Pour un regard plus libre sur les médias dominants et la publicité

publicité
Fascicule N° 16
Mars 2010
Pour un regard plus libre
sur les médias dominants et la publicité
Méthode utilisée
Le groupe a compté parfois une dizaine de participants, avec un noyau permanent de cinq personnes qui ont
effectué la synthèse.
Au cours de 7 séances réparties sur 18 mois, les participants ont tour à tour analysé une émission du journal
télévisé de 20h sur TF1; les spots publicitaires précédant et suivant le journal, en bloc une première fois, puis
en différé une seconde fois sur quelques spots. Parallèlement, tout au long de l’hiver et du printemps
2008/2009, ils ont photographié des affiches publicitaires sur leur trajet de métro ou de train qui leur
paraissaient significatives.
Lors de chacune des séances, ils ont analysé les objectifs des publicités ou des informations, la construction
de l’image et du texte, les ressorts utilisés pour donner envie et les représentations de l’homme et de la vie
qui traversent ces publicités. Dans ce travail de base, chacun a essayé de formaliser ses propres ressentis, de
les objectiver et de les confronter à ceux des autres.
« Nous avons constaté que nous avions une capacité d'analyse et de critique face aux images suffisante pour
ne pas rendre nécessaire le recours permanent à des spécialistes. Nous n'avons pas subi la domination des
experts dans notre travail d'analyse, d'autoformation, d'échanges, fidèles à l'objectif de nous autoformer,
d'éduquer notre regard, de développer notre capacité de lecture critique ».
Chaque séance a donné lieu à un compte rendu. Le présent document fait la synthèse de ces observations et
de leur analyse.
Cette analyse très partielle ne concerne pas toute la télévision ni toutes les télévisions, ni toute la publicité.
Mais ce qui a été observé constitue une hypothèse plausible pour analyser d'autres formes.
Le même travail serait à faire sur la presse écrite
RECIT avait réalisé à l'occasion de ses Premières Rencontres de l'éducation citoyenne à Lille (2004) un
premier travail sur la presse écrite qui garde toute sa pertinence. Mais il s'agissait d'un travail d'atelier et non
d'une lecture critique de la presse dans la durée. Il serait intéressant d'analyser le contenu de la presse people,
des magazines à grand tirage, la presse régionale et la presse d'opinion.
Nous n'avons pas analysé les marges
En particulier, l'univers des émissions et des « petites chaînes » n'a pas été analysé. Or, il est évident que
certaines émissions sont porteuses d'éducation citoyenne, d'apprentissage au regard critique, avec une
information large et vérifiée. Mais elles servent aussi d’alibi (voir 5ème partie).
Ce travail a ouvert le regard des participants
Cependant, ce travail a contribué à ouvrir le regard des participants. « L’analyse met des mots sur ce que nous
absorbons, forcés, tous les jours ; et, ce faisant, elle nous redonne un peu de bon sens et de liberté intérieure
par rapport au monde qui nous entoure, elle contribue à affiner la perception de notre environnement
familier ».
Il est important d’oser porter par nous-mêmes un regard critique sur les informations télévisées et la publicité
afin de mieux voir ce qui nous conditionne.
1
Table des matières
Pour un regard plus libre......................................................................................... 1
sur les médias dominants et la publicité ................................................................. 1
Méthode utilisée ......................................................................................................................................... 1
1 - Analyse d’un journal télévisé, 20 mai 2008....................................................... 3
Script (Journal télévisé de 20h sur TF1, le 20 mai 2008)........................................................................... 3
Impressions et commentaires ..................................................................................................................... 5
Qu’est-ce qu’on pourrait attendre d’un journal télévisé ? .......................................................................... 6
2 - Analyse des tunnels de publicité autour du journal de 20 heures .................. 8
Script 24 juin 2008 : France 2 de 19h47 à 20h........................................................................................... 8
Script 24 juin 2008 : TF1 de 20h34 à 20h50 .............................................................................................. 9
3- Analyse du déroulement des spots publicitaires ............................................. 10
Analyse détaillée de 4 spots publicitaires (Automne 2008) ................................. 11
1 - Publicité Auchan pour la carte de fidélité (30").................................................................................. 11
2 - Publicité « Etre surveillant de prison » (30") ...................................................................................... 12
3 - Publicité GDF Suez ............................................................................................................................ 13
4 - Publicité de la Ford Fiesta (1'51) ........................................................................................................ 14
4 - Analyse de photos d’affiches de publicité murales ........................................ 16
Le désir d’être plus fort que les autres et de les battre ............................................................................. 16
Le désir de séduire ................................................................................................................................... 17
La gourmandise et le bien-être de la bouche ............................................................................................ 18
L’envie sous toutes ses formes. ................................................................................................................ 18
Le rêve et l’évasion .................................................................................................................................. 18
Le besoin de générosité ........................................................................................................................... 19
Conclusion : la publicité murale s’appuie sur les pulsions élémentaires ................................................. 19
5 - Une contre éducation permanente ................................................................... 20
Les mécanismes de la régression ............................................................................................................. 20
De la communication à la manipulation ................................................................................................... 21
Pourquoi cette régression est-elle possible, où nous mène-t-elle ? .......................................................... 22
Ce qu’en disent quatre auteurs clés .......................................................................................................... 23
6 - Contribuer au développement de médias porteurs d’éducation citoyenne . 26
Un immense besoin de communication émancipatrice ............................................................................ 26
Contribuer à l’émergence d’autres médias ............................................................................................... 26
Quelques propositions de travail .............................................................................................................. 27
Conclusion ............................................................................................................... 29
2
1 - Analyse d’un journal télévisé, 20 mai 2008
Méthode de travail.
On établit au préalable une grille d'observation très simple pour distinguer les séquences : le titre de la
séquence, sa durée, ce qui nous frappe dans le contenu, quelques phrases significatives, et si possible une
observation du traitement de l'image et du son.
On se donne rendez-vous à 20 heures pour le journal télévisé et on le regarde de bout en bout.
Il est préférable d'enregistrer en même temps le journal télévisé pour pouvoir revenir sur telle ou telle
séquence au cours de la discussion si cela est nécessaire.
Chacun prend des notes. L'un des membres du groupe est chargé de noter l'écoulement du temps.
Une fois le journal terminé, on dîne ensemble (en partageant un pique-nique apporté par chacun) pour se
donner un temps de répit.
On se donne ensuite une heure à une heure et demie de discussion pour échanger sur les impressions. L'un
des participants prend en notes la totalité des échanges afin de pouvoir retrouver l’apport de chacun et établir
une synthèse des observations. Le postulat de base est que les observations de chacun contribuent au travail
commun en y apportant un point de vue original.
L'expérience montre que cette démarche permet d'exercer une sorte d'intelligence collective, avec des
observations assez complètes.
Script (Journal télévisé de 20h sur TF1, le 20 mai 2008)
DURÉE
PAROLES
IMAGES
I – ECONOMIE (PRIX DE L’ESSENCE ET SES CONSEQUENCES)
20h00
3’
Prix de l’essence. Pourquoi le prix augmente. Hausse
du brut en dollars et en euros. Démonstrations d’experts
pour dire que l’Euro nous protège.
Explication de la part des taxes dans le prix final : cela
ne va pas baisser car c’est la quatrième source de
revenus de l’État. Malgré tout, le prix du carburant a
baissé en francs constants depuis 1981.
Conclusion : les automobilistes devront subir la hausse.
20h03
4’
20h07
15’’
Justement, la contestation des pêcheurs est liée au
prix du gasoil. Information sur les ports qui sont
bloqués, le préfet lance un appel à la raison. Mais le
mouvement va s’étendre si la réunion de demain ne
dénoue pas la situation.
Même à la Réunion le port est bloqué.
Cette hausse des carburants est un phénomène
mondial : en Indonésie, des manifestations ont eu lieu.
COMMENTAIRES
Pas un mot sur les raisons
spéculatives de la hausse du
prix du brut.
Pas d’allusion au débat sur
l’utilité et la nécessité d’une
énergie chère pour
sauvegarder l’avenir de la
planète.
Images de pénurie, des
pompes à essence fermées.
Interview de pêcheurs : le
carburant représente la moitié
de nos charges.
La télévision s’exonère de sa
propre responsabilité dans
l’amplification de la panique.
C’est partout pareil, il n’y a
pas que chez nous.
II – SOCIAL (GREVE)
20h08
1’30
20h10
15’’
Des mouvements de grève sont annoncés jeudi.
Information détaillée : un train sur deux, un train sur
trois… affichage du numéro vert de la SNCF. Il y a
aussi grève des contrôleurs aériens.
Grève sur le Thalys, car les cheminots belges
manifestent également.
III – ECONOMIE NATIONALE (POUVOIR D’ACHAT, REVENU)
20h10
2’
On va tenir compte des dépenses contraintes dans
l’indice du pouvoir d’achat. Malgré les apparences, le
revenu des ménages continue d’augmenter de 2,2 %
par an. Pourquoi dans ce cas, avons-nous l’impression
que le revenu diminue ?
Explication de l’experte : l’INSEE parle de 2007. Cette
évolution moyenne ne tient pas compte des disparités
de revenus.
IV – POLITIQUE
On ne sait pas pourquoi il y a
des grèves. Elles sont
présentées comme un
événement météorologique
subi par les usagers
Il n’y a pas que chez nous.
Interview du directeur de
l’INSEE
Il y a un début d’explication
du paradoxe, mais en termes
codés et à toute vitesse.
« Si le revenu augmente,
c’est parce que les riches
s’enrichissent encore plus
que les pauvres ne
s’appauvrissent ».
3
20h12
DURÉE
1’30
20h13
2’
20h15
30’
20h16
3’
20h20
15’’
PAROLES
A Charleville, Olivier Besançenot et Ségolène
Royal soutiennent les ouvriers de Mittal en grève.
Le texte de loi OGM revient devant l’Assemblée
et donne lieu à des incidents. Rappel des
principales dispositions de la loi.
Deux brèves apparitions de Nicolas Sarkozy qui
explique qu’il ne serait pas raisonnable de ne pas
transposer une directive européenne.
Football : rencontre amicale entre footballeurs
professionnels et une équipe composée de
journalistes, d’hommes politiques, dont Patrick
Bruel, Bernard Laporte, François Hollande.
On va s’attaquer à la réforme de la maternelle.
Moins de six ans et un cartable sur le dos. Discours
qui laisse penser qu’en maternelle on doit
commencer les apprentissages de base pour lire
écrire et compter. Mais aussi opinion inverse qui
dit qu’on y fait les apprentissages de base.
Interview d’un inspecteur anonyme (sic) qui a
publié sous un faux nom « Il faut supprimer l’école
maternelle ».
