Air Pur - N°78 - 2010 SENSIBILISATION ET INFORMATION DES MÉNAGES À REVENUS MODESTES : QUELS IMPACTS SUR LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE ? Isolde DEVALIÈRE Sociologue au Laboratoire Services Process et Innovations, Centre Scientifique et Technique du Bâtiment [email protected] et prioritairement en milieu rural, plus concerné par un taux d’effort énergétique élevé. Ces opérations de rénovation devront chacune conduire à des économies d’énergie d’au moins 25 %, avec pour objectif global une réduction des consommations énergétiques d’au moins 30 %(1). RESUME II-LA PREVENTION DES IMPAYES, UN ENJEU POUR LES ACTEURS LOCAUX En France, face à un recours massif des aides aux impayés d’énergie, les acteurs locaux misent sur les actions de prévention des impayés qui se traduisent par des ateliers sur les économies d’énergie, pas toujours bien adaptés à des publics qui adoptent au quotidien des comportements de restriction. A défaut d’une amélioration durable des situations économiques, celle de la qualité (thermique) de l’habitat est un enjeu majeur à relever pour lutter efficacement contre la précarité énergétique. Prenons exemple sur les Anglais dont l’approche globale permet d’obtenir des résultats satisfaisants. Mais bien avant ces mesures phares sur le bâti, le champ de la prévention avait déjà fait l’objet de nombreuses initiatives afin d’aider l’ensemble des ménages à mieux « maîtriser » leur énergie. Les conseillers des 300 Espaces Info Energie répartis sur le territoire national, financés en partie par l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) sont chargés d’informer et de sensibiliser des publics plutôt avertis, sur le bon usage des énergies. I-LES PUBLICS CONCERNES PAR LES DISPOSITIFS DE LUTTE CONTRE LA PRECARITE ENERGETIQUE Plus de 3 millions de ménages sont en précarité énergétique puisqu’ « ils éprouvent dans leur logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de leurs besoins élémentaires en raison notamment de l’inadaptation de leurs ressources ou de leurs conditions d’habitat » (article 4 de la loi n°90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement). Pour limiter le nombre croissant de ménages qui ne peuvent plus se chauffer ou payer leurs factures, Valérie Létard, Secrétaire d’État chargée des Technologies vertes et des Négociations sur le climat et Benoit Apparu, secrétaire d’État chargé du Logement et de l’Urbanisme, ont annoncé un « Engagement national contre la précarité énergétique ». Un « Fonds national d’aide à la rénovation thermique des logements privés » (FART) de 1,25 milliard d’euros est mobilisé sur la période 2010-2017. La lutte contre la précarité énergétique fait ainsi désormais partie des priorités d’intervention du gouvernement qui souhaite soutenir 300 000 chantiers d’amélioration du confort thermique de propriétaires occupants à faibles ressources A partir de 2004, avec la loi sur la décentralisation, les Conseils Généraux ont eu, entre autres nouvelles responsabilités, celle de gérer les Fonds Solidarité Logement dont une partie pallie les impayés d’énergie. Face à l’épuisement rapide des fonds de plus en plus sollicités, les Conseils Généraux ont encouragé le développement d’actions préventives aux impayés parmi lesquelles des ateliers de sensibilisation aux économies d’énergie, alliant les compétences des thermiciens à celles des travailleurs sociaux, à l’instar du partenariat qui existe entre le Conseil Général d’Indre et Loire et l’Agence Locale de l’Energie. Il n’était alors plus seulement question de limiter les pollutions générées par le mauvais usage de l’énergie, mais bien d’atténuer le coût économique des défauts de paiement porté par les collectivités locales et les fournisseurs d’énergie. Prévenir les impayés d’énergie, c’est une façon pour la collectivité locale de limiter le recours à ces fonds en privilégiant l’information des ménages sur le coût de l’énergie consommé par leurs équipements, en les aidant à mieux contrôler leur fourniture d’énergie, la réguler, à en rechercher la performance optimale au moindre coût par des pratiques plus sobres. Les bailleurs sociaux en charge de quatre millions de logements locatifs et de 200 000 foyers ont également pris conscience de l’enjeu de la prévention des impayés. « De plus en plus d’organismes se préoccupent de l’attitude des locataires. C’est important : dans les constructions