Au docteur Annaert, Président du Conseil médical du

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Au docteur Annaert, Président du Conseil médical du CHIREC
À l’ensemble des médecins du CHIREC
Bruxelles, le 29 août 2016
Monsieur le Président,
Cher confrère,
Nous vous adressons réponse à votre courrier du 22 août.
1. Les constats
Nous partageons vos constats quant à l’accessibilité aux soins et aux nombreuses incohérences du
financement hospitalier, qui connaît un mode de calcul particulièrement opaque et qui laisse
effectivement liberté à des autorités de tutelle de subventionner les institutions qui en dépendent. Les
honoraires contribuent à maintenir l’équilibre des institutions mais dans de nombreux cas, force nous
est de constater que les prélèvements sur honoraires vont au-delà de ce qui est autorisé par la loi sur
les hôpitaux et que les médecins hospitaliers et les conseils médicaux concernés réagissent peu ou pas.
Quant aux honoraires, l’état des lieux que vous faites est parfaitement correct ; il manque cependant
d’une mise en perspective et de certaines nuances.
Vous nous permettrez de reprendre ici quelques-uns des éléments de votre courrier.
a/ Les honoraires pour malades hospitalisés
En 1998, les députés Vermassen et Lenssens font approuver par la Chambre un article de loi, à insérer
dans la loi sur les hôpitaux, qui interdit tout supplément d’honoraires auprès des malades hospitalisés.
C’est par une négociation ardue de l’ABSyM avec la ministre de tutelle, Mme De Galan, que cet article
de loi ne sera pas appliqué pendant les neuf mois qui ont suivi son vote, faute d’arrêté d’exécution.
L’année suivante, cet article sera abrogé. En 2002, les négociations avec le ministre Vandenbroucke
amènent à faire sauter toute menace sur les honoraires libres des médecins non conventionnés, à
l’exception des patients VIPO en chambres communes et à deux lits, pour lesquels il semble à tout le
monde assez légitime qu’on ne puisse pas leur porter en compte des montants qui dépassent de loin
ceux dont ils disposent pour vivre. C’est Mme Onkelinx qui revient à la charge, dès sa prise de fonction
en 2007, poussée de façon continue par sa propre idéologie et celle de son parti, par les mutualités et
par l’entièreté de la presse et de l’opinion publique. Lors de la création du gouvernement Di Rupo, elle
nous avertit qu’elle va prendre des mesures législatives interdisant les suppléments en chambres à
deux lits et chambres individuelles, de façon généralisée. La négociation permettra de faire échapper
à la mesure les honoraires en chirurgie de jour et hospitalisations médicales de jour.
b/ La déclaration gouvernementale du gouvernement Michel prévoit spécifiquement, toujours sous
la pression du CD&V, de la N-VA, du VLD et avec un silence du MR, la suppression totale de la liberté
d’honoraires en chambres à deux lits, hospitalisés ou de jour. Et ce, malgré un travail de lobbying
intense par l’ABSyM, tant auprès de la ministre pressentie, Mme De Block, qu’auprès du MR ou encore
de la N-VA. Dès lors, ce n’était plus qu’une question de temps et Mme De Block a pris la disposition
légale qui est d’application depuis le 27 août 2015.
c/ Les réductions des honoraires à l’acte ou des honoraires forfaitaires, notamment en biologie
clinique et en imagerie médicale, ont permis de plus ou moins réaligner les dépenses sur les budgets
alloués. Il n’en demeure pas moins, malgré cette non-indexation ou diminution de la valeur de la lettre
clé ou des codes, que toutes les disciplines médicales ont connu une croissance des dépenses
importante, se traduisant bien entendu, en partie en tous cas, par une rémunération médicale
améliorée. Nous tenons à votre disposition tous les chiffres qui le démontrent. C’est ainsi qu’en dix
ans, les honoraires médicaux ont, dans toutes les disciplines, crû au-delà de l’index. À noter aussi que
la rétrocession sur ces honoraires dits « intellectuels » est moindre que sur les actes dits
« médicotechniques ».
d/ La pression de l’opinion publique, des mutuelles et de nombreux partis de la majorité, ont
quasiment obligé Mme De Block à demander que nous trouvions des solutions, au sein de la
Commission nationale médicomutualiste, pour supprimer les honoraires complémentaires en
anatomie pathologique, biologie clinique et génétique humaine. Nous avons, avec l’INAMI, fait
comprendre aux mutuelles – qui criaient déjà victoire dans la grande presse et dans leurs propres
publications, fin décembre 2015, qu’enfin il y aurait une interdiction de demander des suppléments
d’honoraires en chambre privée - que cela devait se limiter au secteur ambulatoire, le secteur
hospitalier étant déjà régulé par ailleurs dans la loi.
