7 Bull. Soc. Pharm. Bordeaux, 1999, 138, 7-17 INTÉRÊT DU MONOXYDE D'AZOTE DANS LA DÉFENSE ANTI-PARASITAIRE DES MACROPHAGES HUMAINS (*) M. Djavad MOSSALAYI (1) , Martine APPRIOU (1) Au cours des helminthiases, l'augmentation de l'expression du récepteur de faible affinité pour l'IgE (CD23/FcεRII) par les macrophages et/ou des taux élevés d'IgE circulants ont été décrits, mais leur rôle dans la protection de l'hôte ou dans l'évolution de la maladie n'est pas encore entièrement élucidé. Récemment, il a été démontré que la stimulation du CD23 provoquait la mort intracellulaire des parasites du genre Leishmania dans les macrophages humains, ce phénomène mettant en jeu la production du TNFα et de NO. En se basant sur plusieurs études, aussi bien in vitro qu’in vivo, de leishmaniose cutanée humaine, nous allons discuter, dans ce travail, d’un modèle de réponse immunitaire qui entraîne la libération du NO, dépendante de la liaison CD23-IgE, au cours de la leishmaniose cutanée, aussi bien dans sa protection qu'au stade évolutif. (*) Manuscrit reçu le 2 Décembre 1999. (1) Laboratoire d’Immunologie et Parasitologie, UFR Sciences Pharmaceutiques, Université Bordeaux Victor Segalen 2, Bordeaux, France e-mail : <[email protected]> 8 Mots-clés : CD23, IgE, leishmaniose, macrophage, monoxyde d'azote. MACROPHAGES ET INFECTION À LEISHMANIE Suite à une infection bactérienne ou parasitaire, les macrophages tissulaires ou sanguins constituent la première ligne de défense non spécifique, car il ont pour fonction de phagocyter ces agents et de présenter leurs antigènes aux lymphocytes initiant ainsi une réponse plus au moins spécifique de ces cellules [1-2]. Certains de ces agents infectieux pénètrent et s'installent dans les macrophages et développent ainsi des pathologies plus agressives. Ces micro-organismes sont : Leishmania, Trypanosoma cruzi, Toxoplasma gondii, l’agent de la Lèpre lépromateuse, Listeria monocytogenes, Mycobacterium avium, Candida albicans, Theileria parvum, etc. [1]. La survie de ces parasites à l'intérieur des macrophages montre que ces agents ont survécu à l'action lytique exercée par l'environnement intra-cytoplasmique (pH acide 4,5-5,0, enzymes lysosomiales, hydrolases, etc.). Lorsque l'agent ne peut être éliminé par l’activité anti-microbienne non-spécifique, une réponse spécifique peut être établie, dirigée en partie par les cytokines et anticorps dérivés des lymphocytes reconnaissant de manière spécifique les antigènes parasitaires exprimés sur les macrophages. Cependant, un échappement de cette défense est souvent observé, aboutissant à l'apparition des signes cliniques de ces infections. Parmi les agents infectieux des macrophages, nous allons étudier tout particulièrement la leishmanie. La leishmaniose est une pathologie provoquée par des parasites transmis à l’homme par des phlébotomes. Selon l’OMS, 12 à 14 millions de cas sont recensés dans le monde, avec un demi-million de nouveaux cas par an. Le traitement de la leishmaniose muco-cutanée par les sels antimoniés ainsi que les pentamidines est peu efficace et provoque d’importants effets secondaires [3-4]. Les parasites infectent préférentiellement les macrophages. Cependant, le rôle des cellules immunitaires, ainsi que des nombreux 9 médiateurs qu'elles sécrètent, dans la guérison des leishmanioses ou au cours de leur évolution, n'a pas encore été élucidé. LA RÉPONSE IMMUNE ANTI-LEISHMANIE Le rôle des cellules T et de leurs cytokines dans l'évolution des leishmanioses a été très largement étudié [5]. Chez les souris, l'incapacité de contrôler l'infestation par les leishmanies a été corrélée à l'absence de production d'IFNγ par les cellules T spécifiques des parasites ainsi qu'à leur échec à activer des macrophages dans le but de détruire les formes amastigotes intracellulaires. Le TNFα provenant des macrophages, la poussée oxydative et /ou la NO synthase