Samedi 4 octobre 2003 - 21 h 00 Église de Houdan

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Samedi 4 octobre 2003 - 21 h 00
Église de Houdan
Musiciens des cathédrales
Philippe Galle, Encomium musices
d’après Johannes Stradamus, (ca 1604)
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Louis XIII musicien et les musiciens de Louis XIII
Programme
(1598-1664)
Fantaisie « pour l’exemple de ce qui se peut faire sur l’Orgue »
CHARLES RACQUET
Introït :
FRANÇOIS ROBERDAY
(1624-1680)
Fugue 5me
(ca 1590-1651)
Missa ad Placitum
Kyrie
Gloria
HENRI FRÉMART
Graduel :
FRANÇOIS ROBERDAY
Fugue 1re et caprice sur le mesme jeu
HENRI FRÉMART
Missa ad Placitum
Credo
Offertoire :
FRANÇOIS ROBERDAY
Fugue 2me et caprice sur le mesme jeu
HENRI FRÉMART
Missa ad Placitum
Sanctus
Agnus Dei
(1563-1633)
(1567-1638)
Magnificat [orgue et polyphonie alternée]
JEHAN TITELOUZE
NICOLAS FORMÉ
Musiciens des cathédrales
(milieu XVIe siècle-1611)
Passameze pour les Cornetz
PIERRE-FRANCIQUE CAROUBEL
ANONYME
Pavane pour le mariage du Roy Louis XIII
(1549-1609)
Quarante deuxiesme fantasie sur : Je suis deshéritée
EUSTACHE DU CAURROY
EUSTACHE DU CAURROY
Quinziesme Fantasie. À l’imitation d’Ave Maris Stella
JEHAN TITELOUZE
Ave maris stella [orgue et plain-chant alterné]
(1599-1676)
- Antiennes à la Vierge :
Dum esset rex
Nigra sum sed formosa
Beata Dei genitrix
ÉTIENNE MOULINIÉ
- Fulcite me floribus, Motet à la Vierge
LOUIS COUPERIN
(1626-1661)
Fantaisie
(av. 1587-ap. 1643)
Assumpta est Maria
GUILLAUME BOUZIGNAC
Ce programme est donné en coproduction
avec le Festival « Jeux d’orgues en Yvelines »
subventionné par le Conseil Général des Yvelines
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Louis XIII musicien et les musiciens de Louis XIII
avec
Jean-Charles Ablitzer, Grand orgue
VOIX D’HOMMES DU CHŒUR DE CHAMBRE DE NAMUR
Jean-Yves Guerry, NN, hautes-contre
Renaud Tripathi, Thibaut Lenaerts, tailles
Aldo Platteau, Thomas Van Essen, basses-tailles
Philippe Favette, Hubert Deny, basses
avec la participation de
Raphaèle Kennedy, dessus
ENSEMBLE LA FENICE
Jean-Paul Boury, Kiri Tollaksen, cornets
Richard Cheetham, sacqueboute alto
Christiane Bopp, sacqueboute ténor
Bernard Fourtet, sacqueboute basse et serpent
Jean-Marc Aymes, orgue positif
DIRECTION ET CORNET : JEAN TUBÉRY
Musiciens des cathédrales
Une Maistrise est comme un petit Royaume…
Il ne faut pas appeler une Maistrise bonne pour avoir beaucoup de
revenu, Mais parce que les enfans y sont bien dressez &
conditionnez. C’est pourquoy on dit, Talis Pedagogus, Talis
Discipulus… Voilà pourquoy vous devez commencez le
gouvernement de vostre logis par vous mesmes : paroissant à vos
escoliers, Prudent, Chaste, Sobre, Paisible, & sur toutes choses
aymant & craignant Dieu… Soyez assidus, Ne battez point tant le
pavé. Ne regardez les femmes que de costé. Ne soyez pas si
souvent au Cabaret. Enseignez bien vos enfans. Beuvez souvent
avec les Chantres. Honorez les Chanoines. Composez de temps en
temps quelque nouvelle piece. Ne faictes pas de Musique si triste.
Contentez le public en meslant l’Art avecque l’Air. Menez à la
promenade quelque fois vos enfans. Monstrez leur la methode de
bien chanter. Faictes leur apprendre quelque Air…
Annibal Gantez, L’entretien des musiciens, 1643.
En 1549, François Ier avait réformé les institutions musicales de la
Cour. À côté de l’Écurie, la Chapelle-musique et la Chambre
obéissaient désormais à une même organisation regroupant enfants
(pages de la Musique du Roi), chantres et maîtres de musique
chargés de la composition, de l’exécution musicale comme de
l’éducation des jeunes pages. Cette réforme avait notamment retiré
à la Sainte-Chapelle du Palais une de ses plus prestigieuses
prérogatives, celle de chanter à la messe royale et de célébrer le
monarque ; la Musique du Roi en imitait cependant l’organisation
maîtrisienne.
