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Les « migrations environnementales » : l’impuissance de l’homme
face à l’environnement
En décembre 2004, un tsunami a ravagé l’Asie du Sud-Est, forçant plus de deux millions
de personnes à l’exode ; durant l’été 2005, l’ouragan Katrina a dévasté la Louisiane et a jeté
sur les routes plus d’un million d’habitants ; en octobre de la même année, un gigantesque
tremblement de terre a secoué la région du Cachemire au Pakistan, entraînant des milliers de
morts et de déplacés ; en 2010, plusieurs séismes d’une violence extrême ont détruit l’État
d’Haïti, et de graves inondations ont touché l’ensemble du Pakistan. Ces exemples qui
pourraient être complétés par des centaines d’autres montrent que les dégradations
environnementales et les catastrophes naturelles ont un impact immense sur les populations
des quatre coins du monde, forçant de nombreux individus à quitter leurs terres. Certains
reviennent, d’autres jamais ; certains migrent dans l’urgence, d’autres ont le temps de
décider ; certains franchissent des frontières, d’autres demeurent à l’intérieur de leur pays.
Tous ont en commun d’être poussés à l’exode par les dégradations de leur environnement, et
d’être ce que l’on appelle aujourd’hui couramment des « migrants environnementaux ».
À travers cette analyse, nous tenterons de comprendre en quoi consistent les
« migrations environnementales », qui sont ces migrants dits « environnementaux », et s’ils
bénéficient d’une protection internationale. Ces informations nous mèneront alors à une
réflexion sur l’impact de ce phénomène sur nos sociétés, et nous permettront de mieux
percevoir le rôle que nous - citoyens du monde - pouvons jouer dans le cadre de ces
changements planétaires qui nous concernent tous.
La naissance du lien entre migrations et environnement
Les migrations liées à l’environnement ne sont pas un phénomène nouveau. Et pourtant,
ce n’est que depuis peu que l’on entend parler de la relation entre les dégradations de
l’environnement et les flux migratoires. C’est en réalité l’ampleur du changement climatique
et de ses conséquences dévastatrices qui a servi d’élément déclencheur à une prise de
conscience néralisée au sujet des migrations environnementales. L’enjeu politique de plus
en plus majeur que représente le phénomène du réchauffement climatique a progressivement
permis au grand public de réaliser l’importance du facteur environnemental dans les
migrations.
De fait, ces dernières années, nous avons mis en exergue les causes ainsi que l’impact
du réchauffement climatique sur la planète et sa population. On a pu relever, entre autres, que
nos émissions de « gaz à effet de serre » se traduisent notamment par une hausse du niveau
des mers, une désertification, une raréfaction de l’eau potable, une augmentation de la
pollution. C’est ainsi que les habitants de l’archipel de Tuvalu (Océan Pacifique Sud),
menacés par la montée des eaux, ou encore certains habitants de l’Alaska, menacés par la
fonte des glaciers, ont compté parmi les premières victimes directes du réchauffement
climatique.
Mais outre ces gradations progressives de l’environnement, les changements
climatiques favorisent également les catastrophes naturelles brutales et intenses comme les
inondations, les tsunamis, les tremblements de terre… Ainsi, si le débat sur les « migrations
environnementales » semble aujourd’hui fortement lié au débat sur le réchauffement
climatique, il est important de garder en mémoire que ces migrations impliquent des
déplacements de deux types : les uns liés à une dégradation « structurelle » de
l’environnement, les autres liés à une dégradation « ponctuelle » et brutale de
l’environnement. Il est intéressant de se demander à présent qui sont les migrants concernés
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par ces déplacements, et si l’on peut réellement parler d’une telle catégorie particulière de
migration et de migrants.
Les « migrants environnementaux » : une catégorie de migrants à part entière ?
Il est extrêmement difficile de déterminer l’ampleur des mouvements migratoires liés à
l’environnement. Si l’Organisation Internationale des Migrations évalue le nombre de
migrants dans le monde à 191 millions environ, et le nombre de déplacés à l’intérieur de leur
pays à 24 millions, comment savoir combien d’entre eux pourraient être qualifiés de
« migrants environnementaux » ? Parmi ces millions de déplacés, on ne sait pas dire
précisément quels sont ceux qui ont directement quitté leur terre sous l’effet de graves
dégradations environnementales. En effet, les facteurs environnementaux sont loin d’être les
seuls à pousser une personne à quitter ses terres. Les facteurs économiques, politiques et
sociaux jouent un rôle très important dans la décision de partir. Isoler le facteur
environnemental et rassembler en une seule catégorie les migrants pour lesquels les
dégradations de l’environnement ont influencé leur choix de migrer semble dès lors
difficilement réalisable et très peu représentatif de la réalité.
Quant aux prévisions, les chiffres varient : les plus optimistes font état de 50 millions de
« migrants climatiques » d’ici 2050 ; les plus alarmistes prévoient qu’un milliard d’individus
auront quitté leur terre sous la pression environnementale pour cette date. Ici encore, il faut
préciser que les prévisions sont rendues d’autant plus difficiles que les futurs migrants ne se
déplaceront probablement pas uniquement pour des raisons environnementales. Par ailleurs,
soulignons que ces chiffres reflètent le nombre de personnes habitant dans les régions les plus
exposées aux effets du changement climatique. Ils ne tiennent pas compte des efforts qui
pourront être faits et des mesures d’adaptation qui pourront être prises pour faire face à ces
situations. Ils servent donc plutôt à attirer l’attention du public sur les effets dévastateurs du
changement climatique.
