Les acteurs du monde associatif face aux différentes propositions de l’entrepreneuriat social : du scepticisme à une adoption conditionnelle Patrick VALEAU1 et Jérôme BONCLER2 Résumé Le secteur associatif constitue un des champs d’application a priori naturel de l’entrepreneuriat social. Pourtant, les chercheurs et experts Français semblent, dans leur majorité, très réservés face à ce concept venu des Etats-Unis. Mais qu’en est-il des acteurs eux-mêmes ? Cet article confronte les représentations et pratiques actuelles des dirigeants d’associations aux trois principales propositions de l’entrepreneuriat social : le recours à des outils de gestion plus efficaces, l’indépendance des financements et l’hybridation des formes d’action. Fondé sur 35 entretiens et une étude de cas approfondie, cet article explore une version de l’entrepreneuriat social plus conforme à la culture, aux buts et aux valeurs des associations Loi 1901, afin de favoriser la diffusion d’innovations gestionnaires adaptées à ce secteur. Mots clés : entrepreneuriat social, associations à but non lucratif, culture, valeurs Abstract The nonprofit sector could be a natural context of application for social entrepreneurship. Experts and researchers have expressed their doubt about this US concept, but what do actors think? This article confronts the representations and practices of nonprofit managers to the three main proposals of social entrepreneurship, i.e. more efficient management tools, independent finances and hybrid status. Based on 35 semidirective interviews, this article explore a version of social entrepreneurship more adapted to the culture, the aims and values of nonprofit organizations in order to facilitate its diffusion in this context. Key words: social entrepreneurship, nonprofit organizations, culture, values 1 - Maître de Conférences HDR Sciences de Gestion - IAE de la Réunion - CEMOI - [email protected] 2 - Maître de Conférences Sciences de Gestion - Université de Bordeaux – Equipe entrepreneuriat IRGO - [email protected] RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme n°3 - NE - août/septembre/octobre 2012 - ENTREPRENEURIAT 17 Les acteurs du monde associatif face aux différentes propositions de l’entrepreneuriat social : du scepticisme à une adoption conditionnelle - Patrick VALEAU et Jérôme BONCLER « L’entrepreneur social » est devenu très à la mode à la fin des années 90, notamment dans les cultures anglo-saxonnes. Reprise par une partie des acteurs du secteur associatif français (par exemple Ashoka France et le Mouvement des Entrepreneurs Sociaux - MOUVES), par les accompagnateurs, mais aussi par les politiques de tout bord, cette expression n’est pas toujours très bien définie. Cette approche n’est pas neutre, car elle oriente la gestion des associations et influence les politiques publiques, notamment financières, à leur égard. Les propositions introduites dans le cadre de l’entrepreneuriat social sont de trois ordres : l’utilisation à des fins d’efficacité d’outils de gestion ayant fait leurs preuves en entreprise ; un moindre recours aux subventions publiques et une hybridation des formes d’action combinant marchand et non marchand (Valéau, Cimper et Filion, 2004). Le secteur associatif constitue un des champs d’application a priori naturel de l’entrepreneuriat social. Cependant, au cours des dernières années, les chercheurs français, spécialistes de ces organisations, ont semblé, dans leur majorité, très réservés face à ce concept venu des Etats-Unis. Notre propos ne vise pas à participer directement à ces débats, mais à les étudier de façon scientifique. L’objet n’est pas le regard des experts, mais celui des dirigeants associatifs, bénévoles et salariés3, sur le terrain. A quelles conditions, les dirigeants associatifs peuvent-ils devenir plus entrepreneurs ? Dans quelle mesure les propositions de l’entrepreneuriat social sont-elles compatibles avec leurs représentations et leurs pratiques actuelles ? Cet article examine les « cadres de références » (Watzlawick et al, 1975), les « rationalités » (Simon, 1947 ; Weber, 1921) de ces acteurs, afin de mieux comprendre pourquoi une partie d’entre eux tend à se méfier de ces propositions. Notre principale hypothèse est que les acteurs associatifs, au-delà de leurs positions de principe, positives ou négatives vis-à-vis de l’entrepreneuriat social, adoptent des attitudes pragmatiques et nuancées concernant les questions d’efficacité, de diversification des ressources, de concurrence. Fondé sur 35 entretiens et une étude de cas approfondie, cet article identifie, au-delà des difficultés de vocabulaire et de communication, des problèmes de compatibilité plus fondamentaux entre le modèle de l’entrepreneuriat social et les cadres de références portés par ces dirigeants. L’enjeu pratique consiste à favoriser la diffusion d’attitudes entrepreneuriales respectueuses des valeurs et des buts des dirigeants associatifs. L’étude de cas approfondie illustre la faisabilité d’une telle adaptation : un jeune cadre venu réformer une association explique comment il s’est progressivement imprégné de la culture associative. Nous tentons de tirer les leçons de cette expérience réussie. Nous commencerons par étudier en détail les propositions de l’entrepreneuriat social en revenant notamment sur les textes fondateurs de la fin des années 90. Nous évoquerons ensuite les débats sur leur application aux associations. Les méthodes qualitatives utilisées seront exposées, puis les points de vue des dirigeants seront présentés suivant les trois principales propositions de l’entrepreneuriat social. Le modèle théorique proposé évaluera les zones de recoupement mais également les différences majeures entre ces deux cadres de référence, ce qui permettra d’identifier 3 - La Loi 1901 prévoit que les associations soient dirigées par des bénévoles, mais ceux-ci peuvent déléguer une partie de leurs missions à des cadres salariés. 18 RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme n°3 - NE - août/septembre/octobre 2012 - ENTREPRENEURIAT Les acteurs du monde associatif face aux différentes propositions de l’entrepreneuriat social : du scepticisme à une adoption conditionnelle - Patrick VALEAU et Jérôme BONCLER les adaptations utiles ou nécessaires afin de favoriser la diffusion d’une approche plus entrepreneuriale au sein du secteur associatif français. 1. Deux mondes : deux littératures Après un retour aux sources du concept d’entrepreneuriat social, par l’examen des textes fondateurs, qui ont été parfois occultés dans les débats, nous aborderons par la suite la littérature française sur les associations. Il s’agira ici d’étudier la question de l’opportunité et du risque de l’introduction des principes de l’entrepreneuriat social au sein du monde associatif. 