Depuis le Moyen-Âge, la maîtrise était au centre de la vie
musicale du royaume. Attachée à une cathédrale, une collégiale,
une paroisse, elle assurait les offices du calendrier liturgique, mais
remplissait parallèlement une réelle fonction éducative en assurant
l’enseignement général et surtout musical des enfants qui y
chantaient. Véritables conservatoires avant la lettre, les maîtrises de
Paris et de province constituaient d’authentiques réservoirs de
talents, nourris de riches échanges et de nombreuses influences
générés notamment par le départ et l’arrivée de nouveaux maîtres
de musique. Nombreux chantres et enfants de chœur allaient
mener une brillante carrière, souvent à la Chapelle royale ou à la
Chambre du Roi. Des noms comme Nicolas Formé, Antoine
Boesset, Étienne Moulinié, Guillaume Bouzignac et plus tard Pierre
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Louis XIII musicien et les musiciens de Louis XIII
Robert, Henri Desmarest, Michel-Richard de La Lande ou André
Campra donnent à eux seuls la mesure des talents formés dans les
maîtrises de France.
Ce programme évoque quelques uns des plus brillants maîtres
de musique, chantres, organistes du royaume durant le règne de
Louis XIII, à travers des œuvres qu’ils écrivirent pour le service
liturgique ou qui furent le fruit de cette éducation privilégiée.
La maîtrise
L’enseignement des enfants
Lever 6 heures, coucher 21 heures 30, 2 heures pour ceux qui
servent à matines…
Dans une maison proche ou attenante au sanctuaire, la vie de la
maîtrise s’organisait en communauté, rythmée par l’étude et les
nombreuses « heures » liturgiques qu’elle devait servir. Selon
l’importance du chapitre de la cathédrale (qui supervisait également
la bonne gestion économique et morale de la maîtrise), six à douze
enfants âgés de 6 à 14 ans en moyenne apprenaient les
« humanités » (latin, grammaire, un peu de mathématique…),
généralement le matin et le soir ; c’était le seul enseignement
général dispensé, suffisant au yeux du clergé. Le plus grand soin
était apporté aux leçons de musique, qui représentaient l’essentiel
de l’enseignement. À côté de cours théoriques et pratiques où la
voix occupait la toute première place, les jeunes maîtrisiens étaient
souvent autorisés, selon leurs aptitudes, à apprendre un instrument
de musique, généralement l’orgue, la viole, ou autres instruments
pratiqués à la cathédrale, comme le cornet ou le serpent. L’équipe
enseignante était généralement constituée des deux maîtres de latin
et de musique, qui veillaient quotidiennement à la sévère discipline
régie par une stricte hiérarchie. L’aîné des maîtrisiens, le « spé »,
était d’autant plus responsabilisé qu’il se voyait chargé de la
surveillance de ses cadets, à la maison comme à l’église ; selon
l’importance de la maîtrise, il était secondé par le « deuxième » ou
le « troisième grand », qui prenaient chacun en charge trois ou
quatre enfants. À Notre-Dame par exemple, l’ordre selon lequel les
maîtrisiens se rendaient à l’office reflétait cette hiérarchie, au bas de
laquelle se situaient les plus jeunes : d’abord les deux plus petits,
côte à côte, puis le « troisième petit » suivi des autres enfants, deux
par deux ; le « spé » fermait la marche. La rigueur des punitions qui
sanctionnaient tout manquement disciplinaire ne doit pas faire
oublier que l’enseignement dispensé au sein des maîtrises était un
privilège rare à cette époque, certes accordé sur des aptitudes et
Musiciens des cathédrales
talents particuliers, mais réservé aux enfants de condition souvent
très modeste.
