Les systèmes de santé nationaux du nord de l`Europe et l`influence

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Les systèmes de santé nationaux du nord
de l’Europe et l’influence des modèles
libéraux durant la crise des années
quatre-vingt-dix
Sandrine Chambaretaud et Diane Lequet-Slama* 1
Les systèmes de santé des trois pays nordiques de l’Union européenne
(Danemark, Suède, Finlande) reposent sur des principes fondateurs communs : une couverture et un accès universels aux soins, un financement
essentiellement assuré par l’impôt, une forte prédominance du secteur
public – tant en ce qui concerne le financement que la fourniture des soins –
et une structure très décentralisée.
Au Danemark et en Suède, les comtés sont responsables de l’organisation et
du financement du système de santé et de la fourniture des soins. En Finlande, ce rôle est dévolu aux municipalités. Comtés et municipalités gouvernés par des assemblées élues disposent donc du droit de lever des impôts
pour couvrir les dépenses de santé. L’intervention de l’État central est
limitée à certains domaines spécifiques tels que, par exemple, la définition
d’un panier de soins minimum, les procédures d’autorisation de mise sur le
marché des médicaments. Il joue toutefois un rôle important dans la définition des priorités et des grands objectifs de santé publique.
Durant la crise économique des années quatre-vingt-dix et à la suite de la
baisse des ressources publiques, des réformes inspirées du New Public
Management ont été menées dans ces trois pays, particulièrement en Suède.
Les principaux outils mobilisés ont été le renforcement du rôle des autorités
locales dans l’organisation du système de santé, le recours à des modes de
rémunération plus incitatifs pour les médecins généralistes et la séparation
des acheteurs et des offreurs avec une mise en concurrence de ces derniers.
Les problèmes qui se posent aujourd’hui dans les systèmes de santé nordiques ne ressortissent plus à la maîtrise des dépenses mais plutôt aux difficultés de coordination au sein de systèmes extrêmement décentralisés et à
la persistance de listes d’attente, au moins très impopulaires, pour l’accès
aux soins hospitaliers.
* Sandrine Chambaretaud, chargée de mission au Commissariat général du Plan ; Diane
Lequet-Slama, chargée de mission à la DREES.
1 Les auteures tiennent tout particulièrement à remercier les experts qu’elles ont pu rencontrer
lors d’une mission effectuée dans ces trois pays, en mai 2002, qui ont fourni l’essentiel des
documents sur lesquels s’appuie ce travail, ainsi qu’un rapporteur anonyme pour ses commentaires pertinents. Erreurs ou omissions restent nôtres.
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n
Le modèle nordique : service public universel
et décentralisation politique
L’intervention publique dans le domaine de la santé est ancienne dans les
trois pays du nord de l’Union européenne. En Suède ou en Finlande, dès le
XVIIe siècle, les municipalités mettent en place des structures de soins au
niveau local ; au Danemark, c’est dans le cadre d’un modèle bismarckien 1
que les prémisses d’un système de santé se développent à la même époque.
C’est au Danemark que l’évolution vers un système national de santé sera la
plus longue puisque le principe des assurances sociales ne sera aboli qu’en
1973. Aujourd’hui, les systèmes de santé de ces trois pays appartiennent au
groupe des services nationaux de santé du nord de l’Europe caractérisé par
une couverture universelle et le rôle majeur joué par la sphère publique. Les
résidents de ces pays bénéficient donc d’une prise en charge publique correspondant à plus des trois quarts de leurs dépenses 2. Il s’agit presque toujours d’une prestation en nature, les patients ne faisant pas l’avance des
frais.
Des systèmes très décentralisés pour l’organisation
et la gestion de la santé
Les trois pays nordiques de l’Union européenne sont décentralisés politiquement, l’autorité étant dévolue à des échelons administratifs inférieurs,
comtés et municipalités, gouvernés par des conseils élus. En matière de
santé, l’échelon responsable est la municipalité en Finlande, et le comté en
Suède et au Danemark.
Dans les trois pays, le gouvernement central définit les priorités de santé
publique qui sont ensuite appliquées assez librement et à leur rythme par les
comtés ou les communes. Il réglemente le système et a un pouvoir de contrôle et de sanction en cas de défaillance de l’échelon décentralisé.
En Finlande, l’objectif d’équité d’accès aux soins inscrit dans les axes prioritaires permet au gouvernement d’intervenir en cas de manquement des
municipalités en saisissant le « conseil de sécurité de base » qui correspond
en France aux corps d’inspection et de contrôle. De même, des normes de
qualité pour les soins aux personnes âgées sont établies nationalement édictant des recommandations sur le nombre d’infirmières par lit ou encore le
contenu des formations pour le personnel spécifiquement chargé de la prise
en charge de la démence.
1 C’est-à-dire un modèle d’assurance sociale où les droits sont déterminés par l’activité professionnelle.
2 En 1999, plus de 82 % des dépenses de santé étaient assurées par un financement public en
Suède et au Danemark et 75 % en Finlande (la moyenne européenne étant de 74 %).
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Les systèmes de santé nationaux du nord de l’Europe et l’influence des modèles libéraux
durant la crise des années quatre-vingt-dix
Au Danemark, le gouvernement est très impliqué dans la mise en place de
projets stratégiques spéciaux qui organisent un continuum des soins, de la
prévention au curatif. Ces derniers portent sur le cancer, la lutte contre les
maladies cardio-vasculaires, les allergies, le diabète, l’ostéoporose. Le
ministère de l’Intérieur et de la Santé a aussi initié récemment un programme de recherche sur les offres alternatives de traitement. Il est assisté
dans sa tâche par des organismes et agences qui jouissent d’une grande
indépendance et ont des fonctions exécutives, de conseil et de contrôle. Le
Conseil national de santé, essentiellement composé de professionnels de
santé, coordonne l’offre de soins et établit des directives de planification.
La Suède a beaucoup développé le rôle de l’expertise dans la détermination
des politiques de santé. La préparation des documents stratégiques présentés au Parlement s’accompagne de la mise en place, pour une durée d’un an
ou deux, d’une commission ad hoc dont les objectifs sont spécifiés dans un
document émanant du ministère de la Santé et des Affaires sociales. Ces
commissions sont souvent constituées de membres du Parlement appartenant à la majorité et à l’opposition, de représentants des syndicats et d’organisations concernées par le problème ainsi que d’experts et de membres de
l’administration. Elles ne comptent généralement qu’une dizaine de membres. Elles jouissent d’une grande liberté pour poursuivre leurs investigations. Lorsqu’il n’y a pas unanimité sur les propositions, le rapport final
peut inclure un certain nombre d’alternatives. Ces commissions ont une
grande influence y compris au niveau local.
Les autorités locales jouent un rôle majeur aussi bien dans l’organisation et
la gestion du système de santé que dans son financement ; plus de 80 % des
dépenses de santé au Danemark, 67 % en Suède et 43 % en Finlande sont
financées via la fiscalité locale.
