Communication au collectif régional de défense de la psychiatrie à

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CLERMONT DE L’OISE 16 JUIN 2011
Par claire Gekiere, psychiatre de secteur, présidente de l’association DELIS SM RA (droits et
libertés face à l’informatisation en santé, santé mentale, Rhône-Alpes)
Merci au collectif régional de défense de la psychiatrie de m’avoir invitée pour discuter du
fichage en psychiatrie. J’interviens au nom de DELIS SM RA, association de professionnels
qui informe, réfléchit et initie des actions face à l’informatisation en santé mentale,
association née à partir d’un groupe de psychologues lyonnais qui s’étaient émus, en 1997, de
la nature des informations qu’ils devaient fournir sur leurs patients pour alimenter le recueil
des données en psychiatrie.
J’aborderai les questions suivantes :
Pourquoi militer ?
Que sont les données de santé ?
Quel est l’état des pratiques actuel pour ces données de santé ?
Pourquoi parler de fichage en psychiatrie ?
Que faire ?
I-Pourquoi militer ?
J’ai été amenée à m’intéresser à ces questions de fichiers et de données de santé en raison des
risques d’atteinte à la vie privée et aux libertés individuelles des personnes soignées en
psychiatrie (un million d’adultes et 400 000 enfants chaque année dans le service public).
Cela est venu à partir de ce que je constatais dans mon travail quotidien de psychiatre de
secteur.
D’une part la demande puis l’obligation (à partir de janvier 2007) d’accumuler des
informations sur les personnes suivies, ce qui est très différent de renseigner sur les actes que
nous « produisons » (notre langage est bien contaminé !) (1) et dont il est légitime de rendre
compte. Cette obligation, c’est le recueil des données de santé dans le cadre de l’information
médicale, cela se fait en soins somatiques et en psychiatrie dans les établissements de santé.
D’autre part cela se produit dans un contexte dont je souligne juste deux éléments sans
développer :
-l’installation d’un climat sécuritaire qui assigne de nouveau les fous, les malades mentaux à
la dangerosité, toujours à surveiller, toujours à prédire.
-une transformation des services publics et donc des secteurs de psychiatrie vers un
fonctionnement d’entreprise privée.
Juste deux illustrations.
Pour le climat sécuritaire, la réforme votée hier de la loi de 1990 (2) qui instaure un véritable
« casier psychiatrique » : dangereux un jour, dangereux toujours ! Dans le rapport de l’IGAS
*(p83), en lien avec notre sujet d’aujourd’hui, les réflexions des deux rédactrices, très
significatives du climat actuel (3) : « les tentatives pour créer un fichier national des données
en matière d’hospitalisation sans consentement, ces dernières années, ont jusqu’ici échoué du
fait de l’opposition des associations d’usagers et des professionnels, qui craignent une dérive
sécuritaire. Compte tenu de la forte sensibilité sur cette question, et des problèmes juridiques
et éthiques qui s’y attachent, la mission n’a pas fait de propositions sur la création et la tenue
de fichiers. En revanche, il conviendrait que soit organisée au niveau de l’autorité
préfectorale, la remontée exhaustive des informations provenant de l’ARS[agence régionale
de santé] et de l’hôpital avec celles provenant des services de police et de gendarmerie et que
ce soit le cabinet du préfet qui fasse la jonction de ces informations » (à propos des personnes
en hospitalisation d’office).
Pour la privatisation, et toujours à propos de notre sujet d’aujourd’hui, la réaction du
SNPHAR (syndicat d’anesthésistes réanimateurs) sur le fait que des hôpitaux « externalisent
à des sociétés externes privées le codage des pathologies et actes réalisés » (4), et ont fait
pression sur des médecins DIM (Département d’Information Médicale) qui protestaient.
Rappelons que la confidentialité « est assurée lorsque seuls les utilisateurs dûment habilités
ont accès à l’information » (5).
II-Que sont les données de santé ?
Ce sont les informations récoltées et fabriquées lorsqu’une personne rentre en contact avec un
système de soins.
Ce sont des données à caractère personnel, et ce sont des données sensibles (être inclus dans
un fichier hospitalier comme porteur d’un diagnostic psychiatrique est très différent d’être
inclus dans celui d’une grande surface comme acheteur d’un lave-linge par exemple…). Ces
données sont de plus en plus informatisées, que ce soit par les médecins libéraux en cabinet,
dans les hôpitaux avec le DPI (dossier patient informatisé), ou dans le DMP (dossier médical
personnel) que tout un chacun peut constituer depuis le mois d’avril en s’adressant à son
médecin.
Ces données sont présentées comme indispensables à la réalisation de plusieurs objectifs
comme :
-un meilleur suivi des patients, ce serait la face positive de la traçabilité
-le calcul des tarifications : la T2A (tarification à l’activité) en soins somatiques, dont
l’équivalent en psychiatrie devrait être la VAP (valorisation de l’activité en psychiatrie)
-l’évaluation des prestations de soins avec l’idée de rationaliser les dépenses de santé.
