la décoration et la statuaire de l`église de montigny

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LA DÉCORATION ET LA STATUAIRE
DE L'ÉGLISE DE MONTIGNY-MONTFORT
par M. Albert COLOMBET
Présentation de V église.
L'église de Montigny-Montfort s'élève dans la partie haute du
village, sur une colline formant promontoire entre la vallée du
Dandarge et le vallon du Tantalion 1.
Il n'est pas certain qu'une villa gallo-romaine soit à l'origine
du village, car beaucoup de toponymistes penchent à interpréter
les Monliniacum non comme le domaine d'un propriétaire appelé
Montinius, mais comme le domaine montagneux, montueux et,
à vrai dire, le secteur est fort bien pourvu en collines !
Cependant le site sur lequel s'implanta l'église dut être occupé
dès les temps mérovingiens, car vers 1868 on y découvrit plusieurs
sépultures avec divers objets en fer, débris de lance, mors et éperons,
qui peuvent être attribués à cette époque 2.
L'église est flanquée au nord et au sud par deux vastes cimetières,
chacun pourvu d'une croix monumentale, celle du nord, ancienne,
a ses bras terminés par des fleurons en forme de fleurs de lis. L'église
est placée sous le vocable de Saint Martin, ce qui pourrait témoigner
de son ancienneté, mais le vocable primitif était Saint-Abdon,
ce qui enlève tout caractère d'antiquité car la diffusion du culte
de Saint-Abdon ne remonte guère avant le xn e siècle.
Cette église se compose de trois parties, d'ailleurs remaniées 3 :
1) La base du clocher et le clocher lui-même paraissent remonter
à l'époque romane. Cette base est couverte d'une voûte en berceau
plein cintre et est flanquée de deux renfoncements dont l'un a
conservé sa voûte en plein cintre. L'arcade du côté de l'abside
1. Cf. A.Ç.E.R.A.C.O., Bulletin de liaison, n° 13 (1977).
2. Mémoires de la Commission des Antiquités, t. VIII, p. xxxvi.
3. Des travaux furent notamment exécutés en 1779-1781 (Arch. dép. Côted'Or, C 1373) et en 1856 (id. Il O 428/1).
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ALBERT COLOMBET
repose sur un cordon orné de corbelets en quart de rond et surtout
d'une tête de femme avec sa toque à mentonnière, bien caractéristique du xm e siècle ou du début du xiv e siècle. C'est dans cette
partie que l'on peut voir la plus ancienne des œuvres d'art : un
bénitier dont le bassin, décoré de larges feuilles d'eau, repose sur
une colonne à base ouvragée de moulures toriques, œuvre vraisemblablement du x m e siècle.
Le clocher était percé sur chacune de ses faces de baies géminées
en plein cintre, mais elles ont été remaniées.
2) L'abside est épaulée au chevet de contreforts angulaires et
assortie d'une corniche à gros modillons en quart de rond. Elle est
éclairée par des lancettes, une sur chaque face.
Sa première travée (côté chevet) est voûtée de nervures chanfreinées reposant sur des culots à têtes grotesques (une tête d'homme
à cheveux bouclés, semblant tirer la langue et une tête de femme
coiffée d'une toque, mettant ses mains sur ses joues).
La seconde travée, côté nef, est voûtée d'un berceau aigu, mais
on peut se demander s'il est primitif. Nous pouvons dater cette
partie de l'église de lafindu xm e siècle ou du début du xiv e siècle.
Deux chapelles latérales ont été adjointes au chœur bien
postérieurement.
3) La nef a été visiblement reconstruite à une époque récente.
Elle est précédée d'un porche construit en 1891. Elle est désaxée,
le constructeur ayant vraisemblablement voulu l'implanter plus
exactement en fonction de l'ouest liturgique.
Mobilier
et décor.
L'intérêt de cette église réside dans son mobilier et son décor.
L'une des pièces maîtresses a disparu, sans doute lors de travaux
de réfection du chœur : le grand retable du maître-autel, attribué
au xvn e siècle par une note établie en 1920 4 et qui était orné de
statues de Saint Nicolas, Sainte Barbe, Sainte Marguerite et d'un
donateur (?). Il subsiste néanmoins des éléments de grand intérêt.
Tout d'abord la chaire de style Louis XIV. Deux têtes d'anges
soutiennent le dais ouvragé. La cuve présente à sa partie inférieure
un ressaut. Le décor de ses panneaux est assez varié et appartient
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au vocabulaire artistique du style Louis XIV. C'est une fort belle
œuvre. Rares sont les églises rurales dans ce secteur de la Bourgogne
possédant des chaires aussi ouvragées.
