comptes rendus/Reviews Psychopathologie africaine,, 1984-1985, 20, 3 : 336-338. Abdoulaye Bara DIOP — La famille wolof. Tradition et changement. Paris, Karthala, 1985, 262 p. (Hommes et sociétés). Abdoulaye Bara Diop est professeur à la Faculté des Lettres de Dakar et Directeur de l’IFAN Cheikh Anta Diop. Cet Institut a publié il y a quelques années son ouvrage magistral sur la migration toucouleur (Société Toucouleur et migration. Enquête sur l’immigration Toucouleur à Dakar. Dakar, IFAN, 1965, 232 p., 16 fig., 2 cartes h.t.). Ce chercheur discret et efficace a rédigé, sous la direction du professeur Balandier, une thèse de doctorat d’État portant sur la Société Wolof. De l’avis des spécialistes, il s’agit des meilleures informations disponibles actuellement sur les Wolof. Le deuxième tome de cette thèse a été publié en 1981 par les éditions Karthala sous le titre La société wolof. (Tradition et changement. Les systèmes d’inégalité et de domination). La présente publication reprend les données contenues dans le premier tome de la thèse de l’auteur et analyse les structures familiales, parentales et matrimoniales wolof. L’ouvrage commence par une présentation de la structure de la parenté wolof. La mode de filiation est unilinéaire double, mais les Wolof ont une nette conscience de la différence entre ces deux lignages qui n’ont pas les mêmes noms ni les mêmes attributs. L’étude de la notion wolof de l’hérédité biologique par exemple montre l’importance relative que les Wolof accordent à chaque lignage. L'auteur présente ensuite la terminologie de parenté et d’alliance qui appartient au type classificatoire caractérisé par sa pauvreté en termes élémentaires mais adapté à la parenté étendue. S’agissant des comportements de parenté et d’alliance, Diop montre les règles déterminées par le lignage auxquelles ils obéissent. L’auteur note une série de changements affectant les normes traditionnelles. L’Islam, les conflits d’intérêt et l’économie monétaire ont bouleversé les normes anciennes de comportement et d’alliance. Le chapitre relatif au mariage préférentiel montre que dans toutes les régions étudiées les cousines croisées, étaient les épouses préférées tandis que les cousines parallèles étaient prohibées traditionnellement, mais l’Islam a perturbé ce système d’échanges en autorisant le mariage des cousins parallèles, surtout patrilatéraux. En outre, la progression de l’individualisme impliquant un choix personnel du conjoint remet en cause les formes traditionnelles de pratique de l’alliance. L’adoption de la dot, instituée probablement depuis la monarchie (les informations les plus anciennes fournies par des documents écrits, datent du XVIIe siècle), a constitué un facteur d’assouplissement et de dislocation du système traditionnel. Cette modification sera aggravée par l’Islam qui, attribuant la dot à la femme, a tendance à faire du mariage un acte isolé, disloquant ainsi la solidarité du groupe. La partie de l’ouvrage relative aux cérémonies matrimoniales décrit les changements notés dans les fiançailles, le mariage religieux (institué par l'Islam) et les diverses cérémonies et prestations avant la consommation du mariage. Les prestations matrimoniales qui autrefois avaient une valeur symbolique se sont monétarisées et ont vu leur importance s’accroître. Le mariage est marqué par l’individualisme, la liberté des époux devient un fait important. L’auteur analyse ensuite le mode de résidence et l’organisation socio-économique de la famille. Traditionnellement, les familles englobaient plusieurs dizaines de personnes et pouvaient comporter jusqu’à une centaine de membres. À l’heure actuelle, en milieu rural, l’unité résidentielle des grandes concessions est souvent compromise par des clôtures 1 www.refer.sn/psychopathologieafricaine comptes rendus/Reviews secondaires séparant les ménages, ce qui est un indice de la remise en cause de la communauté. Sur le plan économique, la famille traditionnelle constituait une unité socio-économique marquée par deux principes : le communautarisme et la hiérarchie. Le pouvoir économique était entre les mains du chef de ménage. L’organisation économique se manifestait par un champ collectif sur lequel travaillaient tous les membres et la production était ensuite consommée collectivement. À l’heure actuelle, des changements sont notés dans cette organisation qui s'expliquent en partie par la différenciation des ménages ayant souvent abouti à leur autonomie résidentielle et économique. Abdoulaye Bara Diop analyse ensuite un aspect important de la société étudiée : la polygamie. La société wolof connaît un taux élevé de polygamie ce qui est à l’origine de nombreux conflits. La vie des ménages polygames n’est pas calme à cause de la jalousie ou du comportement préférentiel du mari. Si dans l’ensemble les femmes sont hostiles à la polygamie, les hommes trouvent dans ce type de mariage des avantages socio-économiques et sexuels. La polygamie élargit la parenté, augmente le nombre de bras et favorise l’émulation entre co-épouses qui, par le jeu de la rivalité, s’intéressent davantage au mari. En outre, nombreux sont les Wolof qui croient « qu’une seule femme ne peut pas satisfaire les besoins de l’homme, entendez sexuels ». La polygamie permet à l’homme, disent-ils, d’éviter les longues périodes d’abstinence en cas de grossesse, d’accouchement, ou de maladie de la femme. Le dernier chapitre de cet important ouvrage est consacré à l’analyse du divorce. L’auteur montre qu’autrefois le divorce était difficile car dans la société traditionnelle, le mariage avait plus pour objectif de réaliser l’alliance entre deux lignages que l’union entre deux individus. Parmi les motifs du divorce, on relève : la sorcellerie, le mauvais sort, les maladies graves, la stérilité, l’impuissance (Yoom)... Parmi les motifs d’ordre comportemental, l’adultère (laalo) est certainement le plus grave, mais il n’est cause de divorce que lorsque la femme en est l’auteur. Dans les sociétés rurales traditionnelles wolof le divorce était rare, mais l’Islam et la colonisation ont rendu le divorce plus facile en simplifiant les procédures et en supprimant les sanctions traditionnelles contre les épouses infidèles. En conclusion, Abdoulaye Bara Diop aborde la question des rapports entre la parenté et l’économie en insistant sur le rôle de la colonisation dans les modifications constatées dans la pratique de la parenté et de l’alliance. L’auteur met tout le poids de sa connaissance de la société étudiée dans la démonstration de l'idée selon laquelle les changements dans les conditions de vie provoquées par la colonisation constituent les véritables déterminants des changements révélés par l’analyse de la société wolof. L’ouvrage se termine par une présentation très précise de la situation actuelle des paysanneries sénégalaises dont les conditions d'existence se dégradent sans cesse à cause d'une stratégie de développement qui ne met pas les intérêts du monde rural au centre de ses préoccupations. Les universitaires sénégalais doivent se sentir fiers de cette production d’Abdoulaye Diop. Après la publication il y a quelques années de l’ouvrage de Boubacar Barry sur le Waalo, la faculté des Lettres de Dakar renoue avec des traditions de publications de haut niveau portant sur des questions complexes. Momar Coumba DIOP Faculté des Lettres. Université de Dakar 2 www.refer.sn/psychopathologieafricaine