Les détracteurs de la dernière année de maternelle
demandent un programme clair, une évaluation des
élèves. Conclusion : la réflexion sur une éventuelle
réforme est en route
Bruno Mégret, le président du MNR, a annoncé
son retrait de la vie politique.
IMAGES
On voit Ségolène Royal avec
un casque de chantier, très
brève apparition d’Olivier
Besancenot.
Images de foutoir,
d’invectives et de violences
verbales à l’Assemblée
Nationale. Gros plan de 2
secondes sur A. Chassaigne,
P. Ollier, etc.
Quelques images du match et
gros plans sur des
personnalités.
Image d’une maîtresse avec
quelques enfants.
Image de cet inspecteur, en
ombre chinoise et avec une
voix déformée, pour critiquer
l’absence d’efficience de
l’école maternelle.
COMMENTAIRES
Ce soutien est présenté
comme une concurrence
entre deux présidentiables.
Aucune allusion au rejet de
la loi la semaine dernière, ni
au fond du dossier.
Politique-spectacle : ils
jouent pour être vus.
Connivence.
Cf. Stiegler.
Ce discours pas toujours très
clair semble émaner du
gouvernement qui souhaite
préparer le terrain pour
lancer une réforme de la
maternelle après celle du
primaire. On prépare
l’opinion en posant des
questions soigneusement
choisies.
V – SOCIÉTÉ
20h20
2’
20h22
1’
Une cellule de gendarmerie est chargée de détecter
les marchands de sommeil. Encore, celui-là n’a
qu’un logement, mais certains en possèdent plus de
100. Image de taudis, interview d’une famille
africaine parlant mal le français. Celle-ci, logeant
dans une cave, a porté plainte
Conclusion : il n’y a plus d’impunité.
Attention aux arnaques de vacances, notamment
immobilières.
Ici, des personnes ont été flouées pour avoir
répondu à des offres Internet et versé des arrhes
importantes.
Conseil de l’expert : se méfier des annonces trop
alléchantes, dans une langue étrangère, avec des
arrhes trop importantes.
On suit la cellule de
gendarmerie qui découvre des
logements clandestins.
L’interview donne une
image de l’immigration
dévalorisante.
La gendarmerie est perçue
comme « le sauveur » pour
éliminer les méchants
marchands.
Image d’une offre sur
ordinateur, interview d’une
personne flouée.
VI – ETRANGER
20h23
15’’
20h23
3’
20h26
2’
20h29
30’’
Les Primaires aux Etats-Unis.
La santé est un thème de campagne important aux
Etats-Unis : 47 millions d’Américains n’ont
aucune couverture maladie. La consultation est cinq
fois plus chère qu’en France. Les riches sont de
plus en plus riches mais les pauvres de plus en plus
pauvres. Accumulation de chiffres désolants sur la
santé aux Etats-Unis.
En Chine, 40 000 morts. Des enfants tués dans
l’effondrement de leur école. 137 enfants dans la
même école. Critique des matériaux friables. Les
secours sont débordés. Les gens se pressent pour
voir la liste des blessés à l’hôpital.
Mobilisation de 100 000 militaires. Affirmation : «
la présence militaire rassure » mais pour autant,
certains habitants ont formé une milice locale « car
des voleurs descendent des montagnes avec des
couteaux ».
Trois jours de deuil en Birmanie. Visite du
secrétaire général de l’ONU.
Ont une antenne mobile de
soins dentaires qui débarquent
dans une école.
Interview de gens qui n’ont
pas les moyens de se faire
soigner.
Vraiment, il y a pire que
nous !
Images de décombres,
d’enfants prisonniers en haut
d’une école effondrée.
Image de l’armée qui protège
les biens contre les pillards, et
interview d’un chef.
Interviews d’habitants qui ont
constitué une milice.
4
DURÉE
20h30
1’
VII – DIVERS
20h31
2’
VIII – SPORT
20h33
15’’
IX – CULTURE
20h33
2’
20h35
15’’
20h35
1’30
20h37
30’’
PAROLES
IMAGES
Emeutes xénophobes en Afrique du Sud. Femmes
violées, les étrangers s’enfuient, notamment ceux
venant du Botswana.
Le Président de l’Afrique du Sud lance un appel au
calme « ces étrangers sont des personnes humaines
comme nous ».
Images de violence, la charge
en direct d’une personne
supposée être étrangère.
La SPA intervient en milieu scolaire.
60 000 chiens et chats abandonnés. Discours de la
SPA et conseils aux enfants dans une salle de
classe : ne donnez par un coup de pied à un chat, il
peut en mourir. Ne laissez pas un animal dans la
voiture au soleil.
Un enfant : « j’ai compris que les animaux ont
autant de droits que les hommes ».
Conclusion : l’essentiel c’est l’empathie. Une
action qui peut donner envie de devenir bénévole à
la SPA.
Image de la salle de classe, où
l’on écrit au tableau des
maximes en écriture ronde,
image de films style Walt
Disney, interview d’un enfant.
COMMENTAIRES
Passage délicat voire
choquant de la SPA après la
violence en Afrique du Sud.
Pour une fois, TF1 fait
l’apologie de l’engagement
associatif.
Image d’un voilier.
Festival de Cannes : images de stars, de fêtes en
smoking, de stars au milieu d’une foule
respectueuse. À Interview de Clint Eastwood à
propos d’un film qui décrit les rapports d’une mère
et de son enfant.
Incendie à la Philharmonie de Berlin.
Heureusement les spectateurs ont pu sortir sains et
saufs.
Vente aux enchères chez Sotheby’s du seul
exemplaire connu du « Manifeste du surréalisme ».
Bref commentaire sur le surréalisme.
Image aérienne de la fumée
au-dessus du bâtiment.
Image du document écrit à la
main, interview d’un acheteur
potentiel qui annonce qu’il
irait jusqu’à 3 millions de
dollars pour acquérir ce
document.
Fin du journal, générique, annonce de la météo et
passage à la publicité.
Impressions et commentaires
24 sujets traités en 37 minutes. Où est l’analyse ?
On passe d’un registre à l’autre, sans lien ni transition apparente (sauf pour les premiers sujets) avec un
rythme très soutenu. Ce rythme a pour but de captiver, ce doit être une arme anti-zapping. Il vise à
développer l’Audimat. Il faut du spectacle et du rythme pour retenir l’auditeur, pour le mener jusqu’à la
publicité, qui est l’essentiel (cf. la déclaration de Patrick Le Lay1).
Il n’y a pas d’analyse apparente, on présente des faits et des images. Toutes les informations sont mises sur le
même plan. Il en résulte parfois des rapprochements surprenants ou choquants. Par exemple quand le
reportage sur la SPA fait suite aux images d’émeutes en Afrique du Sud.
Des thèmes sous-jacents
A travers le désordre apparent, il y a quand même un ordre. D’abord les sujets qui touchent tout le monde : le
porte-monnaie, les grèves, puis les conflits sociaux. Ensuite la politique et on finit par l’étranger, la culture.
Mais quoi de plus objectif en apparence que cette succession d’images et de faits ? C’est le choix des faits et
des images, c’est leur ordonnancement qui constitue une présentation orientée de l’information. C’est aussi
ce qui n’est pas dit ou ce qui n’est pas montré qui constitue les véritables choix de la ligne éditoriale.
1
"Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective business, soyons réalistes : à la base, le métier de
TF1 c'est d'aider Coca-Cola à vendre son produit. Or, pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du
téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont vocation à le rendre disponible. C'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le
préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du cerveau humain disponible" Patrick Le Lay, Les
dirigeants français face au changement, Baromètre 2004, publié aux éditions du Huitième jour. Juin 2004.
5
On s’adresse à l’émotionnel
Le rythme, le flux d’images et les mouvements de phrases produisent une sidération. On ne peut pas penser.
L’effet sur la personne lambda est essentiellement émotionnel. On s’adresse au cerveau limbique ou
reptilien, pas à la raison. Les individus sont face à des phénomènes chaotiques, globaux, que personne ne
maîtrise. Ils s’expriment sur le mode de la violence, de la douleur, de la révolte de l’indignation. Il y a aussi
des escrocs et les méchants (les marchands de sommeil). Avec le sous-entendu « Heureusement c’est pire
ailleurs » avec de très courtes séquences montrant des situations étrangères.
Une école de fatalisme qui désapprend à agir
Ce spectacle produit de l’impuissance ou de la révolte, mais pas de marge d’action. Face à des phénomènes
globaux, présentés comme inévitables : (« 575 emplois doivent disparaître »), l’individu ne peut rien faire.
Une telle télévision est une école de fatalisme La vie du monde, les mouvements sociaux, l’information sont
présentés sur le mode de la météo. Les actions de résistance ou la lutte pour un monde plus vivable sont
présentées sous l’angle de la gêne des usagers (les grèves de jeudi prochain) ou du désordre gratuit (les
affrontements à propos des OGM). Cependant, il y a parfois des débuts d’explication. Mais celles-ci sont
tellement rapides, tellement simplifiées et souvent tronquées qu’elles deviennent incompréhensibles par le
raisonnement. Elles deviennent des vérités révélées, révélées par des experts, espèce souvent sollicitée et
soigneusement sélectionnée.
Quelle perception du monde pour « les prisonniers de l'information dominante » ?
Le journal télévisé est le seul mode de perception du monde qu’ont beaucoup de personnes, avec une
absence de diversité et de relecture, de prise de recul, de contradictions, d’interprétations, d’échanges, de
reformulation et de discussion. Certaines sont sous contrainte (prisonniers, malades, personnes âgées
dépendantes) mais beaucoup choisissent de ne regarder qu’une seule source d’information par habitude, par
manque d’ouverture ou par conditionnement. Comme l’avaient dit les participants au rendez vous organisé
en 2006 avec des anciens détenus par l’association Repousser les murs, à Loos (Nord), « nous sommes tous
dans cette situation d'enfermement créé par les médias ». Et ils se posaient la question « comment être libres
malgré les barreaux ? ».
Qu’est-ce qu’on pourrait attendre d’un journal télévisé ?
Le groupe s’est ensuite interrogé pour savoir : « Que pourrait-on attendre d’un autre journal télévisé ? ».
Voici une série de propositions qui ne sont pas toutes réalisables à court terme :
Changer le cœur du système médiatique
1. l’interdiction de la possession des médias par les grands groupes privés.
2. la mise en place d'instances de régulation indépendantes, dotées d'un pouvoir de décision et de
coercition, afin de faire respecter une déontologie.
3. intégrer la réorganisation des médias dans un projet éducatif global à différents niveaux, pour la nation,
la région, le territoire.
4. le retour à une information vérifiée, recoupée, qui ne transige pas avec les faits.
