Chapitre 1

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CHAPITRE 1
QUE SAIT-ON DES EFFETS DE LA POLITIQUE MONETAIRE ?1
Avant d’étudier les effets de la politique monétaire, il est intéressant de se demander si celleci a une véritable importance économique. Une illustration de cette importance est l’intérêt
que les observateurs économiques peuvent porter à la politique monétaire, en dépensant
parfois beaucoup d’énergie à des détails a priori anodins, comme les deux anecdotes
suivantes le prouvent :
• Le « Syndrome Gretta Duisenberg »:
Gretta est l’épouse de Wim Duisenberg,
premier Gouverneur de la BCE. Gretta est une
partisane de la cause palestinienne. Certains en
ont déduit qui s’il se passait quelque chose en
Palestine, ça pourrait modifier l’interprétation des
évènements par la BCE et influencer donc la
politique
monétaire
européenne
=>
SPECULATION sur la politique monétaire
européenne.
• Greenspan’s briefcase index:
Alan Greenspan est le Gouverneur de la réserve
fédérale américaine. Tous les matins, il partait au
travail, comme bien des gens, avec une mallette.
Certains ont remarqué que si la valise était pleine
de papier (donc lourde), c’est qu’une décision
importante allait être prise sur le taux d’intérêt =>
il y avait SPECULATION sur les taux, en prenant
cette mallette comme indicateur.2
1. Les relations de LT et de CT
1.1 Les relations de LT
Il y a eu une étude menée par Mc Candless et Weber en 19953 qui considérait 110 pays sur 30
ans => étude énorme. Ils ont obtenus 3 résultats:
a)
1
La corrélation entre le taux de croissance des prix (inflation) et le taux de croissance
de la masse monétaire est proche de 1. On a donc une corrélation très forte, qui semble
offrir un soutien à la théorie quantitative de la monnaie.
Document établi à partir de notes de cours des étudiants. Référence principale du chapitre : Walsh (2eme
édition, 2003).
2
Exemple cité Frank R. H., Bernanke B. S., 2004, Principles of Economics, 2nd edition, International edition,
Mc-Graw-Hill, 813 p.
3
McCANDLESS G. T. Jr., WEBER W. E., 1995, "Some monetary facts", Quarterly Review, Federal Reserve
Bank of Minneapolis, Fall, vol.19, n°3, 13-27 ; reprint Fall 2001, vol. 25, n° 4, 14-24
2
M.V = P.T
En “log-linéarisant” ceci:
Où:
m+v=p+t
m = taux de croissance de la masse monétaire
p = taux de croissance des prix
t = un indicateur de la production
v = indicateur de la vitesse de circulation de la monnaie
Si on postule que m influence p (causalité), on a donc que les Banques Centrales, si
elles laissent filer la masse monétaire, peuvent être tenues pour responsables, en
dernier ressort, de l’inflation. Mais, l’étude ne nous apprend rien sur le sens de la
causalité.
b)
La corrélation entre la croissance de la masse monétaire et l’indicateur de production
(t) est nulle, ou quasi-nulle.
Néanmoins, on remarque que si on retire quelques pays sur les 110 pays constituant
l’échantillon, la corrélation remonte, devient plus forte. Notons que ceci n’était pas
vrai pour la conclusion a). On ne sait donc pas grand chose de la généralité de ce
deuxième résultat.
Par contre, si le taux de croissance de m est très important (ex: hyperinflation), on sait
qu’on a pas envie d’investir. Par exemple, si l’inflation est de 8000%, il faudrait faire
un investissement dont le rendement serait supérieur à 8000%, ce qui est a priori très
improbable, sinon impossible.
En-dessous de 40% de taux d’inflation, il y a moyen de se protéger, même si ce n’est
pas économiquement optimal ; par exemple, en plaçant son argent dans une monnaie
supposée plus « sûre ». (ex: un Turc reçoit son salaire en livre turque, fortement sujette
à l’inflation, et le met directement à la banque en Deutsche mark pour le « protéger ».
Il aura toutefois des coûts de change car il lui faudra convertir à chaque fois qu’il aura
besoin d’argent, et ce n’est donc pas optimal).
Jusqu’à 40% de taux d’inflation, on a des conséquences négatives sur la
production.
Entre 40% et 20%, cela dépend du pays.
