Les systèmes de santé nationaux du nord de l`Europe et l`influence

Les systèmes de santé nationaux du nord
de l’Europe et l’influence des modèles
libéraux durant la crise des années
quatre-vingt-dix
Sandrine Chambaretaud et Diane Lequet-Slama* 1
Les systèmes de santé des trois pays nordiques de l’Union européenne
(Danemark, Suède, Finlande) reposent sur des principes fondateurs com-
muns : une couverture et un accès universels aux soins, un financement
essentiellement assuré par l’impôt, une forte prédominance du secteur
public – tant en ce qui concerne le financement que la fourniture des soins –
et une structure très décentralisée.
Au Danemark et en Suède, les comtés sont responsables de l’organisation et
du financement du système de santé et de la fourniture des soins. En Fin-
lande, ce rôle est dévolu aux municipalités. Comtés et municipalités gou-
vernés par des assemblées élues disposent donc du droit de lever des impôts
pour couvrir les dépenses de santé. L’intervention de l’État central est
limitée à certains domaines spécifiques tels que, par exemple, la définition
d’un panier de soins minimum, les procédures d’autorisation de mise sur le
marché des médicaments. Il joue toutefois un rôle important dans la défini-
tion des priorités et des grands objectifs de santé publique.
Durant la crise économique des années quatre-vingt-dix et à la suite de la
baisse des ressources publiques, des réformes inspirées du New Public
Management ont été menées dans ces trois pays, particulièrement en Suède.
Les principaux outils mobilisés ont été le renforcement du rôle des autorités
locales dans l’organisation du système de santé, le recours à des modes de
rémunération plus incitatifs pour les médecins généralistes et la séparation
des acheteurs et des offreurs avec une mise en concurrence de ces derniers.
Les problèmes qui se posent aujourd’hui dans les systèmes de santé nordi-
ques ne ressortissent plus à la maîtrise des dépenses mais plutôt aux diffi-
cultés de coordination au sein de systèmes extrêmement décentralisés et à
la persistance de listes d’attente, au moins très impopulaires, pour l’accès
aux soins hospitaliers.
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*Sandrine Chambaretaud, chargée de mission au Commissariat général du Plan ; Diane
Lequet-Slama, chargée de mission à la DREES.
1Les auteures tiennent tout particulièrement à remercier les experts qu’elles ont pu rencontrer
lors d’une mission effectuée dans ces trois pays, en mai 2002, qui ont fourni l’essentiel des
documents sur lesquels s’appuie ce travail, ainsi qu’un rapporteur anonyme pour ses commen-
taires pertinents. Erreurs ou omissions restent nôtres.
nLe modèle nordique : service public universel
et décentralisation politique
L’intervention publique dans le domaine de la santé est ancienne dans les
trois pays du nord de l’Union européenne. En Suède ou en Finlande, dès le
XVIIesiècle, les municipalités mettent en place des structures de soins au
niveau local ; au Danemark, c’est dans le cadre d’un modèle bismarckien 1
que les prémisses d’un système de santé se développent à la même époque.
C’est au Danemark que l’évolution vers un système national de santé sera la
plus longue puisque le principe des assurances sociales ne sera aboli qu’en
1973. Aujourd’hui, les systèmes de santé de ces trois pays appartiennent au
groupe des services nationaux de santé du nord de l’Europe caractérisé par
une couverture universelle et le rôle majeur joué par la sphère publique. Les
résidents de ces pays bénéficient donc d’une prise en charge publique cor-
respondant à plus des trois quarts de leurs dépenses 2. Il s’agit presque tou-
jours d’une prestation en nature, les patients ne faisant pas l’avance des
frais.
Des systèmes très décentralisés pour l’organisation
et la gestion de la santé
Les trois pays nordiques de l’Union européenne sont décentralisés politi-
quement, l’autorité étant dévolue à des échelons administratifs inférieurs,
comtés et municipalités, gouvernés par des conseils élus. En matière de
santé, l’échelon responsable est la municipalité en Finlande, et le comté en
Suède et au Danemark.
Dans les trois pays, le gouvernement central définit les priorités de santé
publique qui sont ensuite appliquées assez librement et à leur rythme par les
comtés ou les communes. Il réglemente le système et a un pouvoir de con-
trôle et de sanction en cas de défaillance de l’échelon décentralisé.
En Finlande, l’objectif d’équité d’accès aux soins inscrit dans les axes prio-
ritaires permet au gouvernement d’intervenir en cas de manquement des
municipalités en saisissant le « conseil de sécurité de base » qui correspond
en France aux corps d’inspection et de contrôle. De même, des normes de
qualité pour les soins aux personnes âgées sont établies nationalement édic-
tant des recommandations sur le nombre d’infirmières par lit ou encore le
contenu des formations pour le personnel spécifiquement chargé de la prise
en charge de la démence.