Une information émancipatrice
Promouvoir une information qui permette à chacun de former son jugement et qui n’aurait plus pour objet
d’inculquer une vision unilatérale du monde. Cela suppose :
5. une pondération différente des informations, qui doit porter sur l’ordre de présentation, le temps consacré
à chacune, le choix des mots et le choix des images.
6. la promotion des actions collectives, en référence à une perception du futur et aux responsabilités
collectives de la société par rapport à chacun de ses membres et à l’humanité.
7. parler du positif, parler de sujets qui encouragent l’individu à faire des choses par lui-même : actions
locales, relations avec le voisinage, afin de réhabiliter l’initiative individuelle et collective. Donner de
l’espoir,
8. montrer les perspectives que peuvent ouvrir des actions porteuses de sens, que l’action collective peut
faire bouger les choses avec des exemples et des histoires, avec des images.
6
9. revaloriser la vie quotidienne, qui est aussi faite de fraternité au quotidien, de solidarité et de
désintéressement.
10. faire moins, aller plus lentement : passer par exemple de 25 à 10 sujets, plus approfondis.
7
2 - Analyse des tunnels de publicité autour du journal de 20 heures
Méthode de travail
Afin d'avoir une vision d'ensemble de la diffusion de la publicité à la télévision et d'en tirer un début
d'analyse, nous avons décidé d'observer concrètement le défilement, appelé aussi "tunnel", des spots
publicitaires, bande-annonces, programmes courts, … diffusés les uns à la suite des autres, autour du journal
de 20 heures.
Pourquoi autour de ce journal télévisé ? Parce que c'est à ce moment-là que l'audience est la plus élevée et
que, par conséquent, là se concentre un maximum de spots publicitaires et bande-annonces.
Le 24 juin 2008, à 19h47 nous avons allumé la télévision sur France 2 jusqu’à 20 heures, puis nous avons
éteint le poste et nous avons pris une frugale collation, avec ce que chacun avait apporté.
Nous l'avons rallumé à 20h30 sur TF1 cette fois-ci, jusqu'au programme de soirée à 20h50. Nous avons
ensuite échangé nos impressions.
Comme pour le journal télévisé, nous avons noté le déroulement et la succession des spots, ainsi que ce que
nous pouvions saisir au vol des contenus et des phrases clés.
Ce travail donne une indication sur l'ampleur et l'orientation générale des informations qui sont avalées par le
consommateur en l'espace de quelques minutes. Mais on constate que le rythme est trop rapide pour pouvoir
noter le sens et le contenu des différents spots. Ce qui nous a amené à envisager pour la suite un travail plus
approfondi sur quelques spots (voir chapitre suivant).
Script 24 juin 2008 : France 2 de 19h47 à 20h
NB. Cette analyse a eu lieu quelques mois avant la suppression de la publicité sur la chaîne publique.
Type de
progr.
Pub 1
Durée
Annonceur
45"
Carrefour
Pub 2
10"
Pub 3
Pub 4
30"
10"
Française des jeux
et F3
Décathlon
Rue du Commerce
BA 1
BA 2
Progr.
Court
30"
30"
4’
BA 3
30"
Bande annonce
Sponsor
Progr.
météo
10"
3’30
Transition
Météo
Sponsor
BA 4
10"
30"
Transition
BA 5
15"
France 2
France 2
Mademoiselle
Paroles
Images
Commentaires
Image idyllique d’un
élevage et de
campagne, avec
lumière dorée
La même sur TF1 à 20h 35
Histoires courtes avec
un début et une fin
Images moins rythmées
que les publicités qui
précèdent. Mais on reste
dans le même format :
sketches d’une minute
environ
Annonce du jeu Le millionnaire
Publicité pour la marque Quechua
Rue du Commerce, on peut trouver
des produits pour 1€
Laurent Ruquier, rigolade
Inédit, annonce France 2
Série de sketches : jogging très
court, « Jessica hyper cool avec ses
amis »,
«avoir du pognon c’est utile»
flash actu dès la semaine prochaine
« et ça vous faire rire »
Verres de lunettes
Le temps en France, puis outre-mer,
puis en Europe
Verres de lunettes
Brigitte Bardot, sa
vie, son oeuvre
BA sommaire du programme de la
soirée
, détournement
d’images d’archives
Images classiques de
cartes et de photos
satellites
BB avec les phoques
Emission pour un large
public
En résumé : sur France 2 : 4 pubs, 5 BA (bandes-annonces), 2 sponsors, 2 programmes courts en 15
minutes
8
Script 24 juin 2008 : TF1 de 20h34 à 20h50
Type de progr
BA 1
Durée
Annonceur
TF1
PUB 1
30"
Afflelou
PUB 2
PUB 3
10"
45"
France-Soir
Carrefour
PUB 4
30"
Paroles
BA sommaire du programme de la soirée sur
TF1
Image idyllique d’un
élevage à la
campagne avec
lumière dorée
Images de synthèse
PUB 5 collective
20"
?
Mangez cinq fruits et légumes par jour. Les
qualités sont les mêmes en conserve et en
surgelés
Sponsor 1
Sponsor 2
60"
PMU
Retransmission des courses de chevaux du jour,
avec les rapports du tiercé
TF1
Demain demi-finale de l’Euro Allemagne
Turquie
Sponsor de la demi finale
Pouvoir d’achat : vous pouvez améliorer votre
pouvoir d’achat en utilisant les exonérations
d’impôts. La bataille se gagne jour après jour »
« Qui mange du bœuf mange du bœuf »
Sponsor 3
PUB 6
15"
40"
Hyundai
Premier
ministre
PUB 7
15"
PUB 8
PUB 9
40"
30"
Publicité pour
le bœuf
Gervais :
Peugeot
Sponsor 4
Programme
météo
20"
3 mn
CIC
Sponsor 5
20"
CIC
BA 3
45"
BA série « Les
Experts »
Sponsor 6
20"
Sponsor BA les experts
PUB 10
PUB 11
PUB 12
PUB 13
PUB 14
20"
20"
20"
20"
40"
Dentifrice
Sanogyl
ST MICHEL
OPEL
NIVEA
SANEX
Aqualtis
PUB 15
20"
PUB 17
20"
FRUIT D’OR
Pro-active
Scholl
PUB 18
30"
Pseudo information médical pour une
margarine
Pommade antimycosique pour avoir des ongles
éblouissants
Les femmes sont deux fois plus folles de Quilis
PUB 19
30"
PUB 20
20"
PUB 21
20"
Sponsor 7
30"
Programme
30"
Française des
jeux
Dr House
Produits alimentaires
« naturels »
Publicité pour une
console de jeux ?
Fin de la publicité
NIVEA
Q10 plus
Email Diamant
dentifrice
Canal+
Abonnement 3
mois
Nestlé
Commentaires
Silhouettes de
femmes ondulantes,
puis Afflelou qui
apparaît
Des recettes du monde entier
Générique
BA 2
Images
boissons à boire pour les enfants
La 207, la voiture la plus vendue en Europe
Stars jeunes actifs CIC, (produit d’épargne)
Présentation très soutenue de la météo en
France, outre-mer et dans les pays d’Europe
La publicité se présente
comme officielle. Les
producteurs participentils à cette pub ?
logo du PMU
Déroulement des
courses
Logo du PMU
On passe sans transition
de la publicité à la BA
Pub gouvernementale
Images de voiture de
paysages très
travaillées
Images classiques de
cartes et de photos
satellites
Stars jeunes actifs CIC, (produit d’épargne),
sponsor de la météo
Les informations sont
exactement les mêmes
que sur France 2
Répétition à l’identique
de l’annonce avant météo
Succession d’images
de violence qui
commence par un
coup de feu
Une fille en petite
tenue, qui sourit
Gateau
Voiture
Déodorant …avec 3 cm en moins
Déodorant pierre d’Alun, 100% naturel
Sans paroles
Machine à laver
Je suis une fille toute simple
Très belle publicité
qui parodie le milieu
sous-marin
Musique classique
(romantique)
Invitation sur Canal Sat
Nourriture bébé Montage très travaillé de bébé
environnement
multicolore
Végas
Enoncé du programme
En
résumé :
sur
TF1
:
2 programmes courts en 16 minutes
21
pubs,
7
sponsors,
3
BA
(Bandes-annonces),
9
3- Analyse du déroulement des spots publicitaires
Petit rappel sur la publicité
La publicité a pour but de faire connaître un produit ou une marque afin d'exercer une action psychologique
sur le public à des fins commerciales. Mais cette définition ne permet pas d’appréhender les 1000 manières
qu’utilisent les entreprises pour influencer le consommateur devant son poste de télévision : par exemple,
une image lumineuse et colorée, un niveau sonore élevé, un montage très rythmé, etc. Parallèlement, un des
buts de la télévision privée sera de rendre l'esprit du téléspectateur disponible pour les messages
publicitaires2. La publicité, c’est donc l’ensemble des méthodes et des actions qui conditionnent les
individus en tant que consommateurs, dans leurs pensées, leurs émotions et leurs comportements, d'une
façon plus ou moins consciente.
Les thèmes traités reflètent nos désirs et nos angoisses
On note l’importance des pubs centrées sur la santé et le bien-être, en particulier vers la fin. Une dizaine de
publicités évoquent la santé. Par exemple, les biscuits Saint-Michel, avec un sous-titre « manger, bouger ».
Sous-entendu : "Si vous mangez des biscuits Saint-Michel, cela ne vous fera pas grossir si vous bougez ».
C’est la même chose pour l’alcool (en affichage dans la rue), « à consommer avec modération ».
Le travail de la forme
On observe dans toutes les publicités un important travail sur la forme.
On constate un déséquilibre entre France 2 et TF1. Sur France 2, de 19h47 à 20 heures, avant le journal, la
publicité tient une place relativement limitée (5’). L’essentiel est occupé par les bandes-annonces des
programmes et une série de sketches « Mademoiselle ». En revanche, sur TF1 on ne compte pas moins de 28
publicités (spots publicitaires et sponsors) en 16 minutes (entre le JT et la série Dr House).
Le volume sonore des publicités paraît plus fort que celui des émissions. Or, il est interdit d’augmenter le
volume de la publicité. Pour transgresser cette règle, on demande au mixeur d'augmenter la dynamique du
son, sans augmenter le volume global. Le nombre de décibels est le même, mais on entend mieux les pubs.
La lumière et les couleurs : la publicité de Carrefour, par exemple, présente une campagne idyllique, avec
des vaches, de la nature et des agriculteurs. La lumière a été travaillée en augmentant la chroma, c'est-à-dire
la saturation des couleurs. Les visages sont très bronzés, la campagne très verte, tout cela évoque Walt
Disney.