En dessous de 20%, on ne sait plus rien dire, on ne sait pas bien ce qui se
passe : on dit que ‘les relations ne sont pas linéaires’. 4
4
BARRO R., 1996, "Inflation and Growth", Federal Reserve Bank of Saint Louis Review, Mai - Juin, vol.78,
n°3, 153-178
3
Rappelons qu’à Long Terme, il n’y a pas d’arbitrage entre l’inflation et le chômage:
cf. courbe de Phillips. Il reste bien entendu, comme toujours, à définir le « longterme ».
c)
Monnet et Weber5 ont réalisé une extension de celle de McCandless et Weber en 2001,
avec les taux d’intérêt.
i = r + ∏e
Donc, si Fisher avait raison, il devrait y avoir une corrélation entre i et
m (car m => ∏ ).
Weber et Monnet ont trouvé une corrélation entre i et m de 0,87. Et
comme on sait que la corrélation entre la masse monétaire (m) et
l’inflation ( ∏ ) est de 1, on peut donc penser que la corrélation entre i
et ∏e est de 0,87. Ce qui est assez élevé => la relation de Fischer
semble vérifiée.
Fisher
1.2 Les relations de CT
A CT, l’intérêt est un peu différent: la politique monétaire peut avoir une influence sur les
quantités macroéconomiques (comme le chômage, par exemple).
Analyse de graphes (USA):
• Graphe 1.1: corrélation entre PIB et m0.
m0 = la masse monétaire la plus étroite = la base monétaire.
On remarque que m0 est toujours corrélée positivement avec le PIB. La
question est ‘dans quel sens est-ce corrélé ?’ càd:
- idée des néo-keynésiens:
5
M0 cause la production => on peut faire de la
politique monétaire.
Monnet C., Weber W. E., 2001, „Money and interest rates“, Federal Reserve Bank of Minneapolis, Quarterly
Review, Fall, vol. 25, n° 4, 2-14
4
- idée des quantitativistes:
inflationniste)
la production cause M0. (sinon, dérapage
• Graphe 1.2: corrélation entre PIB et m2.
On remarque qu’une hausse du PIB est précédée par des augmentations plus
importantes encore de la masse monétaire en circulation M2, mais que
rapidement après, le taux de croissance de cette masse monétaire devient
négatif.
Question: Est-ce la monnaie qui cause la production ? ou l’inverse ?
Ceci tend à montrer qu’à CT, une hausse de M2 (agrégat monétaire large) tend
à être associée avec des taux de croissance de la production + élevés. Dans le
futur, il y a non association entre le taux de croissance du PIB et M2.
2. Problème du sens de la causalité
2.1 Friedman & Schwartz (1963)
Graphe 2.1:
PIB
t
Déflateur du PIB: indice des prix de ce qui est produit sur le territoire.
Une hausse du PIB est précédée d’un taux de croissance négatif de i
Une récession est précédée par un ralentissement du taux d’inflation (choc de
demande => baisse de la consommation) mais tend à être suivie par des taux
d’inflation + élevés dans le futur, ce qui est + surprenant.
5
Il y a eu une tentative d’explication par Kydland et Prescott en 1990: ils ne
raisonnent pas dans le cadre keynésien, ils prennent en compte l’offre.
Soit AD/AS prix flexibles
=> Choc pétrolier (récession) => hausse des coûts
de production à CT => réduction de la production
=> récession.
A Long Terme, la hausse des prix est ‘acceptée’
par les agents.
En 1963, Friedman et Schwartz ont écrit l’histoire monétaire des USA, retraçant ainsi son
l’évolution de 1860 à 1960. Ils vont alors arriver aux conclusions suivantes:
a) L’accroissement de la masse monétaire est suivie par une hausse des prix.
=> la monnaie est neutre à Long Terme
b) La monnaie cause la production.
=> une hausse de la monnaie va entraîner, quelques trimestres après, une hausse de
la production.
=>
∆+M ∆+P
∆+Y (∆+Ye)
Une critique sera adressé à ceci. Ils ont considéré que ∆+M arrivait de manière
exogène, et cette critique est donc de se demander ce qui se passerait si ∆+M était
endogène. Car dans le cas de ∆+M endogène, ce qui va se passer c’est que c’est la
hausse de production anticipée qui incite les agents à demander du crédit et ceci va
accroître la masse monétaire.
