AVANT-PROPOS
Ce nouveau numéro des Echos est double, à cheval sur
2015 et 2016. La mixité sociale, thématique mise à l’hon-
neur, nécessitait en effet des développements tels qu’un
« simple » numéro n’aurait pas suffi à en couvrir les dif-
férentes facettes. La présente livraison n’a toutefois pas
pour ambition d’avoir vidé le débat, loin s’en faut. Cette
édition des Echos du Logement est particulièrement riche en
textes divers. Ainsi, on compte pour la rubrique « Politique
du Logement » pas moins de onze contributions que ce
soit sous la forme d’articles de fond ou d’entretiens. Et
environ vingt personnes ont apporté leur pierre à l’édifi ce
de l’ensemble de la revue (auteurs, « intervieweurs »,
rapporteurs, …), sans parler des auteurs des différentes
illustrations. Sa conception a fait l’objet d’une collaboration
étroite avec Jean-Michel Degraeve, auteur régulier des Echos
dans la rubrique « Regards sur le passé » et expert de la
politique du logement. Nous tenons vivement à le remercier
pour ses conseils avisés et le temps qu’il y a consacré.
Venons-en à la thématique « Vivre ensemble ? La mixité
sociale, entre mythe et réalité ». L’observateur de la chose
publique, qu’il soit averti ou pas, aura sans doute constaté
que la « mixité sociale » est un concept régulièrement mis
en avant comme une sorte d’idéal à atteindre. Le Ministre
wallon du Logement considère que le but de sa réforme du
secteur du Logement public sera « de tendre, au travers de
la politique d’attribution des logements vers une meilleure
harmonie sociologique, en vue d’une amélioration de la
mixité sociale au sein du parc public, […] »1, ce qui rejoint
un constat posé par une étude commanditée par le Centre
interfédéral pour l’égalité des chances selon laquelle « La
recherche d’une plus grande mixité sociale en Wallonie
est surtout un enjeu socio-économique : on s’efforce de
mélanger différentes catégories de revenus afi n d’éviter
la constitution de ghettos où se concentre une population
défavorisée »2.
Mais « l’envie » de plus de mixité sociale ne se limite pas au
logement public. Elle constitue un moteur pour les villes et
communes qui entreprennent ou suscitent des rénovations,
parfois très lourdes, de quartiers dégradés espérant ainsi
attirer de nouvelles classes de revenus en leur sein. A contra-
rio, si elle n’est pas rencontrée, l’absence de mixité sociale
contrarierait la vie en société. « A l’heure où la mixité sociale
est menacée partout, quelles sont les réponses possibles des
1 « La prise en compte de l’âge dans le cadre de l’attribution des logements
sociaux », Parlement wallon, Question écrite du 2 octobre 2015 de Clotilde
LEAL LOPEZ à Paul FURLAN, Ministre des Pouvoirs locaux, de la Ville, du
Logement et de l’Energie.
2 « Diversité et discrimination dans le logement social : pour une approche
critique de la « mixité sociale », Wouter Bervoets et Marten Loopmans,
étude commanditée par le Centre interfédéral pour l'égalité des chances
(2011)
élus locaux ? », c’est en ces termes que l’IWEPS introduit un
débat organisé fi n 2015 sur les « Relations entre population,
lieu de résidence et politiques publiques ».
Cela étant, cet engouement pour la mixité sociale n’est pas
partagé par tous. « La mixité sociale, c’est la guerre aux
pauvres », titrait une affi che de 2004 signée par un collectif
qui s’opposait aux stratégies de rénovation et de construction
de logements mises en œuvre dans le 18e arrondissement
de Paris3. On sait en effet que les rénovations de quartiers
urbains peuvent entraîner des processus de gentrifi cation
dont les victimes sont les habitants disposant de peu de
moyens. Moins radical mais tout aussi interpellant est le
point de vue de Jacques Donzelot, sociologue de l’urbain :
« […] la mixité sociale sert beaucoup et effi cacement pour
contrer l’immixtion des minorités ethniques dans les centres-
villes au foncier potentiellement intéressant, ou à les en
évincer pour n’en garder que le cachet. Elle réussit très mal
quand il s’agit d’introduire des pauvres dans des communes
aisées. »4
On pourrait multiplier les exemples à l’envi ; l’intérêt de
cette courte mise en bouche est de montrer qu’en apparence
consensuelle, la « mixité sociale » est en fait un objet de
débat dans le domaine de la politique du logement. Le rap-
port du logement public à la mixité sociale, la rénovation
des quartiers centraux et son corollaire avéré ou phantasmé
(la gentrifi cation), la mixité des enclaves « aisées », …
sont autant de sujets de débat. Les Echos du Logement se
proposent dès lors de contribuer à la réfl exion en confrontant,
comme ils ont eu l’occasion de le faire lors des précédents
numéros, différents points de vue. Fonctionnaires, manda-
taires politiques, promoteur, experts, … vont dès lors se
succéder dans les pages qui suivent que ce soit par le biais
d’articles de fond ou d’entretiens.