En Suède, les vingt et un comtés doivent fournir l’ensemble des soins à une
population qui varie de 133 000 à 1,8 million de personnes. Ils lèvent directement les impôts affectés à la santé et les dépenses de santé représentent
85 % de leur budget. À côté de la gestion des soins primaires, les comtés
dirigent les structures hospitalières et autorisent l’installation de praticiens
privés. La réforme Ädel de 1992 a, en outre, donné aux municipalités la responsabilité de certains soins à dominante sociale : soins aux personnes
âgées, aux personnes handicapées et depuis 1995, soins de longue durée
aux malades mentaux.
Au Danemark, les quatorze comtés, dont la population varie de 46 000 à
600 000 personnes, consacrent près de 75 % de leur budget à la gestion des
services de santé. Ils sont propriétaires des structures hospitalières et autorisent l’installation des médecins généralistes. Les comtés s’engagent lors
des négociations budgétaires avec le gouvernement central sur des objectifs
économiques précis comme le taux de croissance des dépenses de santé 1.
1 Cf. Vrangbaek K. & Christiansen T., (2002).
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Par ailleurs, les enveloppes budgétaires attribuées par le pouvoir central ne
sont pas fongibles et les comtés ne sont pas autorisés à utiliser des fonds
consacrés aux achats de médicaments pour financer des soins dentaires, par
exemple.
En Finlande, les responsabilités liées à la gestion du système de soins sont
totalement décentralisées au niveau des 448 municipalités. Ces dernières,
gouvernées par des conseils élus, bénéficient d’une grande liberté dans
l’organisation et dans la gestion du système de santé local. Elles peuvent
contracter avec des praticiens privés pour la fourniture de certains types de
soins (soins dentaires, par exemple) ou mettre en place des dispensaires
spécialisés. Les municipalités lèvent des impôts et des taxes pour couvrir
leurs obligations en matière sanitaire. Les soins hospitaliers sont gérés par
les vingt districts hospitaliers qui regroupent une population comprise entre
70 000 et 800 000 habitants ; chaque commune est tenue d’appartenir à un
district hospitalier.
Encadré 1 : Quelques données démographiques
Parmi ces trois pays, la Suède est celui qui compte la population la plus
importante avec 8,9 millions d’habitants contre 5,3 millions pour le Danemark
et 5,2 millions pour la Finlande ; c’est aussi le pays où la part des plus de
65 ans est la plus forte (17,4 % de la population en 2000), les personnes de
plus de 65 ans en Finlande et au Danemark représentant environ 15 % de la
population.
La densité de la population est particulièrement faible en Finlande (15 habitants par km2) et en Suède (20 habitants par km2) alors que le Danemark est
relativement plus peuplé (122 habitants par km2). En termes de richesse,
c’est au Danemark que le produit intérieur brut par tête est le plus élevé
(29 340 euros parité pouvoir d’achat en 2000), la Finlande et la Suède ayant
un produit intérieur brut par tête de l’ordre de 25 000 euros parité pouvoir
d’achat en 2000.
L’espérance de vie en 1999 était pour les hommes de 73,8 ans en Finlande,
74,2 ans au Danemark et 77 ans en Suède ; pour les femmes elle était de
79 ans au Danemark, de 81 ans en Finlande et de 81,9 ans en Suède.
Sources : OCDE-Écosanté, OMS.
Les modalités de l’accès aux soins
En Suède et en Finlande, l’accès aux soins primaires est essentiellement
assuré via des centres de santé locaux qui regroupent des médecins généralistes, des infirmières, du personnel paramédical et même des travailleurs
sociaux (Finlande). En Finlande et en Suède, les infirmières ont des responsabilités médicales plus étendues qu’en France. En Suède, les infirmières
peuvent adresser les patients à un médecin généraliste dans un dispensaire
ou même directement à l’hôpital mais elles exercent tout de même sous la
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durant la crise des années quatre-vingt-dix
direction d’un praticien et leur pouvoir en matière de prescription médicale
est limité. En Finlande, les infirmières ont leurs propres cabinets de consultation et fournissent une grande partie des soins maternels et infantiles, des
soins aux personnes âgées et handicapées. Elles jouent un rôle fondamental
en matière de prévention et peuvent aussi constituer le point d’accès aux
soins secondaires. Au Danemark, les médecins généralistes exercent dans
un cadre libéral mais n’en sont pas moins rémunérés par le service national
de santé.
Si la gratuité totale des soins était un des principes fondateurs des systèmes
nationaux de santé du nord de l’Europe, une participation au financement
des soins est aujourd’hui demandée aux assurés. En Finlande et en Suède,
des tickets modérateurs existent pour la plupart des biens et services médicaux ; ils sont d’un montant variable selon les comtés (Suède) ou les municipalités (Finlande) mais limités par un plafond annuel fixé au niveau
central 1. Au Danemark, la participation des usagers est beaucoup plus marginale et concerne uniquement les soins dentaires et les médicaments. Les
consultations médicales et l’hospitalisation sont entièrement financées par
le service national de santé.
Dans ces trois pays, les patients accèdent aux soins de spécialistes et hospitaliers après une consultation avec un médecin généraliste ou dans un
centre de soins primaires 2. Les délais d’accès à ces soins sont parfois
importants et la persistance de listes d’attente est un des problèmes majeurs
des systèmes de santé scandinaves.
En Suède et au Danemark, depuis 1993, les patients choisissent librement
leur hôpital dans leur comté de résidence ou à l’extérieur si les soins qui leur
sont nécessaires n’y sont pas dispensés. En Finlande, en revanche, les
patients sont dirigés vers l’hôpital désigné par leur médecin généraliste, ce
qui limite leur liberté réelle de choix. Dans les trois pays, les assurés peuvent toujours, en cas d’urgence, se rendre directement à l’hôpital.
Une offre de soins majoritairement publique
L’offre de soins dans ces pays est proche de la moyenne européenne en ce
qui concerne la densité médicale ; elle est, en revanche, nettement plus
faible pour le secteur hospitalier. La réduction du nombre de lits (pour
l’ensemble des établissements) a été particulièrement marquée en Finlande
et en Suède au cours des années quatre-vingt-dix. Selon les données de
1 En Suède, le plafond annuel de participation des usagers est de 99 euros (pour les soins non
hospitaliers) et de 198 euros pour la pharmacie. En Finlande, ce plafond est fixé à 589 euros
pour les soins et 580 euros pour la pharmacie.
2 Seul le Danemark a prévu une possibilité pour l’assuré d’échapper à la filière de soins en
finançant une partie de ses soins (statut 2) mais 3 % seulement des Danois ont choisi cette
option.
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l’OCDE, le nombre de lits pour 1 000 habitants est passé d’environ 12,5 en
1990 dans ces deux pays à 7,5 pour la Finlande et 3,6 pour la Suède en 2000.
