Le genre Pseudo-nitzschia et son cophysiologie - envlit

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Eléments d’écophysiologie du genre Pseudo-nitzschia
Patrick Gentien, CREMA- Ifremer ([email protected])
Les événements algaux toxiques sont répertoriés tous les ans sous la forme de cartes
décennales pour l’ensemble des pays du Conseil International pour l’Exploration de la Mer.
Les cartes correspondant aux événements à ASP sont présentées en annexe. Il faut noter que
sur la côte ouest des Etats-Unis, toutes les observations ne sont pas répertoriées car cette côte
dépend d’une autre organisation (PICES). Pseudo-nitzschia et a fortiori les contaminations
ASP des coquillages ne sont pas un problème uniquement français ou européen. Les cartes
présentent la période 1993-2002 et ne prennent pas en compte les événements de la Baie de
Seine et de la Rade de Brest.
Sans être exhaustif, il est utile de décrire rapidement quelques cas documentés de
présence et de nuisances occasionnées par le genre Pseudo-nitzschia.
Les Observations
En Novembre 1987, à la suite d’intoxications dues à la consommation de moules de l’
Ile du Prince Edouard, le genre Pseudo-nitzschia a été rajouté à la liste des espèces
phytoplanctoniques toxiques. Des contaminations par l’acide domoique responsable de
l’Amnesic Shellfish Poisoning (ASP) sont enregistrées depuis cette date sur la côte est du
Canada et dans d’autres pays.
Sur l’ Ile du Prince Edouard (rive sud du Golfe du Saint Laurent, Canada), les
épisodes toxiques se produisent préférentiellement en automne et début d’hiver quand la
température et la luminosité diminuent rapidement. Il semble que les épisodes toxiques
diminuent depuis 1987 sans qu’aucune cause puisse être clairement établie. Différentes
hypothèses sont avancées : décroissance des apports de nutriments, accroissement de la
prédation par des cultures de moules, effet des cycles de reproduction sexuée, changement
dans les populations de bactéries qui affectent la croissance de ces diatomées, virulence
accrue des parasites spécifiques. Des champignons (oomycètes et/ou chytrids) infectent les
cellules de P. multiseries et de P. pungens (Bates, comm. pers.) et pourraient être une des
causes de terminaison de l’événement toxique.
Les efflorescences sont très variables d’année en année, mais que les séries
temporelles sont encore trop courtes pour que l’on puisse inférer des scénarios. Différentes
espèces de Pseudo-nitzschia se succèdent selon un schéma récurrent. Pseudo-nitzschia
pungens non toxique présente en été, est remplacée progressivement par Pseudo-nitzschia
multiseries (toxique).
Dans la Baie de Fundy (Canada), une autre espèce toxique (P. pseudodelicatissima)
prolifère de Juin à Septembre. Sa toxicité est avérée mais sa toxine n’est pas la première cause
de l’interdiction de la pêche aux coquillages ; en effet, une toxine paralytique encore plus
violente est produite à la même période par un dinoflagellé, Alexandrium (Martin, comm.
pers.). P. pseudodelicatissima prolifère à des températures proches du maximum thermique
bien que ces températures ne correspondent pas au maximum thermique défini en cultures de
laboratoire.
Jusqu’en1991, le Canada était le seul pays touché par l’acide domoïque. Cette annéelà, des mortalités importantes de pélicans bruns et de cormorans ont attiré l’attention sur des
efflorescences de Pseudo-nitzschia (P. multiseries, P. australis, P. pseudodelicatissima) sur la
côte ouest des Etats Unis. Les fermetures de la pêche au crabe (Cancer magister) et
coquillages (Siliqua patula) ont induit des pertes estimées à 15-20 million US$ pour les seules
fermetures de l’état de Washington. L’acide domoïque se propage dans la chaîne alimentaire
par le zooplancton qui broute les algues et qui est mangé par des poissons pélagiques comme
les anchois. Les efflorescences se produisent régulièrement depuis cette date. A titre
d’exemple, en 1998, une efflorescence a duré une quinzaine de jours en Septembre avec pour
conséquence des concentrations dépassant les normes pendant au moins deux mois. Dans
cette région, les efflorescences sont étroitement liées à la circulation des eaux côtières induite
par la topographie et aux mouvements verticaux. Une étude récente (Mengelt et Prezelin,
2005) a mis en évidence la capacité de survie de P. multiseries à survivre au noir pendant des
périodes pouvant aller jusqu’à plusieurs semaines (jusqu’à 7 semaines). La division cellulaire
se poursuit à l’obscurité grâce à l’utilisation de substrats organiques. Cette particularité de
l’espèce la différencie de la majorité des autres diatomées dont la croissance requiert de
l’énergie lumineuse. L’inoculation en surface de population à fortes densités ayant séjourné
dans des eaux profondes permet d’expliquer le développement très rapide d’efflorescences.
