Association pour la recherche interculturelle
Bulletin No 45 /décembre 2007 6
plus de 100 différents pays (Piché, 2003). Le Canada est un pays d’immigration avec droit de sol.
La citoyenneté y est accessible dans un délai relativement court, soit après 3 années de résidence
permanente. Cette diversité conjuguée à une volonté politique4 et à une histoire de double majorité
(francophone et anglophone) donne lieu à un environnement urbain cosmopolite où l’on retrouve de
multiples langues et religions (Germain & Rose, 2000).
Puisant à même une recherche en cours (Fortin et coll.), nous traitons ici de quelques-uns des
enjeux de la pratique clinique en contexte pluraliste. Après avoir présenté le contexte de recherche,
nous discutons de quelques écueils de l’approche biomédicale et des limites d’une prise en compte
isolée des dimensions biologiques ou organiques d’un problème de santé. Nous présentons ensuite
la rencontre clinique pédiatrique comme une rencontre triadique situant les acteurs (le soignant, le
soigné et sa famille) dans un espace social traversé par des trajectoires migratoires et de soins. Cet
espace triadique est relationnel, au carrefour de plusieurs normes et valeurs, modèles sociaux et
culturels qui à leur tour teintent les différentes perspectives observées dans le cadre de notre étude.
Nous évoquons ensuite la dimension asymétrique de l’échange clinique et comment les rapports
sociaux s’imbriquent dans la relation de soins. La reconnaissance croissante des composantes
culturelles dans l’échange clinique est ensuite traitée. Nous verrons comment la culture, a priori
celle de l’Autre, freine parfois l’équipe soignante dans son investissement de la relation
parent/médecin. Paradoxalement, les médecins ressentent bien la diversité de normes et de valeurs
qui traversent leur propre pratique et évoquent la pluralité des cultures médicales. La notion
d’altérité et les limites des associations phénotypiques, origine ethnique et culture sont discutées en
guise de conclusion ainsi que la complexité des phénomènes sociaux et biologiques.
La méthode de recherche
À partir de différents sites d’enquête (services de pédiatrie générale et de surspécialité), nous
examinons les pratiques cliniques, particulièrement celles des médecins, mais avec un intérêt
marqué pour la relation soignant/soigné/famille5. Notre approche est ethnographique, comprenant
l’observation d’espaces cliniques pluridisciplinaires; des échanges informels avec divers praticiens,
patients et familles (s’échelonnant sur une année); une quarantaine d’entretiens individuels sont
menés auprès de médecins (entretiens semi-dirigés durant entre 90 et 120 minutes). Le dernier volet
de cette recherche implique une vingtaine d’études de cas auprès des patients et de leur famille.
Ceux-ci sont sélectionnés en fonction de la mobilisation de l’équipe soignante, ainsi que la présence
d’attentes non satisfaites de parts et d’autres, dont l’adhésion au traitement, l’implication des
parents, les attentes thérapeutiques formulées.
Le choix de l’utilisation d’une triple méthode d’enquête vise à documenter: les pratiques
quotidiennes des médecins, et parallèlement celles d’autres professionnels de la santé concernés;
l’univers des patients et de leur famille; la dynamique relationnelle entre les cliniciens, les patients
et leur famille. Nous sommes attentifs à tout ce qui concerne la trajectoire de soins, les modalités
décisionnelles, ainsi que la biographie des patients. Le choix d’un traitement, le passage des soins
curatifs aux soins palliatifs (Duval & al, 2004), les soins invasifs et l’acharnement thérapeutique
(Saint-Arnaud, 1999) ponctuent la trajectoire thérapeutique, occasionnant parfois des
incompréhensions mutuelles. Ces moments critiques, porteurs d’une «densité symbolique
4 Le pluralisme est une valeur pan-canadienne et une importante réponse à la situation démographique. Voir, entre
autres, les travaux de Li (2003), Elbaz & Helly (2000).
5 L’équipe de recherche constituée pour mener à bien cette étude, en cours depuis 2005, est composée de S. Fortin, G.
Bibeau (anthropologues), F. Alvarez (pédiatre), D. Laudy (éthicienne) et des assistants de recherche, M.E. Carle, G.
Davis, G. Garnon, E. Laprise, N. Morin et S. Shahrokni. Cette recherche est soutenue par les Instituts de recherche en
santé du Canada, l’Unité de pédiatrie interculturelle et l’axe Avancement et devenir en santé du Centre de recherche du
Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine. La phase exploratoire de l’étude, menée en 2003 par Fortin, a été
financée par le Fonds de recherche en santé du Québec.