L'autel, en forme de tombeau, offre un décor également Louis XIV.
Le tabernacle est plus déconcertant par la luxuriance de son ornementation. Sous un entablement particulièrement développé,
chacune de ses trois faces s'encadre de chutes de corolles de fleurs,
tandis que chaque arête s'enrichit d'une console à volutes et rinceaux ciselés et ajourés. Sur chaque panneau, dans une niche que
cerne une guirlande de corolles de fleurs, se tient un saint personnage.
Le chœur est orné de trois grandes scènes en bas-relief, sans
doute en stuc, représentant la Cène, Jésus au Jardin des Oliviers
et la Descente de Croix.
1) La Cène. L'artiste a eu l'excellente idée de représenter cette
figuration de biais et comme vue d'un balcon, ce qui lui a permis
de mieux personnaliser chacun des Apôtres, chacun bavarde avec
ses voisins et l'ensemble est vivant. Un jeune homme apporte
une corbeille. L'artiste a également soigné le décor architectural
et le mobilier. Bancs et tables ont tous une modénature différente.
On distingue aussi un prie-dieu et un panier contenant des vases
à vin. Sur la table, la vaisselle se limite à une coupe et à deux
assiettes.
LA^CÈNE.
Bas relief (stuc, xvm 0 siècle).
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2) Jésus au Jardin des Oliviers. Le décor est sobre. A peine
quelques arbres schématisés. L'artiste a tiré parti de la baie qui
coupe la scène en deux. D'un côté le Christ à genoux regarde vers
le Ciel. Un ange lui montre le calice, que le Sauveur souhaiterait
éloigner de lui. L'artiste s'est inspiré de l'Évangile de Saint-Luc.
De l'autre, Pierre et les deux fils de Zébédée endormis, malgré
leur promesse de veiller et prier.
DESCENTE DE CROIX.
Bas relief (stuc, xvm e siècle).
3) La troisième scène pose un problème d'identification : il
semble qu'il s'agisse non pas d'une Crucifixion mais plutôt d'une
Descente de Croix, car une des mains du Christ porte le stigmate
d'un clou et son corps apparaît complètement affaissé. Cette
représentation est l'une des plus réalistes en raison de l'activité
déployée par les personnages qui aident à descendre le corps du
Christ. Sainte Madeleine enserre dans ses bras le pied de la croix.
Trois autres personnages se tiennent auprès, sans doute la Vierge
et une Sainte Femme. Saint Jean doit figurer à genoux, se voilant
la face au côté de la Vierge debout.
On remarquera que cette scène, traitée avec un certain réalisme,
est figurée avec beaucoup de délicatesse. Les aides descendant
le corps du Christ avec précaution et même respect.
A ces trois scènes se rattachent deux autres œuvres en rondebosse.
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a) Jésus assis, coiffé de la couronne d'épines, dans l'attitude
qui l'a fait appeler : le Christ de dérision. Il est revêtu d'un manteau
et tient un roseau pour sceptre.
b) Jésus portant sa croix. Malgré sa charge qui fait plier son corps,
le Christ garde un visage placide et résigné.
Toutes ces œuvres sont bien proportionnées et sont le travail
d'un artiste sûr de ses moyens. Assurément on pourrait y trouver
une certaine fadeur, une certaine mièvrerie, caractères liés à la
piété du xvn e siècle, mais l'ensemble est traité avec retenue.
Ces deux œuvres auraient dû être complétées par une Crucifixion, mais il devait déjà exister dans cette église un grand Crucifix qui en tenait lieu. C'est sans doute celui que nous voyons au
fond du chœur et qui paraît antérieur aux compositions dont il
a été question, avec ses bras horizontaux, son visage allongé et
surtout son pagne collant.
Tout cet ensemble se rapporte donc à la Passion du Christ.
Un ensemble peu commun de statues.
AUTEL LATÉRAL DROIT SAINTE-ANNE ET LA VIERGE.
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II y a, en outre, d'autres rondes bosses offrant une parenté évidente entre elles, en raison de leur taille identique et du décor
dans lequel elles sont présentées.
La première place revient au retable de Sainte Anne (chapelle
de droite), retable traité dans le style exubérant de l'art rocaille
avec ses volutes, ses palmes, sa coquille, ses têtes d'anges. Au
centre, figure Sainte Anne apprenant à lire à la Vierge, œuvre
pleine de grâce.
