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CONFERENCIA DE LA SEE
El estilo etnografico y la educación social
por Patrick Boumard
Lors du premier congrès tenu à Zaragoza en 2001, j’ai présenté l’ethnographie comme
une démarche alternative aux modalités traditionnelles d’intervention dans le champ social,
par rapport aux recherches quantitatives et objectivantes, par rapport à l’écoute, par rapport à
l’action militante. En effet, la démarche ethnographique se présente comme un mode de
recherche qui s’appuie sur le travail de terrain, dans une perspective qualitative et avec
l’intention de faire bouger la situation.
Il s’agit en quelque sorte de trouver un point de cohérence qui produise du savoir et aussi du
changement. En termes techniques on parle de praxéologie.
Nous voudrions aujourd’hui dans cette conférence collective organisée par la Société
européenne d’ethnographie de l’éducation (SEE) préciser en quoi et comment l’ethnographie
aborde de manière originale le lien entre la pratique et la recherche.
Mais nous n’intervenons pas ici de façon abstraite ou extérieure à vos préoccupations et à vos
réflexions. La SEE est très intéressée par votre dynamique, et se sent également concernée par
votre questionnement. C’est pourquoi nous pensons illustrer et rendre plus visible le travail du
groupe de recherche piloté par Fernando Sabirón (te saludo Don Fernando), le GIA, qui
travaille avec vous depuis plusieurs années. Notre propos est de vous aider, si nous le
pouvons, à développer vos efforts dans le sens d’une plus grande efficacité dans les années à
venir. Nous parlons ici d’efficacité en termes professionnels concrets, c’est-à-dire concernant
les politiques sociales, les liens entre pratique et recherche pour les animateurs, ainsi que les
thèmes de ce congrès, à savoir formation, emploi et marché.
C’est pourquoi je ferai d’abord un exposé géral sur le style ethnographique, puis nous
présenterons d’une part un élément de méthodologie (une forme spécifique de journal),
d’autre part un exemple de travail de terrain.
Il nous semble que la question est, dans ce contexte, de savoir comment la recherche
ethnographique peut apporter quelque chose de plus, de différent des autres discours
théoriques, à l’intervention sociale.
En effet, si le style ethnographique peut donner des éléments compréhension et d’efficacité
dans le travail social en général, il est particulièrement indiqué dans ce qui s’appelle en
espagnol l’éducation sociale, et qui se dit dans d’autres contextes nationaux (liés à des
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éléments historiques et culturels), « formation permanente », « éducation populaire »,
« éducation non formelle », etc. Il y a là un vrai défi européen qui nous intéresse beaucoup.
La démarche ethnographique suppose la participation des acteurs (nous en reparlerons avec la
recherche-action), mais en plus sa modalité de production de connaissance (le « style
ethnographique ») consiste à accompagner les groupes en train de constituer leur réalité
interprétative du social. En ce sens, je pense que le style ethnographique est particulièrement
adapté à l’éducation sociale, dans la mesure où celle-ci suppose la reconnaissance et la prise
en compte de véritables cultures professionnelles ou sociales, qui obligent à prendre les gens
comme propriétaires de savoirs spécifiques, ce que nous appelons dans notre jargon
« indexicalité », autrement dit un savoir social spécifique avec lequel il s’agit de discuter, au
lieu d’imposer un « no sé que » savoir savant.
Nous savons tous qu’il y a une très vieille opposition, ou rivalité, entre la pratique et la
recherche, dans tous les pays. Nous pensons que l’ethnographie est une voie pour dépasser ce
dilemme. C’est un peu l’objet de cette conférence. Pour cette raison, je vais structurer mon
intervention en trois temps :
1. Partant de la recherche
2. Partant de la pratique
3. Ethnographie et recherche-action
1. Partant de la recherche
Ici, la spécificité du style ethnographique, c’est dune part le Travail de terrain, d’autre part
l’approche qualitative : le discours d’une personne qui raconte son point de vue permet mieux
de comprendre la réalité sociale que des tableaux statistiques.
a. Négociation d’entrée sur le terrain
On arrive sur le terrain social dans une certaine position, dans une certaine situation.
On se présente aux gens, selon P.Woods1, « en habits du dimanche ».
Le premier contact est très important pour la suite, pour avoir ensuite accès aux
secrets, aux éléments qui structurent les stratégies et permettent de comprendre comment les
gens se représentent la réalité, comment ils définissent la situation. Il n’existe pas d’éducateur
social en général qui ferait de la formation ou de l’intervention en général à des gens en
général. A chaque fois c’est une réalité difrente, et pour chaque personne également c’est
une réalité différente. Vous avez en face de vous des gens qui interprètent la situation à leur
manière, selon leur propre cas, leur propre histoire de vie, leurs propres représentations
personnelles, professionnelles, culturelles etc.
