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raisonner juste et vrai, condition nécessaire du bon usage de la raison dans les autres
matières13. Par contre, l'ordre de la démonstration (ordo demonstrandi) exigera de commencer
plutôt par l'ontologie et la psychologie expérimentale, qui établiront les concepts premiers
dont se sert la philosophie14. Wolff précise d'ailleurs que l'on ne peut traiter la philosophie
avec les deux modes en même temps, et finit par préférer l'ordre didactique comme étant plus
conforme aux nécessités de la formation philosophique15.
c) L'exigence wolffienne de la logique.
Le langage ainsi ordonné, tel qu'il est utilisé par Wolff, est tout à fait frappant. Le
XVIIème siècle l'a préparé, sous l'impulsion décisive de Descartes, à titre de règle
intellectuelle (more geometrico demonstrata16) revendiquant toujours plus d'autonomie par
rapport à la disputatio scolastique et surtout par rapport à la syllogistique formelle
d'Aristote17. Le statut de ce nouveau langage méthodique, exploré notamment par Spinoza,
sera définitivement établi et confirmé par Leibniz. Wolff, pour sa part, va tenter de
l'appliquer18, faisant de lui, en quelque sorte, le "patrimoine" de la pensée allemande du
XVIIIème siècle. Il déclare, dès le traité sur les Aërometriae Elementa de 1709, qu' "en ce qui
concerne la méthode après laquelle je pense qu'on doit traiter toute la la philosophie et même
la physique, je reconnais qu'aucune d'autre ne convient comme la méthode des géomètres aux
sciences19." C'est bien en effet la grammaire du géomètre qui se déploiera sous nos yeux,
13 DP, ch. III, §88 : "Si tu es résolu à te mettre avec profit au service de la philosophie, il te faut traiter la Logique
en tout premier lieu. En effet, la logique enseigne les règles par lesquelles la faculté de connaître est dirigée dans
la connaissance de la vérité."
14 DP, ch.III, §90 : "S’il faut, en Logique, tout démontrer rigoureusement en apportant les raisons authentiques, il
faut disposer la Logique après l’Ontologie et la Psychologie. En effet, elle tire ses principes de l’Ontologie et de
la psychologie."
15 DP, ch. III, §91 : "On ne peut satisfaire à l’une et à l’autre méthode. (…) Nous avons donc préféré que la
méthode de l’étude l’emporte sur la méthode de la démonstration."
16 Cf. H. W. Arndt, Methodo scientifica pertractatum. Mos geometricus und Kalkülbegriff in der philosophischen
Theorienbildung des 17. und 18. Jahrhunderts, Walter de Gruyter, Berlin, 1971.
17 "(…) il demeure une opposition fondamentale entre la procédure de la disputatio médiévale et le paradigme
d’une logique algorithmique. La conception d’un calcul logique marque la rupture la plus radicale, opérée dans
l’esprit du mécanisme, entre deux modes discursifs incompatibles (…)." H. H. Knecht, La logique de Leibniz ;
essai sur le rationalisme baroque, l’âge d’homme, Lausanne, 1981, p. 314.
18 Ce point commun entre Leibniz et Wolff ne doit pas pour autant laisser penser que Wolff ne ferait que
systématiser Leibniz en utilisant sa propre méthode. Tout d’abord Leibniz remarquait lui-même que Wolff ne
connaissait de lui que ce qu’il avait publié. Ensuite, il est évident que Wolff avait l’idée de son langage avant
même de correspondre avec Leibniz, et que les points de divergence doctrinale entre eux sont nombreux. De
surcroît, Wolf n’est pas allé aussi loin que Leibniz dans la formalisation algébrique de ce langage. Néanmoins, il
est permis d’affirmer que, par sa volonté de construire et d’appliquer ce langage méthodique, en réintégrant
notamment la forme syllogistique, Wolff se situe "dans la lignée" de Leibniz tout en se situant en retrait par
rapport à lui. Sur les recherches de Wolff en matière de logique formelle, on peut consulter l’ouvrage de
Francesco Barone, Logica formale nell’illuminismo tedesco, Filosofia VII, 2 (1956), pp.254-290. Sur l’influence
de Leibniz sur Wolff, voir J. Ecole, Wolff était-il leibnizien ? in Nouvelles études et nouveaux documents
iconographiques sur Wolff, Olms, Hildesheim, GW III-35, pp.131-151, ainsi l'article de S. Carboncini, "Nuovi
aspetti del rapporto tra Christian Wolff e Leibniz. Il caso della Monadologie", in Wolffiana I, Olms, Hildesheim,
2005, pp. 11-46.
19 AE, p. 10 (non paginé) : "Quod methodum attinet, qua universam Philosophiam, adeoque & Physicam
pertractandam esse judicio, non aliam, quam methodum Geometrarum scientiis convenire agnosco."