inductible fonctionnelle (NOSi ou NOS de type II) semblent être essentiels dans l'élimination des parasites de ces cellules [5]. La réponse immunitaire humaine contre l'infection à Leishmania a été décrite en détail par de nombreux auteurs. Des modèles expérimentaux ont nettement démontré des antigènes spécifiques de Leishmania dans l'induction des réponses immunitaires, à la fois par les cellules TCD4+ et TCD8+ [2]. L'IFN γ , les lipopolysaccharides et/ou le TNFα peuvent augmenter l'activité leishmanicide in vitro des monocytes/macrophages humains. Cependant, le mécanisme exact de la mort des leishmanies n'a pas été clairement démontré et, jusqu'à récemment, on ne savait pas si le NO était impliqué dans les fonctions macrophagiques humaines. L'activité leishmanicide des macrophages humains infectés par L. major ou L. infantum a été observée après leur activation in vitro par de nombreux facteurs, comprenant l'IFN γ , ou par le pontage de l'antigène activateur CD23/FcεRII [1,6]. En attendant d'élucider le rôle des IgE, du CD23 et des facteurs pro-inflammatoires au cours de l'infection par Leishmania, nous avons comparé l'expression in vivo de plusieurs médiateurs, comme l'ont rapporté plusieurs groupes, et leur effet sur l'activité leishmanicide in vitro des macrophages humains. 10 LE CD23 ET L'ACTIVITÉ LEISHMANICIDE DES MACROPHAGES HUMAINS La synthèse d'IgE et l'expression du CD23 sont modifiées au cours des parasitoses mais les mécanismes sont peu ou pas connus. De nombreuses données démontrent maintenant une rapide expression in vivo du gène codant pour l'IL-4 pendant l'activité anti-microbienne. L'IL-4, comme l'IL-13, provoque l'expression du gène de l'IgE, tandis que l'expression de l'ARNm du CD23 par les cellules humaines est fortement induite par l'IFN γ , l'IL-4 et l'IL-13 et nécessite l'activation des kinases Janus et l'activité Stat6 [7]. La ligation du CD40 induit également l'expression du gène du CD23, en partie grâce à l'activation d'un membre de la famille des facteurs associés au récepteur du TNFα [7]. L'analyse in situ d'une peau enflammée au cours d'une leishmaniose cutanée nous a permis de détecter une expression relativement importante du gène du CD23 en comparaison avec la peau humaine normale [2,8]. L'isoforme b de l'antigène CD23 appartient à la famille des lectines de type C et est un antigène d'activation exprimé par les macrophages humains, de singes et de rats, mais il n'a pas été détecté chez les souris. Comme plusieurs antigènes majeurs de surface dans les maladies infectieuses, le domaine lectine du CD23 semble réagir avec le fucose et le mannose [7]. La stimulation du CD23 par les complexes immuns IgE et anti-IgE (IgE-IC) ou par des anticorps monoclonaux spécifiques, réagissant avec le même épitope que l'IgE, a montré qu'il peut induire une réponse pro-inflammatoire de la part des macrophages humains et de rats [6,7]. Les cellules dont le CD23 a été stimulé produisent du TNF γ , de l'IL-6, de l'IL-1, du thromboxane β2 et de nombreux intermédiaires oxygénés [9]. L'addition, sur des macrophages infectés par Leishmania, d'IgE-IC ou d'anticorps monoclonaux anti-CD23 a comme résultat l'élimination de nombreuses formes intracellulaires de L. major, L. infantum et L. braziliensis. Un effet similaire, mais moins puissant, a été observé avec les cellules infectées traitées par de l'IFN γ . En outre, la stimulation du CD23 de cellules saines les protège d'une contamination ultérieure par L. major, alors que le prétraitement par l'IFN γ n'a pas un tel effet [6]. 