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1C’est-à-dire un modèle d’assurance sociale où les droits sont déterminés par l’activité pro-
fessionnelle.
2En 1999, plus de 82 % des dépenses de santé étaient assurées par un financement public en
Suède et au Danemark et 75 % en Finlande (la moyenne européenne étant de 74 %).
Au Danemark, le gouvernement est très impliqué dans la mise en place de
projets stratégiques spéciaux qui organisent un continuum des soins, de la
prévention au curatif. Ces derniers portent sur le cancer, la lutte contre les
maladies cardio-vasculaires, les allergies, le diabète, l’ostéoporose. Le
ministère de l’Intérieur et de la Santé a aussi initié récemment un pro-
gramme de recherche sur les offres alternatives de traitement. Il est assisté
dans sa tâche par des organismes et agences qui jouissent d’une grande
indépendance et ont des fonctions exécutives, de conseil et de contrôle. Le
Conseil national de santé, essentiellement composé de professionnels de
santé, coordonne l’offre de soins et établit des directives de planification.
La Suède a beaucoup développé le rôle de l’expertise dans la détermination
des politiques de santé. La préparation des documents stratégiques présen-
tés au Parlement s’accompagne de la mise en place, pour une durée d’un an
ou deux, d’une commission ad hoc dont les objectifs sont spécifiés dans un
document émanant du ministère de la Santé et des Affaires sociales. Ces
commissions sont souvent constituées de membres du Parlement apparte-
nant à la majorité et à l’opposition, de représentants des syndicats et d’orga-
nisations concernées par le problème ainsi que d’experts et de membres de
l’administration. Elles ne comptent généralement qu’une dizaine de mem-
bres. Elles jouissent d’une grande liberté pour poursuivre leurs investiga-
tions. Lorsqu’il n’y a pas unanimité sur les propositions, le rapport final
peut inclure un certain nombre d’alternatives. Ces commissions ont une
grande influence y compris au niveau local.
Les autorités locales jouent un rôle majeur aussi bien dans l’organisation et
la gestion du système de santé que dans son financement ; plus de 80 % des
dépenses de santé au Danemark, 67 % en Suède et 43 % en Finlande sont
financées via la fiscalité locale.
En Suède, les vingt et un comtés doivent fournir l’ensemble des soins à une
population qui varie de 133 000 à 1,8 million de personnes. Ils lèvent direc-
tement les impôts affectés à la santé et les dépenses de santé représentent
85 % de leur budget. À côté de la gestion des soins primaires, les comtés
dirigent les structures hospitalières et autorisent l’installation de praticiens
privés. La réforme Ädel de 1992 a, en outre, donné aux municipalités la res-
ponsabilité de certains soins à dominante sociale : soins aux personnes
âgées, aux personnes handicapées et depuis 1995, soins de longue durée
aux malades mentaux.
Au Danemark, les quatorze comtés, dont la population varie de 46 000 à
600 000 personnes, consacrent près de 75 % de leur budget à la gestion des
services de santé. Ils sont propriétaires des structures hospitalières et autori-
sent l’installation des médecins généralistes. Les comtés s’engagent lors
des négociations budgétaires avec le gouvernement central sur des objectifs
économiques précis comme le taux de croissance des dépenses de santé 1.
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durant la crise des années quatre-vingt-dix
1Cf. Vrangbaek K. & Christiansen T., (2002).
Par ailleurs, les enveloppes budgétaires attribuées par le pouvoir central ne
sont pas fongibles et les comtés ne sont pas autorisés à utiliser des fonds
consacrés aux achats de médicaments pour financer des soins dentaires, par
exemple.
En Finlande, les responsabilités liées à la gestion du système de soins sont
totalement décentralisées au niveau des 448 municipalités. Ces dernières,
gouvernées par des conseils élus, bénéficient d’une grande liberté dans
l’organisation et dans la gestion du système de santé local. Elles peuvent
contracter avec des praticiens privés pour la fourniture de certains types de
soins (soins dentaires, par exemple) ou mettre en place des dispensaires
spécialisés. Les municipalités lèvent des impôts et des taxes pour couvrir
leurs obligations en matière sanitaire. Les soins hospitaliers sont gérés par
les vingt districts hospitaliers qui regroupent une population comprise entre
70 000 et 800 000 habitants ; chaque commune est tenue d’appartenir à un
district hospitalier.