Le défilement est très rapide, avec des plans extrêmement courts qui se succèdent sans interruption : "On est
assommés". Cette constatation a amené le groupe à travailler plus en détail sur quelques spots publicitaires
pour pouvoir en analyser le contenu.
Des sketches très courts
Nous avons été étonnés par la place prise par des sketches très courts au beau milieu des publicités. Pourquoi
un tel développement ? Il s’agit peut-être d’une réponse au zapping de plus en plus fréquent des
téléspectateurs, qui "coupent" la publicité. Ces sketches constituent des "locomotives", dans le jargon du
métier. On attire le téléspectateur avant le journal pour qu’il reste ensuite sur la même chaîne.
L’humour à bon compte, un peu cynique, comme celui de l’émission « Mademoiselle », frise parfois le
mauvais goût ou le racisme, et véhicule des jugements de valeur de comptoir ("avoir du pognon, c’est utile").
L’image parle autant que la parole
Une partie importante du message est liée à la symbolique de l'image, du son, de la musique, du rythme et de
la lumière. Le travail sur la forme est donc central. Or nous sommes beaucoup moins armés pour développer
une réflexion critique par rapport à l'image, davantage reliée à l'émotion, que par rapport aux discours, reliés
à l'intellect. Notre société a peu d'antériorité et peu d'éducation collective par rapport à l'image alors que par
rapport à l'écrit on dispose de plusieurs siècles d'histoire littéraire.
2
Au risque de nous répéter « il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont vocation de le rendre
disponible. C'est-à-dire de divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du
cerveau humain disponible ». Patrick Le Lay, Les dirigeants français face au changement, Baromètre 2004, publié aux éditions du
Huitième jour. Juin 2004
10
Analyse détaillée de 4 spots publicitaires (Automne 2008)
L'analyse des spots a pour objectif d’analyser le contenu de publicités significatives, afin de décortiquer
précisément les techniques de prise de vue, les slogans, la musique et le montage. Pour cela, quatre spots
différents ont été choisis par deux membres du groupe, enregistrés sur une cassette VHS et repassées en
boucle.
Méthode de travail
L’objectif de ce travail est de comprendre comment est bâti un spot, la façon dont il agit sur notre émotion et
l’inconscient des différents spectateurs, les intentions commerciales et les conséquences sur nos
représentations.
Pour cela, nous avons procédé de la manière suivante.
Deux des membres du groupe ont sélectionné 4 spots publicitaires diversifiés quant aux thèmes, aux styles et
au traitement de l'image. Ils les ont enregistrés sur un DVD pour qu'on puisse les visionner plusieurs fois si
nécessaire le jour de la réunion.
On regarde une première fois chaque spot tous ensemble, de façon à le regarder ensemble et l’analyser et on
échange des premières impressions pendant environ 5 à 10 minutes. On regarde le spot une 2ème fois en
tenant compte des impressions de chacun et de ce qui a été dit dans l'échange, puis une 3ème fois si nécessaire.
Pendant le visionnage et les échanges, chacun prend des notes.
Ces notes servent d’appui à la discussion au cours de laquelle on confronte les points de vue. Au total, on
passe une petite demi-heure sur chaque spot.
1 - Publicité Auchan pour la carte de fidélité (30")
Le spot vante une carte de fidélité qui donne des petits bonus à chaque achat, avec un délai pour les
consommer. Bien sûr, il faut revenir pour cela à Auchan.
Slogan :
Une
faire
la vie
idée centrale : « toute l'année vous pouvez
des centaines d'euros d'économies. C'est ça,
Auchan ».
Message :
Le client qui parle est content. « La vie Auchan change la vie », avec toujours la même musique. « Mes filles
vont être contentes à Noël ». « Moi, je l’utilise tout de suite, ou plus tard ». « J’ai déjà 60 €. Tu peux aller
jusqu’à 100 € ».
Image :
La forme est soignée. Il s'agit de l'interview d'un client d’Auchan. Le cadre est serré sur la personne
interviewée, et le fond est flou. L’opérateur travaille le cadrage et la lumière pour mettre en valeur le
personnage.
11
Durée :
30 secondes.
Analyse critique :
Le spot est monté comme une suite d'interviews pour un sondage et l'on pourrait croire qu'il s'agit d'un sujet
d'information. Il y a donc amalgame et une impression de vérité. Le choix de l'interview permet au spectateur
de s'identifier au client.
C’est donc une pseudo information qui repose sur un sophisme : "Plus j'achète, plus je gagne". Plus on
dépense, plus la ristourne sera importante. On ne dit jamais combien il faut dépenser pour économiser. Le
témoignage des consommateurs comédiens auxquels le spectateur peut s'identifier, donne une crédibilité aux
propos.
2 - Publicité « Etre surveillant de prison » (30")
Le spot vise à donner envie d'être surveillant de prison, en donnant une image lisse et positive, protectrice et
valorisante de ce métier. Il est intéressant de noter la forme et les arguments
Slogan :
Le discours central s’adresse directement aux personnes visées (c'est un jeune surveillant qui parle) :
« - Si tu peux faire preuve d’autorité en étant à l’écoute, » « - Si tu peux dialoguer mais aussi rester
ferme, »
« - Si tu peux te faire respecter en respectant les autres, … » « - Alors tu peux faire mon métier : surveillant
pénitentiaire »
« - Slogan final : quelle société peut se passer de nous ? »
Cela ressemble à des versets de la Bible ou au texte de Kipling.3
Image :
L'image est bien travaillée dans la forme. On est dans un lieu très bien éclairé, très propre. Le jeune
surveillant que l’on voit dans plusieurs plans fait figure de baroudeur, d’aventurier. On ne voit pas de détenus
mais juste une fois une paire de baskets. Un groupe de surveillants jeunes dialoguent et forment un groupe
rassurant. Ils sont bien habillés.
Un ruban vole à travers les images avec les mots : « autorité », « respect », « humanité », et « administration
pénitentiaire » (sur le pull-over).
Fin de la pub : « le Ministère de la Justice (drapeau français) recrute et forme ».
Son :
Il n’y a aucun bruit de clés, ni de porte. Musique rock, branchée.
3
« Si tu peux voir détruire l'ouvrage de ta vie, et sans dire un seul mot, te mettre à rebâtir (…), tu seras un homme mon fils »
12
Analyse critique :
On est dans une forme de mensonge ou d'illusion par l’image : les gens sont tous beaux, détendus, pas de
bâton, ni de menottes, ni de détenus. Pas de bruits de clés, ni de portes, mais un monde rassurant qui peut
répondre aux besoins de jeunes en recherche d’autorité, de respect, d’écoute et aussi de structuration. La
prison peut être un espace pour eux, pour leur travail. Le groupe de surveillants est comme « la bande », la
famille, le groupe soudé.
Certains peuvent être naïfs et croire que la prison ressemble à ces images. Plus profondément, cette pub
contribue à la construction d'une vision de la société comme celle du "meilleur des mondes", car rien de
négatif n’apparaît, l'essentiel de la réalité est caché.
3 - Publicité GDF Suez
L'objectif de ce spot est de donner une autre image du groupe GDF Suez, sans chercher à vendre un produit
(comme la carte Auchan) ou un métier (comme surveillant de prison), mais seulement évoquer « l'énergie du
futur » et laisser entendre que l’on peut faire confiance au groupe GDF Suez pour se soucier d’une énergie
qui garantisse l’avenir.
Slogan :
« Plus sûre, plus respectueuse, mieux consommée ». « Ensemble, redécouvrons l’énergie ».
Image :
Ambiance cinéma, intimiste. Plans très courts, lumière très travaillée. Action millimétrée. C'est l’aurore, dans
une ville nord-américaine, des images intimistes. Un homme grand, de type méditerranéen, marche dans la
rue avec une sorte de canne qu’il frotte tranquillement contre une grille (sonorité d’un réveil ?). Il passe
devant les immeubles et réveille les gens, qui se lèvent, puis dans les usines où finissent de travailler les
ouvriers et enfin dans les rues où les passants circulent. Ceux-ci se rassemblent progressivement en une foule
et sont invités à venir à un rendez-vous. L’activité de la ville s’arrête, tout le monde regarde le soleil se lever.
On ne sait qu'à la fin de quoi il s'agit, avec le slogan en voix off et le nom du groupe. Durée : 30 secondes.
Son :
Musique new age.
Message du communiqué de presse :
Le communiqué de presse, sur Internet, évoque « Une énergie plus sûre, plus respectueuse, mieux
consommée ». Le film est une allégorie du partage. Valeurs de sérénité, écoute, diversité, proximité. Partage
avec le plus grand nombre. Ensemble faisons confiance. L’image est un symbole. Ligne de force : horizon
(cf. le logo). Avenir serein, ouverture à de nouveaux horizons énergétiques.
Analyse critique :
Il s'agit d'une publicité avec un très gros budget (décor urbain nord-américain, beaucoup de comédiens, …).
Il y a un côté zen, harmonieux, messianique, les gens sont comme illuminés. L'énergie solaire serait-elle
donc cette nouvelle énergie plus sûre, plus respectueuse, mieux consommée ?
13
Les questions que l'on se pose : en quoi une publicité symbolique comme celle-ci est-elle efficace ? Quel
message peut capter la masse des spectateurs ? La pub agit-elle sur le subconscient, sans aucun rapport avec
la réalité ? Incite-t-elle à faire confiance sans argument, en fermant les yeux ? Normalement l'objectif de la
publicité est de pouvoir vanter un produit. Ici l’objectif est de "donner une bonne image" sans avoir une idée
précise du sens du message. On demeure dans le domaine de l'indéfini.
4 - Publicité de la Ford Fiesta (1'51)
Cette publicité se compose de deux parties : une présentation de la voiture Ford Fiesta suivie du spot de
publicité en lui-même (en lien avec le salon de l’automobile). Au total plus de 1'50", ce qui est considérable.
Première partie : présentation de la Ford Fiesta (lancement du spot)
Image :
Cette publicité est présentée comme une émission de télévision.
La présentatrice est connue (elle intervient dans l’émission : "la Méthode Cauet"). Elle présente la Ford
Fiesta sur un plateau de télévision. Forme très branchée, tendance, la caméra bouge, on est un peu dans les
coulisses d’un plateau de télévision. Il y a des techniciens dans le champ. Beaucoup de lumière. Elle présente
la voiture, comme elle présenterait son émission. Elle parle avec un micro, visite la voiture. Elle insiste sur le
MP3, le confort, les avantages de ce modèle.
Son : Texte de présentation, accompagné d’une musique très rythmée.
Analyse critique :
La présentatrice nous met dans la confidence. On est dans la voiture les premiers. On a la chance d’être au
Salon (de l’Auto) avant tout le monde. Elle caresse la voiture comme une personne humaine avec des
connotations sexuelles (« Elle est toute mignonne ». « On n’y est jamais entré »).