passives, on atteint des limites comportementales. Il va falloir apprendre 19 Air Pur - N°78 - 2010 aux personnels des organismes à faire de la pédagogie vis-àvis des locataires » Francis Déplace, directeur de Delphis (Le Moniteur, mai 2010). IV-DES TRAJECTOIRES ET DES PARCOURS A PRENDRE EN COMPTE Former le personnel de gestion et informer les locataires s’avèrent nécessaires. Certains organismes expérimentent l’individualisation des factures assortie d’un télérelevage des compteurs qui permet un meilleur contrôle des consommations ; d’autres organisent des réunions d’information ou distribuent des plaquettes sur les usages adaptés. Les bailleurs sociaux, tout comme les collectivités territoriales, cherchent à mieux informer les ménages sur la façon de réaliser des économies d’énergie et d’éviter les impayés de loyer ou d’énergie. Même s’il peut exister, de façon très minoritaire, un recours au « suréquipement » vécu comme une certaine compensation au mal vivre, l’enquête précédemment citée (Nord-Pas de Calais, Indre et Loire) nous enseigne que les impayés d’énergie sont principalement la conséquence d’une baisse des ressources liée à une rupture dans une trajectoire de vie, familiale ou professionnelle. Cette situation est aggravée par un logement mal isolé, ou dont l’équipement de chauffage est défaillant, ou encore par des dépenses croissantes en carburant générées par de nombreux déplacements liées à une installation en zone périphérique. III-UNE FAIBLE FREQUENTATION DES REUNIONS D’INFORMATION PAR MANQUE D’INTERET ? Il s’agit pour la plupart, de ménages qui adoptent déjà des comportements de restriction et qui supportent mal d’avoir à intégrer des contraintes supplémentaires dans un univers de possibles déjà très limité. Dans les faits, il semble que peu de ménages se rendent volontairement aux réunions et aux ateliers d’information. La plupart des ménages interviewés dans le cadre de nos enquêtes déclarent qu’il suffit d’un peu de bon sens pour ne pas gaspiller. « Celui qui est logique, il le sait. Quand on quitte une pièce, on éteint la lumière … Tout ça, on le sait » déclare un ménage qui adopte au quotidien des comportements de restriction. V-UNE RESPONSABILITE PARTAGEE PAR TOUS La multiplication des ateliers d’information et de sensibilisation ne doit pas masquer la responsabilité des décideurs politiques, des bailleurs sociaux et privés sur l’état du bâtiment qui est un des principaux facteurs de précarisation énergétique. L’analyse des résultats de deux enquêtes menées auprès de ménages en précarité énergétique le confirment. Sur 40 ménages repérés(2) (Devalière, 2010(3)), aucun ne s'est rendu à ces réunions faute d’information (pour 57,5 % de l’échantillon) ou par sentiment d’inutilité (30 %). Sur les 75 ménages interviewés dans le cadre d’une autre enquête, menée à Bourges et dans son agglomération, seuls deux ménages sur dix se sont rendus à une réunion d’information. Au regard des données de l’enquête Nationale Logement 2006, sur 100 ménages qui déclarent avoir eu froid dans leur logement pendant 48 heures au cours de l’hiver dernier, 41 % imputent cet inconfort thermique à une mauvaise isolation et 33 % à une installation de chauffage insuffisante (39 % invoquent les deux raisons). En effet 48 % des logements occupés par ces ménages ont des fenêtres en mauvais état (contre 28,6 % en moyenne nationale), 38.3 % déclarent de l’humidité (contre 20.4 % des Français), 30,3 % déplorent une électricité non encastrée (contre 19.4 %)… L’ensemble des indicateurs de la santé du bâtiment des ménages qui déclarent avoir eu froid chez eux confirme les déclarations d’inconfort thermique des ménages et la nécessité d’adapter des aides financières aux situations contrastées. Dans l’ensemble, ces personnes se sentent suffisamment informées sur la manière de réduire leurs factures et estiment que, malgré la mise en place d’un système D, elles ne peuvent rien faire contre l’inconfort thermique de leur logement. Ainsi, malgré l’intérêt que présentent ces lieux de diffusion et de savoir sur les sources d’économies réalisables, on constate une faible fréquentation qui est corroborée par une méconnaissance des lieux ressources comme les Espaces Info Energie, et un désintérêt voire un certain « rejet » des messages liés aux économies d’énergie auprès de ménages qui ont le sentiment d’adopter depuis toujours des gestes économes. Ces