profondeurs de vues d`un naturaliste…

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BULLES DE BIO
Doris, la muse qui inspire les créateurs du site DORIS, m’a fait remarquer que ma première chronique au sujet des espèces marines profondes n’avait traité que d’invertébrés
méditerranéens. Il est temps d’élargir le champ de vision, et d’approfondir davantage encore le sujet…
© V. Maran
La « chasse photographique » ayant pour thème les
espèces profondes de nos côtes donne de meilleurs
résultats en Méditerranée qu’en Atlantique. Le vaste
océan n’est pourtant pas moins riche en espèces marines, mais il est plus difficile d’y dénicher, sans trop
de difficultés, au cours de notre pratique de plongeurs
de loisir, des espèces que l’on peut qualifier de profondes. Pour rappel, nous considérons que les organismes qui peuvent nous intéresser ici vivent le plus
souvent entre 35 et 55 mètres de profondeur. Moins
de 35 mètres, ce n’est pas significativement profond,
et au-delà de 55 mètres, on approche un peu trop
des limites de notre pratique sportive. La sécurité de
nos plongées doit toujours être considérée comme
primordiale.
Les conditions hydrodynamiques qui règnent le long
de nos côtes atlantiques (topographie, courants,
marées…) amènent à une stratification des masses
d’eau bien moins importante qu’en Méditerranée. Il
est rare que les plongeurs des côtes atlantiques rencontrent une thermocline ! Il peut bien y avoir un gradient de température entre le fond et la surface, mais
il ne sera pas équivalent à la thermocline souvent
marquée qui peut être observée en Méditerranée.
Les phénomènes de marée de l’océan interviennent
beaucoup dans la répartition de certains paramètres
L’Atlantique : des conditions moins favorables à l’observation d’espèces profondes.
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des masses d’eau selon leur profondeur, notamment
leur température. Plus l’eau sera brassée, moins les
biotopes, c’est-à-dire les lieux de vie des organismes,
se situeront dans une bande de profondeur étroite.
D O R I S
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* Excellente nouvelle, à porter essentiellement au crédit de l’association Bloom (leur
pétition avait obtenu 900 000 signatures en 2014 !), le jour où les lignes de cette
chronique ont été rédigées, le 29 mars 2016, le groupement « Les Mousquetaires »
a annoncé la cessation de ses actions de pêche et de commercialisation des espèces profondes.
LA DIAZONE (Diazona violacea)
Si cette espèce évoque pour vous les jolies clochettes transparentes des clavelines, vous avez bien raison ! La diazone est d’ailleurs parfois nommée « claveline
géante », mais elle appartient toutefois à un groupe voisin de celui des clavelines,
celui des Diazonidés. Ces ascidies coloniales, qui ont eu un ancêtre commun apparenté de manière relativement proche à celui qui a donné naissance aux vertébrés,
possèdent un thorax et un abdomen ! La diazone aime les substrats durs exposés
aux courants importants. Elle se rencontre, en Atlantique (c’est le cas de l’individu
présenté ici) et en Méditerranée, plutôt à partir d’une trentaine de mètres et certains individus ont été observés à plus de 200 mètres de profondeur.
DES MILIEUX DE VIE VULNÉRABLES
Les espèces du littoral proche sont les premières à
subir les activités humaines, notamment la pêche. Il
y a toutefois également les pollutions et les « aménagements » côtiers. Étant donné la proximité de ces
milieux avec la frange côtière émergée, il y a eu, depuis longtemps déjà, une prise de conscience de la
nécessité d’une préservation. De la pensée aux actes,
il reste évidemment encore beaucoup de chemin à
parcourir, mais de plus en plus, sous la pression des
amoureux et des pratiquants de la mer dont nous faisons partie au premier rang, nous pouvons espérer
des mesures d’amélioration. En ce qui concerne les
milieux profonds, les observations directes sont beaucoup plus rares, et certains ne se sont pas gênés d’en
profiter pour les piller ou les dégrader. Le chantage
à l’emploi a permis à la préfecture de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur d’autoriser le rejet de produits toxiques dans le parc national des Calanques.