1.1. L’entrepreneuriat social en version originale L’entrepreneuriat social est un mouvement théorique et pratique né en Amérique du Nord à la fin des années 1990, importé en France dans les années 2000. Dans le cadre de cette partie, nous nous référons au courant que nous qualifions d’ « historique », notre propos s’appuyant avant tout sur quelques citations clés des auteurs anglophones de cette période. Ce retour aux sources nous semblait nécessaire, car l’importation du concept en France s’est souvent faite sans systématiquement en approfondir les contenus. « L’idée d’entrepreneuriat social a touché une corde sensible. C’est une expression qui convient bien à notre époque. Elle combine la passion pour une mission sociale avec une image d’affaires, d’innovation et de détermination généralement associée au pionnier de la haute-technologie de la Silicon Valley. Le moment est venu d’une approche entrepreneuriale des problèmes sociaux. De nombreux efforts gouvernementaux et philanthropiques sont loin de répondre à nos attentes et ces secteurs sont souvent jugés inefficients, inefficaces et peu réactifs. Nous avons besoin des entrepreneurs sociaux pour développer de nouveaux modèles pour un nouveau siècle. » (Dees, 1998, p.1). L’entrepreneuriat a été identifié comme le moteur du développement des territoires (Shumpeter, 1935). L’entrepreneuriat social vise à introduire cette dynamique au sein de structures visant des finalités sociales. La paternité de ce concept est généralement attribuée à Dees (1998) dans le cadre d’un texte uniquement diffusé sur internet. L’auteur part d’un constat d’inefficacité des structures à finalité sociale et pose le modèle entrepreneurial, tel qu’il s’est par exemple exprimé dans le cadre des « starts up », comme un modèle de développement susceptible de s’appliquer à ces productions à finalités sociales. Hibbert, Hogg et Quinn (2002) définissent l’entrepreneuriat social comme l’utilisation de comportements entrepreneuriaux à des fins sociales. L’entrepreneuriat social se réfère aux activités encourageant des approches plus entrepreneuriales au sein du secteur non lucratif en vue d’accroître l’efficacité et la pérennité de l’organisation. (Canadian Center for Social Entrepreneurship, 2001). Selon Johnson, le secteur nonlucratif fait face à une demande d’efficacité accrue, de pérennité, dans le cadre d’une diminution des fonds des sources traditionnelles et à une compétition exacerbée pour ces ressources raréfiées. Comme le suggèrent ces différents auteurs, l’une des principales préoccupations de l’entrepreneuriat social consiste à développer davantage d’efficacité à des fins sociales. Inspiré du monde des entreprises, l’entrepreneuriat social cherche à optimiser le ratio entre les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus, en minimisant notamment les coûts de revient unitaires des RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme n°3 - NE - août/septembre/octobre 2012 - ENTREPRENEURIAT 19 Les acteurs du monde associatif face aux différentes propositions de l’entrepreneuriat social : du scepticisme à une adoption conditionnelle - Patrick VALEAU et Jérôme BONCLER services rendus. Le marché, dit-on, oriente naturellement les entrepreneurs lucratifs vers cette efficacité à travers la recherche du profit et la concurrence. D’après Johnson (2000), la situation des entrepreneurs sociaux s’en rapprocherait de plus en plus : devenant de plus en plus nombreux et les subventions se faisant plus rares, ceux-ci devraient adopter une approche plus productive et plus compétitive. Pour Brunham (2002), l’entrepreneuriat social permet de réduire la dépendance des organisations vis-à-vis de ressources restreintes tout en maintenant le focus sur la mission. Pour cet auteur, l’argent nécessaire pour financer ces innovations doit venir d’argent gagné. Pour Boschee (2001), concevoir, développer et implémenter un nouveau programme est une chose, le maintenir sans dépendre de la philanthropie et des subsides gouvernementaux en est une autre. L’entrepreneur social évite de recourir aux subventions. Il privilégie les dons privés ou même mieux, il développe une activité commerciale générant un véritable chiffre d’affaires, voire même des profits. Cette approche intègre deux cas de figures. Le premier consiste à vendre les biens et services produits afin d’assurer un équilibre financier indépendant de toutes subventions. Le second consiste à dégager un bénéfice à partir d’une activité commerciale afin d’en financer une autre, généralement plus caritative. C’est une proposition, au départ rationnelle, qui invite les associations à dégager des moyens supplémentaires pour la réalisation de leurs objectifs, tout en maintenant une certaine indépendance. Cette démarche peut être reliée à la théorie des ressources de Penrose (1959). Celle-ci conçoit l’organisation comme une structure destinée à assurer l’acquisition des moyens nécessaires pour mener à bien ses projets. Ces ressources doivent être sécurisées, spécifiques, et difficilement imitables, afin de maintenir un avantage compétitif. Dans ce sens, les entrepreneurs sociaux cherchent à diversifier leurs ressources en innovant dans les façons d’obtenir des dons privés, mais également dans les possibilités de dégager un chiffre d’affaires ou un profit, à partir de la vente de biens et services propres. « L’entrepreneuriat émerge comme une approche commune visant à répondre aux besoins sociaux. Toutefois les créateurs s’organisent tout aussi bien sous une forme lucrative ou non lucrative afin de s’engager vers des activités relativement similaires. » (Townsend et Hardt, 2008, p.685). Pour Johnson (2000), l’entrepreneuriat social fait éclater les frontières traditionnelles entre le secteur public, le privé et le non-lucratif et met en avant des modèles hybrides d’activités lucratives et non lucratives. De façon presque systématique, les auteurs intègrent comme « entrepreneurs sociaux » les responsables des organisations à but non lucratif, mais aussi des dirigeants d’entreprises à vocation sociale. La littérature s’intéresse aussi particulièrement aux entrepreneurs sociaux développant des organisations hybrides combinant non lucratif et lucratif. Ainsi, l’entrepreneuriat social ne consiste pas simplement à appliquer les sciences de l’entrepreneuriat aux organisations à but non lucratif. C’est un mouvement beaucoup plus spécifique qui entend transcender les frontières entre les secteurs marchand et non marchand, public et privé. Il emprunte au champ de l’entrepreneuriat, de façon sélective. On y retrouve, par exemple, la « créativité » et le « pragmatisme » utiles ou nécessaires pour saisir les opportunités (Shane et Vankatamaran, 1997). Les différents auteurs anglophones cités dans cette partie figurent parmi ceux qui ont initié le concept d’entrepreneuriat social. Même si la liste n’est pas exhaustive, nous retrouvons à travers eux les principales propositions qui 20 RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme n°3 - NE - août/septembre/octobre 2012 - ENTREPRENEURIAT Les acteurs du monde associatif face aux différentes propositions de l’entrepreneuriat social : du scepticisme à une adoption conditionnelle - Patrick VALEAU et Jérôme BONCLER définissent ce mouvement théorique et pratique. De très nombreux articles continuent aujourd’hui à être publiés sur le sujet, mais il semble que le cœur de ce corpus soit à présent relativement « durci » et « stable » (Stengers, 1988). L’entrepreneuriat social constitue un champ désormais bien établi avec ses références et ses contenus. A la suite de Valéau, Cimper et Filion (2004), trois principales propositions peuvent être identifiées (encadré 1). Encadré 1 : Les trois propositions de l’entrepreneuriat social « anglo-saxon » • Proposition 1. Des hybridations gestionnaires. L’entrepreneuriat social consiste à utiliser des outils d’entreprises visant à produire de façon plus efficace à des fins sociales. • Proposition 2. Des hybridations financières. L’entrepreneuriat social vise à recourir le moins possible aux subsides publics. • Proposition 3. Des hybridations statutaires. L’entrepreneuriat social ne se limite pas aux organisations à but non lucratif. Il peut prendre et combiner toutes les formes juridiques. 