3
la langue d'accueil. Il a donc fallu procéder à des relevés puis à un classement en vue de faire une
typologie. Pour la cueillette des données linguistiques, l'analyse du français parlé par nos
informateurs s'imposait et ceci fut fait au moyen de l'entretien enregistré. Douze entretiens ont donc
été menés, auxquels nous avions fixé des limites suivantes : en premier lieu, chaque entretien devait
durer entre 25 et 35 minutes, avec une durée préférée d'une trentaine de minutes. Cette limite était
indispensable parce que la durée est susceptible de faire varier les données statistiques : plus
l'informateur parlait longtemps, plus son discours pouvait comporter d'éléments d'interférences de
toutes sortes, et nous ne voulions pas arriver à des conclusions faussées par une interprétation
quantitative erronée du corpus. Avec un corpus somme toute relativement petit et une préférence
méthodologique pour l'analyse interactionnelle des idiolectes, nous avons décidé qu'il n'était pas
sage de tirer des conclusions statistiques sur la fréquence d'apparition des énoncés variants chez nos
informateurs. Nous nous sommes contenté de les relever, de les classer et d'analyser
individuellement l'idiolecte de chaque locuteur. Pour arriver à des contextes conversationnels et des
sujets de discussions plutôt similaires entre chaque entretien, nous avons appliqué la deuxième
limite à nos entrevues, celle qui a trait aux sujets de discussion abordés. C'est le principe de
l'entretien semi-directif, où l'enquêteur pose les questions et donne une orientation à la réponse de
son interlocuteur.
Nous avons bien sûr eu à faire face à ce que Labov a appelé le paradoxe de l'observateur
(Labov, 1976: 290) : il y a en effet un paradoxe à vouloir observer un locuteur et à s'attendre à ce
que sa production linguistique soit la plus naturelle possible. Cependant, il ne nous semble pas que
l'on puisse arriver à un corpus «naturel», simplement parce qu'en termes d'interaction langagière, le
naturel est tout à fait subjectif : dans un entretien, on pourra juger que tout est naturel, ou alors que
rien ne l'est. On aurait donc pu abandonner l'objectif de la situation réelle, se passer de l'expérience
qui consiste à «surmonter le paradoxe» et à «briser les contraintes de l'interview» (Labov, 1976:
290) et ceci parce que l'interaction entre l'enquêteur et l'enquêté est une situation comme une autre,
et qu'il n'y a pas de raison de la considérer comme moins réelle ou moins naturelle qu'une autre. Les
précautions du chercheur n'éliminent pas le fait que la conversation, c'est avant tout une négociation
énonciative et l'interview n'est qu'une forme de conversation.
Cependant, on peut difficilement éviter cette attention portée au discours par l'enquêté, que
Labov appelle la «surveillance auditive de son propre discours par le locuteur» (1976: 288), du fait
de l'intimidation que peut provoquer la présence de ces intrus que sont le chercheur, son
magnétophone et ses questions quelquefois indiscrètes. Attendu qu'en situation d'entretien, comme
Labov le précise, l'enquêté ne parle pas son vernaculaire, justement du fait de cette attention qu'il
porte à son discours (c'est ce que le linguiste américain appelle la formalité (Labov, 1976: 289)),
nous avons toutefois appliqué ses mises en garde le plus possible, en essayant d'abord de rassurer