Le mélange des genres pose un problème de déontologie, comme les publi-reportages. Alors que
normalement les publicités sont nettement séparées des émissions, le téléspectateur peut se poser des
questions quand une présentatrice de télévision intervient, pour présenter une voiture et participer à sa
promotion.
Répétées chaque jour, ces confusions contribuent à une perte de repères généralisée, qui caractérise
aujourd'hui l'évolution des médias.
2e partie : clip publicitaire pour la Ford Fiesta
On passe sans transition de cette présentation à un clip.
14
Image :
Univers urbain très moderne américain ou type « la Défense » : pont, autoroute, station service, buildings.
C’est la nuit. Des images animées qui n’ont pas réellement de sens avec des écrans vidéo qui avancent dans
la rue en roulant sur eux-mêmes et les uns sur les autres. Ils finissent par s'assembler en une sorte d'écran à
facettes, dont il en sort une voiture très colorée. Celle-ci roule ensuite dans une rue un peu vide, où des
personnages blafards évoluent au ralenti.
Son :
Musique moderne genre « techno ».
Analyse critique :
Publicité futuriste, tendance. Il n’y a aucune humanité, univers froid et aseptisé. Opposition entre la voiture
colorée, lumineuse (Cendrillon ?) et le décor gris et triste.
Pourquoi les écrans ? Peut-être parce qu’on ne voit le monde qu’à travers les écrans ? Puis on voit la voiture
à travers les écrans vidéo et tout d’un coup la « vraie » image c’est cette voiture qui sort derrière les écrans,
parée de couleurs vives alors que le monde est gris. C’est comme une naissance, une convergence vers la
naissance. « Une voiture est née ! Quand tu es dans cette voiture, tu échappes à un monde mort et sans
vie ! ».
15
4 - Analyse de photos d’affiches de publicité murales
Méthodes de travail
Le groupe s'est d’abord constitué progressivement un référentiel d'images.
Pendant plusieurs mois, chacun des membres du groupe a gardé sur lui un appareil photo portable afin de
prendre sur le vif, au cours de ses déplacements dans la ville, sur les panneaux de la rue, des trains, du métro,
des photos de publicités murales qui le frappaient particulièrement soit par le caractère inclusif du message,
soit par la construction et le style de l'image (cela pourrait également se faire de façon plus concentrée en se
mobilisant pendant une demi-journée pour faire ensemble un reportage publicitaire sur la ville. L'avantage de
cette seconde méthode, que nous n'avons pas pratiquée, est de pouvoir travailler par binômes).
Le groupe a rassemblé les photos d’affiches de publicité trouvées … et a tenté d’en faire l’analyse en
discernant :
- le contexte et les objectifs publicitaires,
- le message véhiculé,
- les moyens (construction de l’image et du texte),
- les ressorts utilisés pour donner envie d’acheter ou de se comporter,
- les représentations de l’homme, de la femme et de la vie véhiculées,
- les représentations de l’homme et de la société qui traversent ces publicités.
Cette analyse nous a amenés à observer que la publicité prenait appui sur nos désirs, les plus élémentaires
comme d’autres, plus élevés, pour donner envie d’acheter ses produits. Elle flatte les représentations courantes
auxquelles elle contribue à donner du poids et une légitimité sociale. Les exemples sont classés par types de
motivations.
Le désir d’être plus fort que les autres et de les battre
Publicité d’un fortifiant apparaissant au mois de Janvier (2008 repris en 2009)
L’image et le texte laissent entendre que le produit va nous redonner de la force au moment où nous
commençons à nous sentir fatigués par l’hiver : « Soif de force ? »
Mais de quelle force s’agit-il ? Celle du lion, image de la force redoutée, celle du plus fort des animaux ; la
force du combat. Ici, la force est identifiée à la compétitivité, assimilée à la domination des autres, comprise
comme agressivité : les crocs dehors, le poing serré… Ne parle-t-on pas d’ailleurs de l’agressivité d’une
entreprise pour qu’elle l’emporte sur ses concurrents ? …
A qui s’adresse-t-on ? La chemise de la lionne et du lion laisse entendre que la publicité s’adresse au dirigeant
d’entreprise, au cadre, au manager… mais aussi à toute personne ambitieuse, assoiffée de pouvoir.
16
Le désir de séduire
Publicité pour Orangina (toujours en cours dans des formats et des supports divers)
Il s’agit de moderniser l’image d’une boisson ancienne, en redorant le blason de ses bulles (qui sont souvent
critiquées maintenant), en affichant que celle-ci contient des pulpes de fruit (et donc qu’elle n’est pas
complètement chimique, comme on l’entend dire par certains). De ses qualités de pétillement, on glisse sur le
pétillement de la séduction.
Qu’est-ce qui est pétillant, pulpeux et frais, sinon la chair d’une jeune femelle en chasse ? D’où la
représentation de femelles animales en positions lascives et aguicheuses; les bas résilles, le bikini…
« Naturellement pulpeuse » : s’agit-il de la boisson ou de la femelle ? L’amalgame est bien vu !
Est-ce pour plaire ou pour provoquer ? La publicité ose être vulgaire et choquer la bienséance bourgeoise.
Publicité pour les vêtements H et M
D’une manière plus soft (et très conventionnelle),
la sensualité féminine et véhicule un certain idéal de
rien et prête à « s’offrir » : position de repos,
lèvres entr’ouvertes, cheveux défaits, regard
donner envie…envie aux hommes d’avoir cette
d’être ainsi enviées ?… Rien n’est écrit si ce n’est la
d’un style « qui devrait être le vôtre »…
cette publicité fait aussi appel à
la jeune femme, fine, habillée de
négligé savant de l’attitude,
rêveur…tout cela est fait pour
femme ? Envie aux femmes
signature de la marque, signature
Publicité de voiture de la marque Suzuki
L’assimilation de la voiture à la femme est une des constantes des publicités d’automobiles. Ici, il s’agit d’une
pub pour une petite voiture pour femme. Le fait de séduire est encore ici ce qui doit provoquer l’envie
d’acheter : L’image glisse de la femme à la voiture et vice versa. « Sexy Swift : elle est sexy, rapide et vive » :
la voiture ? la femme ? les deux sans doute et c’est pourquoi elle doit plaire aux femmes.
17
La gourmandise et le bien-être de la bouche
Publicité d’une marque alimentaire « Fleury-Michon »
Il s’agit de changer l’image des
conserves qui
nourriture médiocre de goût et à qui on opposerait la fraîcheur des produits du marché.
« seraient »
une
La photo est appétissante, l’image du village dans le fond évoque le « naturel » du terroir. Les mentions « au
rayon frais », « sans conservateur » et la phrase du ministère de la santé rangent le produit dans la catégorie de
la nourriture saine.
Remarquons au passage comment la publicité s’empare des goûts des consommateurs pour habiller les
produits au goût du jour…
« Faim de plaisir » : Cette formule est habile. La faim est un besoin élémentaire, mais dans une société où les
besoins élémentaires sont satisfaits. (dans la majorité des cas…), c’est aux plaisirs que l’on fait appel.
L’envie sous toutes ses formes.
Besoin de rien, envie de tout…ou « comment remplir son vide intérieur »
Publicité pour les soldes de Parly II (2008 reprise en 2009)
Dans une société où les besoins sont à peu près satisfaits, il faut créer du nouveau en valorisant ce qui est
superflu !
Les soldes sont présentées comme une occasion pour la femme de trouver un peu de distraction pour rompre
la monotonie de sa vie quotidienne. Même si vous n’avez pas de besoin, venez, vous découvrirez des envies
nouvelles.
Le rêve et l’évasion
Publicité pour la voiture Alfa 147
Ici, « l’extase » se trouve accessible à tous…moyennant un peu d’argent ! le luxe et l’exception sont
accessibles à tous !
La prise de vue de la voiture met en
carrosserie, sa bonne santé …On pense
évidence le caractère rutilant de la
à un visage joufflu et heureux… »
La publicité veut souvent faire croire
objectivement comme tout le monde,
même dans votre individualité propre !
que, plus vous allez acheter
plus vous allez pouvoir être vous-
18
Le besoin de générosité
Publicité pour une ONG qui parraine des enfants
La générosité complète la panoplie d’une vie qui est satisfaite d’elle-même :
Ici c’est un appel à la générosité en attendrissant la clientèle visée par un joli visage
d’enfant asiatique qui semble attendre le bonheur.
La phrase est juste en soi : « vous pouvez changer sa vie et la vôtre ».
Rien à dire, sauf que cette pub se trouvait un matin dans un couloir de RER entre
celle sur le fortifiant « faim de force », et celle sur le plat mijoté « faim de plaisir »
et à 50 mètres de celle sur Orangina…
C’est tout cela, pêle-mêle, qui nous accueille le matin lorsque nous partons au travail.
N’est-on pas ici dans l’amalgame du business et de la charité comme cerise au
business qui réussit ?
Conclusion : la publicité murale s’appuie sur les pulsions élémentaires
Ce ne sont que quelques exemples. Le but n'était pas de dénombrer toutes les pulsions possibles mais de
prendre conscience des mécanismes de séduction qu’utilise la publicité murale en s'appuyant sur les pulsions
élémentaires, et du renforcement de ces désirs par la multiplication des messages, parfois de façon quasi
obsessionnelle.
Il devient difficile d'échapper à des campagnes intensives dont la même affiche s'impose à notre regard dans
la rue, dans le métro, dans les revues et à la télévision. Il s'agit pour nous d'une grave atteinte à la liberté
individuelle, d'un grave formatage de la perception des citoyens, qui s'imprime dans l'inconscient collectif.
Comme la pollution des sols ou la pollution radioactive, les traces de cette pollution visuelle seront encore
perceptibles à l'échelle des générations futures. C'est aussi pour cela qu'elle est inacceptable.
Ce premier travail nous indique qu’on peut pousser plus loin la prise de conscience. Quand l’analyse met des
mots sur ce que nous absorbons, elle nous redonne un peu de bon sens et de liberté intérieure par rapport au
monde qui nous entoure.
19
5 - Une contre éducation permanente
Méthode
Les deux derniers chapitres ont été construits à partir des réflexions menées par le groupe lors de chacune
des séances, mais aussi en reprenant les conclusions essentielles du débat qui a été organisé à l'université
d'été 2009 de RECIT, à Bourg-lès-Valence, au cours d'une soirée où les premières observations avaient été
présentées.
Ces réflexions ont été enrichies par la lecture de plusieurs ouvrages, notamment du livre de Bernard Stiegler
« la télécratie contre la démocratie ».
Il s'agit de premières réflexions que le groupe souhaite partager avec d'autres au sein du réseau dans les
prochains mois.