Pour les médecins, c’est le mouvement inverse qui est observé depuis les
années soixante-dix (cf. tableau 1). La structure de l’offre et le partage
ville-hôpital ont donc été profondément bouleversés durant cette période.
Tableau 1 : Densité médicale (pour 1 000 habitants)
Danemark
Finlande
Suède
Moyenne Union européenne
1970
1980
1990
1999
1,4
0,9
1,3
1,2
2,2
1,7
2,2
2,0
3,1
2,4
2,9
2,7
3,4
3,1
2,9
3,3
Source : OCDE-Écosanté, 2002.
La place du secteur public est prépondérante tant dans le secteur ambulatoire que dans le secteur hospitalier. Les médecins généralistes sont
employés directement par les centres de santé locaux en Suède et en Finlande. En Finlande, plus de neuf médecins sur dix exercent dans le secteur
public bien qu’un tiers des médecins ait une activité privée à temps partiel 1.
En Suède également, les médecins généralistes sont, dans une forte majorité, employés par les centres de santé locaux, les autres généralistes exercent dans des centres de santé privés (12 %) ou très minoritairement en
libéral (7 %). Au Danemark, près d’un quart des praticiens sont des médecins généralistes qui exercent dans un cadre libéral 2 mais sont conventionnés et rémunérés par le service national de santé. En outre, 60 % des
médecins (toutes spécialités confondues) sont salariés au sein d’hôpitaux
publics.
De même, le domaine hospitalier est surtout public. Les lits privés représentaient moins de 1 % de l’offre de soins hospitaliers au Danemark (entre
100 et 200 lits) et 3,45 % des lits en Finlande en 1998 selon les données de
l’OMS. En revanche, la place du secteur hospitalier privé en Suède est plus
conséquente : selon les dernières données disponibles, 20 % de l’ensemble
des lits appartenaient au secteur privé en 1994. C’est dans ce dernier pays
que le mouvement de privatisation, initié par les réformes des années
quatre-vingt-dix, a été le plus important (les lits privés ne comptaient que
pour 7,5 % de l’offre hospitalière en 1990). L’extension du secteur privé a
suscité de très nombreux débats au sein du pays qui se sont accentués avec
la vente, en 1999, par le comté de Stockholm, d’un hôpital à une entreprise
privée (Capio qui possède des hôpitaux dans d’autres pays scandinaves
ainsi qu’en Suisse, au Royaume-Uni ou en France). Le gouvernement
1 Seulement 8 % des médecins finlandais exercent exclusivement dans le secteur privé.
2 Les généralistes ayant un exercice clinique représentent 23 % des médecins.
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Les systèmes de santé nationaux du nord de l’Europe et l’influence des modèles libéraux
durant la crise des années quatre-vingt-dix
central a exprimé, à cette occasion, sa forte désapprobation et, en 2001, une
loi interdisant le transfert d’hôpitaux publics au secteur privé a été voté par
le Parlement.
La qualité des soins
Dans l’ensemble de ces pays des réflexions ont été engagées sur la qualité
des soins. Au Danemark, un comité national est actuellement chargé de
définir un modèle d’accréditation pour l’ensemble des hôpitaux danois. En
Suède, depuis 1994, un dispositif de développement continu de la qualité
des services de santé, axé sur les usagers, est expérimenté. Un instrument de
mesure élaboré par la Fédération des comtés, qui résume des données relatives à la qualité, au développement et à l’encadrement, est disponible depuis
1996. Par ailleurs, une cinquantaine de fichiers nationaux contiennent des
données sur les résultats des soins et traitements pour certaines pathologies.
Des références médicales sur des pathologies spécifiques comme le diabète, les accidents cérébro-vasculaires, les maladies coronariennes ont été
élaborées. En Finlande, des systèmes d’assurance qualité sont en place dans
la plupart des hôpitaux sur la base de référentiels de bonne pratique.
Une évolution des dépenses de santé maîtrisée
En 2000, selon les chiffres publiés par l’OMS, les dépenses de santé représentaient 6,6 % du PIB en Finlande, 8,3 % au Danemark et 8,4 % en
Suède 1 (cf. figure 1). Si la part de la richesse consacrée à la santé en Finlande est relativement faible, les chiffres du Danemark et de la Suède sont,
quant à eux, légèrement supérieurs à la moyenne des pays de l’Union européenne (8 % en 2000). On peut noter qu’au Danemark et en Suède, la part
des dépenses de santé dans le PIB a décliné de manière assez régulière au
début des années quatre-vingt.
L’évolution apparemment très heurtée de la part des dépenses de santé dans
le PIB en Finlande ne résulte pas seulement d’une forte volatilité des dépenses de santé mais aussi de la très forte récession qu’a connue ce pays au
début des années quatre-vingt-dix. Ainsi, les dépenses de santé représentaient plus de 9 % en 1992-1993 d’un PIB fortement diminué.
1 Pour la Suède, il s’agit d’une estimation réalisée par l’OMS. Les dernières données officielles disponibles remontent à 1998 avec 7,9 % du PIB.
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Figure 1 : Part des dépenses de santé dans le PIB
Source : OCDE-Écosanté, 2002, estimation OMS pour la Suède en 1999 et en 2000.
En Suède et au Danemark, le taux de croissance des dépenses de santé (corrigé de l’inflation) est resté relativement modéré (cf. figure 2). En Finlande,
la fin des années quatre-vingt-dix est marquée à la fois par la forte croissance du PIB et par une évolution modérée des dépenses de santé, du même
ordre que celle observée au Danemark et en Suède. La maîtrise de la croissance des dépenses de santé semble donc être effective depuis la crise de
1993 dans ces trois pays.
En Suède et en Finlande les dépenses de santé per capita n’ont que peu évolué depuis 1990 alors que le Danemark connaît une progression plus importante (cf. tableau 2). Il n’en reste pas moins que le niveau absolu des
dépenses de santé par tête est plus élevé en Suède et au Danemark que pour
la moyenne de l’Union européenne : en 1998, les dépenses de santé par tête
s’élevaient à 1 701 € en moyenne dans l’Union européenne contre 1 931 €
pour la Suède et 2 457 € pour le Danemark (en Finlande, elles étaient de
1 560 €) selon les données de l’OCDE.
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Les systèmes de santé nationaux du nord de l’Europe et l’influence des modèles libéraux
durant la crise des années quatre-vingt-dix
Figure 2 : Le taux de croissance des dépenses de santé (corrigé de l’inflation)
Source : OCDE-Écosanté, 2002.
Tableau 2 : L’évolution des dépenses de santé par tête – base 100 en 1990
Dépenses de
santé – /capita, 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000
corrigées
de l’inflation
Danemark
Finlande
Suède
France
100
100
100
100
99
106
97
104
101
104
97
108
104
94
96
111
106
90
94
112
105
91
96
115
108
95
100
116
109
96
99
116
114
96
100
118
118
99
*
122
119
101
*
126
* Données non disponibles.
