Mustapha Belbah
Groupe d’analyse des politiques publiques
ENS-Cachan/ Génériques
Smaïn Laacher
Centre d’étude des mouvements sociaux
(CNRS-EHESS)
Immigration, politiques et usages de la mémoire
Etude réalisée dans le cadre de l’action 1 du projet EQUAL
« Former des médiateurs de la mémoire pour lutter contre les discriminations »
FASILD national
Direction régionale Ile-de-France
Juin 2005
1
SOMMAIRE
Note de synthèse 3
Problématique 5
Mémoire et immigration : deux objets distincts ? 8
La mémoire comme procédé de « dépolitisation » de l’immigration ? 10
Ce qu’en disent les acteurs : mémoire pour soi, mémoire pour les autres 18
La mémoire comme lieu de rassemblement d’intérêts dissemblables 21
Conclusion 25
La politique de la mémoire et ses enjeux : trois pistes de recherche 26
2
POLITIQUES, IMMIGRATION ET USAGES DE LA MEMOIRE
NOTE DE SYNTHESE
Notre étude sur mémoire et immigration a consisté à explorer trois champs de pratiques.
- Les rapports entre mémoire et immigration ;
- Les discours et positions sur les pratiques relatives à la mémoire ;
- Les enjeux liés à la politique de la mémoire.
Rapports entre mémoire et immigration
Au cours de la deuxième moitié des années 1980 le discours et les pratiques constituent la
mémoire et l’immigration comme un objet légitime. Notamment à l’occasion des
célébrations du bicentenaire de la Révolution française et des débats sur la réforme du code
de la nationalité.
La problématique de la mémoire et de l’immigration s’articule autour de la vocation
politique du savoir dont sont dépositaires les immigrés sur leur histoire personnelle qui est
indissociablement celle de l’immigration et de la société française. Elle implique les
interrogations suivantes :
Comment préserver les matériaux existants, dispersés et menacés de disparition ?
Comment recueillir des faits, les gestes et les paroles appartenant au passé ?
A partir de quels matériaux, archives, témoignages, objets, etc., construire
l’opération historiographique ?
Quels dispositifs scientifiques et institutionnels doivent être mobilisés pour valoriser
ce passé ?
Discours et positions sur les pratiques relatives à la mémoire
La mémoire recouvre des significations différentes selon que l’on est militant, intellectuel,
expert, élu, ou puissance publique. L’emploi extrêmement variable de la notion de mémoire
a pour fonction de réunir des points de vue, des perspectives et des intérêts fort hétérogènes.
Nous retenons quatre types d’usages de la mémoire.
Un usage politique relatif à l’organisation et à la gestion du pluralisme au sein de la
société ;
Un usage militant au profit d’enjeux sociaux et politiques relatifs à la reconnaissance
et à l’identité ;
Un usage professionnel consistant dans la mise en œuvre de politiques d’Etat ;
Un usage entreprenarial qui vise à produire une plus value symbolique par la
production et la promotion de projets scientifiques, esthétiques ou artistiques à visée
civique.
Enjeux liés à la politique de la mémoire
La mémoire représente aujourd’hui un nouveau « marché » qui agrège des pratiques
disparates et qui appelle une régulation publique. Cette régulation nécessite des moyens
financiers et humains. Cette régulation publique doit prendre en compte, soutenir et le cas
3
échéant susciter des initiatives portées par l’ensemble des acteurs sociaux et associatifs
impliqués dans la thématique mémoire et immigration.
La création et le renforcement de dispositifs ayant pour vocation le développement d’une
véritable recherche sur l’histoire de l’immigration est aujourd’hui devenu un impératif
politique.
La préservation et la mise à disposition des archives privées et publiques en sont la
condition première.
La « mémoire immigrée » sollicitée aujourd’hui dans des projets à vocation sociale ou au
profit de mobilisations contre les discriminations peut également contribuer au
développement de la connaissance historique.
Produite selon des règles et une méthodologie appropriées la mémoire constituera à coup
sûr un matériau pour l’histoire.
Cette régulation publique doit pouvoir s’appuyer sur trois principaux axes.
L’économie de la mémoire, qui vise à comprendre le système de relations entre
l’offre institutionnelle et la demande sociale en matière de mémoire dans le champ
de l’immigration.