1.2. Application de l’entrepreneuriat social aux associations Loi 1901 : enjeux et problématiques La loi 1901 définit les associations comme « des conventions par lesquelles deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices ». La France compte aujourd’hui 1,1 million d’associations dont 150 000 possèdent le statut d’employeur. Elles représentent 1,9 million de salariés à temps complets ou partiels et un budget cumulé avoisinant les 60 milliards d’euros (Tchernonog, 2007). Les économistes les considèrent comme des organisations de l’économie sociale et solidaire, productrices de biens et de services répondant à des demandes généralement minoritaires et souvent non solvables, ignorées par les pouvoirs publics et par les entreprises (Archambaud, 1996 ; Demoustier, 2001). Les sociologues, quant à eux, confèrent aux associations une fonction plus large d’agent de développement. Elles restaurent les liens sociaux (Hoarau et Laville, 2008 ; Laville et Sainsaulieu, 1997), au travers des emplois salariés créés à l’attention des exclus, mais aussi du bénévolat, qui constituent une forme d’insertion socio-professionnelle. L’implication des bénéficiaires dans la production du service contribue à leur autonomisation (Barthélemy, 2000). Les associations présentent également une dimension politique prenant souvent la forme d’une gouvernance participative (Biondy et al., 2010 ; Boncler et Valéau, 2010 ; Defourny, 2010). Au-delà de leurs propres frontières, l’action des associations contribue au développement et à la transformation des territoires qui les entourent (Chéroutre, 1998). Mais la place occupée par les valeurs (Boncler et Valéau, 2010) oblige les associations à repenser en partie la gestion, en recherchant une performance multicritères (Valéau, 2003). L’introduction de l’entrepreneuriat social au sein des associations loi 1901 fait actuellement l’objet d’un débat passionné. D’un côté, certains experts y voient un nouveau départ pour l’économie sociale et solidaire en général et pour les associations en particulier. L’entrepreneuriat social permettrait notamment d’adapter RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme n°3 - NE - août/septembre/octobre 2012 - ENTREPRENEURIAT 21 Les acteurs du monde associatif face aux différentes propositions de l’entrepreneuriat social : du scepticisme à une adoption conditionnelle - Patrick VALEAU et Jérôme BONCLER ces organisations au contexte économique et politique d’aujourd’hui (Sybille, 2008). Mais d’autres tendent à rejeter ce concept, considérant qu’il introduit au sein des associations des principes similaires à ceux des entreprises « capitalistes », difficilement compatibles avec les fondements de ce type d’organisation (Draperi, 2010a, 2010b). Nous revenons ici sur ce débat, avant de prendre en compte l’avis, souvent négligé, des dirigeants associatifs eux-mêmes. « Nous formulons l’hypothèse selon laquelle l’entrepreneur social se définit par son objectif qui est d’agir explicitement en faveur de la collectivité. Cet objectif l’emporte sur des considérations économiques (…), même si ces dernières entrent étroitement en compte dans la finalité du projet, car l’entrepreneur social comme l’entrepreneur, doit être à même de générer des ressources nouvelles. Il mobilise les ressources dont il dispose pour parvenir à son objectif, mais la volonté d’enrichissement ou d’esprit de compétition n’en est pas moins présente puisque la société dans laquelle il est inséré est basée plus ou moins explicitement sur la concurrence et le profit. » (Boutillier, 2008, p. 50). Quelques textes francophones, notamment ceux de Boncler et Hlady (2004), Boutillier (2008), de Valéau, Cimper et Filion (2004), de Zoonekynd (2004), ont contribué au début des années 2000 à introduire le concept d’entrepreneuriat social au sein de la littérature en entrepreneuriat. L’une des principales questions consistait à savoir en quoi l’entrepreneur social différait de l’entrepreneur classique. Pour Boutillier (2008) par exemple, la différence se situe essentiellement au niveau de ses objectifs, la démarche restant relativement similaire. « Consolider les approches entrepreneuriales du monde associatif, sans les banaliser. Dans les années à venir, il faudra faciliter les rapprochements entre associations, pour consolider économiquement certains secteurs, améliorer la qualité, faire des économies d’échelle. (…) Il s’agit également de diversifier les ressources financières des associations par le mécénat d’entreprises, insuffisamment développé en France alors que la fiscalité française y est favorable. » (Sybille, 2008, p.1). L’entrepreneuriat social a, par la suite, été introduit dans différents forums et blogs dans le cadre desquels experts et représentants des collectifs associatifs débattent. Les principaux promoteurs en sont Ashoka France et le MOUVES4, mais c’est Sybille (2008), préconisant une approche plus pragmatique du développement des organisations de l’ESS, qui reste, bien malgré lui, identifié comme le principal défenseur de ce concept. Il aborde l’entrepreneuriat social sous l’angle de la proposition 1, les outils d’entreprises présentés correspondant au premier abord aux nouvelles exigences d’efficacité et aux logiques d’évaluation des financeurs privés ou publics. Sybille (2008) évoque également plus ponctuellement la proposition 2 : la diversification des sources de financement. « Le mouvement de l’entrepreneuriat social plaque sur les pratiques économiques et sociales qu’il observe, un corps de conceptions reprises par les multinationales et les marchés mondiaux. » (Draperi, 2010a, p.1). « Les rapports à l’aspiration égalitaire, à la construction sociale des pratiques d’entreprise, au droit et aux statuts ou encore aux grandes entreprises, interdisent de superposer les conceptions d’ «économie sociale » et d’ «entrepreneuriat social » telles qu’elles existent en France. » (Draperi, 2010b, p.1). Le premier des deux articles de Draperi (2010a), en raison notamment 4 - MOUVES, Mouvement des Entrepreneurs Sociaux, http://www.mouves.org/ 22 RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme n°3 - NE - août/septembre/octobre 2012 - ENTREPRENEURIAT Les acteurs du monde associatif face aux différentes propositions de l’entrepreneuriat social : du scepticisme à une adoption conditionnelle - Patrick VALEAU et Jérôme BONCLER de son titre : « L’entrepreneuriat social est-il un mouvement de pensée inscrit dans le capitalisme ?», a rassemblé autour de lui une partie importante des doutes exprimés par les chercheurs, notamment les sociologues, sur la pertinence de ce nouveau concept. Les deux articles de Draperi (2010a et 2010b), publiés à quelques mois d’intervalle, n’étaient pas forcément critiques, mais interrogatifs. Les échanges qui ont suivi au sein de la Revue des Etudes Coopératives, Mutualistes et Associatives exprimaient la méfiance entre un monde fondé sur les valeurs et une approche plus pragmatique. Reprenant la définition de l’entreprise sociale du réseau EMES, le réseau européen de chercheurs sur l’économie sociale et l’entrepreneuriat social, Draperi (2010b) constate que l’entrepreneuriat social n’intègre pas véritablement la dimension politique qui caractérise l’histoire et la culture du mouvement associatif français. Fayolle et Matlay (2010) insistent effectivement sur la dimension culturelle de l’entrepreneuriat social, en précisant que le concept doit être adapté aux contextes sociétaux dans lesquels il est introduit. Valéau, Cimper et Filion (2004), dans un examen de la