Source : OCDE-Écosanté, 2002.
n
Crise économique et réformes d’inspiration
libérale
Des évolutions des systèmes de santé d’Europe du Nord
inspirées d’une même logique
La diffusion du modèle de New Public Management a rencontré un écho
relativement important dans les débats sur l’organisation des systèmes de
santé des pays nordiques 1. Les réformes des systèmes de santé des années
1 Pour plus de détails cf. M. Minogue, (2001).
409
RFAS No 4-2003
quatre-vingt-dix s’inscrivent dans la logique de ce courant de pensée
popularisé dès les années quatre-vingt dans la plupart des pays occidentaux. Les réformes menées en Grande-Bretagne (de la création des
médecins gestionnaires de budget à celle des Primary Care Trusts), l’instauration d’un mode de rémunération prospectif dans les hôpitaux américains pour les patients affiliés à Medicare ou encore la mise en œuvre
d’une politique de contractualisation entre les ARH et les hôpitaux en
France relèvent, bien qu’à des niveaux différents, de cette même inspiration. Il s’agit, dans tous les cas, de modifier les structures et le mode de
gestion des organismes du secteur public dans l’objectif d’une meilleure
performance (Pollitt et Bouckaert, 2000), le but premier de ces réformes
étant d’améliorer l’efficience.
La mise en œuvre de ce type de réformes dans ces trois pays reste cependant
difficile à évaluer car l’élément moteur semble en avoir été la crise du début
des années quatre-vingt-dix qui a limité les ressources publiques consacrées à la santé : l’évolution des dépenses de santé et celle de l’organisation
de la fourniture des soins résultent donc tout autant de l’application de ce
modèle que de l’adaptation forcée des acteurs à la situation économique du
pays.
Les réformes suggérées par ce modèle vont principalement dans trois
directions :
– la séparation des différentes fonctions du service public avec l’introduction de relations acheteurs/fournisseurs et une moindre place des mécanismes de planification et de contrôle centraux au profit de la décentralisation
ou de la mise en place de relations contractuelles ;
– l’ouverture à la concurrence entre fournisseurs publics et organismes privés ou à but non lucratif ;
– l’introduction de méthodes de management inspirées du secteur privé
avec des modes de rémunération comportant des éléments fondés sur la
performance et la conduite d’audits.
Ces différents outils – qui ont pu être mis en avant lors des réformes récentes des systèmes de santé scandinaves – n’ont pas entraîné pour autant de
remise en cause réelle du rôle prépondérant du secteur public. Leur
influence s’est principalement fait sentir à trois niveaux. Tout d’abord, le
rôle du pouvoir central et des mécanismes de planification et de contrôle
s’est trouvé affaibli par le renforcement du pouvoir des régions ou des
municipalités, renforcement s’inscrivant lui-même dans une tradition de
décentralisation plus ancienne. Par ailleurs, une réflexion a été menée sur
les modes de rémunération des producteurs de soins et sur les incitations
attachées aux différents mécanismes de paiement, à la fois dans le secteur
ambulatoire et dans le secteur hospitalier. Enfin, plusieurs réformes visant à
promouvoir la séparation des acheteurs et des offreurs de soins ont été
mises en œuvre dans ces pays.
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Les systèmes de santé nationaux du nord de l’Europe et l’influence des modèles libéraux
durant la crise des années quatre-vingt-dix
L’accentuation du mouvement de décentralisation
Le renforcement de la décentralisation au Danemark, en Finlande et en
Suède a été fortement lié à la grave récession économique qu’ont connue
ces pays, et plus particulièrement, la Suède et la Finlande. Ce mouvement
s’est traduit, d’une part, par l’assouplissement des normes et des règles
édictées au niveau central et, d’autre part, par un certain désengagement
financier de l’État.
Malgré le rôle de décision et de gestion historiquement dévolu aux collectivités locales dans les trois pays nordiques, les gouvernements centraux
avaient l’habitude d’encadrer assez strictement l’organisation des soins, au
niveau local ou régional, par des directives dont le respect était une condition à l’octroi de subventions. Durant les années quatre-vingt et quatrevingt-dix, la définition des normes au niveau central a été assouplie, les
comtés ou les municipalités devenant plus indépendants. En Suède, si la
réforme de 1970 avait transféré le financement des soins aux comtés, c’est
surtout « l’Acte sur le système de santé » adopté en 1982 qui va leur donner
la responsabilité pleine et entière pour organiser et fournir les soins curatifs
et de prévention à leurs résidents.
Les modalités de la participation financière de l’État ont connu aussi une
évolution importante dans ces trois pays. Alors que, traditionnellement,
l’État prenait en charge un pourcentage fixe des dépenses de santé engagées
par les régions, les subventions sont maintenant distribuées sous la forme
d’enveloppes, calculées en fonction des besoins estimés et de la richesse de
la région et non plus en fonction des dépenses réellement engagées. En termes d’incitations, l’objectif de ce nouveau mode de financement du gouvernement central est d’encourager l’échelon local ou régional à améliorer
l’efficacité du système de santé en lui faisant supporter le poids financier de
ses décisions.
Dans les trois pays, des responsabilités importantes en matière sociale et
pour les soins de longue durée ont été complètement déléguées aux municipalités qui, aussi bien en Suède qu’au Danemark, ont été rendues financièrement responsables du coût du maintien à l’hôpital des patients âgés dont
l’état de santé ne nécessite plus de soins intensifs. En Finlande, la réforme
de 1993 a augmenté le pouvoir financier des municipalités et leur liberté de
décision en termes de régulation. Cette évolution s’est accompagnée d’une
réduction de la participation du gouvernement central aux dépenses de
santé qui est passée de 35 % à 18 % en 1999, l’enveloppe accordée aux
municipalités étant calculée sur la base d’un système de capitation pondérée en fonction de la structure par âge et de la morbidité.
En Finlande, la réduction des dépenses de santé au niveau local (réduction
liée à la baisse des subventions du gouvernement central et des recettes de
la fiscalité locale) a conduit à une diminution de la part des acteurs privés
dans le domaine de la santé. Ce résultat qui peut paraître paradoxal puisque
les collectivités locales financent l’ensemble des biens et services
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RFAS No 4-2003
médicaux, produits aussi bien par le secteur privé que par le secteur public,
tient au fait que le statut du personnel relevant de la sphère publique a limité
les ajustements dans ce secteur et les a reportés dans le secteur privé qui lui
a pu réduire son personnel.