Les mécanismes de la régression
Les observations conduisent à faire trois constats sur le fonctionnement et les effets des programmes
publicitaires. Il convient de souligner que ces réflexions sont extrapolables à d'autres formes de publicité.
Le mélange des genres
Le mélange des genres est très souvent cultivé. Les bandes annonces des programmes des chaînes, avec un
extrait de film ou d’émission, succèdent ou précèdent les publicités sans transition. De même, France 2
intègre à 19h50 une série de sketches de cinq minutes "Mademoiselle", chacun étant traité de façon très
courte comme un spot publicitaire.
En principe, le temps publicitaire est signalé par un début et une fin, avec un court générique. Mais cela est
de plus en plus théorique. Quelques exemples de confusions :
- des sponsors sont annoncés avant et après la météo, les courses de chevaux (PMU), les jeux (Française des
jeux). Toutes ces annonces sont en dehors du temps publicitaire,
- une présentatrice de télévision intervient pour présenter une voiture et participer à sa promotion (Ford
Fiesta),
- un montage d'interviews apparaît comme une enquête d'information (Auchan),
- un tampon « Premier ministre » peut apparaître sur une publicité qui ose dire « Vous pouvez améliorer
votre pouvoir d’achat en utilisant les exonérations d’impôts. La bataille du pouvoir d’achat se gagne jour
après jour ».
Cette confusion pose un grave problème de déontologie, car une des règles de base de la télévision était au
départ que les publicités soient nettement séparées des émissions.
Tous les messages sont délivrés comme "vrais"
Ce mélange des genres est sciemment entretenu : publicités, publi reportages, sketches, informations,
fictions, mention de sponsors pour la météo ou pour les matchs de foot… sont soigneusement entremêlés et
s’imposent sans transition au téléspectateur, littéralement gavé d’images. Dans le journal télévisé, les sujets
sont aussi montés de façon très rythmée : publicité, sponsor, météo, sponsor, bande-annonce, publicité, spots
(jeux), publicité, début du film.
Conséquence : le téléspectateur est privé de ses repères. Il ne peut plus déceler s’il est dans la réalité, dans la
publicité ou dans la parodie. Regarde-t-il de l'information, de la publicité, un film … ? Tous les événements
sont fatals, tous les jugements de valeur vont de soi. Tous les messages sont délivrés comme "vrais".
La publicité s'appuie sur les pulsions élémentaires
La publicité fait appel aux pulsions élémentaires (comme l’envie, la gourmandise, la volonté de puissance, le
désir sexuel) ; la publicité, à force de matraquage à travers les grands médias (télé, radio, journaux,
affichage,…) court-circuite l’esprit critique, avec une véritable déconstruction du travail de la raison.
L'objectif est d'agir sur le subconscient et les messages publicitaires incitent à faire confiance sans argument,
en fermant les yeux.
20
Cette action renforce notre individualisme et notre égoïsme, au détriment de notre humanité qui serait plutôt
désireuse de se relier aux autres. Elle contribue ainsi à l'idéologie du bonheur matérialiste à tout prix,
débouchant inexorablement sur l'injustice et la violence. Cela constitue une contre éducation permanente,
jour après jour, contre laquelle il est difficile de lutter.
… elle les reflète et les amplifie
Les messages publicitaires s'appuient sur les désirs et les angoisses de notre société. Ils s'appuient sur les
besoins et les représentations des publics ciblés : pour certains publics la recherche d'autorité et le besoin de
structuration, pour d'autres le goût de la vie simple et naturelle, pour d’autres encore le désir de sécurité, ou
de puissance. N’ayant aucune considération pour sa responsabilité éducative, la publicité met sur le même
plan l’aspiration à la beauté, à la santé, à la sécurité, au confort, au sexe et la puissance.
Pour une part ils sont le reflet des désirs et des angoisses majoritaires dans la société. La publicité nous
informe sur le degré d'aliénation de notre société. Mais en les mettant en images et en slogans, la publicité les
consolide et les amplifie. Cette amplification est telle que cela crée de nouveaux besoins, modèle les
consciences pour faire consommer, suscite des peurs qui n’existaient pas, développe le racisme là où des
gens différents vivaient en bonne intelligence.
La publicité impose son langage au débat politique
Comme on l'a vu, le pouvoir commence à utiliser la publicité dans le débat politique. De même, les messages
délivrés pendant les campagnes sont présentés comme des publicités. On ne peut plus parler de débat
politique à proprement parler, car il n'y a plus d'échanges d'arguments autour d'un programme ou d'un projet
politique, mais une bataille d'images qui font appel aux sentiments et à l'irrationnel. Le message politique
devient propagande. Cela contribue à affaiblir et détruire la démocratie.
De la communication à la manipulation
Une technique de manipulation...
La communication est devenue ouvertement une technique de manipulation, qui vise uniquement l'efficacité
de la transmission d'un message, n'importe quel message, en s'exonérant complètement de la responsabilité
sociale, humaine, éducative des messages transmis :
- Les messages transmis répondent aux besoins des publics-cibles qui sont travaillés à leur insu. On
s’adresse, par exemple, aux individus qui recherchent l'autorité avec la publicité pour les gardiens de
prison.
- L'objectif est d'agir sur le subconscient. On conditionne l’attention et la réception par une ambiance, des
associations d’idées, sans même avoir besoin de parler de manière concrète de ce que l’on veut
promouvoir.
- Certains messages sont des pseudo informations qui reposent sur un sophisme, (cf. l’analyse de la
publicité pour Auchan). Souvent la ficelle est très grosse, et il faut toute la puissance de l'image pour que
cela paraisse crédible. Ces écarts ne sont pas sanctionnés.
…qui modèle les consciences
Les messages publicitaires s'appuient sur les désirs, les angoisses de notre société, les besoins et les
représentations des publics ciblés : pour certains publics, la recherche d'autorité et le besoin de structuration,
pour d'autres, le goût de la vie simple et naturelle, pour d’autres encore, le désir de sécurité, ou de puissance.
N’ayant aucune considération pour sa responsabilité éducative, la publicité met sur le même plan l’aspiration
à la beauté, à la santé, à la sécurité, au confort, au sexe et à la puissance.
Pour une part, ils sont le reflet des désirs et des angoisses majoritaires dans la société. La publicité nous
informe sur le degré d'aliénation de notre société. Mais en les mettant en images et en slogans, la publicité les
consolide et les amplifie. Cette amplification est telle que cela conduit à créer de nouveaux besoins, à
modeler les consciences pour faire consommer, à susciter des peurs qui n’existaient pas, à développer le
racisme là où des gens différents vivaient en bonne intelligence.
Une grande capacité de récupération.
La force de la publicité est de pouvoir s'adapter rapidement aux évolutions de la société. Par exemple,
actuellement, les risques d'une alimentation dégradée pour la santé publique sont perçus par une part
croissante de la population. Il en est de même du risque écologique et de la nécessité de vivre autrement. On
observe que la publicité, comme la stratégie commerciale de la distribution, prend de plus en plus en compte
21
ces aspirations pour proposer du bio dans les supermarchés, orienter les messages vers une réponse de façade
à ces nouvelles aspirations. Par exemple, nous avons noté l'importance des publicités centrées sur la santé et
le bien-être. Mais on voit bien qu’il s'agit le plus souvent d'un détournement, car seule une partie des
objectifs est reprise4. Cela conduit à infléchir et dévoyer ce qui pourrait servir de point d'appui à une
transformation sociale en profondeur.
C'est pourquoi il est essentiel de faire prendre conscience du rôle réel de la publicité et des médias et de leur
responsabilité par rapport aux évolutions actuelles.
Il existe des émissions alibis porteuses d’émancipation
En particulier, l'univers des émissions et des « petites chaînes » n'a pas été analysé. Or, il est évident que
certaines émissions sont porteuses d'éducation citoyenne, d'apprentissage au regard critique, avec une
information large et vérifiée. Malheureusement, ces émissions sont diffusées à des heures matinales tardives,
alors que les émissions aux heures de grande écoute et sur les chaînes les plus diffusées (TF1) sont
justiciables des mêmes critiques que celles que nous avons pu faire sur le journal télévisé ou la publicité.
En règle générale, le système tolère et même encourage des voix discordantes tant qu'elles ne deviennent pas
dangereuses pour son équilibre général. Si elles prennent trop d'importance, la réaction ne se fait pas
attendre. Par exemple, « Là-bas si j'y suis » a été déplacé de 17 heures, heure de grande écoute, à 15 heures,
heure creuse pour l'audience.
Pourquoi cette régression est-elle possible, où nous mène-t-elle ?
En première analyse on peut apporter trois éléments d'explication.
L’argent roi des médias
Depuis le milieu des années 80, la mondialisation des échanges s'est traduite par un affaiblissement des
régulations étatiques et une emprise croissante du néolibéralisme sur la vie économique, sociale et politique.
La liberté accrue de quelques-uns (libres d'entreprendre) s'est traduite par une insécurité croissante pour la
majorité de la population et une marchandisation qui touche aujourd'hui tous les secteurs de la vie
économique.
En outre, l'entretien d'un climat de peur, dans un contexte de réelle insécurité, favorise une idéologie
sécuritaire et la recherche du leader qui rassure. Le risque écologique, aujourd'hui perçu par tous, renforce le
climat d'insécurité en l'absence de solutions à la hauteur des enjeux. Depuis 70 ans, jamais le risque de
retour au totalitarisme n'a été aussi grand.
Dans ce contexte, les médias sont soumis au règne de l'argent. La privatisation de la télévision publique et la
concentration dans la presse écrite ont donné le pouvoir d'informer à quelques grands groupes industriels,
entreprises de travaux publics ou marchands d'armes. Cette évolution n'aurait pas été possible sans
l'affaiblissement de la démocratie et la perte de pouvoir des citoyens, qui vont de pair avec la mondialisation.
Vers le « meilleur des mondes » ?
Les médias ont une action à long terme, dont ils ne s'estiment nullement responsables. À travers la fiction
d'un monde intégralement soumis aux lois du marché, ils favorisent la construction d’un homme nouveau,
« homo economicus », consommateur docile et atomisé, et de citoyens soumis à toutes les peurs et aux
slogans politiques. La publicité contribue également à la construction d'une vision idyllique de la société de
consommation comme le « meilleur des mondes »[1], car rien de négatif n'apparaît, le côté obscur des choses
est caché.
Rappelons que le livre d'Aldous Huxley, de façon prémonitoire décrit dès 1931 « ce que serait la dictature
parfaite: une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers
ne songeraient pas à s'évader. Un système d'esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les
esclaves "auraient l'amour de leur servitude"...