À l’église
Il est évident qu’une telle éducation devait servir la cathédrale
qui obtenait, pour son bon fonctionnement, divers bénéfices et
prébendes, agrémentés de libéralités et dons offerts par différentes
confréries, ou même par la famille royale pour les maîtrises les plus
importantes. Avec la cathédrale, les enfants devaient servir Dieu. À
côté des leçons de latin et de musique, la participation des
maîtrisiens à la vie liturgique était astreignante. Ils avaient
l’obligation d’assister à tous les nombreux offices qui rythmaient
chaque jour du calendrier liturgique : ordinaire, propre, mais aussi
mariages, enterrements et quelques cérémonies ou fêtes
particulières. Les enfants y chantaient messes, antiennes, hymnes,
motets et psaumes, qu’ils « dialoguaient » avec le grand orgue en
plain-chant, en faux-bourdon et ou en polyphonie qu’ils
exécutaient après avoir répété pendant ou en dehors de leurs cours
de musique. À l’église, où la discipline était encore plus sévère, le
maître de musique, ‘de chapelle’ pour l’occasion, veillait à ce que les
enfants de chœur servissent et chantassent correctement autour du
lutrin sur lequel était posé le « livre de chœur ». Les enfants étaient
soutenus par les voix de chantres adultes, recrutés comme
eux pour leurs aptitudes musicales et la qualité de leur voix. Leur
nombre était proportionnel à celui des enfants – des rangs desquels
ils étaient souvent issus après la mue – ; Notre-Dame, maîtrise
conséquente, entretenait douze à seize chantres. Ces clercs
opposaient cependant à la docilité des enfants une indiscipline
constante. Les remontrances, soigneusement consignées dans les
registres des chapitres, étaient continuelles et émanaient des
chanoines, du maître de musique, des enfants même. Elles
touchaient principalement leur attitude à l’église, leur négligence au
service du chœur, leurs bavardages incessants ou le manque de
concentration qui leur faisait précipiter la psalmodie, leurs
déambulations dans l’église ou encore leur insolence à l’approche
des fêtes. « [Il] faut qu’un Maistre soit en credit des Chantres, sinon
les compagnons sont brusques à manier comme le cheval
d’Alexandre » ; le maître de musique devait donc non seulement
veiller sur les enfants, mais aussi à la bonne tenue de ces jeunes
adultes indisciplinés, qu’on imagine également assez susceptibles.
Pour cela, il devait par exemple « ne faire jamais chanter une pièce
que les Chantres ne soient bien disposez », « user de parolles de
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Louis XIII musicien et les musiciens de Louis XIII
soye, s’il veut que les Chantres fassent merveille dans l’occasion » ;
bref, « sonder toutes sortes de moyens avant que de desobliger un
Chantre ». Au moment où il consigna ses nombreuses
‘recommandations’ dans son Entretien des musiciens (1643),
Annibal Gantez était maître de musique à la cathédrale d’Auxerre ;
musicien itinérant, il eut sans doute du mal à tenir les chantres des
nombreuses cathédrales où il servit entre 1628 et 1666 (Grenoble,
Rouen, Aix-en-Provence, Arles, Nevers, Carcassonne, Paris,
Auxerre…). Ses propos sont souvent un peu excessifs, d’autant que
son état de musicien voyageur ne lui apportait probablement pas
auprès des chanteurs ce « crédit » qu’il pouvait envier à un maître
de musique fixe, tel Henri Frémart (ca 1590-1651) qui, à la tête de
la maîtrise de Notre-Dame de Paris ressemblait « à un Empereur ».
Le maître de musique et de Chapelle
Le maître de musique avait donc charge de tout ce petit monde ;
un vrai « petit royaume », sur lequel il régnait. Tour à tour
professeur de musique, éducateur et garant des bonnes mœurs,
maître de chœur, il était également compositeur. À l’église, après les
impératifs définis par la liturgie et le chapitre, le maître était en effet
libre d’organiser la musique des offices comme il l’entendait : plainchant, faux-bourdon, polyphonies chantées par la maîtrise entière,
les chantres seuls, les enfants… La musique était celle des grands
maîtres, « auteurs approuvés », mais aussi la sienne propre.
Henri Frémart : Missa ad placitum1
Henri Frémart fut nommé le 10 novembre 1625 à la tête de la
maîtrise de Notre-Dame de Paris, après une période d’incertitude
pendant laquelle aucun maître de musique ne semblait contenter le
chapitre depuis la démission, en 1622, de Jacques Du Moustier.
Frémart laissait la maîtrise de la cathédrale de Rouen, qu’il servait
depuis 1611.
De la production musicale du maître de musique ne sont
conservées que huit messes à 4, 5 ou 6 voix, publiées en livre de
chœur entre 1642 et 1645. Certaines d’entre elles figuraient
probablement déjà dans les deux volumes manuscrits « de messes
et d’autres œuvres parmi ses compositions » qu’il offrit au chapitre
le 4 février 1628. Sa riche activité à Rouen et à Notre-Dame inspira
probablement au compositeur de nombreuses autres
œuvres – messes ou motets – aujourd’hui perdues. On sait pourtant
que le 3 septembre 1638 il lui fut commandé « de mettre en
musique les psaumes Domine in virtute tua lætabimur Rex et
Musiciens des cathédrales
Exaudiat te Dominus », destinés à être chantés à l’occasion de la
naissance du dauphin Louis, futur Louis XIV, « à la procession
solennelle après l’accouchement de notre souveraine, la Reine, en
chœur à la grand-messe ». Peut-être devait-il composer ces pièces
dans le nouveau style à deux « chœurs alternés » développé à la
Chapelle royale par Nicolas Formé, et pour l’exécution desquelles
Jean Veillot, ancien enfant de chœur de Notre-Dame, fut chargé
le 1er septembre d’assister Henri Frémart. Le maître de musique
démissionna le 17 août 1640 pour raisons de santé et c’est
précisément Jean Veillot (qui devait être nommé sous-maître de la
Chapelle royale dès 1643) qui fut élu à la tête de la maîtrise, le 8
octobre 1640. Délivré de ses obligations professionnelles, Henri
Frémart put dès lors se consacrer à l’édition de ses œuvres, dont il
offrit la primeur au chapitre de Notre-Dame en 1642.