littérature, constatent également que ce concept ne tient pas véritablement compte de la dimension militante des associations. Pour Boncler et Valéau (2010), l’entrepreneuriat social n’intègre pas suffisamment la dimension collective des associations, en particulier les logiques de participation des différents acteurs impliqués. Ces éléments politiques restituent la finalité sociale posée par l’entrepreneuriat social dans le cadre d’une « rationalité en valeur » (Weber, 1921). Suivant cette perspective, il ne s’agit pas seulement de délivrer un service, mais de faire aussi en sorte que les parties prenantes, et en premier lieu les bénéficiaires, participent à sa production et puissent ainsi se le réapproprier. Valéau et Annette (2010) s’interrogent davantage sur les conséquences à court et moyen termes de l’introduction du concept d’entrepreneuriat social dans le secteur associatif. Il questionne notamment les pratiques des pouvoirs publics dans le cadre de la modernisation de son action en matière de subventions, ces dernières représentant 83% des recettes des associations, contre 4,9% pour les dons et mécénats et 12,1% pour les cotisations (Tchernonog, 2007). Pour Valéau et Annette (2010), le risque est que les associations qui n’adoptent pas le modèle de l’entrepreneuriat social, notamment les petites associations centrées sur les liens sociaux, ne trouvent plus de financement et disparaissent. Il reconnaît ainsi l’utilité des débats précédemment évoqués en tant que force de négociation face aux institutions. Les grands oubliés de ces débats restent, selon nous, les acteurs eux-mêmes. Ces discussions portent essentiellement sur les grands principes qui fondent historiquement le mouvement de l’économie sociale et solidaire et le secteur associatif en France et en Europe. Elles restent à des niveaux macro-économiques et sociologiques, n’intégrant pas véritablement ceux qui font réellement les associations (Boncler et Valéau, 2010), c’est-à-dire les hommes et les femmes qui les créent et les développent. Derrière chaque association, il y a un projet, et derrière chaque projet se trouvent des citoyens, des bénévoles et/ou des salariés, qui donnent de leur temps et de leur énergie. Parmi ceux-ci, certains prennent davantage de responsabilités, en jouant le rôle de leaders et en dirigeant le développement de l’association. C’est à ceux-ci que nous nous intéressons dans le cadre de cette recherche. Cet article RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme n°3 - NE - août/septembre/octobre 2012 - ENTREPRENEURIAT 23 Les acteurs du monde associatif face aux différentes propositions de l’entrepreneuriat social : du scepticisme à une adoption conditionnelle - Patrick VALEAU et Jérôme BONCLER consiste à confronter les points de vue des entrepreneurs associatifs avec les différentes propositions de l’entrepreneuriat social afin de mesurer leur compatibilité sur le terrain. Compte tenu des trois propositions identifiées pour l’entrepreneuriat social, nous formulons trois questions (encadré 2). Encadré 2 : Trois questions de recherches • Question 1. Dans quelle mesure les acteurs associatifs sont-ils disposés à devenir plus efficaces en adoptant des outils issus des entreprises ? • Question 2. Dans quelle mesure les associations peuvent-elles et souhaitent-elles hybrider leurs ressources ? • Question 3. Comment les dirigeants associatifs abordent-ils la concurrence avec les entreprises privées? 2. Méthodologie L’un des principaux points d’épistémologie et de méthodologie soulevé par cette recherche était la manière d’introduire le sujet auprès de nos interlocuteurs sous une forme la moins directive possible (Rogers, 1961). Le mot « entrepreneur » reste encore souvent, dans le secteur associatif, connoté à l’entreprise « marchande ». L’entrepreneuriat social a d’ailleurs, comme nous venons de l’évoquer, engendré des débats particulièrement critiques. De même, la gestion fait parfois l’objet de préjugés, les acteurs l’assimilant à un outil d’entreprises. C’est pourquoi, il n’était pas question de démarrer les entretiens en demandant : « Vous considérez-vous comme un entrepreneur social ?». Nos entretiens portaient, avant tout, sur la fonction de dirigeant et la manière de conduire les associations. Nous commencions par demander une présentation et un historique de l’association. Puis, nous interrogions notre interlocuteur sur son propre parcours et sa place au sein de l’association : « Quand êtes-vous devenu président / directeur ? », « En quoi consiste votre rôle ? ». Les répondants étaient, suivant les cas, le président bénévole ou le directeur salarié. C’est l’une des limites de cet article et un sujet de débat pour de futures recherches : qui est l’entrepreneur entre ces deux acteurs ? Pour notre part, nous avons constaté que le rapport entre les deux variait en fonction des personnalités et des phases de développement de l’association, ce qui engendre différents modèles (Mayaux, 1996). Une première série de 20 entretiens, réalisés par nos soins, dans le cadre de nos recherches sur la gestion des associations et sur l’entrepreneuriat social, nous a permis de constituer les catégories d’analyse et de définir le modèle empirico-formel (Glaser et Strauss, 1967). Accessoirement, 15 entretiens avec des responsables associatifs préalablement identifiés, ont été menés à titre de « triangulation » (Denzin, 1994) et de « réplications » (Yin, 1984) par un groupe d’étudiants en licence de gestion. Cet exercice était intégré dans le cadre d’un cours de psychosociologie, les étudiants étant dûment formés aux méthodes de l’entretien semi-directif, à l’entrepreneuriat et aux associations. Cette seconde série d’entretiens a permis de valider le modèle en vérifiant sa capacité à rendre compte d’autres cas, tout en saturant la documentation de ses contenus (Morse, 1994). 24 RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme n°3 - NE - août/septembre/octobre 2012 - ENTREPRENEURIAT Les acteurs du monde associatif face aux différentes propositions de l’entrepreneuriat social : du scepticisme à une adoption conditionnelle - Patrick VALEAU et Jérôme BONCLER Tableau 1 : Caractéristiques de l’échantillon Effectif Budget (euros) Ancienneté Minimum 0 1000 6 mois Moyenne 18 690 000 11,5 ans Maximum 280 3,6 millions 56 ans Domaines Action sociale et santé ; Sports ; Culture et loisirs ; Défense des droits ; Education, formation et insertion Comme le montre le tableau 1, l’échantillon, ainsi constitué, comprend, à des fins de comparaison, une grande diversité d’associations (Morse, 1994). Les effectifs salariés allaient de 0 à 280 avec une moyenne de 18 et les budgets oscillaient entre 1000 euros et 3,6 millions d’euros, avec une moyenne de 690 000 euros. Certaines des associations étudiées n’en étaient qu’à leurs débuts, alors que d’autres avaient déjà à leur actif plusieurs décennies d’existence. Les domaines d’activité, dans lesquels elles intervenaient, couvraient la quasi-totalité de la nomenclature de l’INSEE. L’interprétation des entretiens consistait, dans un premier temps, à rester au plus près du sens visé par les répondants (Rogers, 1961) ; nous nous intéressions alors à leur propre vision du développement de leur association. Dans un second temps, nous confrontions ces contenus aux grilles de lecture constituées par les trois propositions de l’entrepreneuriat social. Cette confrontation portait d’une part sur les points de vue et pratiques actuels de nos interlocuteurs, et d’autre part sur leurs possibilités d’évolution compte tenu du système de valeurs défendues. Certains, par exemple, se définissaient explicitement contre l’entrepreneuriat social, mais paradoxalement, conformément à notre hypothèse, l’analyse des contenus montrait une volonté de diversification des ressources financières, indiquant, malgré tout, une forme de compatibilité. Nous avons ainsi cherché à identifier la diversité des cadres de références des dirigeants associatifs et à mesurer leur degré de compatibilité « vraisemblable » (Guba et Lincoln, 1994, Adler et Adler, 1994) avec les développements souhaités par l’entrepreneuriat social. Ces résultats sont présentés par thèmes dans la partie 3., puis un cas complet est exposé en détail à la fin de la discussion afin d’illustrer les apprentissages et les adaptations possibles des entrepreneurs sociaux face aux associations. 