Sortir de l`alcoolisme est possible mais demande du temps

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Médecine
Le Matin Dimanche | 7 février 2016
En collaboration avec: www.planetesante.ch
Sortir de l’alcoolisme est possible
mais demande du temps
Addiction La consommation d’alcool devient pathologique lorsqu’elle n’est plus contrôlable par l’individu.
En Suisse, 250 000 personnes seraient dépendantes à l’alcool, soit 5% de la population de plus de 15 ans.
De quoi on parle
Seuil de consommation à risque
Quantités d’alcool équivalente
Calcul de l’alcoolémie
(résultat en gramme par litre de sang)
Vin
12° (10 cl)
Apéritif
18° (7 cl)
Whisky
40° (3 cl)
AFP/Kenzo Tribouillard
1 verre standard
=
10 g d'alcool pur
$Les faits
Poids de l'alcool (en gramme)
Poids (en kilo) x 0,6
Champagne
12° (10 cl)
Bière
5° (25 cl)
Pastis
45° (~3 cl)
«Je ne bois plus une goutte d’alcool depuis
108 jours. (…) Je pète la forme», a écrit Renaud
dans un message posté sur sa page Facebook
au début janvier. Il confirme ainsi être sorti de
son alcoolisme après avoir suivi un traitement.
Poids de l'alcool (en gramme)
Poids (en kilo) x 0,7
Recommandation pour une consommation
non problématique selon l’OMS
$La suite
Le chanteur de 63 ans annonce la sortie
d’un nouvel album en mars prochain et prévoit
de remonter sur scène.
moins de
2 verres
par jour
moins de
3 verres
par jour
Consommation chronique
problématique selon l’OFSP
à partir
de 20 g
par jour
à partir
de 40 g
par jour
SOURCE: LMD
Elisabeth Gordon
«Au bout
[email protected]
«J’
ai vécu quelques
années difficiles
où je buvais
beaucoup,
je
parlais peu ou
voire plus du
tout, où je me
contentais de grogner. Je rendais les gens
malheureux autour de moi», a récemment
avoué Renaud sur les ondes d’Europe 1.
Après avoir été traité par un addictologue, le
chanteur français a réussi à décrocher et se
dit aujourd’hui «requinqué, comme un nouveau-né». C’est la preuve que «l’alcool n’est
pas une fatalité, même si guérir prend du
temps», souligne Jean-Bernard Daeppen,
chef du service d’alcoologie du CHUV.
Les chanteurs, acteurs et autres people
sont loin d’être les seuls à abuser de la boisson. En Suisse, on considère que 250 000
personnes sont dépendantes à l’alcool (lire
encadré). Ce ne sont toutefois «que des estimations», précise Gerhard Gmel, chef de la
section épidémiologie et statistiques à Addiction Suisse et chercheur au service d’alcoologie du CHUV.
Ligne rouge
Une consommation régulière d’alcool ou
quelques sévères «cuites» occasionnelles –
qui peuvent entraîner une intoxication aiguë
– ne conduisent pas forcément à la dépendance. «Un jeune de 20 ans sur deux boit régulièrement le week-end, constate Jean-Bernard Daeppen, mais seul un sur dix devient
dépendant; les autres évoluent vers une consommation modérée.»
Etre dépendant, c’est essentiellement
être incapable de contrôler sa consommation. Ce n’est donc pas une question de quanContrôle qualité
Le baclofène, médicament miracle
ou produit dangereux?
$Devenu alcoolique, le cardiologue francoaméricain Olivier Ameisen a auto-expérimenté le baclofène, un vieux médicament
myorelaxant. Guéri de son addiction, il
s’est fait l’apôtre de ce traitement dans «Le
dernier verre», publié en 2008. La polémique était lancée.
Le baclofène est-il, comme il le prétend,
un médicament miracle qui réduit l’envie
de boire? Certains addictologues en sont
persuadés et, sous leur pression et celle de
leurs patients, la France a finalement autorisé cette indication en mars 2014.
En Suisse, le médicament a aussi ses
défenseurs, comme l’addictologue
genevois Pascal Gache, qui a envoyé une
lettre à Swissmedic pour lui demander de
suivre l’exemple français. En vain. «Nous
ne pouvons examiner un médicament en
vue de l’autoriser pour une indication
précise que lorsque le fabricant nous
envoie une demande en ce sens»,
souligne Peter Balzi, porte-parole de
Swissmedic. Or, dans le cas du baclofène,
Novartis n’a rien demandé à l’agence
suisse du médicament. Pour l’instant,
le dossier est donc clos. Les médecins
peuvent prescrire ce traitement, mais
sous leur propre responsabilité.
