Karl Marx et Friedrich Engels, L’idéologie allemande (1848) 5
Première partie : FEUEURBACH
L'Idéologie allemande est donc une oeuvre polémique, comme l'était déjà La Sainte
Famille. Cependant, elle présente par rapport à celle-ci un progrès manifeste. Dans la préface
qu'il rédigea en 1885 pour la réédition des Révélations sur le procès des communistes à
Cologne, Engels écrivait:
« Marx n'était pas seulement arrivé à la même opinion [qu'Engels], il l'avait aussi
généralisée déjà dans les Annales franco-allemandes (1844): ce n'est pas somme toute l'État
qui conditionne et régit la société bourgeoise, mais la société bourgeoise qui conditionne et
régit l'État; il faut donc expliquer la politique et son histoire en partant des conditions écono-
miques et de leur développement et non le contraire. Lorsque je rendis visite à Marx à Paris,
pendant l'été 1844, il apparut que nous étions en complet accord dans tous les domaines de la
théorie et c'est de là que date notre collaboration. Lorsque nous nous retrouvâmes à
Bruxelles, au printemps 1845, Marx avait déjà tiré de ces bases une théorie matérialiste de
l'histoire qui était achevée dans ses grandes lignes et nous nous mîmes en devoir d'élaborer
dans le détail et dans les directions les plus diverses notre manière de voir nouvellement
acquise. »
C'est donc sur la base de leur conception, achevée dans ses grandes lignes, du matérialisme
historique que Marx et Engels « règlent leurs comptes avec leur conscience philosophique
d'autrefois ». Et c'est pratiquement à l'exposé de cette conception nouvelle qu'est consacrée la
première partie du manuscrit qui porte le titre: « Feuerbach ».
Dans la préface de Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande
(1888), Engels dit lui-même:
« Avant d'envoyer ces lignes à l'impression, j'ai ressorti et regardé encore une fois le
vieux manuscrit de 1845-46. Le chapitre sur Feuerbach n'est pas terminé. La partie rédigée
consiste en un exposé de la conception matérialiste de l'histoire qui prouve seulement com-
bien nos connaissances d'alors en histoire économique étaient encore incomplètes. La
critique de la doctrine même de Feuerbach y faisant défaut, je ne pouvais l'utiliser pour mon
but actuel. »
En dépit de son titre, cette première partie de L'Idéologie allemande est donc essen-
tiellement un exposé positif des fondements de la doctrine de Marx et d'Engels, Et malgré les
réserves qu'Engels pouvait faire plus de quarante ans après sa rédaction, malgré son caractère
inachevé, elle reste un texte extrêmement précieux et riche, ainsi qu'un admirable document sur
la genèse du marxisme. D'ailleurs, il semble bien que l'intention des auteurs ait été de faire de
ce chapitre sur Feuerbach une sorte d'introduction théorique à l'ensemble de leur ouvrage et
c'est pourquoi l'on y trouve un exposé plus cohérent que dans le reste du livre de ce qui
constitue la base du marxisme.
Il n'en reste pas moins que l'ensemble de l'œuvre était conçu comme un vaste pamphlet,
destiné à régler leur compte aux personnages les plus marquants de la gauche hégélienne,
Bruno Bauer et Max Stirner (dénommés plaisamment saint Bruno et saint Max). Aussi cette
première partie n'est-elle pas exempte non plus d'allusions polémiques.