3. Résultats Nos résultats sont présentés en reprenant chacune des trois propositions de l’entrepreneuriat social : outil de gestion efficace, diversification des sources de financement et hybridation des statuts. Pour chacune, après un rappel du principe, nous introduisons un tableau contenant une série d’extraits d’entretiens choisis pour représenter la diversité des points de vue rencontrés. Puis nous interprétons la position des acteurs associatifs avant d’amorcer la discussion. 3.1. Les dirigeants associatifs face à l’idée d’une gestion plus efficace Notre première question était de savoir dans quelle mesure les acteurs associatifs sont ou non disposés à devenir plus efficaces en adoptant des outils issus des entreprises. L’efficacité à des fins sociales demeure l’une des principales propositions de l’entrepreneuriat social (Johnson, 2000 ; Dees, 1998 ; Hibbert, Hogg et Quinn, 2002). Une partie des dirigeants associatifs tente effectivement de rendre leurs RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme n°3 - NE - août/septembre/octobre 2012 - ENTREPRENEURIAT 25 Les acteurs du monde associatif face aux différentes propositions de l’entrepreneuriat social : du scepticisme à une adoption conditionnelle - Patrick VALEAU et Jérôme BONCLER organisations plus efficaces en suivant des démarches inspirées des entreprises du secteur marchand (tableau 2). L’extrait 1 aborde cette volonté de progresser. L’extrait 2 évoque une rigueur budgétaire à l’image de ce qui peut se pratiquer au sein des entreprises. L’extrait 3 montre, avec le cas de l’humanitaire d’urgence, la possibilité d’une organisation des plus rationnelles. L’extrait 4 parle de la professionnalisation des ressources humaines et de la difficulté de la mener à bien dans un cadre strictement bénévole. Cependant, les quatre extraits suivants introduisent un certain nombre de limites : cette transformation ne saurait se faire de n’importe quelle manière, ni à n’importe quel prix, elle s’inscrit dans le cadre d’un développement essayant de concilier efficacité et respect des valeurs (extrait 8). Tableau 2 : Extraits d’entretiens avec des dirigeants associatifs à propos de l’efficacité Ref Positions 1 2 3 4 5 6 7 8 26 Illustration « Le président de l’association a toujours voulu que l’association se rapproche du fonctionnement d’une entreprise privée.(…) Il Recherche de voulait les meilleurs résultats et chaque fois, il fixait des objectifs performance très hauts. » « C’est une question qui revient tout le temps, ça me travaille tout le temps, disons qu’on a la même façon de fonctionner qu’une Rigueur entreprise. Par exemple, nous n’allons jamais créer ou monter un budgétaire projet si nous n’avons pas la somme nécessaire pour le faire. D’autre part, on doit toujours préparer un budget. » « Les procédures d’intervention, chez nous, sont, en grande partie, standardisées. Une fois l’intervention qualifiée (réfugiés, Organisation épidémies, etc.), l’ensemble des décisions se trouvent déterminées : rationnelle l’organisation des convois, la structure de l’effectif, les matériaux et les matériels utilisés, etc. : tout est planifié. » Avec le gros budget que nous allons avoir, je ne pourrai pas Professionnali- « fonctionner avec du bénévolat et avec des gens qui ne sont pas sation et limites spécialisés. Ces enfants là auront besoin de personnel qualifié et du bénévolat spécialisé. » « L’éducation populaire est un secteur difficilement palpable, où Difficulté de l’évaluation est difficile. Est-ce que fondamentalement nous allons mesurer la prendre comme indicateur de réussite la baisse de la délinquance ? productivité Ou la baisse du m2 de surface taguée ? » « Nous on essaye à travers les clubs de faire que les gens se parlent, puis aussi s’impliquent dans la vie du quartier. On commence par du ludique puis on les embarque dans des choses plus sérieuses La manière … Nous, ce qui compte, c’est la manière dont les choses se passent, dont les gens s’impliquent. » « Moi, je pense qu’il ne faut pas trop réglementer. Une organisation à but non lucratif, c’est avant tout un mouvement collectif : des L’esprit gens qui partagent un même idéal. Si tu commences à faire des associatif fiches de poste et tout et tout, tu perds la spontanéité, tu deviens une entreprise. » « Le rôle de président, c’est tout simplement mener la politique de développement et de promotion de la discipline, donc tout ce Notion de qui tourne autour non seulement de la pratique, mais comment développement développer, comment attirer des gens, comment faire connaître, comment en faire la promotion. » RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme n°3 - NE - août/septembre/octobre 2012 - ENTREPRENEURIAT Les acteurs du monde associatif face aux différentes propositions de l’entrepreneuriat social : du scepticisme à une adoption conditionnelle - Patrick VALEAU et Jérôme BONCLER La première objection des acteurs associatifs face à l’idée d’une gestion plus efficace, porte sur la possibilité de mesurer l’efficacité de leurs productions (extraits 5 et 6). Les biens et services délivrés forment des unités dont il est possible de calculer le coût de revient unitaire, mais il convient également de considérer les effets indirects produits (lutte contre les exclusions, lien social, développement local…). Ces autres valeurs ajoutées peuvent justifier quelques surcoûts. Le problème reste que ces suppléments d’utilité ne peuvent être facilement quantifiés. Ils résistent, ce faisant, à la notion d’optimisation. La seconde objection concerne le caractère collectif de la démarche associative (extrait 7). Les valeurs humanistes qui inspirent les finalités des associations se retrouvent, à certains égards, dans leur gestion des ressources humaines. Les acteurs évoquent souvent une fraternité fondée sur la liberté d’adhésion et l’égalité entre les membres. Avec la professionnalisation vient le temps de la formalisation et de la hiérarchisation des rapports entre les membres. De ce fait les acteurs craignent de perdre « l’esprit associatif ». Effectivement, les associations qui ont fait le choix de se professionnaliser traversent souvent une crise identitaire (Valéau, 2011). 