C’est à 4 milles au large de Marseille et Cassis. C’est
loin, c’est profond, donc « on » considère que l’on
peut y déverser ses poubelles bien plus facilement
qu’au milieu du parc Borély ! Depuis 50 ans, plus de
20 millions de tonnes de boues rouges ont, en toute
SUBAQUA Mai - Juin 2016 - N° 266
LE CORAIL ARBORESCENT JAUNE (Dendrophyllia cornigera)
Le terme corail, pour les puristes, ne devrait s’appliquer qu’au corail rouge. Mais il
est employé ici, comme pour les espèces des mers tropicales, pour les espèces regroupées plutôt sous le nom de madréporaires ou, plus scientifiquement encore, de
scléractinaires. Le corail arborescent jaune est une espèce typiquement de grands
fonds : il vit normalement entre 100 et 1 000 mètres de profondeur, en Atlantique
et en Méditerranée. Toutefois, il existe un endroit sur nos côtes, à Ouessant, où
quelques colonies peuvent être observées par les plongeurs dans la zone des 30
mètres. Ces jolies colonies sont de petite taille et composées de peu d’individus,
mais bien plus en profondeur (hélas…), cette espèce peut former des massifs
dépassant la taille d’un mètre !
© Vincent Maran
D’UN FOND À L’AUTRE
siologique… Certains scientifiques ont rapproché ces caractéristiques biologiques
de celles des éléphants : ces espèces sont les éléphants de nos océans. Si on peut
rapidement les capturer et mettre fin à leur existence, il faudra un laps de temps
très important avant que les stocks retrouvent leur importance le jour où on cessera de les piller. Par ailleurs, les chalutages profonds ont déjà détruit des milieux
(massifs de coraux d’eaux froides…) dont la croissance et la mise en place avaient
nécessité plusieurs siècles aux organismes qui les composent.
Les quelques espèces présentées ici de nos côtes atlantiques et méditerranéennes
vivent parfois également dans les domaines « profonds » évoqués auparavant. Si
des plongeurs naturalistes ont pu les photographier et vous proposent ici (et sur
DORIS) leurs clichés, c’est aussi pour que l’on ait une petite pensée pour des milieux qui nous sont inaccessibles durant nos activités mais dont l’avenir peut aussi
avoir une influence sur celles-ci. Grand merci à eux.
La plupart des espèces présentées ici ont déjà leur fiche sur doris.ffessm.fr ■
LA NÉOTIMA (Neotima lucullana)
On observe somme toute un nombre d’espèces de méduses assez réduit au cours
de nos plongées. Les « vraies » méduses, de grande taille, sont moins d’une dizaine, et les autres méduses (voir sur DORIS les différents groupes) sont souvent
assez discrètes. D’autant plus si elles vivent d’ordinaire à grande profondeur,
comme la néotima, une leptoméduse. Cette espèce, ainsi que d’autres organismes
planctoniques, est capable de déplacements verticaux lui permettant d’adapter sa
profondeur à celle de ses proies. La néotima est entre autres caractérisée par ses
nombreux tentacules, jusqu’à 70, pouvant présenter des teintes d’un très beau
bleu bioluminescent.