Comme un exorde à cet héritage musical, la Missa ad placitum
publiée justement par Robert Ballard en 1642 se distingue d’abord
par son titre. Les sept autres messes s’inscrivent dans la tradition de
la « messe-parodie » (appelée par Frémart « ad imitationem
moduli… ») dont les titres donnent l’incipit du chant ou « sujet »
exposé de manière récurrente dans l’ensemble de la composition
(ce sujet était généralement issu du plain-chant depuis la mise à
l’index, par le Concile de Trente, des références profanes). La Missa
ad placitum, « comme il plaît », se détache a priori de toute
référence mélodique préexistante et laisse le compositeur conduire
son contrepoint comme il le souhaite ; c’est d’ailleurs probablement
cette messe écrite « pour le plaisir » que Frémart offrit au chapitre
en 1642, l’année même de sa publication. Claudin de Sermisy
(1534), Pierre Cadéac (1558) et Claude Le Jeune (1607, édition
posthume) avaient déjà illustré en France ce type de messe. Le
maître de Notre-Dame s’empara donc à son tour d’un sujet original,
ré-exposé furtivement plusieurs fois et diversement modifié,
notamment dans le Gloria (Qui sedes ad dexteram patris, Jesu
Christe) et le Credo (Crucifixus etiam pro nobis sub Pontio Pilato,
Et in Spiritum sanctum Dominum). Tandis que toutes les parties de
la messe font appel à la totalité des voix, l’effectif se réduit
cependant à trois (« Tria ») – Cantus, Altus, Tenor – au milieu du
Credo, à l’évocation particulièrement dramatique de la crucifixion
du Christ entre les deux voleurs (Crucifixus sub Pontio Pilato),
suivie de sa résurrection, le troisième jour (tertia die) ; ce dernier
procédé, symbolique, est d’autant plus remarquable qu’il est
systématique dans les huit messes de Frémart, qu’elles soient à 4, 5
ou 6 voix.
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Louis XIII musicien et les musiciens de Louis XIII
Étienne Bergerat, maître de musique de la maîtrise de Troyes,
faisant exécuter un motet devant Louis XIII
Les enfants de chœur
Le riche emploi du temps des jeunes maîtrisiens ne laissait que
peu de place au repos ou à la récréation. On permettait aux
meilleurs élèves, très tôt repérés, de parfaire leur éducation musicale
par l’apprentissage d’un instrument de musique. Les plus brillants
recevaient également des leçons de composition. Avant leur départ
de la maîtrise (vers 16 ou 17 ans) les « spés », encouragés par le
chapitre, pouvaient ainsi présenter et faire chanter à l’office un
motet ou une messe de leur composition, fruit des leçons
dispensées par le maître de musique.
Tous deux élevés à la maîtrise de la cathédrale Saint-Just et
Saint-Pasteur de Narbonne, Guillaume Bouzignac et Étienne
Moulinié comptent parmi les plus brillants enfants de chœur du
règne de Louis XIII. Au moment délicat où ils quittèrent la rude
assurance que leur procurait l’école maîtrisienne, les deux jeunes
musiciens se dirigèrent cependant dans des directions opposées.
Guillaume Bouzignac : Assumpta est Maria
En 1604, la maîtrise de Saint-Just se séparait de son plus brillant
enfant de chœur. Né vers 1587 à Saint-Nazaire d’Aude, Guillaume
Bouzignac quittait, à l’âge de 17 ans, la maîtrise qui l’avait formé.
Pour son départ, il fit chanter un motet de sa composition, Ero mors
ero mors tua, et partit à la recherche de son premier poste. Il le
trouva à la cathédrale Saint-Pierre d’Angoulême, mais dut espérer
Musiciens des cathédrales
un emploi plus important que cette simple place de sous-maître,
qu’il quitta en janvier 1608. En février 1609, sa nomination comme
maître de musique de la cathédrale Saint-André de Grenoble
marquait le début d’une carrière vagabonde qui devait le mener à
la tête des plus prestigieuses maîtrises du royaume : Bourges,
Rodez, probablement Carcassonne et peut-être Tours, en passant
par la musique des États du Languedoc. À l’aube du règne de
Louis XIV, il se fixa enfin à Clermont-Ferrand : le chapitre de la
cathédrale Notre-Dame venait de le nommer, en octobre 1643,
maître de musique de sa maîtrise.