Une des difficultés principales soulevées par cette décentralisation est liée à
la taille des municipalités : 75 % des municipalités comprennent moins de
10 000 habitants et 20 % moins de 2 000 habitants. Les municipalités ont
donc été contraintes de se regrouper en associations intercommunales pour
la fourniture de certaines prestations (soins psychiatriques, prestations aux
personnes handicapées...) et elles sont fédérées au sein de l’Association finlandaise des autorités locales qui joue auprès d’elles le rôle d’expert, de
conseil juridique et de communication. En revanche, ce sont les municipalités qui négocient directement avec les hôpitaux les prix des services
qu’elles achètent pour leurs assurés. Cette concurrence se fait généralement
au détriment des petites municipalités.
Des modes de rémunérations plus incitatifs
pour les médecins généralistes
La prise en compte des incitations attachées aux différents modes de paiement des médecins généralistes a conduit ces trois pays à adopter des schémas de rémunération mixtes qui ne sont pas toujours appliqués sur
l’ensemble du pays. C’est ainsi que, en Finlande, certaines municipalités
ont mis en place dans les années quatre-vingt, le système du « personal
doctor » dans lequel les patients s’inscrivent auprès d’un médecin particulier au sein du centre de santé dont ils dépendent, ce médecin devenant une
sorte de « médecin référent ». Ce système, qui concerne aujourd’hui 55 %
de la population finlandaise, a entraîné une modification des règles de
rémunération : le revenu d’un généraliste, dans ce cadre, est constitué pour
60 % d’une part salariale, pour 20 % d’un paiement à la capitation, pour
5 % d’un paiement à l’acte, le reste étant des rémunérations liées à des
arrangements locaux (primes, etc.). Les autres généralistes sont toujours
rémunérés sur une base salariale.
En Suède, ce sont les réformes du milieu des années quatre-vingt-dix qui
ont entraîné une modification du mode de rémunération des médecins généralistes. L’instauration de la liberté de choix du patient lors de l’inscription
sur la liste d’un médecin généraliste, s’est accompagnée de l’introduction
d’une composante capitation dans le revenu des médecins, traditionnellement salariés. L’objectif était d’inciter les médecins à fournir des soins de
qualité afin de conserver leur clientèle.
Au Danemark, les généralistes bénéficient d’un paiement à l’acte qui vient
s’ajouter à une rémunération fondée sur la capitation, ce dernier élément de
rémunération ayant été inclus afin de limiter l’effet inflationniste du paiement à l’acte.
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Les systèmes de santé nationaux du nord de l’Europe et l’influence des modèles libéraux
durant la crise des années quatre-vingt-dix
Concurrence et séparation des acheteurs
et des offreurs
La réforme Ädel, adoptée en 1992 en Suède, instaure une première ébauche
de marché interne. À l’image de la réforme Thatcher en Grande-Bretagne,
une distinction est faite entre acheteurs de soins et prestataires. La moitié
des comtés environ ont adopté ce système. Les acheteurs, à savoir les comtés eux-mêmes, négocient avec les hôpitaux afin d’établir des contrats
d’activité et de rémunération fondés le plus souvent sur un paiement à la
pathologie. Certains champs comme la psychiatrie, la gériatrie ou les
urgences ne sont pas inclus dans ce type de contrat et bénéficient d’un remboursement ex post des coûts. Pour les radiographies, les analyses de laboratoires et certains autres services, un système de fixation interne des prix
est mis en place afin de développer la concurrence. L’importance de ce type
de mécanisme varie toutefois sensiblement selon les comtés (cf. encadré 2
sur le modèle de Stockholm). Par ailleurs, dans les comtés qui n’ont pas
opéré de séparation entre les fonctions d’achat et d’offre, les hôpitaux fonctionnent toujours sur la base d’un budget global, déterminé en fonction de
l’historique des coûts.
Encadré 2 : Le modèle de Stockholm
En janvier 1992, le comté de Stockholm a introduit une nouvelle organisation
de l’offre de soins. Une des raisons de cette réforme était liée aux effets pervers du mode de financement qui prévalait avec un budget global annuel.
Les producteurs étaient incités à dépasser le montant des ressources qui
leur étaient allouées afin d’obtenir un budget supérieur l’année suivante : il
s’agissait donc d’un mode de paiement particulièrement inflationniste. De
plus, ce budget ne dépendait pas de la performance réelle des établissements mais plutôt de facteurs historiques.
Afin de remédier à cette situation jugée inéquitable, trois principes ont été
instaurés : la séparation des fonctions d’achat et d’offre, une allocation budgétaire déterminée en fonction des caractéristiques de la population de chalandise et l’introduction de marchés internes pour les services de santé. Les
acheteurs étaient constitués par neuf bureaux politiques locaux qui devaient
signer des contrats avec les médecins et les hôpitaux du comté. Les éléments essentiels de cette réforme étaient la mise en concurrence des
offreurs (les patients pouvant choisir librement parmi les différents offreurs),
la fixation de prix définis (basée sur les groupes homogènes de malades) et
un mode de paiement fonction de la performance. Ce dernier élément signifie
que les hôpitaux étaient exclusivement financés par le biais d’une tarification
à la pathologie.
Jusqu’en 1996, ce modèle a permis d’augmenter considérablement la productivité des hôpitaux du comté de Stockholm (avec une baisse de la durée
de séjour et une hausse de l’activité) sans pour autant avoir des effets négatifs en termes de qualité des soins ou de sélection des patients. Toutefois,
depuis 1997, il semble que les hôpitaux de ce comté ne connaissent pas une
évolution différente de celle des autres hôpitaux du pays.
413
RFAS No 4-2003
En Finlande, la réforme de 1993 va dans le même sens. Elle permet aux
municipalités de mener une politique active, notamment en achetant des
services de santé. Elles peuvent, par exemple, signer des contrats avec des
établissements hospitaliers, les revenus des hôpitaux dépendant dès lors de
la demande exprimée par les municipalités pour les soins de leurs administrés. La définition de ces services et le calcul d’un prix associé sont déterminés par une négociation entre chaque municipalité et les hôpitaux, en
l’absence de toute règle au niveau national. Il en résulte de fortes variations,
parfois au sein d’un même district hospitalier.
Au début des années quatre-vingt-dix, les municipalités finlandaises se sont
livrées à une véritable compétition entre elles pour réduire l’utilisation des
services hospitaliers. En effet, la réforme de l’allocation des fonds du
niveau central au niveau local, en 1993, s’est traduite par le passage d’un
remboursement ex post à un paiement ex ante, indépendant des dépenses
effectivement supportées par chaque municipalité et, dans le même temps,
la crise économique a limité considérablement les ressources des municipalités. Ces dernières ont donc tenté de réduire leurs dépenses de santé et plus
particulièrement les dépenses liées à l’hospitalisation 1. Ces deux phénomènes (réduction du nombre de consultations à l’hôpital et baisse du
nombre de séjours) ont entraîné une baisse des recettes de l’hôpital. Or une
grande partie des coûts supportés par l’hôpital est incompressible (coût de
personnel et coût des infrastructures) : la réduction de l’activité avait donc
tendance à se traduire par une augmentation des prix. Dès lors, lorsque certaines municipalités d’une région parvenaient à diminuer rapidement l’utilisation des services hospitaliers, l’hôpital régional était contraint
d’augmenter ses prix. En conséquence, les municipalités qui n’avaient pas
été aussi réactives que les autres en termes de réduction de l’utilisation de
ces services, voyaient, à activité égale, leur facture hospitalière augmenter.
