rappelait souvent, lui aussi il était Bleu. Il était à la fois très libéral et très monarchique, et ces deux sentiments sont aussi
au plus haut degré et dans mon cœur et dans ma raison. Il connaissait parfaitement l’histoire de la
révolution française, qui m’était familière, et nous en parlions perpétuellement. J’étais charmé de trouver
dans un homme de son âge et de son mérite mes sentiments les plus intimes ; et lui, déjà vieux, semblait comme
réchauffer son âme au feu de la mienne. Et puis M. Hegel était un esprit d’une liberté sans bornes. Il soumettait à
ses spéculations toutes choses, les religions aussi bien que les gouvernements, les arts, les lettres, les sciences ; et il
plaçait au-dessus de tout la philosophie. Il me laissa voir pour ainsi dire le fantôme d’idées grandes et vastes ; il me
présenta, dans le langage un peu scholastique qui lui était propre, une masse de propositions générales plus hardies
et plus étranges les unes que les autres, et qui firent sur moi l’effet des ténèbres visibles du Dante. Tout ne
m’y était pas entièrement inintelligible, et ce que j’en saisissais me donnait un ardent désir d’en
connaître davantage. Il y avait du moins entre M. Hegel et moi quelque chose de commun, une foi commune dans la
philosophie, une commune conviction qu’il y a eu ou qu’il peut y avoir pour l’esprit humain une
science vraiment digne de ce nom qui n’atteint pas seulement l’apparence, mais la réalité des choses,
qui n’exprime pas seulement les rêves mobiles de l’imagination humaine, mais les caractères
intrinsèques des êtres. M. Hegel était dogmatique ; et, sans que je pusse encore me bien orienter dans son
dogmatisme, il m’attirait par là. De son côté, il me savait gré des efforts que je faisais pour l’entendre et de
mon goût pour les grandes spéculations. Ainsi se forma notre amitié, et cette liaison à la fois de cœur et
d’esprit qui ne s’est jamais démentie, alors même qu’avec le temps la différence de nos vues en
métaphysique se déclara de plus en plus, et que la politique demeura notre seul et dernier lien.
Au bout de quelques jours, je restai persuadé que, pour ne pas être à ma portée, le professeur de philosophie de
l’université d’Heidelberg n’en était pas moins un esprit du premier ordre, en possession
d’une grande doctrine, digne d’être sérieusement étudiée. Je reconnus en même temps
l’impossibilité de parcourir utilement l’Allemagne entière en quelques mois, quand on est exposé à
rencontrer dans la moindre université des hommes aussi remarquables ».
DEUXIEME VOYAGE EN ALLEMAGNE.
En août-septembre 1818, V. Cousin effectue un second voyage en Allemagne, accompagné par Louis Bautain [1796-
1867], son ancien élève à l'Ecole normale, professeur de philosophie au collège royal de Strasbourg, depuis octobre
1816.
On dispose d’une lettre de Hegel à V. Cousin, écrite en français, envoyée de Heidelberg, en date du 5 août 1818,
qui lui conseille un certain nombre de contacts [Friedrich Heinrich Jacobi, Friedrich Wilhelm Joseph Schelling]. Mais cette
lettre, envoyée tardivement, arrive alors que V. Cousin est déjà en Allemagne. Cousin va jusqu’à Munich, rencontre
Friedrich Schelling [1775-1854] et Friedrich Heinrich Jacobi [1743-1819].
Au cours de ce second voyage, Victor Cousin ne rencontre pas Hegel.
DEUXIEME RENCONTRE ET TROISIEME VOYAGE.
La rencontre a lieu à la fin du troisième voyage, voyage commencé à l'automne 1824.
Suspecté d’entretenir des relations avec les chefs de la Burschenschaft, association patriotique et libérale
d’étudiants allemands, V. Cousin qui voyage avec Louis Napoléon Lannes, duc de Montebello [1801-1874] dont
il a été le précepteur, est arrêté à Dresde par la police saxonne à l'initiative de la Prusse, à la mi-octobre 1824.
Incarcéré près de cinq mois à Berlin, Cousin est remis en liberté au début février 1825, mais doit rester à la disposition
des autorités prussiennes encore quelques semaines. Il ne reviendra en France qu'au début mai 1825.
C'est dans cet intervalle de temps entre février et mai 1825 que V. Cousin revoit Hegel, et la plupart de ses familiers :
Eduard Gans [1798-1839] ; [Heinrich] Gustav Hotho [1802-1873] ; Leopold Dorotheus von Henning [1791-1856] ; Karl
Ludwig Michelet [1801-1893]. Il rencontre également l'homme politique prussien Friedrich August von Stägemann [1763-
1840] ; Reimer ; F. E. D. Schleiermacher [1768-1834].
INTERVENTION DE HEGEL EN FAVEUR DE COUSIN.
Dès qu'il apprend l'arrestation de V. Cousin, Hegel adresse une longue lettre au Baron von Schuckmann, Ministre
prussien de l’Intérieur, en date du jeudi 4 novembre 1824, pour témoigner en faveur de V. Cousin. Dans cette
lettre, dont on connait le texte du brouillon, Hegel fait référence aux deux précédents voyages [1817 et 1818] de V.
Cousin, au cours desquels, dit-il, il a fait « la connaissance de plusieurs professeurs de philosophie allemands, et
m’a en particulier rendu visite à Heidelberg ». « J’ai vu en lui, dit Hegel, un homme qui s’intéressait
très vivement aux sciences, et en particulier à la discipline à laquelle il s’est consacré, et qui s’efforçait
notamment de connaître avec le plus d’exactitude possible la façon dont la philosophie est pratiquée en Allemagne
Textes rares
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