Diversité des perceptions de la pollution de l`air extérieur disparités

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PERCEPTION
Isabelle ROUSSEL1, Isabelle GAILHARD-ROCHER2,
Françoise LELIEVRE2, Agnès LEFRANC3, Anne TALLEC2,
Colette MENARD4, François BECK4
DIVERSITÉ DES PERCEPTIONS
DE LA POLLUTION DE
L’AIR EXTÉRIEUR
DISPARITÉS SOCIALES
ET TERRITORIALES.
COMMENT CONSTRUIRE
UNE POLITIQUE ÉGALITAIRE ?
RÉSUMÉ
1
Association pour
la Prévention de la
Pollution Atmosphérique.
Observatoire Régional de la
Santé des Pays de la Loire.
2
Institut de Veille Sanitaire.
3
Institut National
de Prévention et
d’Education
pour la Santé
4
30 - Air Pur N° 76 - 2009
L’enquête « Baromètre santé environnement » de
l’Institut National de Prévention et d’Education
pour la Santé (INPES) a recueilli, au moyen
d’un questionnaire téléphonique auprès d’un
échantillon représentatif de la population, ses
opinions en matière d’environnement et de santé.
Cette étude s’intéresse en particulier à la pollution
atmosphérique. Elle décrit les représentations
des Français en matière de pollution de l’air, leur
perception et leur ressenti des effets sur la santé
ainsi que l’accessibilité à l’information sur ce
thème.
Des différences en termes de représentations
ont été mises en évidence pour chacun de ces
facteurs, après contrôle des effets de structures
liés aux autres variables. Ainsi, globalement, les
classes sociales les plus défavorisées ont une
vision plus négative des problèmes de pollution
atmosphérique, elles sont plus sensibles à ses
manifestations sensorielles (odeurs, fumées) et
perçoivent un risque sanitaire plus élevé pour la
population en général. Cependant, elles indiquent
moins fréquemment ressentir les effets de la
pollution atmosphérique sur leur propre santé ou
celle de leur entourage. Mais, au-delà des critères
socio-économiques, c’est autour de la ville que
semblent se cristalliser en premier lieu les disparités
de représentations de la pollution de l’air extérieur.
Les urbains ont des représentations négatives de
la pollution atmosphérique. Les âges de la vie
développent également des sensibilités différentes
à l’environnement.
Cette étude ne permet cependant pas de démontrer
que ces différences de perception sont associées
à des différences d’exposition ; elle souligne ainsi
la principale difficulté observée dans la gestion
de la pollution à savoir le caractère invisible de la
pollution toxique et la faiblesse d’une réponse par
les normes. La sensibilisation du public est d’autant
plus difficile que la perception de la pollution est
très inégale selon les groupes de population et
suppose d’adapter les outils de communication en
fonction des différentes cibles visées. Les inégalités
identifiées interrogent également sur la possible
adhésion des populations vivant la précarité à des
valeurs environnementales qui leur paraissent hors
de leur portée.
I – INTRODUCTION
Parmi les facteurs environnementaux, l’air, élément
avec lequel l’organisme est le plus directement
en contact, suscite l’intérêt de la communauté
scientifique et de la population depuis le début du
XIXème siècle (Barillon, 2006). La relation entre la
santé et la pollution atmosphérique est complexe,
mais de mieux en mieux identifiée comme le
prouve la construction actuelle de la notion de santé
environnementale qui insiste sur l’importance de
l’environnement en tant que déterminant de santé.
Le lien entre la pollution de l’air et l’occurrence de
pathologies est établi. Deux types d’effets sont ainsi
distingués : les effets à court terme (augmentation des
hospitalisations et des visites médicales en urgence
pour causes respiratoire et cardio-vasculaire) et
les effets à long terme (diminution de la fonction
respiratoire, de l’espérance de vie…) (Quénel et
al., 2003). Si les risques relatifs liés à la pollution
atmosphérique ne sont pas très élevés au niveau
individuel, en revanche, en raison du caractère
ubiquitaire de l’exposition à l’air ambiant et de la
prévalence élevée des affections cardio-vasculaires
et respiratoires, ils se traduisent par des impacts
sanitaires importants au niveau populationnel. Les
études montrent également qu’il existe une grande
variabilité interindividuelle dans la susceptibilité
aux polluants atmosphériques, certaines populations
étant plus sensibles que d’autres aux altérations
de la qualité de l’air extérieur (jeunes enfants,
personnes âgées ….) (Heinrich et Slama, 2007 ;
Teissier et Bartaire, 2005).