Difficile et toujours incertaine, cette carrière itinérante fut
surtout une des forces de Guillaume Bouzignac. Nourrie des
nombreuses influences assimilées au gré de ses pérégrinations, sa
musique révèle un génie capable de concilier ou d’opposer le
contrepoint le plus strict aux ressources dramatiques qu’offraient
alors les genres les plus nouveaux comme l’air de cour, ou encore le
Stile rappresentativo du madrigal italien et du Villancico espagnol.
Des neuf pièces de musique religieuse attribuées avec certitude
à Bouzignac, l’antienne Assumpta est Maria est la plus brillante.
Destinée aux Vêpres de l’Assomption, elle est un superbe exemple
de cette musique sacrée à deux chœurs inspirée des grands maîtres
vénitiens (Gabrieli) et principalement défendue en France par le
sous-maître de la Chapelle d’Henri IV, Eustache du Caurroy, puis
par son successeur Nicolas Formé à partir des années 1630 (voir le
programme du concert « Le Vœu de Louis XIII »). Aux lignes
contrapuntiques des récits du Primus chorus répondent les
interventions plus massives et verticales du Secundus chorus. Ce
dialogue des deux chœurs, qui se réunissent à plusieurs reprises,
préfigure les caractéristiques du grand motet, genre majeur de la
littérature musicale religieuse du règne de Louis XIV.
Étienne Moulinié : trois antiennes à la Vierge – motet à la Vierge
Fulcite me floribus
Tout autre fut la carrière d’Étienne Moulinié (1599-1676).
Lorsqu’il fut lui-même amené à quitter la maîtrise de Saint-Just de
Narbonne, à l’âge de 17 ans comme c’était l’usage, le chapitre
retint le brillant ancien enfant de chœur en lui proposant un office
de chantre. Son frère Antoine, de quatre ans son aîné et chantre de
la même maîtrise, fut au même moment remarqué par le Maître de
la Chapelle de Louis XIII, Christophe de L’Estang, qui lui obtint une
des places de chantre de la Chapelle royale. Doté d’une voix de
basse exceptionnelle, Antoine ne tarda pas à intégrer la prestigieuse
Musique de la Chambre du Roi. On comprendra qu’Étienne
chercha alors à suivre son frère. Celui-ci l’appela près de lui à Paris
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Louis XIII musicien et les musiciens de Louis XIII
en 1621 ou 1624, l’incitant à mettre son génie au service du genre
à la mode, l’air de cour ; il se ferait ainsi plus aisément connaître du
grand monde.
Le succès ne tarda pas. Le Roi, lui-même chanteur et
compositeur d’airs de cour à ses heures, parut sensible au premier
livre d’Airs de cour à 4 & 5 parties qu’Étienne Moulinié lui dédia en
1625. L’année précédente, le compositeur s’était magistralement
essayé au genre en publiant un premier recueil, pour voix et
tablature de luth. Il avait maintenant touché au plus haut, montrant
qu’il pouvait écrire des airs polyphoniques, selon l’usage de la
Chambre du Roi. Le musicien fut nommé en 1627 Intendant des
Musiques du frère du Roi, Gaston d’Orléans, charge prestigieuse
qu’il devait conserver jusqu’en 1660, année de la mort de ce prince
mécène et protecteur des meilleurs artistes du royaume. À côté des
nombreux divertissements du prince, Moulinié devait également
pourvoir à la musique de sa chapelle. Sa charge lui donna donc
l’opportunité de se rappeler sa prime éducation musicale, qu’il reçut
à la maîtrise de Narbonne. C’est justement au chapitre de cette
cathédrale qu’il dédia en 1636 sa première œuvre de musique
sacrée publiée, une émouvante Missa pro defunctis à 5 voix ;
quelques hypothèses peuvent être avancées quant à cette
publication tardive (voir le commentaire de Jean Duron du
programme des « Meslanges de sujets chrestiens », notamment
p. 240-241). Ce n’est qu’en 1658 que parurent ses importants
Meslanges de sujets chrestiens, dédiés à Marguerite de LorraineVaudémont – que Gaston d’Orléans avait épousée en secondes
noces en 1632. Ce volume, unique recueil de musique sacrée de
Moulinié, étaient pourtant déjà prêt en 1650 et l’important
Avertissement imprimé en tête du recueil montre que Moulinié en
avait consciencieusement mûri la genèse. L’ensemble est constitué
de trente-six pièces (dont trente-trois sur textes latins) à 3, 4 ou 5
voix et basse continue, parmi lesquelles deux compositions
conséquentes dédiées à la duchesse d’Orléans : des Litanies de la
Vierge mises à 5 parties et un Motet de Ste Marguerite pour la feste
de Madame. On peut raisonnablement penser que la plupart des
autres pièces proviennent également du répertoire que Moulinié
composa pour les dévotions de la famille princière, comme les
quatre pièces proposées ce soir. Dans sa Missa pro defunctis il avait
logiquement sacrifié au contrepoint sévère qu’il avait pratiqué et
appris à Narbonne. Ses Meslanges illustraient, comme il l’écrivait
lui-même dans son Avertissement, la nouvelle manière. Tantôt
influencée par la polyphonie délicate de l’air de cour, qu’on retrouve
notamment dans ses antiennes à la Vierge Dum esset Rex, Nigra
sum sed formosa et Beata Dei genitrix, cette « façon particulière de
Musiciens des cathédrales
composer » pouvait également s’accommoder au goût grandissant
pour la musique à deux chœurs pratiquée à la Chapelle royale ;
davantage encore que dans l’Assumpta est Maria de Guillaume
Bouzignac, l’alternance des « récits » et des effets massifs et
verticaux du motet à la Vierge Fulcite me floribus de Moulinié en
est un bel exemple.
