Problématique
Nous assistons depuis quelques années à la montée en puissance de débats et controverses
sur la mémoire, ses usages sociaux et son importance politique et symbolique pour une
société. Si l’étude des relations entre mémoire et histoire a déjà produit une littérature
abondante, la question de la mémoire rapportée à l’immigration reste un champ très peu
exploré. Le texte qui suit se propose de rendre compte des premiers éléments d’une enquête
réalisée au cours du premier semestre de l’année 2005 sur les discours sur les pratiques et
les usages dans le champ de la mémoire et l’immigration.
Il nous semble nécessaire pour rendre compte le plus objectivement possible du sens et de la
signification des multiples usages sociaux et discursifs de la mémoire rapportée à
l’immigration, d’envisager cette question à la fois du point de vue des acteurs et comme un
problème social devant être converti en un objet pour les sciences sociales. Il ne s’agit donc
pas pour nous de juger du degré de vérité ou de pertinence des multiples positions en
présence sur cet enjeu, mais de faire l’effort de construire un espace des points de vue afin
de mettre en relation et ainsi de mieux comprendre les principes de justification et les
sources argumentatives des différents acteurs.
Nous avons tout d’abord opéré un certain nombre de lectures d’ouvrages traitant du thème
de la mémoire en tant que telle, de la tension entre les catégories de la mémoire et de
l’histoire, et enfin de la mémoire comme matériau ou comme objet pour les sciences
sociales.1 Nous avons ensuite réalisé une série d’entretiens auprès d’acteurs sociaux,
politiques, scientifiques qui participent tous activement depuis plusieurs années aux débats,
à la réflexion et aux actions autour du thème de la mémoire et de l’histoire rapportée à
l’immigration. Ainsi, nous avons rencontré au cours de cette étude2 :
- Mohamed Amri, président de l’Association des anciens travailleurs Renault de l’Île
Seguin (ATRIS), Boulogne-Billancourt
- Fadéla Benrabia, Directrice du FASILD Nord-Pas-de-Calais, Lille
1 Entre autres, Michel de Certeau, L'écriture de l'histoire, Gallimard, 1897 ; Jean-François Chantaretto et Régine Robin,
Témoignage et écriture de l'histoire, L'Harmattan, 2002 ; Thomas Ferenczin, Devoir de mémoire, droit à l'oubli ?, éditions
Complexes, 2002 ; Carlo Ginzburg, Le juge et l'historien, Verdier, 1997 ; Maurice Halbawachs, Les cadres sociaux de la
mémoire, Albin Michel, 1994 ; Marie-Claire Lavabre, « Peut-on agir sur la mémoire ? », Cahiers Français, n° 303, 2001 ;
Bertrand Muller, « Le passé au présent. Tradition, mémoire et histoire dans les sciences sociales », Les Annuelles, n° 8,
1997 ; Pierre Nora, Les lieux de mémoire, 7 volumes, 1993 ; Paul Ricoeur, « L'écriture de l'histoire et la représentation du
passé », Annales HSS, n° 4, 2000 ; Henry Rousso, Hantise du passé, Textuel, 1998 ; Tzvetan Todorov, Les abus de la
mémoire, Arléa, 1998 ; Pierre Vidal-Naquet, Les juifs, la mémoire et le présent, Seuil, 1995.
2 Nous tenons à remercier infiniment toutes les personnes que nous avons rencontrées pour leur disponibilité, leur confiance
et leurs très précieux éclairages.
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