Les phénomènes de pollution atmosphérique se
caractérisent par une grande diversité spatiale, de
la proximité d’installations ou d’activités polluantes
jusqu’au niveau planétaire (Roy, 2006). La pollution
atmosphérique est ainsi considérée comme un
déterminant de santé fort mais très inégalitaire en
raison de la variabilité des expositions aux différents
contaminants (Charles et al., 2007). Les populations
urbaines les plus modestes sont aussi fréquemment
celles qui vivent dans des environnements
dégradés et souffrent le plus des problèmes
d’environnement (Theys, 2002). Les recherches
en cours sur la qualité de l’air ou les risques
accidentels liés à l’industrie montrent notamment
que les populations défavorisées sont en proportion
deux fois plus nombreuses à vivre à proximité
d’une industrie polluante que les autres. En France,
plus de 40 % des personnes qui vivent en Zones
Urbaines Sensibles (ZUS) sont exposées aux risques
industriels, soit deux fois plus que dans d’autres
quartiers (Champion et al., 2004). Ces inégalités se
cumulent à d’autres expositions (habitat insalubre,
exposition professionnelle…) et s’accompagnent
de comportements à risque (défaut d’aération d’un
logement mal isolé du froid, chauffage d’appoint
à combustion entraînant une dégradation de la
qualité de l’air intérieur et éventuellement des
intoxications…). A ces inégalités face aux nuisances
et aux risques s’ajoutent des différences concernant
l’accès à l’information sur les risques encourus et
l’identification des acteurs impliqués. En outre, les
enquêtes d’opinion montrent que les populations les
plus exposées ont également des perceptions et des
appréciations de ces nuisances (bruit, pollutions…)
différentes (Roy, 2006).
Dans ce contexte, le « Baromètre santé
environnement » de l’Institut National de Prévention
et d’Education pour la Santé (INPES) permet
d’étudier les disparités dans la représentation de la
pollution atmosphérique au sein de la population.
Il permet, notamment, d’identifier l’influence de
variables pouvant refléter des inégalités sociales
(catégorie socioprofessionnelle, niveaux de
diplôme et de revenu), et territoriales (taille de
l’agglomération de résidence). Ces constatations,
en considérant le point de vue de la population,
interrogent les politiques de prévention de la
pollution et les difficultés qu’elles rencontrent
quand il s’agit de sortir de la sphère technique
pour associer les habitants à la construction d’un
environnement plus salubre.
II – MATÉRIEL/MÉTHODES
L’enquête « Baromètre santé environnement » de
l’INPES est une enquête transversale, réalisée au
moyen d’un questionnaire téléphonique auprès
d’un échantillon de 6 007 individus, âgés de 18
à 75 ans, représentatif de la population française.
Cette enquête permet de décrire les opinions de
la population en matière d’environnement et de
santé (sentiment d’information sur les différents
thèmes proposés, perception des risques sanitaires,
ressenti des effets sur sa propre santé, opinions à
l’égard des acteurs, des mesures de lutte… (Ménard
et al., 2008).
Afin d’évaluer l’effet de variables sociodémographiques (âge, sexe, catégorie socioprofessionnelle, niveaux de revenu, de diplôme et taille de
l’agglomération) sur les réponses aux différentes
questions posées sur la pollution atmosphérique,
des tests de comparaison de proportions ont été
réalisés (tests du khî-deux d’indépendance). Des
analyses multivariées ont été mises en œuvre
afin d’examiner l’influence de variables pouvant
refléter des inégalités sociales (catégorie socioprofessionnelle, niveaux de diplôme et de revenu), et
territoriales (taille de l’agglomération de résidence).
Ces méthodes consistent à déterminer des modèles
mathématiques permettant d’expliquer une variable
qualitative à partir d’une série d’autres variables (le
sexe, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle, les
niveaux de revenu, de diplôme…). L’influence de
chaque variable du modèle sur la variable à expliquer
est estimée après ajustement sur les autres variables,
« toutes choses égales par ailleurs». Cette méthode
n’est pas utilisée ici à des fins prédictives mais
pour quantifier la force du lien entre la variable à
expliquer et la variable explicative, indépendamment
des autres variables (Beck et al., 2008).