L’équipe américaine de V.L. Trainer a montré aussi que P. pseudodelicatissima se développe
dans un tourbillon (tourbillon de Juan de Fuca) qui agit comme un bio réacteur. Sur cette côte,
encore plus qu’ailleurs, les événements toxiques sont pour leur plus grande part déterminés
par la circulation des masses d’eaux. A la fin de l’efflorescence, des champignons (oomycètes
et/ou chytrids) infectent les cellules (Horner et al., 1996) et pourraient être une cause majeure
de mortalité des cellules.
Une étude des carapaces siliceuses (frustules) de Pseudo-nitzschia dans des sédiments
proches de l’embouchure du Mississipi (Parsons et Dortch, 2002) a démontré une
augmentation d’abondance de ce genre au cours de 50 dernières années. Parallèlement, les
apports de la rivière en azote et phosphore ont augmenté. Les auteurs concluent que dans cette
zone, les efflorescences de ce genre peuvent se produire en dépit d’une limitation relative des
apports en silice. A ce jour, aucune toxicité n’a été rapportée le long de la côte sud des EtatsUnis.
En Ecosse, les pêcheries de Coquilles Saint Jacques sont touchées par des
contaminations ASP depuis 1999 ; cette année là, la pêche a été interdite pendant une période
continue de 18 mois. Les zones de pêche sont situées au large de la côte ouest et les niveaux
d’ASP atteignent fréquemment 250 (à comparer avec les 20 de la norme) (Bresnan, comm.
pers.). Les espèces présentes dans les efflorescences sont P. australis, P. seriata, P.
multiseries, P. fraudulenta et P. pseudodelicatissima. La surveillance a commencé en Irlande
en 2000, la toxicité est présente à des niveaux variables tout au long de l’année (Silke, comm.
pers.). Dans ces deux pays, la noix et le corail sont extraits avant mise sur le marché. Cette
procédure est aussi mise en œuvre en Espagne.
Ce genre est cosmopolite et a été rapporté dans de nombreuses régions dont la côte
mexicaine du Pacifique, la Nouvelle Zélande, l’Australie, Hong Kong, et bien sûr, la France.
Toutes ces efflorescences n’étant pas nécessairement associées à de l’acide domoïque.
Les facteurs influençant les efflorescences de Pseudo-nitzschia
Le phytoplancton est composé d’organismes unicellulaires qui, pour leur grande
majorité, utilisent la lumière et les sels minéraux de l’eau pour leur croissance, dans des
conditions de température et de salinité adéquates. Les conditions optimales de croissance
cellulaire sont détaillées ci-après, pour plusieurs espèces du genre Pseudo-nitzschia.
1- Température et lumière
Au Canada, P. multiseries est présente toute l’année avec une autre espèce P. pungens.
La première espèce a tendance à dominer la première uniquement en période de
refroidissement et de diminution de la lumière (automne).
Les conditions optimales de croissance cellulaire et de photosynthèse se situent dans la
gamme de température de 15 à 25 °C, largement au-dessus des conditions d’efflorescence (-1
à 13°C) de P. multiseries. D’autres facteurs que la température induisent les efflorescences.
Aucune adaptation physiologique chez P. multiseries et P. pungens n’a pu être mise en
évidence, qui expliquerait cette succession.
2- Sels nutritifs
Les conditions nutritives conduisant à une production d’acide domoïque correspondent
à une limitation par le silicium, le phosphate et/ou des apports d’azote. Par exemple, les
efflorescences de 1988 sur l’Ile du Prince Edouard étaient associés à des apports d’azote dus
aux pluies ou à des coups de vent qui ont remis en suspension des sédiments (Smith et al.,
1990) sans apports notables de silice.