Le Ministre wallon du Logement ouvre le débat. Paul Furlan
nous livre sa propre conception de la mixité sociale, singu-
lièrement dans le domaine du logement public. Selon lui, la
mixité sociale « est, à la fois, gage d’une forme de cohésion
sociale au sein des habitations et facteur d’équilibre fi nancier
pour les sociétés de logement de service public (SLSP) ».
La révision des modes d’attribution et l’instauration du droit
de tirage dans le cadre du fi nancement du logement public
devraient, selon lui, permettre d’améliorer la situation sur
le terrain.
De logement public, il en sera question également dans
l’article de Bernard Monnier, conseiller à la DGO 4, qui fait
3 http://www.non-fi des.fr/?La-mixite-sociale-c-est-la-guerre
4 Quand la ville se défait – Quelle politique face à la crise des banlieues ?
Coll. La couleur des idées, éd du Seuil, 2006
le bilan des mesures existantes visant à inciter les communes
à augmenter la part de leurs logements sociaux sur leur terri-
toire. Plus généralement, cet article a une valeur introductive
par rapport à notre thématique centrale. Il s’interroge sur
les raisons de la quête de mixité sociale dans le chef des
décideurs et avance des pistes de réfl exion pour une nou-
velle approche consistant à réinvestir les quartiers concernés
davantage sur le plan socio-culturel et économique que par
le biais d’un changement de population.
Après cela, André Pire, Directeur-gérant d’une société de
logements publics du sud de la Province du Luxembourg,
nous fait part des expériences de sa société en matière de
mélange de logements moyens et sociaux. Avec un taux de
logements moyens de 5 %, sa société dépasse largement
la moyenne wallonne (1 %). On verra que dans le Sud-
Luxembourg, comme (sans doute) ailleurs, les candidats
aux « revenus moyens » ne se pressent pas au portillon
pour louer ce type de logement.
On lira ensuite avec intérêt la contribution de Yoan Miot,
Maître de conférences à l’Ecole d’Urbanisme de Paris, qui
décrit les stratégies résidentielles employées par la ville
de Roubaix pour rendre attractifs ses quartiers anciens et
souvent dégradés. Il y contextualise les politiques urbaines
eu égard aux théories développées par des chercheurs en
vogue, dont notamment Richard Florida, l’auteur du concept
de « ville créative ». Il y traite des intentions affi chées par
les pouvoirs publics (ramener la classe moyenne), de leur
rapport à la mixité sociale, … Il y fait la part belle à la
description d’outils de fi nancement public, ce qui ne man-
quera pas de susciter la comparaison avec les outils wallons,
dont la rénovation urbaine, qui fait l’objet d’un autre article.
Sa conclusion nous montre que la ville de Roubaix peine
à atteindre ses ambitions, ce qui incite l’auteur à avancer
des pistes de réfl exion. A sa suite, Mathieu Van Criekingen,
chercheur en Géographie urbaine à l’ULB, est interrogé sur
la façon dont le concept de mixité sociale est appréhendé
au travers des propos des pouvoirs publics. Ce spécialiste de
la gentrifi cation décode le discours ambiant et insiste sur le
fait que la mixité sociale, tant souhaitée par les décideurs,
relève de l’action, voire du jugement (positif) de valeur,
avant d’être un phénomène dont les bienfaits seraient
scientifi quement analysés, voire démontrés.
De longue date, la rénovation des quartiers a été considérée
comme un des vecteurs d’amélioration de la mixité sociale.
A cet égard, Les Echos du Logement ont souhaité interroger
Michel Dachouffe, directeur de l’Aménagement opération-
nel à la DGO 4. Ce dernier analyse les effets sur le terrain
des politiques de rénovation urbaine. Même si le maintien ou
le développement de la population locale fi gure au nombre
de ses objectifs, il est plutôt malaisé de tirer le bilan de