Air Pur N° 76 - 2009 - 31
III – RÉSULTATS
En donnant la parole au grand public, le « Baromètre
santé environnement » souligne le lien établi par
la population entre la santé et la pollution mais il
attire aussi l’attention sur certaines difficultés qui
surgissent quand il s’agit de mettre en œuvre des
politiques de prévention. En effet, la sensibilité à
la pollution de l’air est très variable d’un individu
à l’autre, ce qui rend plus difficile l’identification
de « prises », les points saillants sur lesquels une
politique collective peut s’arrimer.
1 - Représentations de la pollution
atmosphérique et de ses conséquences
sur la santé
Dans l’ensemble, les résultats du Baromètre santé
environnement montrent que la grande majorité
de la population (70 %) s’estime bien informée
sur la pollution atmosphérique et ses éventuels
effets sur la santé. Ce sentiment d’information est
associé à un jugement pessimiste sur ce problème
environnemental et son évolution. Ainsi, plus de
neuf Français sur dix pensent que la pollution
atmosphérique s’aggrave. Cette inquiétude
s’accompagne de la perception d’un risque sanitaire
important : 85 % de la population estime que la
pollution de l’air extérieur présente un risque élevé
pour la santé des Français. En cohérence avec
ces résultats, le ressenti des effets de la pollution
atmosphérique est lui aussi important : plus de
40 % des personnes déclarent avoir déjà ressenti
ces effets sur leur propre santé ou sur celle de leur
entourage.
2 - Eléments sensibles de la pollution
de l’air extérieur
Cette enquête permet également de confirmer le
rôle important des perceptions sensorielles dans
la représentation de la pollution atmosphérique.
En effet, les odeurs et les fumées sont considérées
comme des éléments sensibles de la qualité
de l’air. Ainsi, plus de la moitié des Français
pensent que les mauvaises odeurs sont un signe
de pollution de l’air extérieur et plus de 60 %
assimilent systématiquement fumées et pollution.
Ces éléments étant plus présents dans les grandes
agglomérations, la population associe ainsi
naturellement la pollution au milieu urbain : près
des deux tiers des Français considèrent qu’à la
campagne l’air est pur.
3 - Le rôle des facteurs individuels
Les modèles de régression, qui permettent
d’examiner l’influence de chaque variable après
contrôle des effets de structure liés aux autres
variables introduites dans le modèle, mettent
en évidence d’importantes variations de ces
représentations selon des facteurs individuels.
32 - Air Pur N° 76 - 2009
Des écarts marqués sont notamment observés entre
générations, avec une représentation plus négative
chez les jeunes générations : 63 % des jeunes,
âgés de 18 à 25 ans, pensent que la pollution
s’aggrave contre seulement 44,3 % des personnes
âgées de 55 à 64 ans. Les plus jeunes sont en
proportion plus nombreux à estimer que le risque
pour la santé des Français en général est élevé,
et déclarent plus souvent ressentir les effets de la
pollution sur leur propre santé. Les générations
plus âgées sont, quant à elles, plus sensibles aux
manifestations perceptibles (odeurs et fumées) et
indiquent moins souvent ressentir les effets de la
pollution : 19,2 % des personnes les plus âgées
pensent que la qualité de l’air est meilleure à la
campagne contre 14,8 % des jeunes plus attachés,
semble-t-il, à la vie urbaine. 16 % des 18-25 ans
associent la pollution et les mauvaises odeurs alors
que 32,2 % des personnes âgées de plus de 65 ans
font ce lien.
Les femmes semblent particulièrement concernées
par ce problème environnemental : elles sont en
proportion plus nombreuses que les hommes à
penser que la pollution atmosphérique s’aggrave,
à établir un lien entre fumées, odeurs et pollution,
mais également à estimer que cette dernière
présente un risque élevé pour la santé des Français
en général et à indiquer avoir déjà ressenti les
effets de la pollution sur leur propre santé ou celle
de leur entourage.