11 CORRÉLATION DES RÉSULTATS IN VIVO ET IN VITRO L'analyse de l'expression des cytokines au cours des leishmanioses cutanées et cutanéo-muqueuses humaines, bien que principalement limitées à des zones endémiques restreintes, a montré une bonne corrélation entre l'expression des cytokines in vivo, l'évolution de la maladie et l'effet de ces mêmes cytokines sur l'activité leishmanicide des macrophages humains [2,10]. Nos études suggèrent que deux voies indépendantes peuvent contribuer à l'activité leishmanicide des macrophages humains infectés in vitro : (a) via le récepteur de l'IFNγ et (b) via la ligation du CD23. Les deux voies sont capables d'induire la production de TNFα et de NO par les macrophages humains infestés, ces deux facteurs étant impliqués dans la destruction de L. major par ces cellules. Cependant, le TNFα ne peut pas induire la destruction directe in vitro de L. major par les macrophages. Quand les macrophages ont été stimulés par l'IFN γ ou l'anti-CD23 seul, l'addition d'IL-4 ou d'IL-10 recombinants réduit de façon significative l'activité leishmanicide in vitro. Il est intéressant de noter que l'activation des macrophages par les deux voies CD23 et IFNγ les protège de l'effet inhibiteur de l'IL-4 et/ou de l'IL-10 [11]. Ces résultats suggèrent que les cytokines inhibitrices ne peuvent pas éliminer l'activité leishmanicide effective des macrophages humains quand les deux voies en synergie, IFN γ et CD23, ont été activées. Ceci est exactement en corrélation avec les types de cytokines mises en évidence in vivo au cours des réponses immunitaires effectrices observées avant la guérison ou durant les manifestations de l'hypersensibilité de type retardé (Figure 1). In vitro, en absence d'IFNγ, la combinaison IL-4, IL-10, IgE-antigène et TNFα n'arrive pas à induire l'élimination des Leishmania des macrophages humains infectés et ceci est en corrélation avec l'expression in vivo de ces facteurs pendant l'aggravation de la maladie [2,8]. Ces résultats suggèrent que la maladie active peut être en rapport avec des taux élevés d'IL10 et de faibles taux d'IFNγ in vivo, alors que des taux élevés d'IL-4 ne sont pas toujours en rapport avec l'évolution de la maladie. Ainsi, l'expression continue et paradoxale d'IL-4 in vivo au cours de l'infection à Leishmania peut être expliquée par ces effets opposés ; indirectement, en induisant l'activité leishmanicide grâce aux IgE et à l'induction du CD23 ou, 12 directement, en inhibant la destruction du parasite en diminuant la production de NO. État in vivo Facteurs Effets in vitro Mort des parasites Production du NO Pas d’infection Aucun -- -- Réponse aiguë IFN γ CD23 / IgE IL-4 TFN α 80-100 % +++ Réponse chronique IFN γ CD23 / IgE IL-4 TFNα IL-10 65-85 % ++ < 30 % +/- 55-85 % ++ Ulcération Guérison CD23 / IgE IL-4 TFNα IL-10 IFN γ Fig. 1 : Types de cytokines impliquées dans l'activité leishmanicide in vivo et in vitro LE NO EST-IL IMPLIQUÉ ? Parmi les oxydants, le NO a émergé comme un médiateur cytotoxique et cytostatique vis-à-vis de divers parasites intracellulaires [1], dont de nombreuses espèces de Leishmania. Le NO provient de l'oxydation des atomes N guanido-terminaux de la L-arginine par des enzymes dépendant du NADPH, les NOS [12,13]. L'implication du NO dans l'activité leishmanicide 13 des macrophages de souris [1] nous mène à poser la question de l'intervention du NO dans la destruction du parasite médiée par le CD23. En utilisant le pontage du CD23 exactement au niveau de son épitope fixant l'IgE, la libération du NO arginine-dépendant a été observée chez les macrophages, les éosinophiles et les cellules épithéliales humaines, ainsi que chez les macrophages de rat. Il est intéressant de noter qu'un autre membre de la famille des sélectines, le CD69, s'est montré capable de médier l'induction du NO dans les monocytes humains [10]. Cependant, la génération de NO par les macrophages humains est diminuée par divers paramètres endogènes, à savoir : (a) la faible densité de CD23 membranaire ; (b) des taux de production élevés d'IL-10 ou de TGFβ ; et (c) l'activation cellulaire avant la ligation du CD23. Néanmoins, contrairement à certains travaux antérieurs, nos résultats suggèrent l'implication