Encadré 1 : Quelques données démographiques
Parmi ces trois pays, la Suède est celui qui compte la population la plus
importante avec 8,9 millions d’habitants contre 5,3 millions pour le Danemark
et 5,2 millions pour la Finlande ; c’est aussi le pays où la part des plus de
65 ans est la plus forte (17,4 % de la population en 2000), les personnes de
plus de 65 ans en Finlande et au Danemark représentant environ 15 % de la
population.
La densité de la population est particulièrement faible en Finlande (15 habi-
tants par km2) et en Suède (20 habitants par km2) alors que le Danemark est
relativement plus peuplé (122 habitants par km2). En termes de richesse,
c’est au Danemark que le produit intérieur brut par tête est le plus élevé
(29 340 euros parité pouvoir d’achat en 2000), la Finlande et la Suède ayant
un produit intérieur brut par tête de l’ordre de 25 000 euros parité pouvoir
d’achat en 2000.
L’espérance de vie en 1999 était pour les hommes de 73,8 ans en Finlande,
74,2 ans au Danemark et 77 ans en Suède ; pour les femmes elle était de
79 ans au Danemark, de 81 ans en Finlande et de 81,9 ans en Suède.
Sources
: OCDE-Écosanté, OMS.
Les modalités de l’accès aux soins
En Suède et en Finlande, l’accès aux soins primaires est essentiellement
assuré via des centres de santé locaux qui regroupent des médecins généra-
listes, des infirmières, du personnel paramédical et même des travailleurs
sociaux (Finlande). En Finlande et en Suède, les infirmières ont des respon-
sabilités médicales plus étendues qu’en France. En Suède, les infirmières
peuvent adresser les patients à un médecin généraliste dans un dispensaire
ou même directement à l’hôpital mais elles exercent tout de même sous la
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direction d’un praticien et leur pouvoir en matière de prescription médicale
est limité. En Finlande, les infirmières ont leurs propres cabinets de consul-
tation et fournissent une grande partie des soins maternels et infantiles, des
soins aux personnes âgées et handicapées. Elles jouent un rôle fondamental
en matière de prévention et peuvent aussi constituer le point d’accès aux
soins secondaires. Au Danemark, les médecins généralistes exercent dans
un cadre libéral mais n’en sont pas moins rémunérés par le service national
de santé.
Si la gratuité totale des soins était un des principes fondateurs des systèmes
nationaux de santé du nord de l’Europe, une participation au financement
des soins est aujourd’hui demandée aux assurés. En Finlande et en Suède,
des tickets modérateurs existent pour la plupart des biens et services médi-
caux ; ils sont d’un montant variable selon les comtés (Suède) ou les muni-
cipalités (Finlande) mais limités par un plafond annuel fixé au niveau
central 1. Au Danemark, la participation des usagers est beaucoup plus mar-
ginale et concerne uniquement les soins dentaires et les médicaments. Les
consultations médicales et l’hospitalisation sont entièrement financées par
le service national de santé.
Dans ces trois pays, les patients accèdent aux soins de spécialistes et hospi-
taliers après une consultation avec un médecin généraliste ou dans un
centre de soins primaires 2. Les délais d’accès à ces soins sont parfois
importants et la persistance de listes d’attente est un des problèmes majeurs
des systèmes de santé scandinaves.
En Suède et au Danemark, depuis 1993, les patients choisissent librement
leur hôpital dans leur comté de résidence ou à l’extérieur si les soins qui leur
sont nécessaires n’y sont pas dispensés. En Finlande, en revanche, les
patients sont dirigés vers l’hôpital désigné par leur médecin généraliste, ce
qui limite leur liberté réelle de choix. Dans les trois pays, les assurés peu-
vent toujours, en cas d’urgence, se rendre directement à l’hôpital.
Une offre de soins majoritairement publique
L’offre de soins dans ces pays est proche de la moyenne européenne en ce
qui concerne la densité médicale ; elle est, en revanche, nettement plus
faible pour le secteur hospitalier. La réduction du nombre de lits (pour
l’ensemble des établissements) a été particulièrement marquée en Finlande
et en Suède au cours des années quatre-vingt-dix. Selon les données de
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Les systèmes de santé nationaux du nord de l’Europe et l’influence des modèles libéraux
durant la crise des années quatre-vingt-dix
1En Suède, le plafond annuel de participation des usagers est de 99 euros (pour les soins non
hospitaliers) et de 198 euros pour la pharmacie. En Finlande, ce plafond est fixé à 589 euros
pour les soins et 580 euros pour la pharmacie.
2Seul le Danemark a prévu une possibilité pour l’assuré d’échapper à la filière de soins en
finançant une partie de ses soins (statut 2) mais 3 % seulement des Danois ont choisi cette
option.
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