-guerre, l’intérêt pour l’art et la culture est
marginal dans la sociologie américaine, les années 1970 voient
émerger un véritable intérêt pour ces objets. Les deux volumes
dirigés par Richard A. Peterson, The Production of culture23,
marquent l’affirmation d’un domaine de recherche autonome.
Durant cette même période, Howard Becker engage une série de
18
Francastel P., Peinture et société : naissance et destruction d’un espace
plastique de la Renaissance au cubisme, Paris, Lyon, Audin, 1951.
19
Duvignaud J., La sociologie du théâtre, Paris, PUF, 1965.
20
Goldmann L., Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard, 1964.
21
Moulin R., Le marché de la peinture en France, Paris, Editions de Minuit, 1967.
22
Bourdieu P., Un Art Moyen : essai sur les usages sociaux de La photographie,
Paris, Éditions De Minuit, 1965, et Bourdieu P. et Darbel A., L’Amour de l’art : les
musées d’art européens et leur public, Paris, Éditions de Minuit, 1966.
23
Peterson, R. A., « The Production of Culture: A Prolegomenon », Nº special
American Behavioral Scientist, nº 19, 1976 et Peterson, R. A., « The Production of
Culture », Social Research, 45, 1978.
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