3.2. Les dirigeants associatifs face aux recours aux subventions Notre deuxième question était de savoir dans quelle mesure les dirigeants associatifs peuvent et souhaitent hybrider les ressources de leurs associations. Selon Boschee (2001) et Brunham (2002), l’entrepreneur social évite de recourir aux subventions. Il privilégie les dons privés ou même mieux, il développe une activité commerciale générant des excédents en vue d’autofinancer des activités déficitaires. Le propos est intéressant car apportant de nouvelles idées, de nouvelles approches et de nouvelles pratiques. Il permet d’envisager d’autres « business models » (Boncler et Valéau, 2010). Certains acteurs évoquent effectivement les problèmes de dépendance posés par les subventions, avec notamment l’obligation formelle ou informelle, de prendre en compte les différents axes des politiques publiques (extrait 1). C’est pourquoi, certaines associations cherchent assurément à diversifier leurs sources de financement, en se tournant, comme le décrit l’extrait 2, vers les entreprises et les particuliers. Les acteurs évoquent par ailleurs les financements indirects que constituent les contributions en nature, à commencer par le bénévolat, des ressources pas ou peu prises en compte par l’entrepreneuriat social. Comme le montrent les différents extraits du tableau 3, les associations rencontrent de grandes difficultés à trouver les ressources nécessaires à la réalisation de leurs projets. Le recours aux dons et au mécénat dépend pour beaucoup de la reconnaissance d’utilité publique à laquelle seule une minorité peut accéder (extrait 2). Celles qui ne recourent pas aux subventions en tirent parfois une certaine fierté (extrait 6), mais la plupart aimeraient pouvoir y accéder. En pratique, les subventions restent aujourd’hui encore une source de financement quasi-incontournable (Tchernonog, 2007), dont les conditions d’accès évoluent en fonction des réformes des politiques publiques (Valéau et Annette, 2010). Les autres sources de financement ne sont pas, elles non plus, exemptes de biais et de contrepartie (Boncler et Valéau, 2010). La polémique qui a suivi les propos de Pierre Berger, le président du Sidaction en 2009, au sujet du Téléthon, questionnait les arguments avancés pour convaincre : le don requiert une certaine empathie, mais jusqu’où les associations sont-elles prêtes à RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme n°3 - NE - août/septembre/octobre 2012 - ENTREPRENEURIAT 27 Les acteurs du monde associatif face aux différentes propositions de l’entrepreneuriat social : du scepticisme à une adoption conditionnelle - Patrick VALEAU et Jérôme BONCLER aller pour susciter cette émotion ? Valéau (2003) évoque ainsi la démarche d’une association pour SDF ayant décidé de faire figurer sur son affiche une mère et son enfant pour « toucher » les donateurs alors que le public généralement accueilli était constitué d’hommes. Tableau 3 : Extraits d’entretiens avec des dirigeants associatifs à propos des financements Ref Positions 1 Dépendance vis-à-vis des politiques publiques 2 Dons et mécénat 3 4 Les limites du chiffre d’affaires Les limites du chiffre d’affaires suite 5 Les dons en nature 6 Les dons en nature suite 7 La valeur du bénévolat Illustration « Si on veut être autonome, appliquer notre politique, ils nous laisseront faire, mais quand on présentera les budgets primitifs, on nous dira, oui, mais il faudra appliquer ça pour avoir des financements (…) Ils ne nous l’imposent pas mais ils nous le recommandent fortement. » « Nous sommes la première et la seule association humanitaire du département à être reconnue d’utilité publique. Ce label nous permet de dire à nos chefs d’entreprise, à nos donateurs, qu’ils peuvent déduire jusqu’à 66% de crédit d’impôt, ce qui nous permet aujourd’hui de recevoir des dons quelquefois assez importants. » « On n’a pas de subvention, c’est ça le problème. Avec 15 euros d’adhésion, on n’a pas de fonds. Ce qui est pénible, c’est que les gens qui viennent apprendre ne veulent pas payer ». « Pour les activités de l’association, les adhérents se comportent en consommateurs, les parents nous laissent leurs enfants et on ne les voit plus » « Lorsque nous organisons des manifestations, nous avons aussi les chefs d’entreprise qui nous apportent des moyens, par exemple, ceux qui sont dans l’alimentation vont nous apporter de la nourriture. La mairie met à notre disposition des podiums. Nos soirées nous coûtent souvent 10 à 15% du total, le reste ce sont les partenaires, en nature. » « On a un peu de fierté à réaliser des choses sans l’aide de la mairie. Maintenant, je dis sans l’aide de la mairie, ce n’est pas vrai, parce qu’ils mettent à disposition le terrain, les locaux. A priori c’est donné comme ça. » « Le comité ne compte que trois employés, tous les gens qui m’entourent, qui m’aident ce sont des bénévoles. » L’augmentation du chiffre d’affaires ne va pas, non plus, sans difficultés : la population française est habitué à certaines gratuités de la part des associations (extrait 3). Lorsque les usagers payent, ils se responsabilisent, mais deviennent aussi parfois davantage clients que membres, ce qui ne correspond pas forcément à l’esprit communautaire visé (extrait 4). Les associations recourent presque toutes à des dons en nature et au bénévolat (extraits 5 et 7). Ces ressources ont une valeur sociale, mais aussi une valeur financière qui correspond aux dépenses qu’il aurait fallu effectuer pour les obtenir dans un cadre marchand. Le plan comptable intègre désormais ces éléments. Ils peuvent désormais figurer dans le compte de résultat et constituent de plus en plus souvent un critère utilisé par les financeurs institutionnels pour évaluer l’existence d’une véritable vie associative. Les réflexions menées dans le cadre de l’entrepreneuriat social l’ont, jusque-là, ignoré. 28 RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme n°3 - NE - août/septembre/octobre 2012 - ENTREPRENEURIAT Les acteurs du monde associatif face aux différentes propositions de l’entrepreneuriat social : du scepticisme à une adoption conditionnelle - Patrick VALEAU et Jérôme BONCLER 3.3. Les dirigeants associatifs face à l’hybridation des statuts et à la concurrence. Notre troisième question était de savoir comment les dirigeants associatifs abordent la concurrence avec les entreprises privées. Les « entrepreneurs sociaux » développent des organisations hybrides combinant non lucratif et lucratif (Johnson, 2000). Ce faisant, le mouvement intègre les entreprises marchandes développant, en plus du profit, des finalités sociales (Townsend et Hardt, 2008). Dans le cadre de ce travail sur le terrain des associations loi 1901, exception faite de celles œuvrant dans le cadre de l’insertion par le travail (extrait 1), nous avons constaté qu’elles n’étaient pas véritablement tentées par le développement d’activités dans le domaine marchand. L’hybridation prend plutôt la forme d’entreprises intervenant sur des secteurs jusque-là « réservés » aux associations (extrait 5). Tableau 4 : Extraits d’entretiens avec des dirigeants associatifs à propos de l’hybridation Ref Positions 1 2 3 4 5 Illustration On aimerait mettre en place une sorte d’agence d’intérim pour Les associations «donner un peu de travail aux salariés qui sortent de nos chantiers d’insertion d’insertion. » « J’ai cherché des gens qui n’étaient pas inscrits dans l’autre La concurrence association. On a commencé avec 35 adhérents mais beaucoup sont venus de l’autre association. Ils savent que c’est moi, ils savent entre qu’on est un club qui aime bouger. Maintenant, on arrive à 100 associations adhérents. » Des marchés « C’est la société qui a changé au cours de ces vingt dernières avec de années, maintenant le public est blasé. Il a tout, il est submergé de nombreuses nouvelles disciplines sportives. » offres « Il voulait que l’association soit irréprochable, qu’elle soit la meilleure association possible. Le président voulait que Esprit de l’association soit numéro 1 