4
Quand il ne s'agit pas carrément d'une supercherie, comme quand, par exemple, les biscuits Saint-Michel, sur le thème « manger bouger » disent en substance « Si vous mangez des biscuits Saint-Michel cela ne sera pas mauvais si vous bougez ».
[1]
Le meilleur des mondes, Adlous Huxley, 1931 collection Pocket, 4,40 €
22
C'est pourquoi il est essentiel qu'un maximum de citoyens soit en capacité d'analyser l'action des médias
actuels, de s'informer autrement, de devenir acteurs de leur propre information. Ce premier travail est une
modeste première pierre pour aller dans ce sens.
Vers un nouveau totalitarisme
Ces analyses rejoignent celles d’Hannah Arendt dans « Les origines du totalitarisme ». Celle-ci a montré il y
a 50 ans que le système totalitaire repose sur l'invention d'une fiction, servie par la propagande ou la terreur,
autour de prétendues « lois ». C’est la soumission intégrale aux lois de la nature, dans le nazisme ou à celles
de l'Histoire, dans le stalinisme. Cela conduit à organiser le peuple en une masse atomisée et amorphe,
proprement fabriquée par l'organisation. L'hypothèse totalitaire est celle de l'absence de stabilité de la nature
humaine, et donc de la possibilité de la nature humaine. Le totalitarisme passe du « tout est permis » au «
tout est possible ». La naissance du totalitarisme est possible quand la cohérence de la fiction se conjugue
avec la rigueur de l'organisation. Le totalitarisme repose sur la possibilité, pour l'organisation totalitaire, de
faire en sorte que les membres de la société agissent conformément aux règles d'un monde fictif.
Nous observons que ces éléments, analysés sur l'exemple du nazisme et du stalinisme, se retrouvent
largement reproduits par le néolibéralisme, avec des formes originales. Là aussi, le peuple est organisé en
une masse atomisée et amorphe, fabriquée par la propagande. Les prétendues lois du marché remplacent la
loi de la nature ou la loi de l'histoire. La société de l'information fabrique encore plus un monde fictif auquel
chacun est sommé de se soumettre. La visée planétaire d'une volonté de domination totale implique
l'élimination de toute réalité non totalitaire rivale en dehors et au-dedans. Les institutions démocratiques sont
dénigrées et marginalisées.
Mais il n'y a pas encore besoin de la terreur compte tenu de la puissance de persuasion des techniques de
communication. C'est là l'élément nouveau, peut-être temporaire, des formes de totalitarisme que nous
voyons se développer aujourd'hui.
Ce qu’en disent quatre auteurs clés
De nombreux auteurs ont analysé la révolution de l'information, le rôle des médias et leur place dans les
mécanismes de domination. Leur lecture permet de confirmer nombre des observations faites par le groupe,
tout en leur donnant une portée globale beaucoup plus large. Nous citerons quatre auteurs clés à titre
d'exemple.
Jacques Robin : prendre toute la mesure de la révolution de l'information
La révolution de l'information est extrêmement récente : elle fait réellement sentir ses effets depuis une
quinzaine d'années. En 1989, Jacques Robin, dans un livre prophétique, Changer d’ère5, écrivait : « Nous
recevons l'impact des technologies nouvelles sans aucune préparation. Les moyens mêmes qui pourraient
servir à l'élargissement de notre champ de connaissances et d'action deviennent ceux de notre
asservissement. À chaque nouvelle génération d'ordinateurs, ce sont des pans entiers de l'industrie et du
commerce qui commencent à s'effondrer. Quant aux biotechnologies, elles vont être capables de manipuler
notre patrimoine génétique, fruit de milliards d'années d'évolution. Selon quel modèle, alors qu'en Occident
nous n'avons plus d'image maîtresse de l'homme ? Le système atteindrait sa perfection si au lieu de
conditionner les consommateurs par les médias, il parvenait à le programmer par leurs gènes. Un tel
système détruit ses propres défenses culturelles. Il secrète toujours plus vite son expansion dans l'espace, et
suscite de manière illimitée la consommation de matière d'énergie et d'information. Il s'étend comme un
virus à toutes les populations du globe ». Ce diagnostic s'est pleinement vérifié depuis 20 ans.
Mais aujourd'hui Internet offre des possibilités de création de nouveaux médias, qui peuvent constituer des
contre-pouvoirs parfois efficaces.
Bernard Stiegler : la télécratie tue l’attention et la démocratie6
On retrouve dans Bernard Stiegler l’explication de la plupart des observations faites par le groupe. Il
explicite aussi le lien avec la régression démocratique et la perte d’attention des jeunes.
Depuis quelques années le système capitaliste s’est emparé des technologies de l’information et des médias
de masse. Il s’emploie à tirer une plus-value financière des envies et pulsions que ces médias permettent de
5
Changer d’ère, Jacques Robin, Le Seuil 1989 29 € neuf (mais sur Priceminister à partir de 2,80 €)
6
La télécratie contre la démocratie, Bernard Stiegler, 2008, Flammarion, Champs Essais 7 €.
23
provoquer et de manipuler. On peut appeler ce pouvoir la « télécratie ». Celle-ci s’est imposée dans de
nombreuses démocraties industrielles et elle est devenue toxique pour la bonne santé des personnes et la
stabilité sociale dans son ensemble et l’exercice de la démocratie.
La télécratie engendre une souffrance, un déficit d’attention, une perte de désir d’avenir commun. Et cet
état de malaise tend à dissoudre ce qui relie ensemble un peuple, favorisant l’apparition de tendances
régressives, voire le retour de la barbarie.
Pour développer cette affirmation, l’auteur applique au processus mis en œuvre par « les industries de
programme » les analyses de Freud sur la structuration de la personne et sur la psychologie des foules.
L’industrie télévisuelle est confisquée aujourd’hui par des logiques de marché et une logique industrielle
de dissociation. Elle flatte presque systématiquement les pulsions et ce faisant elle empêche le processus
socialisant de la sublimation et favorise la régression psychologique.(il rappelle que le processus de
sublimation construisant le moi repose sur la possibilité de sublimer les pulsions primitives en nous en les
liant ensemble et en permettant leur transmutation en désir qui permet la vie en société et le projet d’avenir.
En particulier, elle est cause d’un déficit attentionnel qui se développe chez les jeunes. Elle empêche
l’acquisition de compétences de pensée et le développement de consciences personnelles : normalisation des
goûts, des représentations, des envies ; massification des comportements, la destruction de la possibilité
d’un désir constructeur d’avenir. Cela entraîne un état de mélancolie amenant au fatalisme, à la dérision, au
cynisme, à l’envie, voire à la haine. Elle contribue à l’irresponsabilité généralisée.
La télécratie fragilise le lien social et contribue à mettre en danger l’unité de la société française
(apparition des communautés qui sont des sociétés qui se referment sur elles-mêmes), en favorisant
l’apparition d’attitudes que l’on retrouve dans les foules naturelles : Instinct grégaire, abandon de l’esprit
critique, disparition du sens de la responsabilité, phénomène de contagion mentale ;
Elle fragilise et délégitime la démocratie, car elle délégitime la délégation sur quoi repose la démocratie
représentative en la court-circuitant par le face-à-face. Dans ce système, pour exister, les représentants sont
piégés par leur désir d’occuper le temps d’antenne. Ils sont conduits à des attitudes démagogiques car ils
sont tentés de faire fonctionner eux-mêmes ces mécanismes régressifs d’identification, au risque
d’abandonner toute ambition démocratique
Elle enlève tout lieu pour le débat et dépossède les citoyens d’un réelle participation à la vie politique, or
c’est cela qui unit et fait « société » et qui installe la sécurité.
La télévision manipule ce qui devrait être une opinion publique et la déforme en audience, comme système
réflexe dont toute réflexion réelle est exclue.
Noam Chomsky : la fabrication du consentement
Noam Chomsky montre dans « La fabrication du consentement »7 les effets de la soumission des médias à la
loi du marché. En décrivant les mécanismes d'évolution des médias et de leur domination par les pouvoirs
économiques, il met à jour une série de filtres qui conduisent à sélectionner certaines informations jugées
dignes d'intérêt et à en éliminer beaucoup d'autres, jugées peu intéressantes ou dangereuses par rapport aux
intérêts des commanditaires. Alors même que ces informations sont indispensables à la formation du
jugement du citoyen.
Cinq filtres sont analysés : la taille et l'actionnariat, la régulation par la publicité, les sources d'information,
les moyens de pression envers les déviants, les campagnes intensives sur certains sujets. À travers ces filtres,
l'information devient communication politique et propagande.
Cette analyse est puissamment étayée par l'analyse de nombreux exemples de campagnes d'information ou de
désinformation sur des sujets essentiels, notamment de relations internationales.
Pierre Bourdieu : la soumission démagogique aux exigences du plébiscite commercial
Pierre Bourdieu dans un court ouvrage « Sur la télévision » montre comment la recherche du consensus et de
l’audimat exerce la censure invisible et comment la télévision, qui domine le monde du journalisme, a
profondément altéré le fonctionnement d’univers aussi différents que ceux de l’art, de la littérature, de la
7
La fabrication du consentement, Noam Chomsky, Agone, 2008, 28 €,
24
philosophie ou de la politique, et même de la justice et de la science ; en y introduisant la soumission
démagogique aux exigences du plébiscite commercial8.
Ceux qui ont des journalistes parmi leurs proches savent que certains d’entre eux n’en pensent pas moins,
mais ne sont pas libres de dire ce qu’ils veulent. Certains ont été durement sanctionnés pour avoir voulu
rester libres.
Tous ces éléments nous permettent de mieux cerner en quoi consiste la contre éducation permanente que
distillent les médias jour après jour. Dès lors, il faut se demander pourquoi cette régression est possible et
comment on peut contribuer au développement d’une information et de médias porteurs
d'émancipation.
8
Voir la fiche de lecture www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/bourdieu.doc
25
6 - Contribuer au développement de médias porteurs d’éducation
citoyenne
Un immense besoin de communication émancipatrice
La force de l'image peut être mise au service du bien commun
Nous savons que pour dépasser la crise globale9 il faut à la fois transformer le coeur du système et inventer
des alternatives, chacun(e) là où nous sommes. Nous savons aussi que la crise permet d'élargir le cercle des
convaincus au-delà des 18 % de « créatifs culturels »10.
Il est possible d’espérer un monde où la communication serait au service d'un changement en profondeur des
modes de production, d'échanges, de consommation et de relations au sein de nos sociétés. Il est possible de
penser que la force de l'image peut être mise au service du bien commun. Il ne s'agit donc pas de renoncer
aux possibilités nouvelles que nous donne la révolution de l'information, mais de les orienter vers l'éducation
citoyenne. À petite échelle, certaines communes l'ont déjà fait en remplaçant le message de la publicité
murale par des poèmes, des textes porteurs de sens, des informations sur la vie locale, contribuant à
renouveler l'écologie urbaine.
