Il n`existe pas de crise du crédit en Suisse

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Date: 10.10.2016
«Il n'existe pas de crise du crédit en Suisse»
INTERVIEW Vingt mois après l'abandon du taux plancher avec l'euro, les entreprises vaudoises se sont bien adaptées et 1%
seulement d'entre elles se trouvent en difficulté, explique Pascal Kiener, directeur général de la Banque Cantonale Vaudoise (BCV)
PROPOS RECUEILLIS
PAR SÉBASTIEN RUCHE
@SebRuche
Suisse aujourd'hui. C'est une
Un résident vaudois sur deux et le franc et l'euro.
près d'une entreprise vaudoise Le franc fort n'a donc pas créé de légende urbaine, une discussion
sur deux sont clients de la BCV. difficultés pour les entreprises de café du Commerce. Les entreLe directeur général de la 5e locales? Le contexte est difficile et prises trouvent du financement.
banque de Suisse est donc parti- incertain, mais il n'est pas catas- Nous aimerions pouvoir prêter
culièrement bien placé pour ana- trophique. La force du franc et les plus, mais la demande stagne
lyser l'état du tissu économique faibles taux de croissance des depuis des années et la concurlocal. Très diversifié, il a bien économies suisse et européenne, rence est féroce. Il ne faut pas
résisté au franc fort, estime Pascal entre 1 et 1,5%, pèsent globale- confondre le cas particulier
Kiener, qui réfute l'idée que les ment sur les bénéfices, les marges d'une société qui n'a pas obtenu
entreprises locales sont privées et les investissements, mais il n'y de financement et la situation
de crédit.
a pas de vague de faillites. L'euro globale des entreprises. De plus,
Pour lui, le facteur le plus péna- est maintenant assez stable et l'on sur les près de 30000 entreprises
lisant pour l'économie vaudoise oublie souvent que le dollar est vaudoises qui sont nos clientes,
demeure la faiblesse de la crois- remonté par rapport au franc, ce environ deux tiers n'ont pas
sance européenne. La banque qui a en partie compensé les de- recours au crédit, une propor-
cantonale a pour sa part com-
pensé la baisse des revenus d'intérêt par une progression de son
activité de négoce. Dans la gestion
de fortune, près de 97% de ses
clients sont dorénavant en ordre
sur le plan fiscal.
Comment se portent les entreprises
vaudoises qui sont clientes de la
«Nous aimerions
prêter davantage
aux entreprises
mais la demande
n'est pas là»
De manière générale, bien,
mais la situation est plus difficile ficultés des exportations vers la
pour les sociétés exportatrices. Le zone euro. A souligner aussi, les
tissu économique vaudois est très entreprises ont globalement bien
diversifié, ce qui explique sa résis- réagi: introduction de nouveaux
produits, recherche de nouveaux
tance en cas de crise.
marchés ou adoption de mesures
BCV?
INTERVIEW
Ces cinq dernières
années, les dépôts des
entreprises clientes ont
progressé plus rapide-
ment que leurs crédits, ce qui
montre un besoin faible de nouveaux crédits. De plus, moins de
1% sont en difficulté - ce qui ne
tion stable depuis des années.
Les réponses négatives à une
demande de financement ne
sont de loin pas le cas le plus fré-
quent: notre taux d'acceptation
de crédit est de l'ordre de 8o à
90%.
Avez-vous renforcé vos exigences
avant de consentir un financement?
Nous n'avons pas modifié nos cri-
tères. Il faut souligner à ce sujet
que, dans le crédit aux entreprises, les banques n'utilisent pas
des méthodologies identiques
pour évaluer une demande. Certaines mettent l'accent sur la qua-
de réduction de coûts. Enfin, il ne lité de la société et de sa direction,
faut pas oublier que le choc de alors que d'autres privilégient
l'abandon du plancher de l'euro plus le cash-flow. Si une entreen janvier 2015 est survenu dans prise sollicite plusieurs banques
une économie en pleine santé. Je et ne reçoit finalement pas de
pensais à l'époque que les difficul- financement, on peut se demantés seraient plus importantes. der si son crédit est viable éconoAujourd'hui, la faiblesse de la miquement.
croissance européenne constitue
un problème plus marqué que le La suppression du plancher a été
franc fort pour l'économie vau- accompagnée de l'introduction de
veut pas dire que les autres ne font doise.
taux négatifs. Quel impact ont-ils
pas face à des vents contraires. Des entreprises se plaignent régu- eu sur la BCV? Les taux d'intérêt
Cette proportion n'a pas changé lièrement du fait que les banques négatifs ont créé une situation
ces dernières années, y compris ne leur distribuent pas de crédit. Il
après l'abandon du plancher entre n'y a pas de crise du crédit en difficile, mais pas catastrophique
pour les banques. Pour la BCV, ils
Date: 10.10.2016
sont synonymes d'un manque à
gagner de 3o à 4o millions de
francs par an, car la banque ne
reporte pas les taux négatifs sur
tous ses clients.
manque à gagner sur les opéra- dernières années, passant de
tions d'intérêts. Ceci explique que quelque 8 milliards de francs à
les revenus de la BCV sont restés moins de 5 milliards. Le processus
relativement stables au cours des est le même chez Piguet Galland,
il n'est pas plus long ou plus difficinq dernières années.