dans l’accompagnement dans la création compétition d’entreprises. » « La présidente du conseil général affirme qu’une partie de l’activité La concurrence a été reprise par des entreprises, mais eux, ils ne vont pas dans les avec les coins isolés, comme nous on faisait. Et puis je ne suis pas sûr que entreprises leurs employés prennent le temps de discuter avec les personnes marchandes âgées. » La concurrence entre associations n’était pas a priori dans les habitudes liées à la loi 1901. Pourtant le secteur associatif français semble aujourd’hui à la veille d’un changement, dont il est difficile de mesurer la portée (Valéau et Annette, 2010). La raréfaction des ressources évoquée dans la partie précédente, et la multiplication de l’offre (extrait 2), font que les associations se retrouvent en compétition. Certains dirigeants y trouvent une forme d’émulation (extraits 3 et 4), mais la plupart des associations craignent que les autres ne succombent à des comportements opportunistes (extraits 4 et 5). Cette compétition explique, par exemple, en partie, le conflit qui depuis plusieurs années oppose le Sidaction et le Téléthon. RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme n°3 - NE - août/septembre/octobre 2012 - ENTREPRENEURIAT 29 Les acteurs du monde associatif face aux différentes propositions de l’entrepreneuriat social : du scepticisme à une adoption conditionnelle - Patrick VALEAU et Jérôme BONCLER L’associatif n’a plus, désormais, le monopole de l’économie sociale et solidaire, la concurrence des entreprises devenant de plus en plus forte. Les deux exemples les plus significatifs sont les crèches et les services à la personne. Dans les deux cas, ces « marchés » passent actuellement d’une logique de subvention à une logique de chiffre d’affaires. Les usagers reçoivent des aides, de la part de la CAF ou d’autres organismes, grâce auxquelles ils peuvent payer les services dont ils ont besoin. Les sommes allouées à ces services se sont déplacées de l’offre vers la demande pour la rendre solvable. La logique de l’Etat semble être d’inciter les entreprises à venir compléter l’offre du secteur associatif traditionnel en rendant ces marchés de plus en plus lucratifs. Certains dirigeants dénoncent une forme de concurrence déloyale, dans le cadre de laquelle, les entreprises privées réduisent la qualité humaine des prestations ou évitent certains segments de la demande afin de limiter les coûts de revient (extrait 5). 4. Discussion Les « entrepreneurs sociaux » sont effectivement présents dans de nombreuses organisations « hybrides » que l’on voit émerger au sein de l’économie sociale et solidaire, comme par exemple dans le secteur de l’insertion par le travail. Mais ces organisations, qui attirent tant l’attention des politiques, ne représentent qu’une partie du mouvement associatif. Cette discussion examine, compte tenu des points de vue exprimés par les dirigeants rencontrés dans le cadre de cette recherche, les conditions d’un passage de l’entrepreneur social à un entrepreneur associatif compatible avec la culture française issue de la loi 1901. Tableau 5 : Analyse comparée des logiques de l’entrepreneuriat associatif et de l’entrepreneuriat social Efficacité Ressources Concurrence Entrepreneuriat associatif Entrepreneuriat social Dilemmes et arbitrages entre fins et moyens Maximisation de la production Subventions, dons et recettes Recettes Réponse à des demandes négligées Minimisation des coûts Les entrepreneurs associatifs se caractérisent par la prise en compte de multiples valeurs et buts (Laville et Sainsaulieu, 1997 ; Valéau, 2003). Partant de là, il ne s’agit plus d’optimiser une seule variable, comme par exemple la quantité de service produit, à l’image de l’entrepreneur social, mais d’essayer de gérer simultanément plusieurs registres de performances (tableau 5). Lorsque ceux-ci se contredisent, comme ce peut être le cas lorsque les subventions baissent et qu’il faut envisager un licenciement économique, l’innovation de l’entrepreneur associatif consiste à rechercher toutes les marges de manœuvre possibles, mais aussi à réaliser des arbitrages (Valéau, 2003). Certains acteurs préfèrent 30 RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme n°3 - NE - août/septembre/octobre 2012 - ENTREPRENEURIAT Les acteurs du monde associatif face aux différentes propositions de l’entrepreneuriat social : du scepticisme à une adoption conditionnelle - Patrick VALEAU et Jérôme BONCLER en général parler de développement (tableau 2, extrait 8), plutôt que d’optimisation des performances. Toutes les ressources ont leurs risques de dépendance et leurs travers (Boncler et Valéau, 2010). Concernant les subventions proposées par les pouvoirs publics, nous considérons qu’il s’agit d’une opportunité de financement presque au même titre que les autres (figure 1). Les demandes de subventions sont généralement ouvertes à toutes les associations. Les entrepreneurs doivent innover et négocier pour les obtenir dans des conditions compatibles avec leurs valeurs. Les pouvoirs publics, à l’image des autres parties prenantes, peuvent être envisagés comme des partenaires avec lesquels les entrepreneurs associatifs peuvent négocier (Gianfaldoni et Rostaing, 2010). Selon nous, l’indépendance n’est pas uniquement fonction des ressources utilisées, mais elle est aussi et surtout liée à la vision des entrepreneurs associatifs. Comme le montrent les extraits présentés dans la partie précédente (tableaux 2, 3 et 4), même dans le cadre d’une activité subventionnée, les entrepreneurs associatifs créent de nouvelles valeurs ajoutées. L’argent reçu est transformé en bien ou service comportant une nouvelle valeur d’usage qui n’aurait pas pu être développée de façon identique par les pouvoirs publics eux-mêmes. Les hybridations proposées par l’entrepreneuriat social amènent à combiner profit et finalité sociale (Johnson, 2000). Pour ces entreprises, il s’agit souvent de maintenir un minimum de profit tout en respectant l’environnement écologique et social ainsi que leurs salariés. Pour les entrepreneurs associatifs, le profit n’existe pas en tant que fin, la finalité est d’emblée sociale (Defourny, 2010). Pour les associations, le respect des valeurs devient souvent une fin en soi (tableaux 2, 3 et 4). La mise en concurrence des associations avec les entreprises pour l’obtention des subventions, ou devraiton dire aujourd’hui, pour l’obtention de marchés publics (Valéau et Annette, 2010), devrait, selon nous, se faire suivant de multiples critères afin de prendre en compte les valeurs créées par les associations dans le cadre du processus de construction du service (figure 1). Selon Valéau et Annette (2010), Draperi (2010a, 2010b), Valéau, Cimper et Filion (2004), « l’entrepreneuriat social » représente un réel risque dans la mesure où ce mouvement vise, en forçant légèrement le trait, à transformer les organisations associatives en entreprises. Les résultats de terrain confirment effectivement des tensions possibles entre cette approche et les façons de faire habituellement développées par les associations. Une partie des propositions de l’entrepreneuriat social pourrait sans doute améliorer de façon utile la productivité. Par contre, si l’on n’y prend pas garde, elles peuvent remettre en cause d’autres caractéristiques et plusvalues comme la lutte contre les exclusions, le renforcement des liens sociaux, la construction communautaire, la démocratie participative ou le développement local. L’adoption des propositions de l’entrepreneuriat