de la voie du NO dépendant de la L-arginine dans la destruction des Leishmania par les macrophages humains pour les raisons suivantes : (a) l'addition de l'inhibiteur de NOS, la NG-monométhyl-Larginine, a inversé l'activité leishmanicide ; (b) l'effet protecteur de la ligation du CD23 était en corrélation avec la production de NO ; et (c) les donneurs chimiques de NO induisent la destruction extracellulaire et intracellulaire des espèces de leishmanies cutanées. Par ailleurs, l'augmentation de l'expression des facteurs inhibant le NO physiologique, comme l'IL-10, le TGFβ et l'IL-4, est observée durant l'évolution de la maladie (Figure 2) [1]. A part les dérivés NO, les superoxydes ne semblent jouer qu'un rôle mineur (s'ils en jouent un) dans la destruction de L. major par les macrophages. Ceci est suggéré par l'incapacité qu'a la superoxyde dismutase (SOD) de reverser la destruction des Leishmania par les macrophages humains ou murins infestés [6]. Le traitement avec la SOD augmente même la production de NO dans les macrophages, ceci résultant peut-être de l'inhibition des interactions entre O2- et NO qui sont connus pour réduire les taux intracellulaires de NO. La présence de superoxydes peut également avoir comme résultat la production de peroxynitrites, agents toxiques puissants et pro-apoptotiques qui peuvent détruire les macrophages plutôt que les parasites. L'exposition chronique aux peroxynitrites peut également jouer un rôle dans l'évolution de l'ulcération et de la maladie [12]. 14 Infect ion Parasitaire M acr ophages Ly. T I FN γ IL 4 Ly. B IL4 IgE F CεRI I / CD23 IFNγ IL12, Anti -R OI + TNFα/N O - Ligands du CD23 CD21 CD11b/c Mannose-X Fucose-X IL10 IL4 ROI TGFβ Mort d es Parasite s Long Terme Cyto t oxicit é Apopto se Nécrose Fig. 2 : Cellules et médiateurs impliqués dans l'évolution de la leishmaniose Finalement, les analyses préliminaires effectuées pendant l'hypersensibilité de type retardé déclenchée par les antigènes leishmaniens ont suggéré que la protéine NOS II est produite in situ mais la nature des cellules synthétisant le NOS II reste à élucider (Vouldoukis, non publié). De plus, la destruction des parasites semble impliquer un réseau de cellules et de médiateurs multiples maintenu en équilibre, comme il est montré sur la figure 2. 15 LES IMPLICATIONS DANS LE TRAITEMENT Ces observations in vivo et in vitro peuvent peut-être élucider le rôle de l'IL-4, des IgE et du CD23 au cours des leishmanioses cutanées et être étendues à d'autres protozooses. Les résultats dont on discute ici indiquent également un rôle pour le NO et sa régulation pendant l'activité anti-microbienne des macrophages humains. Des approches thérapeutiques pourraient exploiter cette voie du NO, ou "lier" directement le CD23 par des contre-structures appropriées. Cette dernière approche permettrait le ciblage de la réponse des macrophages et prévenir une toxicité non spécifique provoquée par le NO. Des travaux, utilisant des donneurs chimiques de NO [14] et/ou des ligands du CD23 afin d'obtenir une approche thérapeutique appropriée par les leishmanioses, sont en cours. RÉFÉRENCES 1- MacMicking (J.), Xie (Q.W.), Nathan (C.) - Nitric oxide and macrophage function. - Annu. Rev. Immunol., 1997, 15, 323-350. 2- Reed (S.G.), Scott (P.) - T-cell and cytokines responses in leishmaniasis. - Curr. Biol., 1993, 5, 524-531. 3- World Health Organisation. - In Tropical diseases. Geneva : WHO, 1990, p 14. 4- Hart (D.T.) - Leishmaniasis. 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In the present work, on the basis of both in vitro and in vivo studies in patients with cutaneous leishmaniasis, we discuss an immune response model which induces NO generation through CD23-IgE ligation in cutaneous leishmaniasis during disease protection as well as disease progression. Key-words : CD23, IgE, leishmaniasis, macrophage, nitric oxide. __________