Des différences de représentations sont également
observées selon le statut socio-économique. Avec
une grande cohérence des réponses aux quatre
affirmations proposées dans l’enquête, les personnes
les moins diplômées ou dont les revenus sont
modestes ont une représentation plus pessimiste
(elles pensent plus souvent que la pollution
atmosphérique s’aggrave) et très marquée par les
éléments sensibles de la pollution (odeurs, fumées).
Elles sont également en proportion plus nombreuses
à estimer qu’à la campagne, l’air est pur. Le lien
entre niveau socio-économique et représentations
de la pollution atmosphérique est confirmé par
l’influence de la catégorie socioprofessionnelle :
les ouvriers, les employés et les personnes sans
profession pensent plus fréquemment que la
pollution s’aggrave, que les odeurs et les fumées
en sont une manifestation, et que les zones rurales
sont protégées. Cependant, les agriculteurs se
distinguent avec des représentations plus proches
de celles des catégories plus favorisées concernant
l’évolution de la pollution atmosphérique, les
odeurs et les fumées. En revanche, comme les
employés et les ouvriers et les personnes sans
profession, ils sont en proportion plus nombreux à
déclarer qu’à la campagne, l’air est pur.
Les milieux socio-économiques moins favorisés
(faibles niveaux de diplôme et de revenu,
ouvriers, employés et personnes sans profession)
sont également en proportion plus nombreux
à se déclarer insatisfaits de l’information sur la
pollution atmosphérique et ses éventuels effets sur
la santé. Par ailleurs, les personnes disposant de
revenus modestes et d’un faible niveau de diplôme
estiment plus souvent que cette pollution présente
un risque élevé pour la santé des Français en
général. Cette représentation d’un risque sanitaire
collectif élevé, plus fréquente, est associée, chez
les moins diplômés, à un moindre ressenti des
effets de la pollution sur leur propre santé ou celle
de leur entourage.
Mais les disparités les plus marquées sont observées
entre les habitants des grandes agglomérations et
les habitants de villes de plus petite taille. Ainsi,
les citadins semblent particulièrement sensibles à
la pollution de l’air extérieur. Pour ces populations,
la pollution s’aggrave et elle est très présente dans
leur quotidien (odeurs et fumées en sont un signe
et les campagnes sont protégées de la pollution).
S’estimant plus souvent bien informés sur la
pollution atmosphérique et ses éventuels effets sur
la santé, les habitants des grandes villes sont, en
proportion, les plus nombreux à indiquer ressentir
ces effets sur leur propre santé.
Devant ces différences de perception, comment
construire une politique de prévention permettant
d’impliquer l’ensemble de la population ?
IV – PEUT-ON CONSTRUIRE UNE
POLITIQUE ENVIRONNEMENTALE
PLUS ÉGALITAIRE ?
Les résultats présentés soulignent combien la
construction d’une politique plus égalitaire
est complexe puisque les représentations de
l’environnement résultent, pour une large part,
d’une construction individuelle. Cependant,
quelques points permettent de définir des besoins
collectifs sur lesquels les politiques peuvent
prendre appui pour contribuer à la construction
d’une politique environnementale (Roussel et
Rambaud, 2004).
1 - Santé et sensibilisation à la pollution
Le lien entre la santé et la sensibilisation à la
pollution reste présent. D’autres études de
perception (Rozec et al., 2005) mettent en lumière
la plus grande sensibilité des personnes éprouvées
dans leur corps ou à travers leurs proches. Ce lien
pose la question de la prévention et de la difficile
mutation culturelle entre une politique sanitaire
construite autour de la maladie et la montée en
puissance des considérations environnementales
tournées vers la prévention et la promotion de la
santé. Comment ne pas attendre d’être soi même
éprouvé directement par les effets de la pollution
pour agir ? Les efforts actuels pour construire une
véritable politique de santé environnementale
devraient pouvoir contribuer à cette mutation
culturelle, au passage du curatif vers la prévention.