social par les pouvoirs publics, mais aussi par les autres financeurs, pourrait remettre en question la survie de petites associations ayant jusque-là consacré une large part de leurs ressources à la création de ces valeurs moins directement mesurables. RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme n°3 - NE - août/septembre/octobre 2012 - ENTREPRENEURIAT 31 Les acteurs du monde associatif face aux différentes propositions de l’entrepreneuriat social : du scepticisme à une adoption conditionnelle - Patrick VALEAU et Jérôme BONCLER Tableau 6 : Etude de cas : l’adaptation d’un jeune entrepreneur social à une association de quartier Ref Etape Illustration « Je suis titulaire d’un BAC+5 en gestion des ressources humaines. Une fois mon diplôme obtenu, le président m’a donc proposé de prendre le poste de directeur. (…) Je me prédestinais à devenir cadre d’entreprise dans le privé, si possible dans une grande Etape Un entrepreneur boîte. J’ai accepté car je n’avais rien d’autre de concret. Je ne social face à une voyais aucune perspective de carrière dans le secteur. J’avais 1 association pour objectif, pour cette période, de stabiliser l’association sur le plan financier, des RH et des activités. (…) Je considérais l’association comme une entreprise à part entière proposant un produit non- marchand. Les premiers mois furent très difficiles moralement et professionnellement pour moi. J’intégrais un secteur pour lequel je n’avais aucune formation avec des termes et des logiques, au début, incompréhensibles. A un moment je me suis dit tout haut Etape Incompréhension et confu: « Mais qu’est-ce que tu fais là ! ». C’était quelques semaines 2 sion après mon entrée dans l’association. J’étais à deux doigts de tout lâcher. J’ai même annoncé au président que j’effectuais des recherches d’emploi en parallèle. Sincèrement, durant cette année, je me suis de plus en plus approprié les valeurs associatives en général et celles de cette association en particulier (…) Je n’avais aucune notion de l’engagement associatif A mon arrivée, je n’avais pas intégré l’importance de la mission du secteur associatif. Pour moi, c’était un travail ingrat, peu reconnu. Deux ans plus tard, je suis un fervent défenseur de la vie associative. La bureaucratie étatique et Etape les entreprises privées n’ont pas pour but d’intervenir socialement Adaptation 3 dans un contexte de proximité. Les associations sont donc là pour prendre le relais, nous sommes complémentaires et essentiels. Mon objectif était d’accumuler un certain nombre d’expériences professionnelles. Cette adhésion s’explique par les personnes qui m’entouraient, par l’ambiance, par la réussite que j’obtenais, par la reconnaissance de mes efforts… Je me suis depuis engagé pour deux années supplémentaires. » Les entrepreneurs associatifs sont connus et reconnus pour apporter à la société des plus-values que les entrepreneurs des autres organisations et des autres secteurs ne peuvent pas apporter. Les associations de quartier, contexte du cas (tableau 5), constituent un des exemples les plus emblématiques de cette création de valeur. Audelà des activités concrètement mises en place, la priorité est donnée à la participation des habitants. C’est là, sans doute, l’une des caractéristiques des innovations au sein des associations, « faire d’une pierre, plusieurs coups », produire des services tout en favorisant les liens sociaux entre les parties prenantes. Les « cadres de références » (Watzlawick et al, 1975) et les schèmes de pensées (Piaget, 1971) introduits par l’entrepreneuriat social ne permettent pas de percevoir et d’apprécier ces performances et innovations. L’entrepreneuriat social, tel qu’il est introduit en France, reprend souvent le terme d’ « utilité sociale », mais la réalisation efficace de cette fin justifie-t-elle tous les moyens technico-économiques ? Nous n’écartons 32 RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme n°3 - NE - août/septembre/octobre 2012 - ENTREPRENEURIAT Les acteurs du monde associatif face aux différentes propositions de l’entrepreneuriat social : du scepticisme à une adoption conditionnelle - Patrick VALEAU et Jérôme BONCLER pas d’emblée l’entrepreneuriat social, mais appelons à son adaptation pour intégrer également des « rationalités en valeurs ». Le cas présenté dans le tableau 5 illustre cette possibilité d’adaptation de l’entrepreneuriat social au monde associatif : le jeune diplômé percevait au départ l’association comme une entreprise de services mal organisée (étape 1). Il ne comprenait pas la logique des gens qui l’entouraient (étape 2), puis progressivement il s’est approprié leurs valeurs pour en devenir un fervent défenseur (étape 3). Conclusion Le principal apport de cet article réside dans une réflexion sur l’entrepreneuriat social directement ancrée dans les réalités le terrain (Glaser et Strauss, 1967), construite au plus près de ce que pensent les dirigeants associatifs. Nos entretiens avec eux portaient sur les contenus de l’entrepreneuriat social, mais sans employer ce terme devenu souvent sujet à controverse. Nous avons ainsi souhaité nous écarter des débats d’experts, des normes et des procès d’intention qui entourent depuis plusieurs années les questions liées à ce sujet. La principale limite de cette recherche reste liée à la méthodologie des entretiens : nous avons travaillé sur des pensées, des comportements rapportés et des perceptions sélectives des pratiques mises en œuvre. Il serait souhaitable que les futures recherches sur ce sujet puissent intégrer plus directement les entrepreneurs associatifs. Le « business model associatif » développé par Boncler et Valéau (2010), avec des entretiens ciblant les pratiques associatives sur une base factuelle, tout en les complétant avec une analyse documentaire, pourrait constituer un outil d’analyse possible. Comme le relevait Boutillier (2008), les entrepreneurs sociaux ne sont pas complètement différents des autres entrepreneurs. Ils construisent des organisations qui, comme les entreprises, peuvent croître et ont un risque de faillite (Knight, 1921). Comme les autres entrepreneurs, ils innovent, ils construisent de nouvelles opportunités (Fayolle, 2007 ; Filion, 1997 ; Shane et Vankatamaran, 1997 ; Shumpeter, 1935 ; Verstraete, 2002). L’ « entrepreneuriat social » apporte un éclairage intéressant en valorisant en ces termes la création et le développement des associations. Mais cette approche apparaît parfois trop pragmatique, trop centrée sur l’exécution technico-économique du projet. Elle n’intègre pas assez la question des valeurs. Les entrepreneurs associatifs jouent sur plusieurs registres de performances : ils n’optimisent pas la croissance à tout prix, mais tentent de construire un ensemble cohérent, de trouver un équilibre entre des résultats socialement utiles et des façons éthiques de les obtenir. L’entrepreneuriat social peut et doit intégrer les différentes manières possibles de gérer et développer les associations. De même que les militants associatifs peuvent se former à entreprendre davantage, comme le recommande l’entrepreneuriat social, les entrepreneurs sociaux peuvent apprendre à militer. Références Adler P.A., Adler P. (1994), Observational Techniques, in Denzin N. K. et Lincoln S. Y., Handbook of Qualitative Research, Sage. Archambault E. (1996), Le secteur sans but lucratif, Economica. Barthélémy M. (2000), Associations : un nouvel âge de la participation ?, Presses Sciences Po. 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