Par contre, dans le golfe du Mexique, l’abondance est corrélée négativement avec les
concentrations de nitrate, ammonium et silicate (Dortch et al., 1997). De la même manière,
sur la côte californienne, les plus fortes concentrations de Pseudo-nitzschia australis et
d’acide domoïque sont mesurées dans des conditions d’upwelling avec de faibles
concentrations en nitrate (<3 µM).
Les zones côtières où ces efflorescences se développent sont riches en ammonium et
azote organique dissous. Il faut cependant noter qu’une concentration de 20 µM est toxique
pour l’algue. (Hillebrand et al. 1996)
3- Salinité
Toutes les espèces du genre se développent en milieu côtier ou estuarien. L’optimum
de croissance pour P. multiseries se trouve dans la gamme de salinité de 5 à 29. Il y a des
indications expérimentales que de nombreuses espèces du genre peuvent se développer dans
une gamme de salinités très large (0-36).
4- Autres facteurs
Nous avons vu plus haut que des espèces du genre Pseudo-nitzschia pouvaient
survivre pendant de longues périodes à l’obscurité et même se développer grâce à des sources
nutritives organiques. L’utilisation de ces matières organiques nutritives n’a que peu été
étudiée et pourrait être très important, mais probablement dépend de l’espèce.
Les cellules produites peuvent être dispersées, consommées et tuées. Une
efflorescence ne peut se développer que si la production excède les facteurs de perte. Ceux-ci
sont très mal connus et dépendent de l’espèce. Un autre élément à prendre en compte est
l’effet avéré de parasites spécifiques ou non sur la fin de l’efflorescence.
Conclusions
La diversité du genre, le nombre des espèces, les préférences spécifiques ne permettent
pas en l’état des connaissances de l’événement de la Baie de Seine de tirer des conclusions sur
les causes de cet événement toxique.
En résumé :
1- Les Pseudo-nitzschia toxiques sont cosmopolites avec des groupements d’espèces qui sont
préférentiellement présents dans une région, par rapport à une autre.
2- La même espèce de Pseudo-nitzschia peut être toxique dans une région et non toxique dans
une autre.
3- Le cycle de vie des espèces de Pseudo-nitzschia n‘est pas élucidé (zones d’inoculation,
populations hivernantes)
4- Les blooms de Pseudo-nitzschia multiseries se produisent généralement en saison froide
alors que P. pungens, P. pseudodelicatissima et P. australis se développent plutôt en période
chaude. Aucune adaptation physiologique à la lumière ou à la température n’a pu être mise en
évidence.
L’identification de l’espèce (ou des espèces) responsable de l’intoxication à l’acide domoïque
est un préalable à toute étude détaillée.
References :
Bates Steve, Martin Jennifer, Bresnan Eileen, Silke Joe . Communications personnelles
Dortch Q., Robichaux R., Pool S., Milsted D., Mire G., Rabalais N.N., Soniat T.M., Fryxell
G.A., Turner R.E., Parsons M.L. (1997). Abundance and vertical flux of Pseudo-nitzschia in
the Northern Gulf of Mexico. Mar.Ecol. Prog. Ser. 146:249-264
Hillebrand H., Simmer U. (1996) Nitrogenous nutrition of the potentially toxic diatom
Pseudonitzschia pungens f. multiseries Hasle. J. Plankton Res. 18:295-301
Horner R.A., Hanson L., Hatfield C.L., Newton J.A. (1996). Domoic acid in Hood Canal,
Washington, USA in Yasumoto T., Oshima Y., Fukuyo Y., (eds.) Harmful and Toxic Algal
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Mengelt C. and Prezelin B.B. (2005). Dark survival and subsequent light recovery for
Pseudo-nitzschia multiseries. Web paper (www.habtrac.ucsb.edu/research/links)
Parsons M.L. et Dortch Q. (2002). Sedimentological evidence of an increase in Pseudonitzschia (Bacillariophyceae) abundance in response to coastal eutrophication. Limnol.
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Smith J.C., Cormier R., Worms J., Bird C.J., Quilliam M.A., Pocklington R., Angus R., Hanic
L. (1990) . Toxic blooms of the domoic acid containing Nitzschia pungens in the Cardigna
river, Prince Edward Island, in ; Granéli E., Sundström B., Edler L., Anderson D.M. (eds.)
Toxic Marine Phytoplankton, Elsevier, New York, pp 227-232
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