messages semblent être vécus comme une forme d’injonction dans leur sphère domestique. Ils estiment que leur précarité énergétique est davantage liée à leur situation économique et à leur habitat plutôt qu’à leurs comportements. VI-INFORMER ET INTERVENIR Les économies d’énergie sont en effet la résultante de plusieurs facteurs, liant le bâti, la situation du ménage, la technique aux comportements, et c’est la pertinence de leur articulation et l’adaptation de l’argumentaire explicatif qui peuvent conditionner l’effectivité de ces économies. Ainsi, la communication sur les économies d’énergie, comme sur les avantages des tarifs sociaux de l’énergie, doit être plus adaptée et mieux diffusée. Les témoignages recueillis ont montré combien il importe d’éviter dans les campagnes d’information et de sensibilisation 20 Air Pur - N°78 - 2010 sur les économies d’énergie toute « stigmatisation » des ménages pauvres pour délivrer plutôt des messages d’intérêt collectif - à l’exemple du tri sélectif qui inscrit le geste individuel dans un cadre collectif canalisé et organisé - et éviter que les travailleurs sociaux se sentent considérés comme des « donneurs de leçon » selon les termes d’une conseillère en économie sociale et familiale du Pas-de-Calais. Il nous reste à réfléchir aux modalités d’application d’un programme d’une telle envergure en France qui viserait l’ensemble des occupants en situation potentielle de précarité énergétique, au-delà des critères fixés par l’actuel Plan national de lutte contre la précarité énergétique. VII-CONCLUSION ET RÉFLEXION SUR LE PROGRAMME DE LUTTE CONTRE LA "FUEL POVERTY" (4) AU ROYAUME-UNI Si les relais d’information et de sensibilisation sont indispensables pour diffuser des messages et permettre un changement de comportement, ils ne sont pas suffisants pour éviter la multiplication des situations de précarité énergétique face à l’inconfort de logements considérés comme des épaves thermiques et une augmentation croissante des prix de l’énergie. Ils doivent nécessairement être complétés par des mesures plus structurelles, au-delà des objectifs fixés par le Grenelle de l’Environnement avec la multiplication des actions sur l’enveloppe thermique du bâtiment. Au Royaume-Uni, le programme intitulé « Warm Front » mène à bien une approche globale et intégrée de lutte contre la précarité énergétique sur un territoire privilégié, à l’inverse des mesures individuelles préventives et palliatives de notre système français. Le concept britannique de « Warm Zones » est une concentration de tous les moyens sur une zone prioritaire afin de proposer à tous ses habitants, au cas par cas, un accompagnement personnalisé qui aboutit à une démarche d’amélioration du confort thermique de leur logement au meilleur rapport coût-efficacité. Cette démarche est soutenue par les collectivités locales et les fournisseurs d’énergie, via leurs obligations de réduction des émissions de carbone imposées par CERT(5). Lorsqu’une Warm Zone est mise sur pied au niveau local, une grande campagne de sensibilisation est lancée. Les ménages bénéficiaires de prestations sociales peuvent se voir proposer gratuitement des mesures d’amélioration énergétique, soit financées par le Warm Front s’ils y sont éligibles ou grâce au financement des différents partenaires(6) de la Warm Zone. Contrairement aux OPAH (Opérations Programmées d’Amélioration de l’Habitat) ou aux PIG (Programmes d’Intérêt Général) à volet « Précarité énergétique » français, les subventions sont déterminées non pas sur un pourcentage du coût des travaux ou un niveau de performance énergétique à atteindre, mais en fonction d’un montant maximum prédéfini qui est alloué selon un barème de travaux. Les bénéficiaires des travaux n’ont souvent pas à débourser pour profiter des avantages du programme. Entre 2001 et 2004, plus de 900 000 ménages vulnérables, informés et volontaires, ont été aidés par ces mesures d’efficacité énergétique pour un montant de £ 600 millions (760 M. d’€), sur les territoires de Hull, Newham, Northumberland, Sandwell et Stockton. 