Les chantres
Nicolas Formé : Magnificat
On a évoqué l’indocilité constante des chantres ; celle-ci n’était
cependant pas un obstacle à leur avancement. Il en est un qui fit
une brillante carrière, malgré ses écarts de conduite et les « faultes »
qu’il était « coutumier de faire au service divin » depuis qu’il avait
été « receu en l’Église ». Nicolas Formé (1567-1638) avait été
nommé chantre de la Sainte-Chapelle en 1587. En 1595, sa belle
voix de haute-contre lui ouvrit les portes de la Chapelle royale, dont
il devint sous-maître, charge hautement convoitée qu’il obtint en
succession d’Eustache Du Caurroy en 1609. Jusqu’à sa mort,
survenue le 28 mai 1638, il y œuvra à développer la musique à
deux chœurs, qui devait faire la particularité d’un genre nouveau
magnifié au règne suivant par Pierre Robert, Henri Du Mont, JeanBaptiste Lully puis Michel Richard de La Lande : le grand motet.
Dans son Magnificat ou Cantique de la Vierge selon les huit
Tons ou Modes usités en Léglise qu’il dédie au Roi probablement à
la fin de 1637, Formé n’a mis en musique que les versets pairs, « le
plus simplement et naifvement qu’il [lui] a été possible ». Comme
le voulait la tradition liturgique, la maîtrise qui chantait ces versets
répondait à l’organiste qui travaillait en contrepoint le cantus firmus
des versets impairs. Les chantres de ce soir « dialogueront » avec un
Magnificat de l’organiste de Notre-Dame de Rouen, Jehan
Titelouze.
L’organiste
Jehan Titelouze : Magnificat du 6e ton, hymne Ave maris Stella
Recruté pour sa maîtrise de l’instrument, l’organiste devait être
capable de tisser un contrepoint savant sur les innombrables
mélodies de plain-chant qu’il était censé parfaitement connaître.
À la tribune de la cathédrale de Rouen, qu’il tint de 1588 à sa
mort en 1633, Jehan Titelouze avait eu longtemps l’occasion
d’expérimenter et de parfaire la qualité de ses versets alternés
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Louis XIII musicien et les musiciens de Louis XIII
composés sur les introït, antiennes, psaumes, hymnes ou
Magnificat, destinés à être « dialogués » en plain-chant, fauxbourdon ou polyphonie par la maîtrise. Jehan Titelouze devait
lui-même versifier sur sa fonction pendant les offices :
Qu’entends-je ? ô Dieu, quel motet angelique
M’emporte l’âme en ses charmes nombreux ?
Quoy ! ce bel orgue au ton du chœur réplique
Comme un écho, et semble qu’un Cantique
Se donne en prix à qui chantera mieux.