L’analyse des chiffres a démontré qu’en génétique, on ne demandait jamais de suppléments
d’honoraires et que, par conséquent, il n’y avait pas lieu de légiférer. Les honoraires directement
facturés aux patients concernent toujours des analyses génétiques hors nomenclature, pour lesquelles
les honoraires sont libres.
Elle a démontré qu’en anatomie pathologique ambulatoire, il n’y avait de suppléments que dans les
examens monocouches de frottis vaginaux, dans le cadre des dépistages. En biologie clinique, quelques
laboratoires privés demandent en ambulatoire une intervention financière du patient qui se situe dans
une zone grise législative, pour couvrir des frais de prélèvement ou administratifs. La solution retenue
a été, pour la biologie clinique, de calquer la législation ambulatoire sur celle de l’hospitalisée, c’est-àdire d’interdire les suppléments d’honoraires sur les parties forfaitaires d’honoraires, tout en
autorisant les suppléments sur les actes. Pour l’anatomie pathologique, nous l’avons fait échapper à
l’interdiction les suppléments en ambulatoire, hormis les frottis de dépistage, pour lesquels les
honoraires seront augmentés de 5 euros, qui était le montant du supplément demandé aux patients
pour couvrir les frais de la technique liée à l’examen (à la grande satisfaction de Mme la Dr Prof.
Salmon) .
e/ Pour ce qui est du remboursement de la reconstruction mammaire autologue, la situation est
quelque peu similaire. Les discussions entre INAMI, mutuelles et la société de chirurgie plastique ont
duré deux ans et n’ont jamais abouti. Le Cabinet De Block nous a avertis qu’il ne pourrait pas plus
longtemps arrêter le prurit législatif au Parlement. Il y a eu d’ailleurs des propositions de loi déposées
par des députés de la majorité visant à interdire tout supplément dans les reconstructions mammaires.
La discussion de la convention a permis d’en limiter la portée de façon extrêmement sensible. Il y a
effectivement un plafonnement des suppléments d’honoraires à 100%, ce qui, du point de vue des
principes, est à nos yeux inacceptable. Cependant, l’honoraire de base INAMI devait être augmenté de
100%. Il ne le sera en fait que de 80% parce qu’il n’y a pas assez de budget pour faire plus, bien que la
mesure coûte déjà 3,2 millions d’euros à l’INAMI. Le système libre existe toujours. L’ABSyM a pu éviter
que les mutualités chrétiennes et socialistes fixent la valeur de ces prestations à 0,00 €, ce qui était
leur conviction initiale. Le système libre permet la facturation de 100% INAMI + 300% de suppléments
(cf. la réglementation générale de l'hôpital) = 400%, la convention stipule 180% INAMI + 100% de
suppléments = 360%. Le niveau de rémunération maximum est proche dans les deux systèmes. En
outre, les anesthésistes ne sont pas inclus dans la convention future (bien que prévus au départ par
les mutuelles mais également par l’INAMI), ni les autres spécialistes (cf. texte de départ où l’honoraire
augmenté couvrait aussi les autres spécialistes appelés pendant le séjour, réalisant un peu un all-in
honoraire de type forfaitaire). Et de répéter, l’adhésion à la convention est libre : ceux qui la refusent
peuvent continuer comme avant, puisque nous avons pu garantir que les honoraires des prestations
standard ne soient pas mis à une valeur de 0.
Cette solution permet de sortir avec élégance d’un problème où l’extrême sensibilité des patients et
du grand public face à tout ce qui touche au cancer rendait impossible de défendre le statu quo, surtout
au vu des montants de plus de 9000 € demandés à des patientes à bas revenu que les plasticiens
refusaient d’opérer en chambre à deux lits… L’aveuglement de certains tend à la persévération
diabolique, ce sont ceux-là même qui ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis.
De façon générale et dans un contexte budgétaire que vous connaissez probablement aussi bien que
nous, face à la volonté affichée de toutes les parties en face de nous d’encadrer l’exercice médical, de
réduire ses libertés, de contrôler et limiter ses honoraires, seule la capacité de négocier et non de
s’opposer a priori avec violence, a des chances d’infléchir le cours des choses. C’est en tous cas notre
conviction.
