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Or, les contradictions du capitalisme, telles qu’entendues ici, pointent
seulement des possibilités, supposant un travail de politisation pour
devenir des logiques pleinement actives, pour s’actualiser, dans une
logique analogue au couple acte/puissance chez Aristote : ce qui n’est
qu’en puissance s’actualisant dans une action6.
Á partir de là, que peut-on dire de la contradiction capital/nature ? La
nature serait elle aussi exploitée dans la dynamique d’accumulation du
capital. Or, dans l’épuisement des ressources naturelles comme dans les
risques techno-scientifiques associés à la logique contemporaine du
profit, le capitalisme mettrait en danger ses propres bases naturelles et
humaines d’existence. Cela appelle un élargissement de l’horizon
temporel de la critique du capitalisme comme de la philosophie politique
émancipatrice par la prise en compte des générations futures, dans le
sillage de la philosophie de la responsabilité formulée par Hans Jonas7.
La notion de « Progrès », au cœur des politiques républicaines-
démocratiques comme des politiques socialistes d’émancipation, ne
devrait pas pour autant être abandonnée, mais s’en trouver redéfinie
dans le sens de ce que j’ai appelé ailleurs des Lumières tamisées8.
Cependant, si capitalisme et productivismes apparaissent associés,
anticapitalisme et antiproductivisme ne l’ont pas toujours été
historiquement. Les sociétés staliniennes en ont été un exemple
historique marquant. Mais déjà chez Marx, les choses apparaissent
ambivalentes. On trouve chez lui tout à la fois une fascination pour
l’essor industriel propre au XIXe siècle, et ses illusions technologistes,
ainsi que des prémisses écosocialistes9. Ted Benton a, par exemple,
bien mis en évidence les difficultés pour rendre visible dans le champ de
vision marxien, et plus encore ensuite marxiste, la question des « limites
naturelles » de la croissance10. Plus largement, on doit noter que nombre
de courants de la galaxie socialiste née au XIXe siècle, comme de la
gauche républicaine qui l’a précédée, ont souvent été profondément
marqués par la vision non critique d’un « Progrès » scientifique et
technique supposé intrinsèquement positif.
6 Voir notamment Aristote, Éthique de Nicomaque, trad. et préface de J. Voilquin, Paris,
GF/Flammarion, 1965.
7 H. Jonas, 1993, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique (1e éd. :
1979), Paris, Cerf, coll. « Passages », 1993.
8 Dans P. Corcuff, La société de verre. Pour une éthique de la fragilité, Paris, Armand Colin, collection
« Individu et Société », 2002.
9 Voir la partie III, intitulée « La vie, les tentations productivistes et la question écologiste », de mon
livre Marx XXIe siècle. Textes commentés, Paris, Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique »,
2012.
10 T. Benton, « Marxisme et limites naturelles : critique et reconstruction écologiques », op. cit.