LA NATURE DEMAIN
GRANDS ESPACES PROTEGES
Bureau d'études biologiques
Raymond DELARZE
6, chemin des Artisans
1860 AIGLE
AMAibach sàrl
Rte de Moudon
1610 ORON-LA-VILLE
Collaboration:
François Clot
ND / Grands espaces
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La Nature Demain - Grands espaces
Introduction
Fonctions spécifiques des grands espaces
Dans la thématique de la protection de la nature, les grands espaces occupent une place
croissante.
Cette évolution est en partie liée au développement des connaissances sur l'espace vital
des espèces. Depuis une quinzaine d'années, de nombreux travaux scientifiques ont montré
que la viabilité de diverses populations animales était compromise par la fragmentation des
habitats. Des modèles ont été développés pour calculer les risques d'extinction d'une
espèce, en fonction de la taille de son habitat et d'un intervalle de temps donné (Population
Viability Analysis). Les prédictions de ces modèles, qui mettent souvent en évidence des
exigences spatiales importantes, ont été confirmées par l'évolution de la diversité animale
observée dans des parcs nationaux américains depuis leur création.
On a d'autre part constaté que les processus dynamiques d'une certaine ampleur spatio-
temporelle, notamment ceux qui régissent les systèmes alluviaux et forestiers naturels, ne
peuvent guère se dérouler dans des réserves naturelles de dimensions modestes.
Les espaces protégés de taille réduite connaissent d'autres problèmes:
- Leur périphérie est soumis aux influences extérieures; ils sont exposés à la pénétration
de l'homme et d'espèces opportunistes qui peuvent perturber le fonctionnement de
l'écosystème.
- Des interventions y sont souvent nécessaires, soit pour assurer la sécurité des terrains
avoisinants (endiguement, stabilisation de glissements de terrain, abattage d'arbres en
lisière), soit pour conserver artificiellement une biodiversité qui ne peut se maintenir
naturellement, faute de surface suffisante pour un déroulement normal des cycles
naturels.
- Les petites surfaces sont particulièrement vulnérables aux catastrophes, tel l'ouragan qui
a renversé la forêt vierge de Derborence il y a quelques années.
A ces arguments biologiques en faveur de la création de grands espaces protégés, on peut
ajouter une fonction sociale. Les territoires peu marqués par l'homme, où les forces de la
nature s'expriment sans entrave, répondent en effet à un besoin croissant d'évasion et de
"retour aux sources". Le concept de "Wilderness/Wildniss" traduit cette aspiration quelque
peu métaphysique et peut-être teintée d'un certain romantisme citadin.
Ainsi, les grands espaces répondent à des besoins multiples. Leur double fonction,
biologique et sociale, est à la fois un atout et une source de conflits. L'engouement pour les
grands espaces "sauvages" n'est pas sans susciter quelques inquiétudes sur les pressions
humaines qui peuvent s'y exercer.
Le processus de mise en place de grands espaces protégés devra tenir compte de ces
différents éléments. Les problèmes particuliers à résoudre concernent non seulement la
dimension des objets, mais aussi la canalisation des visiteurs.
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Bases légales et prescriptions relatives aux grands espaces protégés
Diverses bases légales fédérales, sans se référer explicitement à une surface minimale,
désignent des objectifs qui ne peuvent être atteints autrement que par la protection de
grands espaces. Il s'agit notamment de la conservation d'espèces animales à espace vital
étendu et de la protection d'ensembles paysagers et fonctionnels cohérents.
- la Loi fédérale sur la protection de la nature du 1er juillet 1966 (LPN) a notamment
pour but "de protéger la faune et la flore indigènes ainsi que leur espace vital naturel."
(art. 1er). "La disparition d'espèces animales et végétales indigènes doit être prévenue
par le maintien d'un espace vital suffisamment étendu (biotopes), ainsi que par d'autres
mesures appropriées" (art. 18, al.1).
Plusieurs inventaires fédéraux désignent des objets de grande dimension. C'est
notamment le cas de l'Inventaire des paysages (IFP) et de l'Inventaire des sites
marécageux d'importance nationale. Les Districts francs fédéraux constituent
également des refuges de grande taille pour le gibier
- la Conception Paysage Suisse (CPS) adoptée le 19 décembre 1997 par le Conseil
Fédéral fixe parmi ses objectifs généraux de "réserver des espaces libres pour le
développement spontané et la dynamique des phénomènes naturels".
Les objectifs sectoriels relatifs aux sports, loisirs et tourisme indiquent clairement les
limites d'utilisation des grands espaces protégés, puisqu'il est même question d'"éviter la
desserte touristique des paysages de grande valeur" (objectif 3E)! A vrai dire, la
formulation de cet objectif prête à confusion, car il concerne avant tout les installations de
remontée mécanique pour la pratique du ski (mesure 3.09; voir cependant ci-après le cas
des forêts).
Les objectifs sectoriels relatifs à la protection de la nature prévoient notamment de
"sauvegarder les espèces menacées et leurs habitats (…) afin que le nombre des
espèces des Listes rouges diminue de 1% par année" (objectif 7B) et "en l'espace de 10
ans, de compléter la mosaïque des biotopes d'importance nationale..."(objectif 7C). Parmi
les mesures préconisées pour atteindre ces objectifs, il est question d'"examiner la
possibilité de valoriser de vastes entités naturelles" (mesure 7.03).
