1. Introduction
L’économie politique classique avait relié l’accumulation des richesses à sa théorie de
l’origine de celles-ci et à sa théorie de la valeur-travail. Marx avait fondé sa théorie de
l’accumulation du capital et de la reproduction élargie du capitalisme sur la loi de la valeur.
Mais, hormis celles qui continuèrent pendant les années 1960 et 70 de se référer à la critique
marxiste de l’impérialisme, les analyses modernes du développement économique furent pour
la plupart élaborées en dehors de toute conception de la valeur. Il faut y voir le signe de la
suprématie de la pensée néoclassique au sein de la discipline après que la disparition des
modèles de développement planifié et/ou autocentré lui eut laissé le champ libre. En même
temps, l’effacement de la pensée tiers-mondiste, dont la filiation marxiste, sans être exclusive,
était très forte, a provoqué un recul des analyses en termes globaux, en termes de transition,
de transformation sociale ou de transformation des rapport sociaux, et en termes de blocage
des structures. Les approches inspirées par la vision néo-classique ont profité du renouveau
libéral des années 80 et 90 pour s’imposer. Elles ont été formulées en termes d’équilibres dont
le rétablissement devait assurer un meilleur développement des pays les moins avancés :
équilibre des marchés, équilibre extérieur, équilibre des budgets publics, solvabilité
financière, etc. Les plans d’ajustement structurel pour résoudre la question du paiement de la
dette ou bien plus largement pour libéraliser l’économie des pays émergents s’inscrivent dans
cette perspective.
Néanmoins, la pensée néo-classique, bien que n’ayant pas à proprement parler de
théorie de la valeur, est confrontée à la question des prix internationaux, tant des biens que
des facteurs de production, susceptibles d’assurer l’optimum collectif. Mais la réponse
apportée se heurte à une impasse logique que nous rappellerons pour commencer (2). L’école
de Cambridge en fournit une critique décisive à la fois à travers la réfutation de la fonction de
production énoncée par Joan Robinson et à travers la formulation des prix de production par
Piero Sraffa (3). Une fois établi le fait que la production des marchandises peut se réduire à
une succession de travaux échelonnés dans le temps, la loi de Marx peut être admise : le
capitalisme ne peut se développer, c’est-à-dire l’accumulation du capital ne peut s’accomplir à
une échelle sans cesse élargie, que s’il existe un surplus social provenant de l’exploitation de
la force de travail réinvesti après avoir été approprié par une classe sociale ; cette nécessité
s’oppose alors à l’instauration d’un mode de vie qui soit soutenable socialement et
écologiquement (4).1
2. L’impasse de la théorie néo-classique de la croissance
De la théorie de la croissance exposée par le modèle de Solow à celle de la croissance
endogène, il n’y a pas à proprement parler de véritable analyse du développement
économique. Comment pourrait-il en être autrement puisque celui-ci implique des
changements affectant les rapports sociaux et que ceux-ci restent impensés dans la théorie
néo-classique ?
2.1. Le modèle de croissance de Solow : une « fiction »2
Le modèle de croissance construit par Robert Solow [1956] est fondé sur un ensemble
d’hypothèses simples :
- il y a un seul bien qui est à la fois le produit, un bien de consommation et un bien de
production ; le partage entre consommation et investissement se fait sur la base d’une fonction
d’investissement égale à une fraction constante s du produit ;
1 . Ce texte s’inscrit donc dans la suite des travaux déjà présentés au CED, notamment Harribey [1997-b, 1998-a,
1999 et 2000-b].
2 . Selon les termes de Solow lui-même cités par Guerrien [1999, tome 2, p. 44].