Dans beaucoup de régions finlandaises, ce phénomène créa une sorte de
course à la réduction de l’utilisation des services hospitaliers. En quelques
années, la durée moyenne de séjour des personnes présentant des troubles
mentaux a chuté de 39 % pour l’ensemble de la population, de 62 % pour
les patients âgés de plus de 75 ans (entre 1991 et 1995). Les problèmes
posés par cette compétition étaient de deux ordres : d’une part, son caractère extrêmement rapide n’a pas permis d’assurer la qualité des services
proposés par les municipalités en remplacement (prise en charge des personnes âgées dans des centres de santé municipaux par exemple) et, d’autre
part, les coûts hospitaliers n’étant que peu flexibles, les hôpitaux ont augmenté leurs prix et cette baisse de l’utilisation n’a pas forcément entraîné
une baisse des dépenses hospitalières des municipalités.
1 Plus particulièrement, certaines municipalités ont engagé des médecins spécialistes afin
d’éviter les consultations à l’hôpital régional ou encore modifié le mode de prise en charge des
patients présentant des troubles psychiatriques ou encore des personnes âgées (les durées
d’hospitalisation étant très longues pour ce type de patients).
414
Les systèmes de santé nationaux du nord de l’Europe et l’influence des modèles libéraux
durant la crise des années quatre-vingt-dix
Au Danemark, le mode de rémunération traditionnel des hôpitaux est fondé
sur un budget global. Depuis 1993, la moitié des comtés a mis en place un
système de conventions avec les hôpitaux qui décrivent les objectifs à
atteindre en termes d’activité et de qualité, les hôpitaux restant toujours
financés dans le cadre d’un budget global ; ces contrats ne prévoient pas de
sanctions en cas de non-respect des objectifs mais des manquements persistants peuvent entraîner des réductions de salaires des gestionnaires hospitaliers. En 1997, le gouvernement a autorisé les comtés à expérimenter de
nouvelles formes de paiement, en l’occurrence un schéma mixte intégrant
paiement à la pathologie (90 %) et prix de journée (10 %) mais ce modèle
n’a jamais été appliqué (Sogaard, 2002). En fait, moins de 10 % du revenu
hospitalier est basé sur la tarification à la pathologie.
n
La difficile conciliation entre service national
de santé, modèle libéral et décentralisation
Au Danemark, le mécontentement des usagers sur le fonctionnement de
leur système de santé s’est exprimé assez fortement lors des dernières élections. Au centre des critiques, la qualité inégale des services de santé selon
les comtés et l’importance des listes d’attente ont été dénoncées. En Suède,
les usagers expriment les mêmes réserves sur leur service de santé. En Finlande, les inégalités entre habitants de différentes communes sont souvent
soulignées, même si certains experts se plaisent à souligner qu’elles sont
moins importantes que dans d’autres pays plus centralisés.
L’accès aux soins : inégalités et listes d’attente
Les inégalités d’accès aux soins et la décentralisation
Dans les trois pays, les disparités les plus fortes sont liées aux soins mal ou
non couverts par le système public et à l’existence de services de soins privés, concentrés dans les régions les plus riches et les plus peuplées 1. La
possibilité de se faire soigner par des praticiens privés ou dans des cliniques
permet aux personnes à haut revenu d’échapper aux contraintes du service
public. Toutefois, au Danemark et en Finlande, le nombre de lits privés
reste très faible. Les inégalités sont plus fortes pour le recours à un praticien
privé et pour les soins dentaires.
Pour l’ensemble des pays nordiques, les différences qui peuvent exister
entre les régions en terme de démographie médicale induisent certaines disparités dans les pratiques de soins. Dans les régions à forte densité, le
1 Lehto J., Moss N., Rostgaard T., (1999).
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RFAS No 4-2003
nombre de certaines interventions chirurgicales – rapporté au nombre
d’habitants – peut être cinq fois supérieur à celui observé dans les autres
régions. De même les hôpitaux spécialisés situés à proximité des villes sont
moins accessibles aux personnes vivant dans des zones plus excentrées.
C’est notamment le cas en Finlande, où les dépenses de santé par habitant
varient dans un rapport de 1 à 2,5 selon les municipalités. Il est vrai que la
géographie de la Finlande rend difficile l’installation de praticiens dans certaines zones éloignées. Les facteurs de demande comme l’âge, le sexe ou
les caractéristiques socio-économiques n’ont, semble-t-il, qu’une influence
mineure sur ces disparités, les différences dans l’organisation des soins
entre soins sanitaires et soins dits sociaux jouant en revanche un rôle beaucoup plus déterminant 1, et en particulier la prise en charge sanitaire des
personnes âgées.
Les inégalités de recours aux soins entre habitants des différentes municipalités en Finlande sont soulignées aussi bien par les experts que par le gouvernement. Le plan stratégique du gouvernement « Santé 2015 » rappelle
que parmi les quatre priorités du programme « Santé pour tous » de 1986
figurait la réduction des disparités de santé entre les catégories de population et entre les personnes vivant dans différentes régions. Les résultats ne
sont pas, semble-t-il, à la hauteur des espérances. Selon le document du
gouvernement, « les différences interrégionales ont diminué en termes
absolus mais le différentiel relatif reste identique ». En effet, certaines
municipalités ont des difficultés à financer tous les soins nécessaires à leurs
résidents. Et leurs responsables politiques hésitent souvent à augmenter les
impôts pour couvrir l’accroissement de dépenses de santé craignant de ne
pas être réélus.
Au Danemark, les statistiques publiées par le ministère de la Santé montrent, si l’on prend comme indicateur le nombre de consultations, que la différence d’utilisation des services des généralistes (corrigée de l’âge et du
sexe) entre la région avec la plus forte consommation et celle avec la plus
faible consommation n’est que de 19 % en 1999 (contre 29 % en 1990). En
revanche en ce qui concerne les soins de spécialistes, les disparités sont
beaucoup plus fortes (89 % d’écart).
Concernant l’implantation du corps médical, si le nombre de médecins
généralistes par habitant est à peu près identique dans l’ensemble du pays,
les spécialistes danois sont beaucoup plus concentrés dans les villes et les
aires urbaines. Certains comtés excentrés ou essentiellement ruraux sont
confrontés à des difficultés pour recruter des médecins ou des infirmières.