Cette idée que les acteurs sociaux sont « propriétaires » de leur réalité, et qu’ils sont les seuls
compétents pour la dire, vient surtout de l’ethnométhodologie, qui insiste sur le fait que nous
sommes tous des « sociologues profanes » ; tout le monde interprète toute la réalité tout le
temps. D’où la nécessité, pour le chercheur, de l’immersion dans le groupe, et du travail de
1 Woods P., Inside schools, 1984 ; trad. Esp. La escuela por dentro
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longue durée. Prendre le temps de se familiariser avec les pratiques des gens, avec leur
langage, avec leur façon de penser, de manière à ne pas importer ses propres conceptions sur
une réalité vivante et toujours unique.
b. Observation participante
C’est un dispositif dans lequel le chercheur participe à la vie quotidienne du groupe
social étudié. C’est donc, au sens premier, une méthode de travail, avec pour but
l’accroissement des connaissances, une méthode plus efficace que la lecture des livres ou que
les questionnaires.
L’ OP est généralement attribuée à Malinowski2 (1922) qui s’était installé dans un village des
îles Trobriand (dans le Pacifique) pour observer les indigènes.
Cette démarche a été développée ensuite par l’Ecole de Chicago, dans le cadre de la
sociologie urbaine. L’argument est qu’il faut « prendre la place de l’acteur » (H.Blumer)3
pour comprendre la réalité. Il y a là un changement important, qui signale qu’il ne faut pas
seulement s’approcher des gens, mais qu’il s’agit d’un nécessaire renversement du point de
vue. Il faut faire ce que j’appelle le détour ethnographique4, quitter sa place de chercheur et
passer de l’autre coté de la scène sociale.
On marque classiquement quatre caractéristiques de l’enquête (issues de l’anthropologie et de
la psychosociologie) par Observation participante :
* S’insérer dans le groupe. Prendre part à la vie du groupe. C’est la dimension
participative de la recherche.
* La neutralité comme mythe. L’implication est un état de fait : la réalité sociale n’est
pas un monde d’objets, mais de sujets vivants, dont le chercheur fait partie, avec ses
propres problèmes, et avec sa propre définition de la situation.
* La compréhension du phénomène social est liée à l’engagement personnel, pas
forcément au sens d’une volonté militante (même si cette dimension peut exister
également, et particulièrement dans le cas de l’éducation sociale), mais surtout au sens
de prendre part à la réalité, la construire avec les acteurs du terrain.
* Observation et élaboration de la recherche sont liées. Il n’y a pas une phase de
l’observation, qui serait un préalable à une deuxième phase qui serait celle de la
réflexion, puis de la théorisation, puis de l’écriture. La construction du sens et
l’interprétation sont contemporaines, évolutives. L’ethnographie remplace la vision
classique qui consiste à poser d’abord le recueil des données, et ensuite la réflexion
théorique, par une mise en valeur de la notion de description.
Il faut signaler que la conception de l’OP a évolué, avec les années, mais aussi avec le
changement de terrain : passage de l’ethnographie exotique à l’ethnographie urbaine, puis à
2 Malinowski, Les Argonautes du Pacifique occidental
3 Blumer H, Symbolic interactionnism, 1969
4 Boumard P., L’école, les jeunes, la déviance, PUF, 2000
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une ethnographie plus anthropologique qui s’intéresse à tous les phénomènes culturels, en
particulier la construction interactive de la réalité sociale par les différents acteurs ou groupes
sociaux.
L’influence du courant français d’analyse institutionnelle a entraîné une centration sur le
concept d’implication, qui fait que pour nous l’OP consiste aujourd’hui non pas à se tenir à
mi-distance entre observation et participation, comme on le voit parfois selon la version
traditionnelle, mais plutôt à faire des allers et retours, dans un mouvement d’immersion et de
distanciation, qui nous amène à parler d’une extériorité méthodologique5. L’observation
participante fait donc partie d’une dialectique entre théorie et action.
Car il existe un danger à épouser totalement le point de vue des acteurs (“going native”).
On décrirait alors le monde social dans le langage profane, sans le travail d’interprétation
nécessaire à la production de connaissance.
On distingue classiquement plusieurs degrés de participation6 : l’observation participante
périphérique (OPP), l’observation participante active (OPA), et l’observation participante
(OPC). Mais il n’y a pas uniquement des différences de degrés.
Il existe aussi des différences de situation, qui produiront des différences d’attitudes : on parle
d’ observation participante externe et d’ observation participante interne. C’est le cas des
acteurs sociaux qui décident de faire l’analyse de leur lieu de travail (souvent les maîtres dans
leur classe ou leur école) ou de leur lieu de vie (analyse de son quartier, voire de sa famille).
On peut aussi évoquer les travailleurs sociaux qui s’inscrivent à l’université, travaillent sur
leur pratique, et deviennent ainsi des chercheurs spécialistes de leur propre terrain.