2 - Perception sensorielle et
niveau de pollution
Le baromètre santé environnement ne renseigne
pas sur la relation entre la perception sensorielle
de la pollution et le niveau de pollution auquel
l’enquêté pourrait être soumis. Les signaux donnés
par le corps à travers les filtres sensoriels pèsent
fortement dans la construction de la représentation
de la pollution souvent encore identifiée à travers
les odeurs ou les fumées. La perception de la
pollution toxique relève également de mécanismes
cognitifs à travers l’intégration de connaissances
techniques souvent ardues. Le poids du filtre
perceptif et de l’implication personnelle explique
le décalage pouvant exister entre les niveaux de
pollution perçus et observés. Or, les normes qui
guident la gestion de la qualité de l’air intègrent
la probabilité d’occurrence de pathologies, c’est-àdire une certaine forme de référence sanitaire bien
différente de la pollution telle qu’elle est ressentie.
C’est ainsi que les réponses par les normes données
aux plaintes déposées sont souvent jugées peu
convaincantes par les plaignants qui ne parlent pas
le même langage que l’administration (Roussel et
Rozec, 2003). Dans ces conditions, le champ de la
pollution atmosphérique, couvert par la métrologie
et par l’épidémiologie, relève plutôt d’une sphère
technique qui se révèle en décalage par rapport
aux préoccupations quotidiennes des populations.
Les études effectuées dans le cadre du programme
Primequal/Predit ayant pour thème : « Evaluation
et perception de l’exposition à la pollution
atmosphérique : une interrogation sociétale », ont
mis en évidence les difficultés pour mener une
politique cohérente entre les normes techniques
et l’implication des habitants pour modifier leurs
comportements au quotidien. L’enjeu des politiques
réside largement dans la diffusion de l’information
de manière à rendre plus compréhensible le
lien entre les connaissances scientifiques et les
effets de la pollution vécue par la population. La
participation du public aux politiques préventives
suppose un important effort d’information pour
que la sensibilisation des individus puisse intégrer
quelques éléments cognitifs permettant de modérer
les données sensorielles directes.
3 - Diffusion ciblée de l’information
Afin de corriger les inégalités constatées, la
diffusion de l’information doit être ciblée à la fois
en fonction des caractéristiques des populations
concernées et en fonction du type de pollution
rencontrée.
Schématiquement, on peut distinguer trois phases
dans la construction politique de la pollution
atmosphérique. La force de la pollution industrielle
reste encore très présente dans les esprits et
explique la persistance, surtout chez les personnes
les plus âgées, de l’assimilation entre les fumées
et la pollution de l’air. Ainsi, les personnes plus
Air Pur N° 76 - 2009 - 33
âgées, qui ont connu la pollution massive de l’ère
industrielle, font plus fréquemment le lien entre
odeurs, fumées et pollution, et pensent moins
souvent que la situation s’aggrave. Ces personnes,
sans doute moins bien informées, assimilent la
pollution à leurs sensations en dépit de l’éventuelle
toxicité des pollutions invisibles. Un important
travail de réflexion sur les modalités et sur la nature
des informations diffusées reste à effectuer pour
que celles-ci ne s’adressent pas spécifiquement
aux populations les plus cultivées, habituées à
intégrer des informations abstraites.
Après, ou à côté, de cette période industrielle, la
pollution urbaine s’est imposée et marque surtout
les habitants des grandes villes qui paraissent
inquiets pour leur santé. Or, la participation des
habitants pour la construction d’une ville durable
est essentielle. Le concept de ville durable, en
assimilant la santé à la qualité de vie montre
combien la prévention sort du champ sanitaire
et interroge tous les acteurs de la ville : transport,
culture, habitat etc…
En revanche, la pollution agricole est encore
trop récemment explorée pour être reconnue de
manière générale ; elle est encore souvent niée
par les agriculteurs, comme les ouvriers avaient pu
considérer à une époque la pollution industrielle
comme « un mal nécessaire », le « prix à payer »
pour la prospérité économique.
La persistance de l’assimilation de la pollution
atmosphérique à la fumée de l’usine montre
combien les efforts d’acculturation doivent se
poursuivre dans la durée puisqu’ils ne peuvent
avoir des effets que sur le long terme.
Ces différences, à la fois chronologiques et
spatiales quant à la nature des pollutions, sont
perçues différemment par les habitants en
fonction de leurs caractéristiques personnelles,
ce qui implique nécessairement des politiques
de communication ciblées. Mais l’information,
même déclinée selon les différentes cibles, ne peut
donner toutes les réponses. Des interrogations
persistent : en particulier l’adéquation de la notion
d’environnement, tel qu’il est conçu en France,
avec les classes moyennes ainsi que l’assimilation,
sans doute trop rapide, de l’environnement à la
qualité de vie.
