avec le sentiment de la loi morale qui nous habite [cf. infra]. Bergson ajoute :
« Qu'il (le monde matériel) se rattache à l'esprit par ses origines ou par sa fonction, dans un cas comme dans
l'autre il relève de l'intuition par tout ce qu'il contient de changement et de mouvement réels. Nous croyons
précisément que l'idée de différentielle, ou plutôt de fluxion, fut suggérée à la science par une vision de ce genre. »
[ibid., introduction ; de la position des problèmes, durée et intuition]
Cette idée de fluxion sera reprise lorsque je viendrais, dans le IIème Essai, à parler de
Prométhée considéré comme symbole éidétique de la Révolution. Mais déjà, un mot sur ce
Titan : Prométhée est-il le fils de Thémis ? On connaît au moins trois légendes qui en font
soit le frère de Cronos [hypothèse séduisante quand on connaît la suite et qui va dans le sens de son origine
védique, cf. Ier Essai, 1, c], soit le fils de Thémis, soit enfin le fils de Héra. Si je me place au plan
de la philosophie hermétique, il me plait de le considérer comme fils de Thémis. Eh certes !
D'imaginer ainsi l'enfant de la Justice apportant aux hommes la lumière de la Vérité n'est pas
petite chose.
« Croirais-tu par hasard que je doive haïr la vie et fuir au désert, parce que toutes les fleurs de mes rêves nont pas
donné ? Ici je reste à fabriquer les hommes à mon image, une race qui me ressemble pour souffrir et pour pleurer,
et te dédaigner, toi, comme je fais ! » [Johann Wolfgang von Goethe, Prométhée, 3ème acte, Prométhée dans son
atelier, Hachette, Oeuvres de Goethe, tome II, trad. Porchat, 1860, p. 98]
Ainsi Prométhée défie Zeus et ce défi prend la forme du mépris, parce que les maux que le
dieu envoie aux hommes sont arbitraires. Ce mépris annonce la rébellion qui nourrit l'idée
même de la Révolution. Dans le même temps, l'homme qui a créé le dieu à son image avant
de se créer en quelque sorte lui-même, ne se retourne-t-il pas, aussi, contre lui-même ? C'est
ce que laisse entendre Fichte :
« Prométhée se rit de Jupiter, qui demeure au-dessus des nuages, et de tous les tourments qu'il amasse sur sa tête,
et il voit sans trembler les ruines du monde tomber sur lui. » [J.-G. Fichte, Méthode pour arriver à la Vie
heureuse, trad. Bouilher, Paris, Ladrange, 1845, septième leçon, p. 234]
Prométhée représente l'hypostase d'un mouvement de libération : celui où l'homme se détache
du divin au sens ontologique ; autrement dit, celui de la liberté de la volonté, c'est-à-dire
d'une prise de conscience nette de la difficulté de concilier cette liberté avec la nécessité de
l'ordre universel [i.e. la contingence]. De là cette entrave, cet embarras où le Titan EST [dans lequel
il faut voir l'homme spirituel (Jung), assimilable à « l'homme de l'homme » (Rousseau) dès l'instant de la
rébellion] : l'aigle [ou le vautour, oiseau d'Apollon] dévorant le foie de Prométhée, c'est encore une
allégorie de la lutte du mobile contre le fixe, où l'on est en droit de trouver le combat
incessant que décrit Empédocle : celui de l'Amitié contre le Désordre [cf. Ier Essai, chapitre 1, c].
Seul un vent de Justice est capable de mettre un terme à la passion de Prométhée et c'est là
une différence qui l'oppose, de façon radicale, à la passion du Christ [le message est que si le MOI
est éphémère, le SOI est éternel]. En cela d'ailleurs, la philosophie de Feuerbach procure une
dimension singulière puisqu'elle dégage les éléments constitutifs de ce que l'on peut appeler «
l'illusion religieuse » [voir A. Philonenko, la jeunesse de Feuerbach, introduction à ses positions
fondamentales, Vrin, 1990, 2 vol.]. Illusion où il y a lieu de considérer un processus d'inversion -
de l'ordre de la morale - qui intervient dans la conscience de soi [cf. Ier Essai, chapitre 5]. On
retrouve cette inversion lorsqu'on est amené à examiner le symbolisme alchimique de
Prométhée [cf. Ier Essai, chapitre 7, b].
« La vérité de la religion ne se trouve donc pas dans la religion elle-même, en Dieu, mais dans le rapport
religieux, c'est-à-dire imaginaire, que l'homme entretient avec sa propre réalité. » [Philippe Sabot.
«L'anthropologie comme philosophie». Methodos, 5 (2005), La subjectivité. http://methodos.revues.org
/document320.html]
L'analyse de ce processus d'inversion conduit à démasquer, à dévoiler le religieux, non pas
qu'on soit amené à le considérer comme une aliénation du sens mais bien plutôt comme
pharmacon à ce qu'il faut bien se résoudre à nommer la maladie de « l'ontogenèse du divin » dans
alchimie et philosophie - Kant - Fichte - Cassirer - Rousseau http://herve.delboy.perso.sfr.fr/orthelius.html
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