L’inégalité d’accès aux soins entre les comtés est soulignée comme étant
une des conséquences les plus fâcheuses de la décentralisation 2. Celle-ci
1 Health Care Systems in Transition : Finland.
2 Health Care Systems in Transition : Denmark.
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Les systèmes de santé nationaux du nord de l’Europe et l’influence des modèles libéraux
durant la crise des années quatre-vingt-dix
aurait, en effet, conduit à des différences dans les délais d’attente pour se
faire soigner, à des disparités dans l’implantation et donc, dans la disponibilité, des nouvelles technologies et à des écarts géographiques dans l’utilisation de certains services chirurgicaux ou de prévention. Les examens de
dépistage du cancer du sein, par exemple, sont mal répartis sur le territoire.
De même, certains médicaments particulièrement onéreux pour le traitement du cancer des ovaires ne seraient pas ou peu prescrits dans certains
comtés. Durant les dernières élections, une des critiques portées sur le système de santé par les usagers avait trait aux différences de services et de
qualité entre comtés.
En Suède, l’Acte fondamental sur la santé de 1982, qui donne aux comtés la
responsabilité pleine et entière en matière de santé, précise que l’objectif
fondamental est de « fournir des soins de qualité de façon équitable à toute
la population ». Équité d’accès et qualité des soins sont les axes fondamentaux du modèle suédois.
Cependant, la très forte crise économique qu’a connue le pays dans les
années 1970-1980 a conduit les responsables à adopter des réformes inspirées de la réforme Thatcher au Royaume-Uni. Pour Finn Diderichsen 1,
l’impact de ces réformes a été fort en termes d’efficience des services mais
a touché de plein fouet certaines catégories de population comme les personnes âgées et les personnes handicapées dont la prise en charge a été
transférée aux services sociaux et aux familles sans que les municipalités
aient des capacités suffisantes. Selon Whitehead 2, le poids croissant du
secteur privé a aussi des conséquences négatives en termes d’équité avec
des inégalités croissantes d’accès aux soins ambulatoires, liées à la création
dans les grandes villes de structures privées (lucratives et non lucratives) de
soins primaires qui permettent à une partie de la population d’échapper aux
délais d’attente. Dans beaucoup de comtés, le rationnement des soins a
entraîné la fermeture de structures de soins primaires et de petits hôpitaux et
une réduction sensible des professionnels de santé. L’emploi total dans le
secteur de la santé a été réduit de 25 % mais de façon inégale selon les
régions.
La persistance de listes d’attente importantes
Les trois pays nordiques et, tout particulièrement, le Danemark et la Suède
sont confrontés au problème des listes d’attente. Ce phénomène est observable dans la plupart des services de santé nationaux où l’universalité des
droits et la gratuité des soins entraînent souvent un rationnement quantitatif
dans un contexte de ressources budgétaires limitées.
En Suède, depuis le début des années quatre-vingt-dix, les débats sur le système de santé ont ainsi largement porté sur la notion d’accessibilité et, plus
1 Diderichsen F., (2000).
2 Whitehead M., Gustafsson R. A., Diderichsen F., (1997).
417
RFAS No 4-2003
précisément, sur la longueur des listes d’attente pour les interventions chirurgicales non urgentes. De 1992 à 1996, un délai d’attente maximal de
trois mois pour douze procédures chirurgicales sélectionnées a été instauré.
Au-delà de trois mois d’attente, les patients avaient alors la possibilité de
s’adresser à un autre hôpital appartenant ou non à la même région, la
somme budgétaire correspondant suivant alors le patient. En pratique, cette
mesure a induit une certaine réduction des listes d’attente sauf dans les
zones rurales où la distance géographique crée une barrière à la mobilité des
patients. Au contraire, dans les zones urbaines, la survie de certains hôpitaux a pu être menacée et le principe selon lequel « l’argent suit le patient »
a dû être amendé afin de ne pas entraîner de faillites. De plus, la limitation
de la réforme à certaines procédures chirurgicales n’a pas permis d’apporter
des solutions aux problèmes d’attente des personnes âgées ou des personnes souffrant de troubles psychiatriques.
En 1997, une nouvelle disposition a garanti aux patients un rendez-vous
avec une infirmière dans un centre de santé le jour même, la consultation
d’un médecin généraliste dans la semaine qui suit et, le cas échéant, un rendez-vous avec un médecin spécialiste dans les trois mois 1. Lorsque ces
conditions ne sont pas respectées, les patients ont alors la possibilité de
s’adresser à des professionnels de santé en dehors de la circonscription géographique de santé dont ils dépendent. Enfin, en 1999, les patients se sont
vu reconnaître le droit de choisir un autre médecin traitant que celui auquel
ils étaient affiliés automatiquement en fonction de leur zone de résidence.
Des mesures similaires ont été mises en œuvre au Danemark afin de limiter
les listes d’attente. Dès 1993, les patients ont obtenu le droit de s’adresser à
l’hôpital de leur choix, les services étant facturés au comté dont dépend le
patient. L’incidence réelle de cette mesure est délicate à évaluer car si on
dispose de statistiques sur la proportion des patients de chaque région qui
s’adressent à un hôpital dépendant d’une autre région, il n’est pas possible
de savoir si ceci est le résultat d’un choix ou de contraintes médicales, certaines pathologies n’étant traitées que dans quelques établissements. En
1999, selon les données du ministère de la Santé danois, 18 % des admissions programmées correspondaient à des patients traités en dehors de leur
région de résidence contre seulement 11 % en 1990. Depuis juillet 2002, la
liberté de choix des patients a été élargie aux hôpitaux privés et étrangers
lorsque le service national de santé ne peut pas prendre en charge ces
patients dans un délai de deux mois. De plus, le nouveau gouvernement
danois vient d’engager 200 millions d’euros pour financer les investissements et les heures supplémentaires des hôpitaux qui réduisent effectivement les listes d’attente. Malgré toutes ces dispositions, les listes d’attente
persistent dans de nombreux secteurs. Ainsi, par exemple, le temps
1 Cette nouvelle mesure abandonne toute référence à un délai d’attente maximal pour des
soins délivrés à l’hôpital.
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Les systèmes de santé nationaux du nord de l’Europe et l’influence des modèles libéraux
durant la crise des années quatre-vingt-dix
d’attente moyen pour une opération de la cataracte était, en 2001, de
128 jours et de 136 jours pour une opération de la hanche.
En Finlande, une attention particulière est aussi portée à ce problème, le plan
d’action 2002 demandait que soient arrêtés des délais maximaux pour l’accès
aux soins tant primaires que secondaires. L’hôpital ou le centre de soins qui
ne pourra pas respecter ces délais, devra organiser et financer une prise en
charge du patient dans une autre municipalité ou dans le secteur privé. Un
logiciel médical national, contenant des données sur les soins offerts dans
toutes les unités de santé du pays, devrait être mis en place en 2006.