Meilleur compositeur que poète, il confia en 1623 un premier
volume à l’éditeur parisien Pierre Ballard : ses Hymnes de l’Église
pour toucher sur l’Orgue, avec les fugues et recherches sur leur
plain-chant reprenaient le fil des publications pour orgue,
interrompu depuis les tablatures éditées en 1531 par Pierre
Attaingnant. Elles marquaient aussi le début de la diffusion d’un
répertoire spécifiquement destiné à l’instrument d’église. Mais par
delà l’usage liturgique qui seul ne justifiait pas selon lui la diffusion
d’un tel corpus, Titelouze, homme par ailleurs peu aimable et
renfrogné, nourrissait l’espoir à peine dissimulé de voir ces pièces
érigées au rang d’exemple, pour « ceux qui desirent de toucher
l’Orgue ». Ayant su que ses Hymnes avaient « esté trouvez trop
difficile pour ceux qui ont besoin d’estre enseignez », l’organiste dut
simplifier son contrepoint à l’occasion de la parution, en 1626, du
Magnificat, ou Cantique de la Vierge pour toucher sur l’orgue,
suivant les huit tons de l’Eglise. Il se voyait surtout contraint de
respecter les directives dictées par le Concile de Trente qui
commandaient aux organistes de sacrifier leur virtuosité pour se
montrer plus proches du texte qu’ils devaient rehausser. Après cette
virtuosité sensible dans ses Hymnes (on pense particulièrement à la
majestueuse strette conclusive de l’Ave maris stella), Titelouze dut
s’en tenir – du moins en apparence – au contrepoint sévère issu de
la tradition franco-flamande ; il s’efforça d’« [obliger] la plus grande
partie des Fugues a la prononciation des paroles, estant raisonnable
que l’Orgue qui sonne un vers [verset] alternatif l’exprime autant
que faire se peut ». Les deux recueils de 1623 et 1626 illustrent
pourtant sa maîtrise des théories musicales résolument modernes
des humanistes italiens et français, connaissances qu’il avait pu
parfaire lors d’échanges avec le théoricien Marin Mersenne sur les
phénomènes fondamentaux de la musique. Il croyait aux « effets »
de la musique ; aussi ne doit-on pas s’étonner de le voir justifier les
« dissonances », fausses relations ou autres audaces harmoniques
peu académiques dans le contrepoint sévère, mais dont il
agrémentait ses versets :
Musiciens des cathédrales
« Comme le peintre use d’ombrage en son tableau pour mieux
faire paroistre les rayons du jour et de la clairté, aussi nous
meslons des dissonances parmy les consonnances, comme
secondes, septiesmes, et leurs répliques, pour faire mieux
remarquer une douceur… »
La Normandie était alors avec Paris le haut lieu de la facture
d’orgues en France. L’intérêt que Titelouze portait aux nouvelles
qualités expressives de l’orgue l’amena à expertiser de nombreux
instruments, à Rouen ou Amiens où il fut invité en 1623 avec le
maître de musique de la cathédrale normande, Henri Frémart. C’est
lui également qui fit doter l’orgue de la cathédrale de Rouen de
nouveaux jeux et donc de nouvelles possibilités expressives.
Paradoxalement, aucune indication de registration ne figure dans
les deux recueils de Titelouze ; celles-ci ne devaient apparaître qu’à
l’époque de Mazarin. On peut toutefois imaginer les nombreuses
nuances que Titelouze, toujours soucieux d’expressivité, devait
chercher à obtenir par des registrations colorées.
Charles Racquet : Fantaisie
Formé au sein d’une famille d’organistes actifs principalement à
Saint-Germain-L’Auxerrois, Charles Racquet (1598-1664) reçut
sans doute également l’enseignement de Pierre Chabanceau de
La Barre, « Epinette et organiste du Roy et de la Reyne » et titulaire
de la tribune de Notre-Dame de Paris à laquelle il lui succéda en
1618. Sa renommée déjà grande le fit également « organiste
ordinaire de la Musique de la Reine mère » Marie de Médicis.
Atteint de paralysie, il se fit remplacer à Notre-Dame par son fils
Jean, en 1659. Nous devons à Marin Mersenne et à sa précieuse
Harmonie universelle (1636) les seuls fragments encore conservés
de la musique d’orgue de Charles Racquet, soit douze versets de
psaume en duo (selon les douze modes du dodécacorde) et une
Fantaisie, premier exemple du genre destiné explicitement à
l’instrument encore traditionnellement liturgique. Copiée par
Mersenne et insérée dans son exemplaire personnel de son
Harmonie universelle, cette Fantaisie « pour l’exemple de ce qui se
peut faire sur l’Orgue » peut être considérée comme la
quintessence de la musique d’orgue à l’apogée du règne de
Louis XIII. Construite sur cantus firmus comme de nombreuses
fantaisies du début du siècle (notamment celles d’Eustache Du
Caurroy), la pièce de Racquet utilise l’antienne mariale Regina Cæli.
Le thème grégorien, qui serpente dans les quatre voix du
contrepoint, est travaillé dans le 8e ton, d’abord sous forme de
fugue puis d’une longue « recherche » amplement développée et
« diminuée » en croches qui enrichissent peu à peu le contrepoint ;
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Louis XIII musicien et les musiciens de Louis XIII
le cantus firmus revient enfin en valeurs longues, sur lesquelles
Racquet laisse parler la plus grande virtuosité dans de dynamiques
guirlandes qui culminent brillamment en « point d’orgue ».