Les objectifs sectoriels concernant la forêt mentionnent la "création de réserves
forestières et de zones de tranquillité, destinées à conserver ou à créer des écosystèmes
forestiers suffisamment vastes pour garantir l'intégrité de la flore, des sanctuaires naturels
pour la faune et des espaces d'une valeur paysagère particulière. (objectif 11F)". Parmi
les mesures correspondantes, il est précisé que "les compartiments paysagers non
desservis jusqu'à ce jour ne pourront désormais l'être qu'à titre exceptionnel (p.ex.:
fonction de protection)" (mesure 11.06).
Plusieurs Conventions internationales ratifiées par la Suisse touchent également au
thème des grands espaces:
- La Convention de Berne (1979) désigne une liste d'espèces dont la conservation
nécessite des mesures particulières de protection de l'habitat (Résolution du Comité
permanent no 5/1998). Les exigences spatiales de certaines de ces espèces imposent la
création de vastes espaces protégés.
- La Convention de Ramsar (1976) engage les parties contractantes à désigner des
espaces protégés de surface suffisante pour permettre aux oiseaux d'eau d'hiverner ou
de faire escale sur leur territoire.
Sur le plan cantonal, l'Inventaire des Monuments Naturels et des Sites (IMNS) et les
Réserves de chasse englobent également des territoires très étendus.
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Le degré de protection assuré aux grands espaces par ces différentes bases légales est
inégal, notamment en ce qui concerne leurs fonctions spécifiques (refuges de la faune,
déroulement non perturbé des grands processus naturels, caractère "sauvage" du paysage).
Certaines de ces bases légales visent avant tout la préservation du paysage, et ne
garantissent qu'indirectement le fonctionnement et le contenu biologique des écosystèmes
(IMNS, IFP). Elles englobent d'ailleurs aussi bien des paysages façonnés par l'homme (par
exemple le Lavaux) que des espaces véritablement sauvages (par exemple le Vallon de
Nant). De leur côté, les districts francs et les réserves de chasse ne concernent que les
activités cynégétiques.
Ces champs d'application différents traduisent la variété des approches possibles et reflètent
finalement l'ambiguïté du concept de grand espace.
Catégories de grands espaces protégés
Afin de clarifier les concepts et uniformiser une nomenclature variable d'un pays à l'autre,
l'UICN (1994) a établi une classification des espaces protégés en fonction des objectifs de
gestion que ces espaces sont destinés à remplir.
Ia Réserve intégrale: évolution naturelle sans intervention; accès public limité
Ib Zone de nature sauvage (Wilderness area): évolution naturelle sans intervention;
accès non motorisé autorisé au public (mais sans aménagement favorisant les
activités récréatives)
II Parc national: évolution naturelle sans intervention; accès au public autorisé à des
fins récréatives (moyennant l'aménagement d'infrastructures d'accueil en périphérie
du parc et la canalisation des visiteurs)
III Monument naturel: conservation d'éléments naturels exceptionnels (par exemple
cascades, grottes)
IV Aire de gestion des habitats ou des espèces: aire protégée gérée principalement
à des fins de conservation, avec mesures de gestion (Réserve naturelle dirigée).
Toutes les réserves nécessitant des travaux d'entretien (par exemple bas-marais,
taillis, prairies maigres) entrent dans cette catégorie.
V Paysage protégé: aire protégée gérée principalement pour assurer la conservation
des paysages et à des fins récréatives. Les objets IFP rentrent dans cette catégorie.
VI Aire protégée des ressources naturelles gérées: gestion axée sur une utilisation
durable des écosystèmes naturels (durabilité des fonctions, de la productivité et de
la biodiversité des écosystèmes). Cette catégorie offre des possibilités
d'interprétation assez étendues; elle pourrait éventuellement s'appliquer à de vastes
surfaces forestières et agricoles sans modification sensible du mode d'exploitation
actuel.
Cette classification correspond à une intensité décroissante des restrictions imposées aux
activités humaines dans les aires protégées. Les premières catégories impliquent une forte
ségrégation, mettant les aires protégées à l'abri des influences humaines. Les dernières
catégories mettent en revanche l'accent sur l'intégration des objectifs de protection dans un
processus de gestion et d'utilisation du milieu par l'homme.
Selon la "norme" UICN, une surface minimale de 1000 ha est en principe requise pour les
espaces protégés de la catégorie II (Parc national). Pour les autres catégories, la superficie
de l'aire protégée doit être adaptée aux objectifs de gestion, ce qui peut aussi impliquer une
grande surface.
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On voit ainsi qu'une gamme variée de types de protection peut concerner les grands
espaces. Ces différents statuts peuvent d'ailleurs se combiner au sein de systèmes
composites, formés de plusieurs surfaces juxtaposées dans lesquels des objectifs
complémentaires ont été définis (par exemple noyau de protection intégrale entouré par une
zone-tampon à fonction récréative).
Avant de poursuivre l'analyse, il convient de passer en revue les critères proposés pour la
sélection de grands espaces à protéger, et de souligner ceux qui pourraient s'appliquer dans
le contexte vaudois.
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