21 Air Pur - N°78 - 2010 NOTES .................................................................................................................. Devalière I. (2010), Identification des processus de précarisation énergétique des ménages et analyse des modes d’intervention dans deux départements, Rapport CSTB, PUCA, ADEME, CSTB, 157 pages. .................................................................................................................. Dossier de presse Solidarité Ecologique : « Pour que le Grenelle Environnement bénéficie pleinement aux territoires ruraux et aux plus modestes touchés par la précarité énergétique », Mardi 26 janvier 2010) .................................................................................................................. (1) Devalière I. (2009), Analyse des modes de caractérisation de la précarité énergétique, de ses modalités de traitement en France et à l’étranger, rapport de recherche CSTB, 64 p. .................................................................................................................. Il s’agit de ménages repérés par les travailleurs sociaux dans les départements du Pas-de-Calais et de l’Indre et Loire .................................................................................................................. (2) Dujin A., Poquet G (2007), La maîtrise des consommations dans les domaines de l’eau et de l’énergie. Les politiques publiques face aux comportements des consommateurs, Cahier Recherche, n° C237 .................................................................................................................. Recherche-action financée par le PUCA, l’ADEME, l’ANAH dans le cadre du PREBAT sur la caractérisation des ménages en situation de précarité énergétique, en Indre et Loire et dans le Pas-de-Calais (2007-2010) .................................................................................................................. (3) Paugam S. (1991), La disqualification sociale, PUF, 256 p. .................................................................................................................. Est réputé pauvre (fuel poor) tout ménage qui dépense plus de 10 pour cent de son revenu pour obtenir un niveau approprié de chaleur compte tenu des caractéristiques de son logement et du nombre d’occupants. Ce ratio (Fuel Poverty Ratio) est le rapport entre une dépense d’énergie de référence estimée (déduite d’une évaluation SAP et des prix courants des énergies) et un revenu bien défini. L’hypothèse retenue a été de considérer que les ménages dépensaient le maximum qu’ils pouvaient sur les services essentiels (sans parvenir nécessairement à se chauffer suffisamment) et que les « fuel poor » étaient ceux qui dépensaient plus que la moyenne pour se chauffer, avoir de l’eau chaude, cuisiner et s’éclairer. .................................................................................................................. Plan Bâtiment Grenelle (2009), Groupe de travail Précarité énergétique, Rapport présenté par Philippe Pelletier, 52 p. (4) Les fournisseurs d’électricité et de gaz se sont vus imposer des objectifs de réduction de consommation d’énergie chez les ménages (pas nécessairement chez leurs clients) afin de participer à la promotion de l’efficacité énergétique domestique en Grande-Bretagne. Afin de contribuer également à l’éradication de la pauvreté énergétique, il a aussi été prévu qu’au moins 40 % des économies d’énergie réalisées doivent être centrées sur un groupe prioritaire de consommateurs à faible revenu -les ménages vulnérables-. .................................................................................................................. (5) Partenariats entre les administrations locales, les agences de l’Union Européenne, les compagnies d’énergie et d’autres acteurs caritatifs ou autres intéressés. (6) BIBLIOGRAPHIE Bourdieu P. (1979), la Distinction, Coll. Le sens commun, Ed. de Minuit, pp. 435 - 461 .................................................................................................................. Castel R. (2009), La montée des incertitudes, édition Seuil, 460 p ; .................................................................................................................. Damon J (2008), L’exclusion, Coll. Que sais-je ?, PUF, 126 p .................................................................................................................. Dard P. (1986), Quand l’énergie se domestique… Observations sur dix ans d’expériences et d’innovations thermiques dans l’habitat, Plan Construction / CSTB, pp. 103 – 133 .................................................................................................................. 22