Nous parlons sans cesse de la personne en ayant complètement perdu ce que peut bien signifier
avoir à être une personne..., parce qu'elle est soit comprise d'une façon purement formelle et
vide comme un sujet théorique ou comme un sujet juridique, soit comprise comme un pur nœud
de relations contingentes infinies comme dans les sciences humaines...On parle ainsi avec la
bonne conscience de ceux pour qui tout va de soi des droits de la personnes, de la dignité de la
personne, mais dans la pure compréhensivité du bavardage qui fait que la personne n'est pas
interrogée.
La crise actuelle de la personne s'apparente ainsi à l'oubli du sens d'être de l'homme qui
caractérise notre temps, dès lors qu’on la réduit à la pure abstraction de la personnalité
morale, comme capacité à prendre conscience de soi et à répondre de ses actes
. L’homme lui-
même est alors compris comme l’être raisonnable, capable d’autonomie et
d’autodétermination
, sans que soit pris en compte son être profond.
Si une telle conception justifie la seconde version de l'impératif catégorique, à savoir,
respecter l'humanité en toute personne particulière
, il nous semble qu’elle limite l’usage qu’il
est possible de faire de la notion de personne humaine. Certes, cette perspective moderne dont
notre temps est largement tributaire a mis au centre de la réflexion morale la notion de
personne, contribuant à défendre la dignité de certains humains soumis à des mauvais
. Ibid., p.14.
«Marqués par un rationalisme qui privilégie le sujet de la connaissance et son rapport cognitif aux objets du
monde» (Robillard Stéphane, « Approches de la personne », in Recherches philosophiques, Revue de la faculté
de philosophie de l’institut catholique de Toulouse, 2008, vol.4, p. 177.), nous réduisons en effet la personne
humaine à la conscience de soi, en la désignant comme l'être raisonnable capable d'autonomie, c'est-à-dire,
capable d'obéir à la loi de sa raison comme critère du bien moral; l'être vivant qui est conscient de lui-même,
quelqu'un qui agit de son propre mouvement et qui, par son acte, poursuit une fin. L'être humain est alors une
personne dans la mesure où il possède la capacité d'agir librement, et de dire «je», qu'il a conscience de lui-
même et assume ses actes comme étant les siens. Comme telle, la personne est capable d'autodétermination. Ce
pouvoir fonde l'affirmation de la personne comme fin en soi
. On reconnait ici la conception kantienne de la personne comme liberté et autonomie: « L'homme, et en général
tout être raisonnable, existe comme fin en soi, et non pas simplement comme moyen dont telle ou telle volonté
puisse usé à son gré; dans toutes ses actions, aussi bien dans celles qui le concernent lui-même que dans celles
qui concernent d'autres être raisonnables, il doit toujours être considéré en même temps comme une fin...Les
êtres raisonnables sont appelés des personnes parce que leur nature les désigne déjà comme des fins en soi,
c'est-à-dire comme quelque chose qui ne peut pas être employé simplement comme moyen, et qui par suite
limite d'autant notre libre arbitre (et est un objet de respect).» Kant E., Fondements de la métaphysique des
mœurs, Trad.fr V. Delbos, Paris, Vrin, 2008, p. 141-142.
. «Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre
toujours en même temps comme une fin, et jamais comme un moyen. » Ibid., p.143.