De nouveaux concepts à définir
Outre les difficultés liées à la « catégorisation » des migrants environnementaux, une
autre difficulté se présente lorsqu’on aborde la question des migrations environnementales : la
définition des concepts employés. De nombreux termes sont fréquemment utilisés pour
désigner ce phénomène, mais aucune définition n’est à ce jour parvenue à s’imposer. La
raison principale de cette absence de consensus est liée à la difficulté d’isoler les facteurs
environnementaux des autres causes de migrations, tout comme nous l’avons évoqué ci-
dessus.
Un autre obstacle important réside dans les multiples distinctions à opérer entre les
différents profils de migrants environnementaux pouvant exister. Il convient notamment de
préciser l’origine de la dégradation environnementale : les migrants ont-ils quitté leurs terres
en urgence, suite à une modification brutale de leur environnement (tel un tsunami ou un
séisme), ou ont-ils eu la possibilité de mûrir leur décision progressivement et de planifier leur
départ (suite à un phénomène de désertification par exemple) ? Il importe également de
distinguer l’ampleur du caractère coercitif de la migration : le migrant a-t-il eu le choix de
rester ou non ? Et dispose-il des ressources suffisantes pour tout abandonner et s’installer
ailleurs ? La nature du bouleversement environnemental est également à prendre en
considération : l’Homme est-il responsable de cette dégradation, et à quel degré ? Bien qu’il
n’existe pas de dégradation environnementale exclusivement naturelle ou anthropogène, cette
distinction permet de déboucher sur la question de la responsabilité, utile lorsqu’on évoque
l’aide à apporter à ces migrants.
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D’autres éléments pourraient encore être relevés, qui révèleraient d’autres
caractéristiques des migrants dits environnementaux. Toutes ces distinctions font de
l’élaboration d’une définition commune une tâche bien délicate à accomplir. Et pourtant, sans
définition précise, il n’est pas aisé d’adopter des mesures visant à rer ce phénomène et à
assister les personnes concernées. Les migrants tombant sous la définition ne sont pas
facilement identifiables et peuvent donc plus difficilement recevoir une assistance appropriée
et jouir des droits qui leurs sont dus.
Quelle protection pour ces « migrants environnementaux » ?
Parmi les concepts employés pour désigner les personnes migrant à la suite d’une
dégradation progressive ou brutale de leur environnement, l’on entend parfois les termes
« réfugiés climatiques » ou « réfugiés environnementaux ». Pourtant, la notion de « réfugié »
telle que définie dans la Convention de Genève de 1951* ne s’applique pas aux personnes
migrant suite à des dégradations environnementales. Pour bénéficier du statut de « réfugié »,
il faut en effet remplir plusieurs conditions dont le franchissement d’une frontière et une
persécution d’ordre politique. Or les migrants environnementaux effectuent le plus souvent un
déplacement interne, choisissant une autre région de leur pays d’origine pour y installer leur
domicile. En outre, ils ne subissent aucune persécution politique, mais demandent au contraire
à leur pays de les aider. Ils ne peuvent par conséquent bénéficier de la protection offerte par la
Convention de Genève.
À quelle protection les « migrants environnementaux » peuvent-ils dès lors prétendre ?
Il faut noter qu’aucun texte de droit international ne prévoit de protection et de statut pour ces
migrants. Leur protection reste donc aujourd’hui très aléatoire. Dans certains cas, leur pays
peut débloquer des fonds pour leur venir partiellement en aide, via des assurances par
exemple. Mais bien souvent, leur État se trouve dans l’incapacité de leur apporter un soutien
adéquat. Ces migrants ne peuvent alors compter que sur l’aide humanitaire internationale,
lorsque celle-ci existe.
En conclusion, nous pensons qu’il est d’une importance capitale de définir les concepts
relatifs aux migrations environnementales, dans la mesure ceux-ci reflètent une réalité
incontestable. Nous estimons également que face à ce phénomène de grande ampleur, le droit
international doit pouvoir s’adapter et prévoir des mesures spécifiques à l’égard de ceux qui
en ont besoin. Aucune amélioration ne pourra avoir lieu tant qu’une coopération et une aide
internationale efficace ne seront pas mises en place.
France Malchair,
Collaboratrice à la Commission Justice et Paix,
Février 2011
Sources :
C
IRÉ
, « Ceci n’est pas un réfugié climatique », Bruxelles, Avril 2010, 8 p.
C
IRÉ
, « Les migrants de l’environnement. Etat des lieux et perspectives », Bruxelles, Juin 2010, 24 p.
F. G
EMENNE
, « Migrations et environnement : introduction sur une relation méconnue et souvent
négligée », Centre d’animation et de recherche en écologie politique, Juin 2007, 8 p.
P. G
ONIN
et V. L
ASSAILLY
-J
ACOB
, « Les réfugiés de l’environnement : une nouvelle catégorie de
migrants forcés ? », Rev. migr. eur., 2002, Vol 18/2, pp. 139-160.
* Convention internationale relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951.
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