4 - L’environnement, privilège des classes
moyennes
LAURE Loi sur l’Air et
l’Utilisation Rationnelle
de l’Energie
de décembre 1996
5
34 - Air Pur N° 76 - 2009
Cette étude a également permis de dégager des
différences socio-économiques et territoriales de
représentation de la pollution atmosphérique et
de ses effets sanitaires. Les milieux sociaux les
moins favorisés qui, selon certaines études, sont
plus exposés aux nuisances environnementales,
semblent ainsi, d’après les résultats du Baromètre
santé environnement, moins bien informés sur
ces problématiques. Ce défaut d’information est
associé à une crainte de la pollution atmosphérique
et de ses effets sur la santé. Cependant, ces
populations ne semblent pas établir un lien entre
leur environnement, parfois dégradé, et leur santé :
elles n’indiquent pas plus souvent ressentir les
effets sanitaires de la pollution. La construction
de l’environnement suppose une projection dans
l’avenir ce que des populations, en prise avec un
quotidien lourd et prégnant, ne peuvent accomplir.
L’environnement, selon J. Theys (2007), serait le
privilège des classes moyennes.
L’environnement, assimilé à la qualité de vie,
est alors considéré comme inatteignable ; peutêtre n’est-il même pas envisagé tant le poids des
contraintes quotidiennes limite toute possibilité
de choix. Paradoxalement, les politiques
environnementales
elles-mêmes
peuvent
contribuer à accroître les inégalités lorsqu’elles
sont instrumentalisées pour participer au bien être
des plus favorisés. La construction de logements
sociaux ou d’infrastructures, correspondant à
l’intérêt général, peuvent aussi être refusées, sous
couvert d’environnement, au bénéfice d’une
minorité agissante (Roussel, 2009 ; Algan et Cahuc,
2007).
CONCLUSION
L’analyse des pollutions telles qu’elles sont perçues
met en évidence les nombreuses difficultés qui
surgissent quand il s’agit de réduire certaines
inégalités sanitaires. Les liens entre environnement
et santé sont complexes, notamment du fait
du cumul des expositions avec de nombreux
autres facteurs de risque, mais aussi parce que
certaines conséquences de ces expositions se
manifestent sur le long terme. Les liens entre la
pollution atmosphérique telle qu’elle est perçue
et la santé déclarée sont très aléatoires et ne
peuvent constituer des bases solides pour fournir
des éléments sur lesquels des politiques peuvent
s’appuyer. En revanche, cette analyse souligne les
difficultés rencontrées quand il s’agit de construire
des politiques environnementales plus justes.
En raison de la différence fondamentale entre le
socle de la réglementation fondé sur les normes
et les perceptions de la pollution, la seule réponse
possible est celle de la gouvernance partagée.
Seule une décision co-construite peut concilier des
approches souvent divergentes, mais pourtant tout
aussi respectables, issues d’une part des effets tels
qu’ils sont ressentis par les populations et d’autre
part des investigations quantifiées qui peuvent se
traduire par des normes de gouvernement. Les
nouvelles politiques publiques mises en œuvre
depuis la LAURE1 et confirmées par le « Grenelle »
semblent s’orienter vers cette direction.
Cependant la tendance à la globalisation des
pollutions n’est-elle pas en train d’effacer le poids
des pollutions de proximité davantage perçues par
les habitants ? Les particules, même quand elles ont
une origine lointaine, sont facilement appréhendées
par la population qui, de longue date, assimile la
poussière à ce qui est sale ou souillé. En revanche,
la toxicité de l’ozone, polluant régional sinon
global, caractéristique du beau temps ensoleillé,
est plus difficile à appréhender.
Le changement climatique n’est-il pas en train
d’imposer une nouvelle vision des pollutions
aussi bien de la part des habitants que de celle
des décideurs ? Le climat, très fortement présent
dans l’imaginaire de la vie quotidienne, ne risquet-il pas d’attirer l’attention des populations sur le
carbone au détriment d’autres polluants toxiques ?
La perspective de réaliser des économies d’énergie
ne va-t-elle pas l’emporter sur les exigences de la
salubrité des logements ?
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Air Pur N° 76 - 2009 - 35
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