III-Quel est l’état des pratiques actuelles ?
1-Le DMP est « opérationnel » depuis avril 2011, après des années d’annonces suivies d’une
reprise en main, manifestement plus efficace (il avait été relancé en 2009 après un constat
d’échec sévère des premiers projets en 2008). L’information se diffuse : bulletin du Conseil
national de l’Ordre en direction des médecins (6), information grand public dans les revues de
consommateur (7) et gouvernementale(8).
Un des enjeux est illustré par la question du masquage des données. Plusieurs possibilités :
-aucun masquage possible, toutes les informations notées sont accessibles aux médecins
autorisés à accéder au DMP. Transparence, traçabilité, accès large aux informations.
-masquage possible, chacun peut refuser l’accès à certaines informations, et le médecin voit
que des informations ne lui sont pas accessibles.
-masquage masqué : les médecins qui ont accès au DMP ne peuvent pas savoir que des
informations ne leur sont pas accessibles.
C’est la différence entre paternalisme et autonomie (le médecin doit tout savoir pour soigner
au mieux le malade versus le malade est un sujet autonome qui peut décider et rester maître de
ce qu’il transmet au médecin).
2-Recueil des données en psychiatrie
Son nom est le RIMP ou RIMPsy (recueil d’information médicalisé en psychiatrie). Suivant
l’état d’avancement de l’informatisation des hôpitaux psychiatriques (de rien au DPI –dossier
patient informatisé- opérationnel), ce recueil est papier, seul informatisé, ou extrait du DPI.
Il comporte le recueil d’un certain nombre de données, toutes sensibles : données de santé, qui
plus est en psychiatrie, avec certaines données particulièrement stigmatisantes : diagnostics
psychiatriques, mode d’hospitalisation (libre ou sous contrainte), mise en chambre
d’isolement.
Ce recueil, rempli pour chaque personne vue en psychiatrie (les EMPP –équipes mobile de
psychiatrie précarité- restant à ma connaissance une exception), est centralisé par le DIM, qui
l’anonymise et le transmet, de façon agrégée, tous les trois mois à l’ATIH (agence technique
de l’information hospitalière). Celle-ci les retraite (et depuis 2010, les revend aussi ! par
exemple aux consultants … que les établissements produisant ces mêmes données rétribuent
pour leur aide aux projets d’établissement…).
IV-Alors pourquoi parler de fichage ?
1-Eh bien parce que dans le contexte actuel ce recueil ne peut être considéré comme une
pratique neutre, un simple impératif technique seulement bénéfique au suivi des patients et
utile au calcul des tarifications et à l’évaluation des prestations de soins. Il y a au moins deux
questions à se poser :
-l’avenir de toutes ces données. Pourquoi ne subiraient-elles pas le sort de données collectées
dans d’autres fichiers, aussi bien celles du fichier de police STIC (système de traitement des
infractions constatées, 35 millions de fiches en 2009 selon la CNIL) ou du FNAEG (fichier
national automatisé des empreintes génétiques, 1,3 millions de profils ADN en 2010 (9)) ou à
l’école de Base-Elèves : d’abord une finalité étroite avec un accès limité, puis au fil du temps
des objectifs très étendus avec des accès très élargis ? Il se crée des fichiers tous les jours, par
exemple celui des SIAO (service intégré d’accueil et d’orientation, pour l’hébergement
d’urgence qui recueille des données nombreuses sur tous les demandeurs, ou celui du suivi
des étrangers hors espace Schengen).
Et ce d’autant que les données psychiatriques jouent sur deux tableaux : ce sont des données
de santé donc très convoitées au plan commercial, et des données psychiatriques, avec valeur
en hausse dans le climat sécuritaire actuel.
-le cas de conscience du soignant en psychiatrie qui non seulement se voit imposer un travail
de collecte de données qui peut devenir dangereux pour la liberté et la vie privée de ses
patients, mais qui réalise aussi que le modèle à l’œuvre dans ce recueil altère et attaque son
travail relationnel : l’autre devient un objet à identifier et étiqueter d’emblée, dans un modèle
réducteur qui ne tient aucun compte de l’intersubjectivité. Il faut produire de la donnée, en
temps réel ; seul un modèle ou l’intervenant est un observateur neutre, extérieur,
interchangeable, et ou la donnée, dont le diagnostic en CIM 10 (10ème classification
internationale des maladies), un attribut fixe d’un individu passif, est compatible avec une
telle production. Le recueil est construit de telle façon qu’il ne s’agit pas de rendre compte de
nos actes comme soignants mais d’objectiver les patients. (10)
2-et aussi à cause de la montée de l’identito-vigilance (traçabilité du patient comme gage de
sa sécurité sanitaire), qui pousse à demander aux patients de prouver leur identité avant de les
accueillir, par exemple demande de une, voire deux pièces d’identité dans des centres médicopsychologiques, plus le numéro de sécurité sociale, ou la preuve de l’ouverture de droits. Or
ceux-ci ne sont nécessaires que pour les soins donnant lieu à facturation, et n’ont pas à être
exigés dans toutes les structures psychiatriques.