Les groupes cibles en cherchant à maintenir un équilibre dans les relations de
tension entre mémoires particulières et mémoire nationale. Ceci implique de
réfléchir au rapport qu’entretiennent les différents groupes à ce qu’ils considèrent
être leur mémoire.
Les spécificités des territoires qui recouvrent la problématique de la mémoire et de
l’immigration en partant d’histoires territoriales, des liens complémentaires et des
intérêts différents entre le local (communes, départements et régions) et le national.
La mémoire quand elle est rapportée à l’immigration traduit un glissement dans les
représentations et dans les politiques publiques en matière d’immigration qui passent de
l’intégration par le droit, par la culture ou par le politique, à la lutte contre les
discriminations.
4
Problématique
Nous assistons depuis quelques années à la montée en puissance de débats et controverses
sur la mémoire, ses usages sociaux et son importance politique et symbolique pour une
société. Si l’étude des relations entre mémoire et histoire a déjà produit une littérature
abondante, la question de la mémoire rapportée à l’immigration reste un champ très peu
exploré. Le texte qui suit se propose de rendre compte des premiers éléments d’une enquête
réalisée au cours du premier semestre de l’année 2005 sur les discours sur les pratiques et
les usages dans le champ de la mémoire et l’immigration.
Il nous semble nécessaire pour rendre compte le plus objectivement possible du sens et de la
signification des multiples usages sociaux et discursifs de la mémoire rapportée à
l’immigration, d’envisager cette question à la fois du point de vue des acteurs et comme un
problème social devant être converti en un objet pour les sciences sociales. Il ne s’agit donc
pas pour nous de juger du degré de vérité ou de pertinence des multiples positions en
présence sur cet enjeu, mais de faire l’effort de construire un espace des points de vue afin
de mettre en relation et ainsi de mieux comprendre les principes de justification et les
sources argumentatives des différents acteurs.
Nous avons tout d’abord opéré un certain nombre de lectures d’ouvrages traitant du thème
de la mémoire en tant que telle, de la tension entre les catégories de la mémoire et de
l’histoire, et enfin de la mémoire comme matériau ou comme objet pour les sciences
sociales.1 Nous avons ensuite réalisé une série d’entretiens auprès d’acteurs sociaux,
politiques, scientifiques qui participent tous activement depuis plusieurs années aux débats,
à la réflexion et aux actions autour du thème de la mémoire et de l’histoire rapportée à
l’immigration. Ainsi, nous avons rencontré au cours de cette étude2 :
- Mohamed Amri, président de l’Association des anciens travailleurs Renault de l’Île
Seguin (ATRIS), Boulogne-Billancourt
- Fadéla Benrabia, Directrice du FASILD Nord-Pas-de-Calais, Lille
1 Entre autres, Michel de Certeau, L'écriture de l'histoire, Gallimard, 1897 ; Jean-François Chantaretto et Régine Robin,
Témoignage et écriture de l'histoire, L'Harmattan, 2002 ; Thomas Ferenczin, Devoir de mémoire, droit à l'oubli ?, éditions
Complexes, 2002 ; Carlo Ginzburg, Le juge et l'historien, Verdier, 1997 ; Maurice Halbawachs, Les cadres sociaux de la
mémoire, Albin Michel, 1994 ; Marie-Claire Lavabre, « Peut-on agir sur la mémoire ? », Cahiers Français, n° 303, 2001 ;
Bertrand Muller, « Le passé au présent. Tradition, mémoire et histoire dans les sciences sociales », Les Annuelles, n° 8,
1997 ; Pierre Nora, Les lieux de mémoire, 7 volumes, 1993 ; Paul Ricoeur, « L'écriture de l'histoire et la représentation du
passé », Annales HSS, n° 4, 2000 ; Henry Rousso, Hantise du passé, Textuel, 1998 ; Tzvetan Todorov, Les abus de la
mémoire, Arléa, 1998 ; Pierre Vidal-Naquet, Les juifs, la mémoire et le présent, Seuil, 1995.
2 Nous tenons à remercier infiniment toutes les personnes que nous avons rencontrées pour leur disponibilité, leur confiance
et leurs très précieux éclairages.
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