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pertinence de l’analyse phénoménologique par rapport au monde réel et à l’existence du sujet
pensant.
En outre, Ramona Fotiade considère Chestov en tant que précurseur non pas seulement de
l’absurde et de l’existentielisme mais aussi du postmodernisme dans la pensée français: « Les
questions soulevées par l’ensemble de l’œuvre de Chestov dans la lignée des « philosophes
tragiques » (Pascal et Kierkegaard) et des « philosophes artistes » (Nietzsche) se retrouvent
aujourd’hui chez toute une génération d’auteurs, à commencer par Gilles Deleuze et Clément
Rosset et, plus récemment, chez Jean-Noël Vuarnet et Michel Surya. Les réflexion de Chestov
sur l’arbitraire de la grâce ou le rapport de l’homme déchu au Dieu vivant continuent à
interpeller les lecteurs, tantôt sous la forme d’affinités implicites (et tel est le cas du livre de
Michel Henry, C’est moi la vérité), tantôt à la lumière du dialogue que nombre de philosophes
d’après guerre, parmi lesquels Vladimir Jankélévitch, Émile Cioran et Leszek Kolakovski,
entameront avec Léon Chestov »3.
Pendant des années, l’œuvre de Chestov fait l’objet de multiples études qui l’examinent
sous différentes angles et la situent dans les différentes courantes philosophique. Des travaux
russes le situent dans le courant de la pensée religieuse du début du XXe siècle, alors que des
études occidentales mettent au jour ses relations avec l’existentialisme ou l’absurde français.
Principalement étudiée sous l’angle de sa philosophie (Alexis Philonenko, Anatole Akhoutine,
Michel Finkental), l’œuvre de Chestov intéresse aussi des théologiens ou des chercheurs en
philosophie religieuse (Kent Hill, André Bédard, André Désilets), des spécialistes de la
littérature russe, de la culture russe et de l’émigration, de la littérature comparée et de l’histoire
du judaïsme (Geneviève Piron, Ramona Fotiade, Vladimir Paperny).
Cet intérêt à l’œuvre de Chestov et les controverses engendrées par sa pensée sont
conditionnées par l’originalité et par l’ambivalence de sa démarche philosophique. L’idée la plus
courante consiste en ce que Chestov est un fidéiste ou un irrationaliste, qui lutte contre la raison
au moyen de la foi. Certains commentateurs considèrent le philosophe russe comme sceptique,
nihiliste, mystique ou même comme antiphilosophe. Son œuvre est inclassable et occupe une
place particulière entre les différentes domaines: philosophie, herméneutique littéraire, exégèse
biblique. Sa philosophie qui aspire à la pensée libre est en conflit avec l’expression verbal. Il
parle rarement comme un « philosophe » et refuse de la forme systématique, en préferant une
3 Ramona Fotiade, « Avant-propos », in Léon Chestov, Pouvoir des clés, trad. Par Boris de Schloezer, Paris, Le
Bruit de temps, 2010, p. 14.