Toutefois, le baclofène ne fait pas
l’unanimité chez les addictologues. «On
manque de preuve d’efficacité», estime
Jean-Bernard Daeppen, chef du service
d’alcoologie au CHUV, qui constate qu’en
France, «les résultats des deux études
terminées pourtant il y a deux ans n’ont
toujours pas été publiés». En outre, les
patients ont tendance à forcer sur la dose et
dans ce cas, précise le spécialiste du CHUV,
«le médicament peut être dangereux et
avoir des effets secondaires neurologiques».
Le médecin se veut donc prudent.
Voisin/AFP
d’un an,
un tiers des
personnes
venues
consulter
est devenu
abstinent,
un tiers boit
beaucoup
moins
et un tiers
a rechuté»
Jean-Bernard
Daeppen, chef du
service d’alcoologie
du CHUV
tité et il est difficile de fixer une ligne rouge
au-delà de laquelle on tomberait dans l’accoutumance. L’Organisation mondiale de la
santé considère cependant qu’au-delà de
quatorze verres de vin ou de bière par semaine pour les femmes et de vingt et un pour
les hommes, la consommation devient «à
risque» de développer diverses maladies et
de basculer dans l’addiction.
Outre les accidents et la violence provoqués par l’abus d’alcool – «qui affectent aussi
les proches», rappelle Gerhard Gmel – l’alcoolisme chronique est lié, entièrement ou
en partie, à diverses pathologies. Il peut notamment entraîner une cirrhose du foie et
des maladies digestives ou de la sphère ORL,
mais aussi favoriser le développement de
cancers, comme ceux du colon ou du sein,
ainsi que des troubles mentaux.
Abstinence
ou consommation modérée
«Généralement, les personnes concernées
ont conscience de leur état», reprend JeanBernard Daeppen. La dépendance survient
en effet autour de 25 ans, mais la plupart des
individus attendent plusieurs décennies
pour aller chercher de l’aide, «quand ils ont
des problèmes de santé». Il est vrai, précise
l’addictologue, que pour eux, la situation est
ambiguë car «l’alcool leur fait à la fois du
mal et du bien».
Leurs patients se sentant «souvent coupables», les médecins devraient s’attacher à
«les rassurer, sans jamais les juger». Quant
au traitement, il fait appel à la combinaison
de plusieurs méthodes. Les approches sont
«motivationnelles, ainsi que cognitives et
comportementales, ce qui permet au patient
de mieux comprendre son comportement et
de le modifier», explique Jean-Bernard
Daeppen. Elles passent aussi par la prescription de deux médicaments, le nalméfène (qui
aide à réduire sa consommation) et la naltrexone (qui prévient les rechutes chez les
abstinents). Certains médecins utilisent
aussi le baclofène, mais cette molécule fait
débat (lire encadré).
Autre solution pour ceux qui ne souhaitent pas arrêter complètement: la «consommation modérée». On accompagne les patients en les encourageant à se fixer des objectifs de modération et à les tester.
Globalement, le traitement est efficace.
«Au bout d’un an, un tiers des personnes venues consulter est devenu abstinent, un tiers
boit beaucoup moins et un tiers a rechuté»,
constate Jean-Bernard Daeppen. Mais au-delà
des statistiques, dans la pratique «le processus
peut être long». L’addictologue cite le cas
d’une femme de 60 ans qui était dépendante
à l’alcool depuis trente ans. «Elle venait consulter très régulièrement tout en continuant à
boire autant. Puis, au bout de quatre ans, lorsqu’elle s’est sentie prête, elle a arrêté.» U
La dépendance en chiffres
$ La consommation d’alcool en Suisse est
«presque deux fois supérieure à la moyenne
mondiale», d’après Gerhard Gmel,
épidémiologiste à Addiction Suisse et au CHUV.
$ La dépendance concernerait 5% de la
population de plus de 15 ans.
$ D’après une enquête faite par
l’épidémiologiste et ses collègues en 2011,
l’alcool aurait provoqué en Suisse «1600 décès
et fait perdre plus de 42 000 années de vie».
$ Les coûts sociaux dus à la consommation
abusive d’alcool se sont élevés à 4,2 milliards
de francs par an (soit 630 francs par citoyen
de plus de 15 ans) en 2010, selon une étude
mandatée par l’Office fédéral de la santé
publique.
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