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© Alain-Pierre Sittler
VINCENT MARAN
Responsable de rubrique PROFONDEURS DE VUES
D’UN NATURALISTE…
impunité, souillé les fonds marins de la fosse de Cassidaigne. Quelles sont les répercussions sur les écosystèmes et sur les réseaux trophiques ? C’est un problème
négligeable… Il est parfois tellement difficile, quand on a la rigueur scientifique,
de faire un lien direct entre un mal et ses conséquences précises, et cela prend
souvent tant de temps, quand on a les moyens financiers d’effectuer les études,
qu’il est donc permis d’avoir les plus grandes inquiétudes au sujet de ce problème,
comme de bien d’autres qui touchent à notre environnement ou à notre santé…
La pêche en eaux profondes est également source d’inquiétudes pour ceux qui
aiment la mer et les êtres vivants qui en sont les hôtes. L’association Bloom a
fait un travail remarquable de présentation des enjeux et de défense des milieux
profonds. Mais hélas, nos représentants élus auprès des instances décisionnaires
(Commission européenne…) n’ont pas représenté l’avis des citoyens mais plutôt
celui de grandes flottilles de pêche et il y a encore du chemin à parcourir pour que
ces milieux fragiles soient correctement gérés*. En effet, les poissons des grands
fonds ont des particularités qui devraient amener à une tout autre politique de la
pêche. Étant donné les conditions écologiques qui règnent dans leurs biotopes
(température basse, chaînes alimentaires à faible renouvellement…) ces poissons
ont des caractéristiques biologiques bien différentes de celles de leurs cousins qui
vivent plus proches de la surface. Leur croissance est plus lente et leur maturité
sexuelle plus tardive, en contrepartie leur espérance de vie est accrue (certaines
espèces ont une longévité pouvant dépasser cent ans !). Par ailleurs, ce sont des
espèces ayant une faible fécondité : faire des petits, c’est une grosse dépense phy-
© Benjamin Guichard
© V. Maran
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© V. Maran
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L’OURSIN-LANCE GRIS (Cidaris cidaris)
Sur nos côtes, en eaux profondes, peuvent être rencontrés deux espèces d’oursins-lances. L’oursin-lance rouge, déjà présenté lors d’une précédente chronique,
et l’oursin-lance gris. Celui-ci, à l’inverse de son proche parent, est observé plus
souvent en milieux sableux. Il se rencontre jusqu’à 1 000 m de profondeur, mais
parfois on peut avoir la chance de le croiser dans la zone des 30 mètres, ou moins
profond encore lorsqu’il a été rejeté en mer par un pêcheur qui nettoyait son filet ! Ces animaux se nourrissent le plus souvent d’algues, mais l’oursin-lance gris
n’hésite pas à brouter également des invertébrés fixés, comme les éponges ou les
gorgones.
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© V. Maran
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MJ
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LE LABRE IRIS (Lappanella fasciata)
Ce joli petit labre (il ne dépasse pas 15 cm de long) est caractéristique des niveaux
bas des fonds coralligènes. Il est observé essentiellement à proximité des gorgones
pourpres, (Paramuricea clavata) et des gorgones jaunes (Eunicella cavolinii). Répertorié comme espèce profonde vivant essentiellement à plus de 100 m de profondeur et jusqu’à 200 m environ, il est parfois observé par des plongeurs chanceux
à des profondeurs heureusement plus modestes, mais jamais inférieures à 30 m.
Les observations du labre iris à « faibles profondeurs » (entre 30 et 40 m) semblent
récentes (années quatre-vingt-dix). Un suivi régulier devrait permettre de savoir
s’il s’agit d’une nouvelle répartition de l’espèce ou si on manquait d’observations
précédemment…
© Sylvain Le Bris
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© Sylvain Le Bris
L’ACANTHOLABRE (Acantholabrus palloni)
L’acantholabre est lui aussi un labridé typique des grands fonds, il vit surtout à plus
de 100 m de profondeur, et même jusqu’à plus de 500 m. En plongée autonome
il peut heureusement être rencontré à des profondeurs plus modestes : il a été
signalé à une occasion à 18 m de profondeur ! La littérature scientifique indique
qu’il se rencontre à des profondeurs plus faibles en Europe du Nord, mais aucune
photo de nos côtes atlantiques ne nous est parvenue de ce poisson ! Il affectionne
les zones rocheuses car il se tient toujours à proximité de surplombs, de grottes ou
d’anfractuosités.
Merci à Benjamin Guichard, Sylvain Le Bris et Alain-Pierre Sittler pour leurs contributions photographiques.
Pour tout commentaire, pour toute remarque ou suggestion, ne pas hésiter à adresser un mail à [email protected]
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