Eustache Du Caurroy : Fantasies sur « Je suis déshéritée » et « Ave
maris stella »
Bien que spécifiquement destinée à l’orgue et construite sur
cantus firmus comme les versets alternés de Jehan Titelouze, la
pièce de Racquet s’apparente plus aux fantaisies à plusieurs parties
purement instrumentales de la fin de la Renaissance, et plus
particulièrement à celles du sous-maître de la Chapelle d’Henri IV,
Eustache Du Caurroy (1549-1609). À l’époque où les instruments
cherchaient une véritable identité musicale, autre que la danse ou
encore la copie ornée ou « diminuée » d’un contrepoint vocal
préexistant, celui-ci avait réussi, dans ses quarante-deux Fantasies
à 3, 4, 5 et 6 parties publiées un an après sa mort, une remarquable
synthèse. Pris indifféremment comme sujets de ces savantes
« recherches », thèmes grégoriens (comme l’hymne Ave maris
stella), mélodies de psaumes protestants ou de chansons françaises
(Je suis déshéritée de Pierre Cadéac) servaient de base à un même
idéal instrumental où l’importance métrique, prosodique et
sémantique du texte littéraire originel laissait la place à un
développement contrapuntique pur.
Présence des instruments à l’église
Pierre-Francisque Caroubel : Passameze pour les Cornetz
anonyme : Pavane pour le mariage du Roy Louis XIII
Les maîtrises entretenaient pour la plupart, outre l’organiste,
quelques instrumentistes capables de tenir le cornet, la viole ou le
serpent, instruments dont ils enseignaient également les rudiments
aux enfants. Le serpent (ou basse de cornet) était seul habilité à
soutenir les voix du plain-chant ; les autres rehaussaient les
polyphonies. De nombreux témoignages écrits ou iconographiques
confirment cependant que des musiciens extérieurs pouvaient être
demandés, sur gages, lors de fêtes ou solennités particulières,
comme celle évoquée sur la gravure reproduite en frontispice de ce
concert : deux chœurs de chantres et d’enfants (l’un au premier
plan, l’autre au troisième, à droite) réunis autour du lutrin sur lequel
était posé le livre de chœur, entourés de nombreux cornets et
sacqueboutes. Ces cérémonies étaient nombreuses, en voici
quelques exemples : jour de dévotion nationale depuis que
Louis XIII avait consacré le royaume à la Vierge en 1638, la fête de
Musiciens des cathédrales
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l’Assomption appelait un faste particulier, notamment à NotreDame ; visites royales, victoires, funérailles ou mariages princiers
étaient encore autant d’événements dignement célébrés. À
l’occasion de ces cérémonies, souvent liées à l’actualité de la Cour,
les violes, luths, cornets et sacqueboutes de la Musique du Roi se
joignaient aux musiciens de la maîtrise (les violons ne devaient
entrer à l’église qu’à la fin des années 1650). À côté des entrées ou
autres pièces purement instrumentales jouées au cours de ces
cérémonies, ces instruments coloraient les parties vocales des
polyphonies, soit par des doublures strictes, soit en les agrémentant
de ces diminutions dans l’art desquelles excellaient les musiciens du
Roi.
L’héritage : les organistes successeurs
Louis Couperin : Fantaisie, à Paris le 22 mai 1656
François Roberday : Fugues et caprices sur les mêmes sujets
Les pièces d’orgue de Louis Couperin (1626-1661) et François
Roberday (1624-1680) ouvrent sur la régence d’Anne d’Autriche.
Dans ses fantaisies, qu’il devait exécuter entre 1653 et 1661 à la
tribune de Saint-Gervais, Louis Couperin confirmait l’évolution de la
fantaisie instrumentale qui s’affranchissait peu à peu de sa sévère
construction sur cantus firmus ou mélodie connue. François
Roberday quant à lui magnifiait au même moment, à l’église des
Petits-Pères, l’art contrapuntique hérité de la Renaissance. Dans ses
Fugues et caprices publiés en 1660, ce « Valet de chambre de la
reine » se disait cependant bien plus proche du style flamboyant de
« l’illustre Frescobaldy » ou de son disciple Johann Jakob Froberger,
à qui il empruntait des « sujets » profanes, que du contrepoint
austère de Du Caurroy et Titelouze. Ce recueil n’en constitue pas
moins un des ultimes témoignages d’une polyphonie savante qui
déjà cédait devant la mise en avant des nouvelles et infinies
possibilités expressives de l’orgue. Dès 1665, Guillaume Gabriel
Nivers allait en effet s’engager dans la voie tracée par Louis
Couperin ; il pouvait enfin exploiter les riches nuances offertes par
les nombreuses registrations de l’instrument, qui allaient aider la
musique d’orgue à se détacher des modèles exclusivement
contrapuntiques jusqu’alors pratiqués.
THOMAS LECONTE
1 : Les récentes recherches menées sur Henri Frémart par la musicologue allemande
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Louis XIII musicien et les musiciens de Louis XIII
Inge Forst l’ont conduite à réaliser l’édition complète des œuvres du compositeur,
aux Éditions du Centre de Musique Baroque de Versailles (coll. « Anthologies »,I.5).
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