Perspectives
Dans chacun des trois pays, les responsables politiques ont engagé des
réflexions sur l’avenir du système de santé, réflexions menées au sein de
comités spécifiques, composés d’experts et de représentants de l’administration au niveau central et décentralisé. Au Danemark, des propositions de
réforme importantes ont été présentées en début d’année 2003. La Finlande
a demandé à l’OMS d’expertiser sa politique de santé et un rapport a été
remis aux autorités finlandaises en janvier 2003. Le nouveau gouvernement
s’en inspirera sans doute pour élaborer son plan d’action pour les quatre
années à venir.
Des réflexions sur le niveau de décentralisation optimal
Aujourd’hui, si aucun des trois pays n’envisage une recentralisation des compétences comme en Norvège, le niveau de l’échelon décentralisé qui devrait
être retenu pour rendre plus efficient le système est au cœur des débats. En
effet, la persistance des listes d’attente dans les hôpitaux, les difficultés que
connaissent certains comtés pour financer les soins, le constat d’inégalités
d’accès aux soins liées à la décentralisation, le manque de régulation générale
hospitalière sont autant d’éléments qui interrogent les pouvoirs publics.
Le précédent gouvernement finlandais avait lancé une réflexion sur l’avenir
du système de soins. Une des propositions portait sur une diminution du
nombre des districts hospitaliers et la création de secteurs sanitaires pour
rapprocher les services de soins primaires et les hôpitaux. Il est encore trop
tôt pour savoir si ces propositions seront retenues dans le plan national
d’action que le nouveau gouvernement finlandais doit présenter prochainement, conformément à la tradition.
La place du comté dans la gestion du système de soins est aussi, en Suède et
au Danemark, au centre des discussions. Échelon géographique trop petit
pour gérer le secteur hospitalier, le comté serait, en revanche, pour beaucoup d’experts, une entité trop large pour diriger et coordonner les soins
primaires. L’émergence tout récemment d’une nouvelle entité géographique, en Suède, un comté régional élargi, créé par association de différentes aires métropolitaines (de Göteborg et Skaene) avec pour but de gérer
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RFAS No 4-2003
plus efficacement les hôpitaux, a relancé les débats autour d’une éventuelle
recentralisation des soins secondaires. Parallèlement à cette régionalisation
de l’hospitalisation dans la région sud du pays, une autre expérimentation
se déroule actuellement dans la région de Vasterbotten où le conseil général
du comté et plusieurs municipalités ont confié la gestion de tous les services
sanitaires et sociaux, y compris le secteur hospitalier, à une agence dotée
d’un seul directeur, comté et municipalités se retrouvant au sein du conseil
d’administration de l’agence.
Pour Richard Saltman 1, la décentralisation dans le contexte suédois a signifié un transfert de la responsabilité des opérations de l’échelon supérieur
aux échelons inférieurs alors que les fondements politiques sont restés largement l’apanage du pouvoir central ; cette évolution ne contredit donc pas
la tendance générale. En effet, cette recentralisation partielle intervient toujours au niveau des comtés et ne modifie pas le partage des responsabilités
entre l’État et le comté. Très différente apparaît la réforme norvégienne de
2001 qui redonne à l’échelon central la direction et la gestion des hôpitaux
qui relevaient jusque-là des conseils de comtés.
Au Danemark, un comité chargé d’étudier une réforme du système de santé
a remis un premier rapport en janvier 2003. S’agissant de l’échelon territorial le plus à même de gérer le système de soins, le comité propose trois
solutions possibles. La première serait de supprimer certains des quinze
comtés afin de donner à cet échelon décentralisé la taille efficiente pour
organiser réellement une planification sanitaire. La deuxième proposition
serait la création de régions sanitaires couvrant de 400 000 à 700 000 habitants qui reprendraient les responsabilités du comté dans le secteur hospitalier. Enfin, la dernière solution s’inspire du modèle finlandais et donnerait
aux municipalités la responsabilité sanitaire et sociale. Les municipalités
seraient libres de faire jouer la concurrence entre les structures et de passer
des contrats avec les hôpitaux de leur choix. On retrouve là encore l’inspiration des théories du New Public Management.
Ces réflexions illustrent bien la difficulté de cerner le « bon niveau de
décentralisation » qui permette à la fois de garantir une certaine égalité sur
le territoire (prérogative de l’État central) et de responsabiliser les acteurs
locaux en leur offrant une autonomie suffisante. Cette définition de la
décentralisation politique doit aussi s’accorder avec celle de la décentralisation opérationnelle qui conditionne, de fait, l’autonomie des acteurs
locaux et leurs marges de manœuvre dans la gestion du système de santé.
Les communes finlandaises, par exemple, négocient directement avec les
hôpitaux mais sont soumises à la concurrence des autres communes (au
sein d’un même district hospitalier) et donc largement contraintes dans leur
capacité d’action 2. La coexistence de plusieurs niveaux de décentralisation
1 Saltman R., (2001).
2 La concurrence entre communes plutôt que la coopération a eu des effets pervers non négligeables (cf. supra).
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Les systèmes de santé nationaux du nord de l’Europe et l’influence des modèles libéraux
durant la crise des années quatre-vingt-dix
selon la nature de l’offre (soins ambulatoires, hospitaliers, secteur
médico-social) permet alors au système de santé de conserver suffisamment de souplesse pour répondre à des contraintes protéiformes.
Réformes en cours et projets
Le gouvernement finlandais avait adopté, en 2002, un ambitieux programme
de santé publique « Santé 2015 » élaboré après consultation des autorités
locales de santé, des syndicats, des organisations professionnelles, des services de santé et d’experts. Les citoyens ont aussi participé à ce programme qui
décline huit objectifs à atteindre en matière d’amélioration de l’état de santé
et de réduction des inégalités. Sur la base de ces objectifs, une réflexion sur
l’avenir du système de santé avait été lancée et les propositions finales, rédigées par un comité composé de responsables des agences nationales de santé
et d’universitaires, ont été présentées en avril 2002. Parmi les mesures essentielles proposées, outre celles déjà énoncées concernant la décentralisation et
les listes d’attente, notons l’accroissement des crédits accordés au secteur
public de santé par les communes et par l’État central, l’objectif étant
d’atteindre en 2010, le niveau moyen de l’Union européenne en matière de
dépenses de santé, l’attention portée au problème de démographie médicale ;
et le développement d’une coopération plus étroite entre les secteurs public et
privé. Une autre mesure concerne la redistribution des tâches entre les professionnels de santé et l’extension des fonctions des infirmières : la prévention
ainsi que le suivi des traitements de certaines maladies chroniques, ainsi que
l’examen et le traitement de maladies infectieuses mineures. Le nouveau
gouvernement énoncera prochainement les mesures qu’il souhaite conserver
de ce programme.
Au Danemark, outre les propositions sur le niveau de décentralisation, le
comité de réforme remet en cause le rattachement des hôpitaux aux organes
politiques du comté ; les hôpitaux deviendraient indépendants et fonctionneraient comme des entreprises privées de façon concurrentielle.
421
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