FRATRIES, COLLATÉRAUX ET BANDES DE JEUNES 99
relations fraternelles prennent des formes historiques et sociales plurielles,
en rappelant que ces configurations ne prennent sens qu’à travers
l’intelligence de leur contexte d’expression. L’analyse des liens de germa-
nité prend d’abord acte du tabou de l’inceste dans la fratrie [Héritier
1994]. Ce tabou crée du lien social en imposant aux familles des relations
exogènes au groupe initial. « L’abandon des droits sexuels sur la sœur crée
le lien social, d’où l’extrême attention qu’ont portée toutes les sociétés à la
question des rapports frère-sœur, soit en tenant séparés les principaux inté-
ressés, soit en privilégiant la proximité et la solidarité, mais de manière à
éviter la promiscuité » [Widmer 1999, p. 4]. Ainsi, l’étude des systèmes de
parenté par les ethnologues constitue le cadre initial des recherches en la
matière. Dans de nombreuses sociétés, la fratrie est associée à un système
de rôle et de statut. L’aîné est considéré comme un support domestique et
éducatif de première importance par ses parents, ce qui en retour, lui per-
met de bénéficier d’une autorité et d’un pouvoir non négligeables. En ou-
tre, ces solidarités dans les registres éducatifs et domestiques se prolongent
sous des formes plus horizontales avec l’âge adulte. « Les germains déve-
loppent, en effet, des attentes normatives fortes les uns par rapport aux
autres, qui seront déterminantes dans la suite de leur existence » [Widmer
1999, p. 2]. Ces relations prennent sens dans des contextes spécifiques. En
période de pénurie, la solidarité fraternelle est connectée aux stratégies de
survie : « à l’âge de 3 ans, un enfant partage automatiquement sa subsis-
tance avec un germain plus jeune et, à l’âge de 6 ans, il renoncera souvent
à manger, s’il n’y a pas assez pour son germain » [Watson-Gegeo, Gegeo
1989, p. 61]. Les anthropologues insistent donc sur le don et les liens de
réciprocité. L’activité économique et le quotidien mobilisent bien souvent
les liens de germanité. Ce sont les principes d’unité et de solidarité qui
cadrent ce type d’expérience familiale qui prend sens dans la valorisation
du groupe : « la jalousie et la compétition entre germains sont relativement
peu fréquentes dans les sociétés ethnologiques » [Widmer 1999, p. 5].
La confrontation des postures anthropologiques et psychanalytiques sur
la question des fratries donne à voir des dissonances significatives. Dans
les premières, de nombreux travaux font état du caractère secondaire des
relations négatives (jalousies, conflits, concurrences) entre des germains
avant tout perçus par leurs pratiques de coopération. De son côté,
l’approche psychanalytique tend à inverser la perspective en privilégiant
l’étude des conflits fraternels qui naissent du complexe œdipien. Les fra-
tricides de Romulus sur Remus et d’Abel par Caïn sont les paraboles fré-
quemment convoquées d’une approche qui met essentiellement l’accent
sur les rivalités. Dans cette perspective, l’horizontalité des relations frater-
nelles paraît indissociable des rapports parallèlement entretenus avec les
parents. Notons par ailleurs, que dans les approches d’obédience psycha-
nalytique, ces mécanismes s’insèrent dans la structure psychique des per-