cile, mais plus marqué. La raison
A quels clients facturez-vous des Comptez-vous modifier votre poliest que la part dans la masse sous
intérêts négatifs? Uniquement à
tique en matière de taux négatifs,
gestion de Piguet de fonds de
nos grands clients, c'est-à-dire les en les répercutant sur les particudomiciliés à l'étranger
institutionnels et les grandes liers par exemple, comme n'exclut clients
environ 6o%. C'était
entreprises. Nous n'avons pas pas de le faire la BCGE? Nous espé- représentait
peut-être
moins
que dans une
défini de montant fixe des dépôts rons pouvoir conserver notre
banque
privée
traditionnelle,
où
au-delà duquel nous refacturons politique actuelle. Elle pourra
cette
proportion
était
de
8o%,
les taux négatifs, mais introduit cependant devoir être revue rapides plafonds d'exonération indi- dement en fonction d'éventuelles mais plus qu'à la BCV, où elle était
viduels. En revanche, les particu- décisions de la BNS. Cependant, de l'ordre de 25%. La transition
prendra le même temps chez
liers et les PME ne paient pas de au vu de l'état de l'économie
taux négatif. Tout ceci explique suisse, ainsi que de la relative sta- Piguet Galland qu'à la BCV, mais
sera plus marqué. Notre
notre manque à gagner. Cela dit, bilité de l'euro et du dollar par l'effet
filiale arrivera probablement à 4
le problème est plus aigu par rapport au franc, je n'ai pas le ou 4,5 milliards de francs sous
exemple pour les caisses de pen-
sentiment à l'heure actuelle que gestion.
la Banque nationale renforcera
sion, qui doivent dégager du renses taux négatifs. En Dans la gestion de fortune, beaudement en respectant une cer- encore
revanche,
je pense que nous coup d'acteurs ont décidé de se
taine allocation de leurs vivrons encore
quelques années recentrer sur un nombre limité de
placements. Une banque comme
de
taux
bas.
marchés ces dernières années. Qu'en
la nôtre est aussi moins touchée
Des clients vous ont-ils demandé de est-il à la BCV? C'est une autre décigrâce à son modèle diversifié.
déposer du liquide dans des coffres? sion prise en 2014, pour notre
Dans quelle mesure? La BCV est la
Certains l'ont fait, mais de activité de gestion de fortune.
banque cantonale la mieux diver- manière tout à fait anecdotique. Nous nous focalisons sur 14 marsifiée. La part des revenus issue Les retraits et les apports de fonds chés, qui sont notamment les pays
des opérations d'intérêts est d'en- ont été globalement stables ces européens proches de nous et qui
pratiqueront l'échange automaviron 50%, alors qu'elle se situe dernières années.
tique d'informations avec la
entre 6o et 75% pour la majorité
des banques de détail. Les autres Dans la gestion de fortune, vous Suisse dès 2018. Dans la banque
revenus se composent des com- avez déclaré qu'il faudrait encore
missions et des activités de
un an pour que tous vos clients
négoce, qui représentent respec- domiciliés à l'étranger soient fiscativement environ 3o% et 10 à 15%. lement déclarés. En 2014, nous
Ces sources de revenus n'évoluent nous sommes fixé pour objectif
pas en parallèle, mais ont quelque que tous nos clients domiciliés à
peu tendance à se compenser. l'étranger soient conformes fiscaC'est en particulier le cas entre les lement d'ici à fin 2016, pour la
revenus d'intérêts et ceux du BCV et notre filiale Piguet Galnégoce.
«Les taux négatifs
créent un manque
à gagner de 30
à 40 millions
de francs par an
pour la BCV»
land. Nous y serons pratiquement:
suppression par la nous atteindrons un taux de
Banque nationale du cours plan- 97-98% de clients conformes fis- de détail, nous offrons des prescher de l'euro et l'instauration de calement à la fin de l'année. Il tations dans tous les pays du
taux négatifs a pesé sur les reve- nous restera un peu de travail en monde, à deux ou trois exceptions
nus d'intérêts. A l'inverse, le 2017, notamment parce qu'il est près, ne serait-ce que pour servir
retour de la volatilité sur les mar- difficile de contacter certains nos clients suisses qui se
déplacent sur la planète.
chés des devises, généré par la fin clients.
C'est-à-dire? La
de ce plancher, nous a rapporté On a l'impression que ce processus Toujours dans la gestion de fortune,
15 à 20 millions de revenus sup- est plus difficile chez Piguet Gal- est-il sensé d'offrir un service sous
plémentaires dans le négoce, qui land. La masse sous gestion de votre deux marques, la BCV et Piguet
compensent partiellement le
filiale a passablement diminué ces Galland? Songez-vous à intégrer
Date: 10.10.2016
Piguet Galland ou à vous en sépa-
rer? Du fait de la baisse de sa
masse sous gestion, Piguet Galland gagne moins d'argent, mais
elle reste bénéficiaire. Nous pensons que l'on peut mieux travailler le marché avec deux marques.
Même si les produits et services
sont similaires d'un établissement à l'autre, certains clients
préfèrent une boutique spécialisée, d'autres veulent une banque
généraliste, plus grande, et
d'autres encore confient leurs
affaires privées à l'une et leurs
affaires commerciales à l'autre.
Enfin, en tant que banque cantonale, la BCV aurait du mal à se
différencier dans un autre canton, alors que Piguet peut mieux
se positionner sur l'ensemble de
la Suisse romande.
PROFIL
1962 Naissance à Lausanne.
1985 Master of Science en
ingénierie mécanique à L'EPFL.
1985 à 1991 Ingénieur chez
Fides Informatics et HewLettPackard.
1993 Rejoint McKinsey Suisse,
dont i[ intègre [a direction
en 2000.
Juin 2003 Devient directeur
financier de [a Banque Cantonale
Vaudoise.
Mai 2008 Nommé directeur
généra[ de [a BCV.
«Le taux d'acceptation de crédit à la BCV est de l'ordre de 80 à
Pascal Kienec (EDDY MOTTAZ)
explique son directeur général,
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