Cinq autres statues sont mises en valeur dans des encadrements
plus sobres que celui de Sainte Anne, mais offrant les mêmes
caractéristiques : volutes, palmes, fleurons contournés. Ce sont :
— Dans la chapelle de droite.
1) Sainte Thérèse d'Avila regardant vers le Ciel, tendant sa
main droite et plaçant sa main gauche sur sa poitrine.
2) Saint Germain bénissant de sa main droite et retenant un
pan de sa chasuble de sa main gauche.
3) Saint Nicolas, évêque, avec un cuveau à son côté, sans les
trois enfants habituels.
— Dans la chapelle de gauche.
1) Saint Etienne tenant dans sa dalmatique les pierres de son
supplice.
2) Saint Augustin, évêque, mettant sa main gauche sur sa
poitrine et qui devait tenir une crosse de sa main droite.
Les motifs décoratifs qui encadrent ces statues ne sont pas
exactement semblables, mais l'artiste s'est visiblement inspiré
du même modèle.
Toutes ces statues ont un air de parenté évidente quoique le
sculpteur ait essayé de donner à chacun des saints représentés
un caractère propre. Ces œuvres offrent un aspect relativement
paisible. Il n'y a rien d'emphatique dans l'attitude des personnages
ni dans le traitement des costumes. L'artiste s'est surtout attaché
à l'expression des visages et aux plis assez fouillés mais pleins de
retenue des costumes.
L'église de Montigny-Montfort offre aussi d'autres statues mais
paraissant d'une autre facture quoique certaines puissent être
attribuables à la même époque : Saint Martin, Saint Abdon, Saint
Pierre et Saint Paul.
Il s'y trouve également un buste de Dieu le Père étendant ses
bras, qui devait surmonter le retable du maître-autel disparu, des
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bustes reliquaires, une statue visiblement moderne mais non sans
charme, de Saint Jean-Baptiste enfant.
SAINT-ÉVÊQUE (SAINT-GERMAIN), x v m d SIÈCLE.
Une toile enfin retient l'attention : un Saint Joseph tenant dans
ses bras l'Enfant Jésus. Ce dernier est un peu potelé, mais le visage
de Saint Joseph se penchant vers lui est d'une belle expression.
Il s'agit donc d'un ensemble.
A qui doit-on cet ensemble exceptionnel ?
Sans doute peut-on rattacher à la même campagne de décoration
les trois bas-reliefs en stuc, les statues du Christ de dérision, du
Christ portant sa croix, le retable de Sainte Anne et les cinq autres
statues de même style. Ces éléments apparaissent prestigieux
pour une modeste église de campagne.
La première question qui se pose est de savoir quel est le promoteur de cette ornementation et en second lieu quel peut être l'artiste
qui en est l'auteur.
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Sur ce second point les recherches sont demeurées vaines. Comme
l'a fait remarquer M. Gras, souvent on ne s'adressait pas à des
artistes en place mais à des artistes de passage, principalement
des italiens.
Par contre sur la question du promoteur, une hypothèse assez
vraisemblable peut être avancée. Il existe en elïet à Barain 5 une
chapelle dotée d'un décor remarquable. L'intérieur olïre un ensemble
d'une certaine somptuosité avec son retable central, ses retables
latéraux, ses sujets en bas-relief sans doute en stuc.
— Dans le chœur, une Résurrection, encadrée des statues de
Saint Pierre et de Saint Paul, ce dernier très voisin de celui de
Montigny-Montfort.
— Les autels latéraux, celui de droite, avec la Vierge à l'Enfant,
surmonté d'un bas-relief représentant Saint Etienne, celui de
gauche, avec Sainte Catherine, surmonté d'un bas-relief figurant
un Saint qui n'a pu être identifié.
— Une crucifixion surmontant l'arc triomphal avec deux anges.
— Le baptême du Christ, en stuc.
Toute la décoration est à peu près du même type. Aussi il s'agit
indéniablement d'un même ensemble, dû à un même artiste. On
ne manquera pas de faire quelques rapprochements avec l'ensemble
de Montigny-Montfort. Or nous savons, grâce à un mausolée de
l'église de Barain, quel est le promoteur de cette décoration.
