Introduction
et ‘attrape-tout’ [...] qui disparaîtra quand l’opéra assumera cette fonction,
au lendemain de la mort de Molière »15.
Cette disparition du genre n’était pas déterminée d’avance, mais tout
comme sa floraison, le résultat de plusieurs contingences. Il faut rappeler
qu’à travers ce champ d’expérimentation, non seulement le nombre
d’œuvres musicales augmente, mais aussi la concentration de musique et de
danse au sein de chacune de ces œuvres croît sensiblement : des danses et
airs assez simples et courts du Mariage forcé (1664), Lully va multiplier le
nombre et la durée ainsi que raffiner ses interventions ; il aura atteint sa
véritable grandeur pendant les dix ans de collaboration accélérante avec
Molière. En tenant compte de l’aménagement à grands frais du Théâtre du
Palais Royal pour accommoder Psyché et les grands spectacles à venir ainsi
que de l’intention déclarée par la troupe d’engager douze musiciens pour
« toutes sortes de représentations tant simples que de machines »16, force est
de constater que la ligne majeure d’expérimentation constitue une évolution
générale vers un théâtre musical et dansé à grand spectacle, comme le note
Jean-Pierre Collinet17. En dépit de la rupture entre écrivain et compositeur,
et des privilèges arrachés au trône par ce dernier, Molière a vite et
énergiquement avancé ses projets avec le tout jeune Charpentier, âgé alors
de vingt-neuf ans et encore complètement inconnu : trois nouvelles
partitions pour remplacer celles de Lully, désormais la propriété du seul
Florentin, avant le chef-d’œuvre incontesté (mais trop peu connu) qu’est la
partition du Malade imaginaire. Dans l’espace de quelques huit mois de
travail avec Molière, Charpentier s’est hissé au rang d’un très grand
compositeur de musique de théâtre. L’un des aspects méconnus du génie de
Molière, c’est sa capacité à inspirer ses collaborateurs, et tout autant à se
laisser inspirer par eux.
Le second facteur, c’est que dans ce théâtre où la musique, la danse, et
le spectacle prennent une nouvelle importance, celle du texte dramatique,
point de mire principal sinon exclusif des critiques littéraires, change de
nature relative aux autres éléments, fruit en partie des collaborations qui
viennent d’être notées. La musique et la danse dépassent nettement un statut
de simple « ornement » pour devenir de plus en plus intégrale à la
construction dramatique. Pour la critique, la musique assume aussi une
importance redoublée, parce que la chorégraphie de Beauchamps est
15 Voir William Christie et les théâtres des Arts Florissants 1979-1999, p. 228, et aussi
Catherine Kintzler, Théâtre et Opéra à l’âge classique, p. 214.
16 Registre de La Grange pour le 15 mars 1671, in Œuvres complètes t. 2, éd. G.
Forestier et Cl. Bourqui, p. 1130. Toute référence aux œuvres de Molière non autrement
indiquée emploie cette édition.
17 Dictionnaire de littérature du XVIIe siècle, p. 100 ; voir aussi C.E.J. Caldicott, op.
cit., pp. 108-111, 151-153 ; Guy Spielmann, « La Comédie-ballet : petite histoire d’une
solution dramatique » ; et G. Forestier, op. cit.).