=> Dans la version où ∆+M est endogène, on a donc: ∆+Ye => ∆+crédits => ∆+M
Cette deuxième version est moins proche de l’optique monétariste défendue par Friedman,
elle sera notamment affirmée par Tobin (1970) :
le pont b) précédent est issu du ‘reverse causation argument’, càd ‘l’argument
de la causalité inversée’.
Friedman dit que ce qui précède implique ce qui suit
≠
Tobin dit que ça peut-être ce qui suit qui implique ce qui précède.
Suite à des études qui ont été faites sur les bilans bancaires, on peut penser
que c’est Tobin qui avait raison. Les « gonflements » des crédits bancaires
précéderaient en effet l’augmentation de Y.
=> La question qui revient toujours est: ‘est-ce la politique monétaire qui crée
la production ou, au contraire, la production qui crée la politique monétaire ?’
Friedman & Meisenman (1963)
6
Friedman et Meisenman ont écrit un article dans lequel ils relient la croissance du
PIBnominal aux variations monétaires, càd:
Quand ils mesurent cette relation, ils remarquent que la relation est beaucoup
plus significative en ce qui concerne les variables monétaires que les
variables réelles. Ceci tendrait donc à prouver que le PIB nominal est relié aux
agrégats monétaires et que ce sont bien les agrégats monétaires qui causent le
PIB => c’est une perspective monétariste (Friedman).
Equations de Saint-Louis:
En 1968, Anderson et Jordan publient un article dans la revue de la réserve fédérale de SaintLouis et disent qu’on peut utiliser la politique monétaire pour stabiliser l’activité économique
(activité NOMINALE) => selon eux, on peut utiliser la politique monétaire => ceci confirme
en quelque sorte la pensée keynésienne . Donc, si on peut contrôler l’activité économique, les
décideurs sont très puissants car ils peuvent, dans cette optique, avoir un impact sur les
variables réelles.
Mais, ce n’est pas forcément vrai, car si on peut utiliser cette politique monétaire pour
contrôler l’activité nominale, alors que l’on tente d’agir directement sur le taux de croissance
de la production, on pourrait avoir à la place une montée des prix, car pour rappel: ynt = yt +
pt. Et, on ne connaît pas la répartition entre yt et pt. Dès lors, une politique en apparence
expansionniste peut donc mener à une récession.
Modigliani:
Il est keynésien, mais il va pourtant adresser une critique aux keynésiens et critiquer ces
équations de Saint-Louis. Il dit que la relation de ci-dessus est fausse si la masse monétaire est
endogène.
Si on imagine que la Banque Centrale contrôle parfaitement les choses (cad si BC monte de
1% la masse monétaire, elle sait parfaitement ce que ça va faire sur la croissance), alors elle
pourrait effacer tout choc qui affecte le PIB nominal, cad agir de façon préventive. Dans ce
cas, on aurait une politique monétaire qui bouge beaucoup (pour neutraliser les chocs) et un
PIB nominal qui reste stable (puisqu’on neutralise les chocs). Il n’y aurait donc pas de
corrélation apparente entre la variance du PIB (presque nulle) et la variance des agrégats (qui
bougent fort => variance très élevée). En d’autres termes, si les keynésiens avaient raison ai
devrait tendre vers 0, puisque ai est ce qui lie les variables monétaires au PIB nominal. Or, il
existe une corrélation => il dit que ce type de régression est insuffisant.
En bref, on est donc dans une situation de flou. Et pour tenter de sortir de ce flou, on va
introduire la causalité à la Granger (Prix Nobel 2003). Ce type de causalité sera intégrée dans
la théorie monétaire par Sims en 1972.
2.2 Causalité au sens de Granger
Le concept:
Une variable X ‘Granger cause’ une variable Y si les occurrences passées de
X ont un contenu prédictif sur Y.
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=> X ‘Granger cause’ Y si Xt-i, Xt-i+1,…,Xt-1 ‘Granger cause’ Yt
=> Le passé de X permet de prédire le présent de Y.
Exemple: Si le professeur laisse tomber sa craie:
-la causalité est qu’il connaît la loi de la gravité et qu’il sait donc
qu’elle va tomber
-la ‘Granger causalité’ serait par exemple qu’il sait que comme
beaucoup de professeurs l’on fait avant lui et que la craie est
chaque fois tombée, il sait qu’il a donc toutes les chances que la
craie tombe.