Vérifier d’abord, accueillir ensuite, au nom de la sécurité. Et il y a maintenant une
acceptabilité sociale que la traçabilité est une sécurité. La sécurité qui, comme l’écrit fort bien
Evelyne Sire-Marin « dans une maïeutique de renversement du sens … est proclamée comme
la première des libertés, accolée à tous les substantifs : sécurité publique, sanitaire,
alimentaire, routière »(11).
V-Que faire ?
1-informer et faire prendre conscience des enjeux, comme aujourd’hui, comme la journée qui
s’est tenue à Lyon le 29 mai 2010 sur le fichage en psychiatrie, comme le font les sites de
DELIS SM RA (12), de la LDH de Toulon (13) de l’USP (14), ou encore la liste de discussion
idppsy (15)
2-de la « guérilla juridique », suivant l’expression d’Evelyne Sire-Marin, comme la pratique
par exemple le CNRBE (collectif national de résistance à Base-Elèves) contre les fichiers de
l’Education Nationale, ou encore l’USP, qui a déposé une requête au Conseil d’Etat contre le
guide de recueil des données personnelles en psychiatrie.
Si le Comité National d’Ethique a eu des positions très claires sur les risques de
l’informatisation des données médicales et les questions de confidentialité (16), les réponses
de la CNIL et du Conseil national de l’ordre des médecins sont le plus souvent décevantes,
rappelant en général que les pratiques de plus en plus dérogatoires au secret professionnel et
au respect de la vie privée étant encadrées légalement ou règlementairement, elles ne posent
pas problème, alors même que la question porte sur la légitimité de ces dérogations légales.
Décevantes également, l’interpellation au niveau national de l’UNAFAM ou de la Fnapsy,
restées sans résultat, alors qu’au niveau local ces associations peuvent se montrer mobilisées
sur le sujet.
3-dans nos pratiques, agir collectivement, même si l’on est souvent un petit nombre, et pas de
façon isolée, est important pour ne pas se retrouver marginalisé. Car l’inconscience de
l’impact sur la prise en charge des patients de la fabrication quotidienne des données
informatisées reste massive.
L’on peut, au quotidien :
-sensibiliser les usagers (patients et familles, associations locales psychiatriques ou
généralistes comme le CISS- collectif inter associatif sur la santé), les collègues, les médecins
et collèges DIM (en en étant membre), les syndicats, les CLSM (conseils locaux de santé
mentale) quand ils existent.
-surveiller et intervenir sur ce qui se passe :quels droits d’accès au DPI dans l’établissement,
quelle traçabilité de ceux-ci, quel droit à l’oubli, quels excès de l’identito-vigilance… ?
-pour les psychiatres, vu la « valeur » (scientifique, identitaire de la profession, marchande)
du diagnostic, il est possible de refuser de coter les diagnostics (ma position actuelle), ou de
coter en marquant son désaccord par le choix de cotations comme F99 : « trouble mental sans
autre indication » et Z004 : « examen psychiatrique général non côté ailleurs ».
bibliographie
-1 Gekiere Claire : « langue psychiatrique, langue politique », intervention au colloque du
CEFA « Les perversions langagières », Paris, 4-5 décembre 2009
-2 loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de
soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge
-3 IGAS : « analyse d’accidents en psychiatrie et propositions pour les éviter », établi par le
Dr Françoise Lalande et Carole Lépine, mai 2011, rapport n°RM2011-071P, 134p
-4 SNPHAR : « secret médical en 2011 après HPST : un principe bafoué », communiqué du 7
juin 2011, www.snphar.com
-5 Quantin Catherine et coll. : « Méthodologie pour le chaînage de données sensibles tout en
respectant l’anonymat : application au suivi des informations médicales », courrier des
statistiques, n°113-114, mars-juin 2005, p15 à 24
-6 bulletin du Conseil national de l’ordre des médecins, n°17, mai juin 2011 : « dossier
médical personnel : comment je fais ? », p6-7
-7 Dossier familial : « votre dossier médical sur internet », mai 2011, n°436, p29-31
-8 DMP Info Service : 0 810 33 0033 et www.dmp.gouv.fr
-9 Evelyne Sire-Marin (coord.) : « Filmer, ficher, enfermer, vers une société de surveillance »,
éditions Syllepse, dec 2010, www.syllepse.net
- 10 Gekiere Claire : « recueil des données en psychiatrie : fichage des patients, attaque des
soignants », dossier « contribution à la notion de paranoïa sociale », Rhizome, n° 39, juillet
2010, p11, www.orspere.fr
-11 www.libe.fr , 10 janvier 2011
-12 www.delis.smra.fr
-13 www.ldh-toulon.net
-14 www.uspsy.fr ,site de l’Union syndicale de la psychiatrie
-15 [email protected]
-16 CCNE, avis n°104 « Le « dossier médical personnel » et l’informatisation des données de
santé », 29 mai 2008
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