On peut alors faire la différence également entre une observation participante découverte, ce
qui est le plus souvent le cas dans l’ observation participante externe, et une observation
participante cachée, souvent rendue nécessaire en cas de travail à l’interne. Peter Woods a
décrit le premier cette distinction avec la formule : « overt observer », opposé à « covert
observer » (recherche à visage découvert, versus recherche masquée ou clandestine).
c. Le rapport micro-macro
Cette distinction est introduite par l’auteur américain E.Goffman, qui nous permet de parler de
micro-sociologie7 dans notre conception ethnographique des phénomènes sociaux. Il s’agit de
ne pas aborder les objets centraux de la sociologie, l’organisation sociale et la structure
sociale, mais de s’intéresser et d’explorer la structure de l’expérience individuelle de la vie
sociale. Goffman, qui aime bien les formules frappantes, dit qu’il ne veut pas « lutter contre
l’aliénation et éveiller les gens », comme font les penseurs officiels du savoir et des media. Ce
qui intéresse Goffman par rapport aux gens ordinaires, c’est : « ne pas leur chanter une
berceuse, mais seulement entrer sur la pointe des pieds et observer comment ils ronflent »8.
C’est ici qu’intervient également une notion qui est pour nous très importante, et qui plaît
beaucoup à Don Fernando : la Multiréférentialité, analysée et développée en France surtout
par J.Ardoino. La multiréférentialité signifie qu’il y a plusieurs légitimités pour comprendre
un objet ou une situation, et qu’on ne peut pas s’enfermer dans une seule approche (la
psychologie individuelle, ou le social en général par exemple), mais qu’il faut, comme le dit
J.Ardoino, « être polyglotte » devant la réalité.
5 Boumard P., Les savants de l’intérieur, A.Colin, 1989
6 Adler & Adler, Membership roles in field Research, 1987
7 Lapassade G., Les microsociologies, 1996
8 Goffman E., Les cadres de l’expérience
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2. Partant de la pratique
a. définition de la situation
Une situation n’est jamais neutre. Elle n’est jamais homogène, elle n’est jamais unique.
Chacun lit et comprend la situation selon son histoire, sa conception, ses intérêts. Une
situation de formation par exemple ne peut se comprendre en termes de didactique, c’est-à-
dire de technique de transmission des savoirs, mais en termes de points de vue. Les points de
vue différents, contradictoires, dans leurs interactions même construisent ensemble la réalité
de la situation de formation ou d’intervention.
Il y a là, selon moi, un point de divergence important avec les approches psychologiques ou
même psychanalytiques. C’est que, contrairement à la conception des « psy », l’écoute ne
suffit pas. Ce point a nourri un positionnement très important dans la naissance de l’Analyse
institutionnelle, qui a montré que l’écoute cache souvent le pouvoir du psy et empêche
l’émergence des phénomènes sociaux décisifs que sont les analyseurs.
La question fondamentale est celle de faire émerger les paroles, y compris et surtout quand
elles sont inhibées pour des raisons culturelles, ce qui est très souvent le cas dans le cadre du
travail social. Il existe évidemment des méthodes pour cela, et nous vous en présenterons dans
la suite de cette conférence.
Mais le plus important est la question de l’attitude. Attitude du chercheur, du formateur, de
l’intervenant, des animateurs, le problème est le même : ce qui est essentiel, qui fait le
clivage, c’est la reconnaissance des points de vue.
Les acteurs sociaux, tous les acteurs sociaux, donnent leur point de vue sur la réalité, ce qui
leur permet de s’orienter dans la réalité, chacun dans son domaine particulier. Tous les gens,
quels que soient leur âge et leur culture, sont de descripteurs permanents du monde, cohérents,
globaux, non-négociables. Chacun se débrouille dans la réalité grâce à des comportements qui
fonctionnent selon des logiques à toutes fins pratiques, des solutions adaptées à des situations
particulières, et qu’on appelle des ethnométhodes.
Cette reconnaissance des points de vue comme fondateurs interactifs de la réalité amène à
parler de « vérités locales »9, des formes de logiques qui sont vraies en tant qu’elles sont
efficaces et seulement dans ce sens. Cette notion de vérité locale ouvra à un monde où tous
les acteurs sont reconnus de façon équivalente, et où les discours profanes ne sont pas réduits
à néant par le discours savant. C’est donc le contraire de la pédagogie , le contraire de
l’enseignement.
C’est pour cette raison que le style ethnographique nous semble convenir particulièrement
bien aux situations de travail avec des adultes. En effet, chez les adultes, les points de vue
sont constitués, par la vie ou la profession, et donc ne fonctionnent pas de manière
métaphorique ou méthodologique, mais bien comme éléments de réalité incontestables. Il faut
tous les efforts de la pédagogie infantilisante et les certitudes des savants objectivistes, pour
dévaluer, oublier voire nier la spécificité et la cohérence du point de vue des acteurs. Certes,
la formation permanente, à travers l’individualisation de la formation ou les parcours
spécifiques, ou la validation des acquis de l’expérience, a reconnu plus ou moins la spécificité
9 Lecerf Y., Les dictatures dintelligentsia, 1987
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