Sims a travaillé sur le même type de régression que Friedman, à la différence que Sims, lui,
travaillait sur des variables réelles.
Le résultat obtenu par Sims est que la monnaie ‘Granger cause’ le PIB, cad que la
monnaie a un contenu prédictif sur le PIB. Les résultats de Sims semblent plus conformes à la
réalité mais la BC a plutôt tendance à utiliser le taux d’intérêt que les agrégats monétaires (car
M0 ne représente que 15%).
Quand on fait des analyses statistiques, on trouve que la politique monétaire a bien un effet
sur le PIB.
Si on maîtrise parfaitement cette relation, et si on connaît bien ai, les Banques Centrales vont
pouvoir contrôler l’activité => dans ce cas, on pourrait arrêter maintenant de faire de la
théorie monétaire car dans ce cas, on sait que ce sont les agrégats qui cause le PIB et que les
BC contrôlent ces agrégats ; en d’autres termes, si on gère les fluctuations du PIB par le
contenu prédictif de ai, on pourrait s’arrêter là.
Notons que l’hypothèse pour que ceci fonctionne est que les ai sont constantes dans le temps
et ne varient pas selon le type de régime monétaire dans lequel on se trouve.
En 1976, Thomas Sargent montre que ce raisonnement est inexact, voire faux. Il montre que
si on utilise ce genre de relation, on obtient une fonction de comportement pour les BC.
Si l’objectif de la BC est:
Min E[V(Y)]
ET
Si BC utilise les agrégats monétaires pour y arriver
Alors, on peut déduire une règle de comportement pour BC qui a la forme
suivante:
Mt = f (mt-1 ;zt-i)
Passé en termes
de politique
monétaire
Passé en termes
d’agrégats
économiques
8
Si on utilise cette règle de comportement, alors, si on fait une analyse, on va
obtenir quelque chose qui va ressembler = problème d’équivalence
observationnelle. Exemple (repris des notes de cours de Michel Beine, site web
ULB) :
Sargent dit que si on estime (3) et si on estime la régression (9), on obtient
quelque chose de sensiblement équivalent (équivalence observationelle) =>
cad, qu’on utilise la politique monétaire ou pas, on obtient la même chose.
En outre, il dit que comme cette relation est issue de la règle de comportement,
il suffit de changer la règle pour changer la relation, cad que le coefficient est
sensible au régime de politique monétaire => on ne peut plus dire grand chose
de la relation entre monnaie et PIB réel => on n’est plus du tout certain de
notre capacité à influencer l’économie.
Ceci est en fait un cas particulier d’une critique beaucoup plus générale
formulée par Lucas en 1976 sur la politique keynésienne:
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exemple à partir du multiplicateur dans le modèle keynésien
élémentaire : k = 1 .
1 – c1
c1 = propension à consommer
Lucas dit que dès qu’un agent avait compris qu’on allait utiliser ceci,
il allait anticiper ce qu’on allait faire et dès lors changer sa c1 (anticipations
rationnelles).
Ceci prouve que si on veut vraiment faire de la politique monétaire, il faut
connaître les mécanismes sous-jacents de l’économie, répondre aux différents
modèles d’institutions (car les coefficients dépendent des différents
mécanismes économiques). On ne peut pas se contenter de suivre des règles
générales de taux d’intérêt ou de masse monétaire de façon aveugle.
Tout ceci remet la théorie monétaire à l’ordre du jour: il est important de savoir
qui des macro-économistes classiques ou des keynésiens a raison. Si les macroéconomistes classiques ont raison, on arrête la politique monétaire >< si les
keynésiens ont raison, on continue, mais pas sous n’importe quelle condition.
2.3 Les estimations par VAR
2.3.1 Méthodologie
VAR = estimations Vectorielles Auto-Régressives.
Sims a utilisé les VAR en 1972 (Etats-Unis) et les utilisera d’ailleurs encore en
1980 (5 pays OCDE).
L’idée va être de représenter le système économique sous forme vectorielle (matricielle).
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Exemple :
=> On va s’intéresser à ces résidus et essayer de distinguer dedans ce qui est lié
à la politique monétaire et ce qui est lié à la production.
=> e.Xt = une variable aléatoire de politique monétaire: on cherche à capturer
la composante aléatoire de l’économie, cad on essaye d’avoir ici la partie non
prévisible de la politique économique.
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