2. Quant à vos attentes
Nous n’avons pas attendu votre courrier pour exprimer depuis quatre ans au moins, de façon
récurrente, notre et votre ras-le-bol, ainsi que celui de tout le corps médical, vis-à-vis des cascades de
mesures qui sont prises, tant de contraintes sur les honoraires que de contraintes administratives. Cela
a été répercuté aussi bien auprès de la presse que de l’INAMI, que des mutualités et de la Ministre et
de son Cabinet. Vous devrez convenir avec nous que l’expression du ras-le-bol ne suffit pas
nécessairement à faire changer les choses. Sans compter que la presse ne relaie pas systématiquement
tout ce que nous lui adressons et que les médias nous sont plutôt défavorables, pour ne pas dire que
les médias flamands ne nous aiment pas du tout. La Flandre continue à présenter l’ABSyM comme un
syndicat francophone - bien que, étant flamand, je commence mon quatrième mandat de président de spécialistes bruxellois chers et riches, ce qui rend difficile notre tâche syndicale en Flandre et même
en Wallonie. Les mots de Jaques de Toeuf – à votre décharge – que les pommes de terre coûtent plus
à Bruxelles qu’ailleurs en Belgique, me poursuivent depuis des années.
Se pose la question du pouvoir ou de la capacité de négociation des organisations syndicales. À ce
sujet, je vous ferai remarquer que votre attitude ne fera qu’une chose, c’est contribuer à réduire
encore la surface de notre syndicat. Est-il besoin de rappeler que, lors des dernières élections
syndicales, seuls 34% des médecins spécialistes ont voté, dont heureusement 80,6% en faveur de notre
syndicat. Il n’empêche, nos interlocuteurs se posent des questions quant à notre représentativité. De
plus en plus nombreux sont les médecins dégoûtés qui arrêtent de s’intéresser au fonctionnement du
système et de plus en plus nombreux aussi sont les médecins spécialistes hospitaliers qui regardent
avec un certain intérêt l’opportunité de basculer sur un système de salariat et de ne plus se préoccuper
du tout de leur exercice médical libre. À l’exception de notre syndicat, aucun autre groupe
représentatif de médecins n’est prêt à défendre la médecine libérale que nous estimons primordiale à
la qualité de notre médecine belge.
Faire la guerre aux mutuelles et réduire leur pouvoir, c’est ce que nous essayons, notamment au
travers des discussions qui tournent autour du projet De Block de « Redesign » de l’administration de
l’INAMI et des organes en charge des soins de santé. Ce n’est évidemment pas chose facile à faire.
En particulier, les mutualités ont, au travers du Collège Intermutualiste National (CIN), transmis une
note de vision des soins de santé en 2030, qui a l’air d’avoir été reçue avec soutien par l’ensemble des
parties prenantes, à notre exception près. Cette bagarre-là ne fait que commencer. Vous pouvez
interroger vos médecins administrateurs de l’ABSyM Bruxelles à ce sujet : les Drs Bejjani, Hubert et
Peeters.
En outre, les plans de Mme De Block visant à réorganiser tout le financement hospitalier et la façon de
calculer le montant des honoraires des prestations, d’en définir une part d’investissement et une part
de fonctionnement versus une part médicale, de forfaitariser la rémunération médicale pour un
ensemble de séjours hospitaliers à basse variabilité, sont autant de dossiers pour lesquels la capacité
d’analyse, la capacité de discussion avec les partenaires, la partie de négociations avec les adversaires,
demanderont encore plus de moyens, d’énergie et de compétences de la part des organisations
syndicales, la nôtre comprise.
Ce n’est évidemment pas en menant une campagne de désaffiliation que vous nous donnerez les
moyens de poursuivre cette activité. Et ce, d’autant plus que les vieux dirigeants s’en vont, peut-être
trop tard pour certains, et que la relève se fait attendre, aucun médecin ne voulant prendre sur ses
épaules la charge de temps, d’énergie, de perte de lien familial et social, sans parler du manque à
gagner que représente une présence médicale dans les lieux de négociation.
Il faudra aussi que nous tenions compte des soutiens dont nous bénéficions encore auprès du corps
médical dans le futur et que nous prêtions peut-être une oreille plus attentive au grand nombre de
nos membres qui souhaitent nous voir adopter une position plus souple en matière d’honoraires
complémentaires (par exemple, plafonner à 150% comme partout en Flandre) plutôt que de nous voir
continuer à défendre bec et ongles la position très isolée de quelques institutions bruxelloises.
Je vous souhaite bonne réception de la présente.
Avec mes meilleurs sentiments,
Dr Marc Moens
Président de l’ABSyM
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