Ce mausolée est en forme de tombeau surmonté d'une pyramide
et d'un pélican. De chaque côté, deux statues : à droite la Douleur
agenouillée et pleurant, à gauche la Foi, au visage confiant. Le
tombeau porte l'inscription suivante :
A LA MÉMOIRE
DE D. D.
MARIE DE BRETAGNE
FIJAN DE TALMAY
LA VRAIE FEMME FORTE SAGE
LA RÉPARATRICE
DE CETTE ÉGLISE
MDCCLVI
1756 est la date de la mort de Marie de Bretagne, veuve d'Etienne
Fijan qu'elle avait épousé en 1713. Le monument fut donc élevé
par sa famille.
5. Commune d'Avosnes (Côte-d'Or), cf. Bien Public, 26 juillet 1956 et 26
décembre 1970.
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Mais on remarque l'analogie de la ligure de la Foi avec plusieurs
de celles qui se trouvent à Montigny. Or précisément la seigneurie
de Montigny a appartenu à Etienne Fijan de Talmay.
Etienne Fijan (1677-1751), conseiller au Parlement de Bourgogne6,
était fils de Pierre, seigneur de Talmay, qui passa pour être très
près de ses intérêts. Lui-même, s'il faut en croire l'auteur du Mercure
Dijonnais, avait la réputation d'être très dur et très avare. Il s'était
marié en 1713 avec Marie de Bretagne, fille de feu François, baron
de Grignon, seigneur d'Orain et également conseiller au Parlement.
Il mourut le 20 novembre 1751 et sa veuve le 27 août 1756. Tous
deux furent inhumés à l'église de la Madeleine de Dijon.
Parmi leurs enfants, Pierre II Fijan de Talmay, conseiller au
Parlement, eut au contraire la réputation d'un homme charitable
et pieux.
Etienne Fijan acheta en 1726 la seigneurie de MontignyMontfort. Ses enfants ne la conservèrent pas à la mort de leur mère
puisqu'elle fut vendue en 1756 à Jacques Languet de Rochefort.
Marie de Bretagne était fille de François-Joseph de Bretagne,
seigneur d'Orain, près de Grignon, des Granges, de Seigny. En 1696
il avait repris le fief de Barain et en 1701 acheté la baronnie de
Grignon. 11 eut de son mariage avec sa cousine Marie de Bretagne
deux filles.
— Marie-Françoise, celle qui épousa Etienne Fijan.
— Catherine, qui épousa en 1714 J.-B. de Requeleyne.
A sa mort, en 1713, Marie de Bretagne, légua sa terre de Barain à
Catherine, qui, à son décès en 1742, léguera 800 livres à l'église de
Barain, et accorda plusieurs remises de dettes à certain de ses
débiteurs de Barain. Mais à la mort de Catherine en 1742 ce fut
Marie-Françoise de Bretagne, épouse d'Etienne Fijan, qui géra
la seigneurie de Barain.
Donc entre 1726 et 1756, Marie de Bretagne fut Dame de
Montigny-Montfort et entre 1742 et 1756, dame de Barain. On
comprend pourquoi Marie fut la réparatrice de l'église de Barain
et on ne peut être que tenté de lui attribuer également le décor,
aussi exceptionnel que celui de Barain, de Montigny-Montfort.
On saisit mieux de même la portée des deux épitaphes contenus
dans des cartouches dans le chœur de Barain. L'un est dédié à la
6. Voir DUMAY (G.), Aperçu historique sur la Terre de Talmay..., Dijon,
1911, Abbé GRIGNARD, Histoire de Grignon, ras. 212, Arch. dép. Côte-d'Or,
BLONDEAU (G.), La famille de Bretagne, ronéotypé, 1935, Bibl. mun. de Dijon,
Br. V 985 et Arch. dép. Côte-d'Or, Recueil de Peincede et E 344 te.', E 364 bis,
E 2908.
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mémoire d'Etienne Fijan de Talmay et de Marie de Bretagne,
l'autre à la mémoire de Catherine de Bretagne. Connaissant la
piété du fils de Marie, Pierre II de Talmay, il était tout naturel
qu'il élevât ce monument funèbre à la mémoire de sa mère.
Il existe enfin un dernier argument en faveur de l'œuvre géminée
de Marie de Bretagne : la figuration de Saint Etienne que l'on
retrouve à Montigny-Montfort et à Barain. Or Saint Etienne était
le patron de son mari.
Le style des sculptures et du décor s'accorde bien avec les dates
précitées, les œuvres de Barain devant être légèrement plus tardives.
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