Cette réorientation de l'utilisation des médias n'est pas superflue : elle est vitale pour l'avenir de la planète et
la survie de nos sociétés. Sa mise en application sera peut-être accélérée par l'aggravation de la crise.
Les dimensions d'une éducation par les médias
Une telle communication émancipatrice comporte nécessairement plusieurs dimensions :
- faire partager des informations qui donnent la possibilité aux citoyens de comprendre le monde, en
permettant à chacun de se forger son propre jugement,
- travailler sur les principes et les valeurs qui fondent le vivre ensemble : logiques de coopération, solidarité
conçue comme une coresponsabilité, égale dignité de tous, logiques de confiance, respect des différences et
recherches des convergences, souci du long terme, cohérence entre les paroles et les actions11,
- promouvoir les attitudes et les méthodes en accord avec ses principes (sens critique, usage de la raison,
écoute, capacité de relation, interactivité,…).
Ces orientations s'opposent presque point par point à celles qui sont actuellement promues par le système
médiatique (compétition, méfiance de l'autre, peur, négligence du long terme, etc.).
Contribuer à l’émergence d’autres médias
Discerner les médias porteurs aujourd’hui d’éducation citoyenne
Cependant, tous les médias ne suivent pas la même pente fatale. Il est nécessaire de ne pas mettre dans le
même sac ceux qui agissent autrement, pour pouvoir les encourager et les soutenir, car ils sont minoritaires.
Leurs moyens financiers restant limités ne leur permettent pas de devenir prépondérants. Nous avons le
devoir d'acquérir une culture de l'autre information, d’apprendre à discerner les germes d’un autre système
médiatique. Citons quelques exemples.
À la télévision, une chaîne comme Arte mène un réel travail d'éducation. En prenant le temps de donner des
éléments d'information et d'analyse diversifiés, elle donne la possibilité aux téléspectateurs de former leur
jugement. Elle montre qu'il est possible de faire de la télévision autrement.
Sur Internet, l'agence de presse alternative Bastamag12 montre qu'il est possible avec des moyens limités de
réaliser une information de qualité dans le domaine de l'écologie, des luttes sociales.
9
Crise multiforme qui met en jeu l'avenir de l'humanité : crise économique et financière, crise écologique, crise sociale,
crise culturelle, perte du sens et des valeurs humaines.
10
Voir le compte rendu des soirées débat organisées par RECIT fin 2008 http://www.recit.net/spip.php?article1274
11
Voir la charte de principes de RECIT pour plus de détails http://www.recit.net/spip.php?article923
26
Un site comme Arrêt sur Images13, montre dans le domaine politique ce que peut être un journalisme
d'investigation, citant ses sources et portant sur l'actualité un regard libre et incisif. On voit aussi ce que peut
apporter la citation du document original audiovisuel.
Soutenir la construction de médias alternatifs
Il est possible de mieux faire connaître les médias alternatifs. Des radios locales, des télévisions de proximité
permettent de s'informer autrement. Avec le développement très rapide d'Internet, de nombreux sites offrent
aujourd'hui une information de qualité en donnant des informations peu ou pas diffusées par les médias
dominants. On trouvera sur le site de RECIT14 un certain nombre de liens.
Certains de ces médias ont dépassé le stade confidentiel de leurs origines et commencent à peser très
sérieusement dans le paysage médiatique. Il y a là une chance à saisir, mais aussi un risque car tous les
médias ne sont pas alternatifs.
On peut soutenir, mais on peut aussi participer. Internet offre la possibilité à chacun de devenir rédacteur, de
donner son avis, de faire circuler des informations. L'apprentissage à la participation sur Internet sera sans
doute demain une des dimensions de l'éducation citoyenne.
Plus modestement, Le Pélican15, lettre mensuelle destinée aux adhérents et sympathisants de RECIT, fournit
chaque mois des informations permettant de nourrir des débats au niveau local, dans une perspective
d'éducation populaire.
Quelques propositions de travail
Analyser l'évolution des médias16
Il serait nécessaire d'analyser l'évolution du rôle des médias en France et dans le monde. Pour certains, avec
le développement d’Internet, nos générations sont peut-être les dernières à regarder quotidiennement le
journal de 20 heures. Il semblerait qu’un jeune sur vingt seulement regarde le journal télévisé. Mais ce n’est
pas l’avis de tous. La puissance du journal télévisé reste considérable. Quel avenir pour le journal télévisé ?
Quel avenir pour l’information par Internet ?
Travailler sur le droit à l'information et à l'éducation
Dans cette perspective, la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 mérite d'être relue,
notamment ses articles 19 et 26.
« Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété
pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les
informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit » (art 19).
« L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect
des droits de l'homme et des libertés fondamentales (…) » (art 26).
Il n'est pas inutile de relier également l'introduction de cette Déclaration. « Considérant que la
méconnaissance et le mépris des droits de l'homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la
conscience de l'humanité et que l'avènement d'un monde où les êtres humains seront libres de parler et de
croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l'homme. Il est
essentiel que les droits de l'homme soient protégés par un régime de droit pour que l'homme ne soit pas
contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l'oppression ».
Il serait nécessaire, notamment dans la perspective des rencontres internationales, de travailler sur
l'application de ces droits dans les différents pays, aussi bien en positif qu'en négatif.
12
Voir le site http://www.bastamag.net/
13
http://www.arretsurimages.net/ . L'abonnement coûte 30 euros, ce qui est abordable et permet de soutenir l'initiative.
14
www.recit.net
15
Voir http://www.recit.net/spip.php?rubrique162
16
Références bibliographiques : les médias en France Jean Marie Charon La Découverte, 2003, 7 euros.
27
Préciser les méthodes utilisables pour l'éducation au regard critique
Nous pouvons mieux faire connaître les méthodes utilisables par les citoyens pour acquérir un regard
critique. Le travail qui est rapporté ici fait suite à d'autres initiatives au sein de RECIT, à Paris, avec le
groupe de Paris de RECIT, à Loos (Nord), avec l'association « Repousser les murs ».
Des actions beaucoup plus importantes sont entreprises depuis longtemps par des réseaux d'éducation
populaire comme les CEMEA, ainsi que par les classes coopératives qui ont fait de la production
d'informations un outil pédagogique sans égal.
Au sein de l'éducation nationale, les CLEMI (Centres de liaison de l’enseignement et des médias
d’information) interviennent dans les classes et les établissements pour mener des actions avec des
intervenants. Auparavant tournés vers un éveil du regard critique, ils subissent malheureusement une forte
pression pour devenir des outils d'introduction accélérée de l'Internet dans l'enseignement, avec un double
risque de fichage du travail des élèves à la maison et de remplacement des enseignants par les machines. Si
certains CLEMI résistent, d'autres prennent le tournant.
Enfin, signalons le travail réalisé par ACRIMED (action critique médias) qui depuis 1995 réunit des
journalistes, des chercheurs et universitaires, des acteurs du mouvement social et des « usagers » des médias
pour développer une critique indépendante, radicale et intransigeante. On trouvera sur le site d’ACRIMED17
de nombreuses informations analysées et décortiquées. Un vrai bonheur.
L'action que nous avons menée présente la particularité d'être réalisable sans intervention d'un expert
extérieur, nécessairement payé, et donc de pouvoir être réalisée sans moyens. Des éléments de méthode
peuvent être proposés à tous les groupes, associations ou cercles de voisinage qui souhaitent développer des
actions d'éducation dans la proximité. C'est pourquoi, en prolongement du présent rapport, RECIT publie
sur son site un document de méthode « Comment développer un regard critique sur les médias et la
publicité ? » et proposera aux prochaines rencontres de l'éducation citoyenne un atelier participatif sur le
même sujet.
Se battre sur le sens des mots
Nous avons à plusieurs reprises travaillé sur le sens des mots, au niveau national ou international18. Ce travail
est particulièrement nécessaire ici, car on voit bien que les termes sont utilisés comme des armes pour la
communication. L’usage de certains mots est extrêmement choquant, comme « activiste » (pour parler de
tous ceux qui agissent, du militant aux terroristes), « grogne » (pour parler de toute action collective),
« inquiétude » (pour parler des oppositions et de toute résistance).
De même, des mots comme « participation », « solidarité », « citoyen », sont réutilisés en les vidant de leur
sens. Nous ne devons pas abandonner un mot parce qu'il est mal utilisé par d'autres. Une bataille sémantique
est à mener pour redonner de la force aux mots et désigner les choses par leur nom (« appeler un chat un
chat »). Ce travail est très important pour engager une démarche d'éducation et de conscientisation.
Publicité murale : agir localement
Les municipalités ont la possibilité, de par le code de l'environnement, de limiter la publicité murale sur le
territoire de leur commune. Par exemple, depuis 30 ans, la ville de Metz a banni toute publicité murale du
territoire de la commune, et utilise l'espace ainsi libéré pour des affichages de textes ou d'images à caractère
informatif, sur la vie de la commune, ou éducatif. La ville de Paris a décidé de réduire de 20 % les surfaces
publicitaires dans la ville. Il est parfaitement possible à d’autres équipes municipales de faire de même.
Il est possible, à partir d'un travail d'observation des publicités murales d'une ville, d'interpeller la commune
pour l'inciter à utiliser les possibilités de la réglementation. Les avancées dépendent étroitement d'une
mobilisation des associations locales, mais l'analyse fournit des arguments.
17
http://www.acrimed.org/rubrique107.html
Voir fascicule N° 12 de RECIT : le travail sur le Sens des Mots : Eléments de réflexion et de méthode élaborée dans le cadre de
la plate-forme internationale d'échanges sur l'éducation citoyenne, Julie BANZET, 2007 prix 4 €
18
28
Conclusion
Ce petit travail confirme que ni l'école ni la famille n'ont aujourd'hui le monopole de la transmission des
valeurs et de l'éducation à la citoyenneté. Les médias sont aujourd'hui l'un des acteurs essentiels de
l'éducation des jeunes comme des adultes. On ne peut pas réfléchir ni agir aujourd'hui sur la
transmission de la citoyenneté et l'éducation citoyenne en faisant abstraction du rôle des médias.
L'information télévisuelle dominante et la publicité ne sont pas anodines, comme le pensent beaucoup de nos
contemporains. Elles sont porteuses d'une terrible régression éducative. Elles entraînent une perte des
repères, une régression vers les pulsions élémentaires. Tous les messages sont délivrés comme vrais.
L'information spectacle est une école de fatalisme, car tous les événements sont fatals, tous les jugements de
valeur vont de soi. L'affectivité est systématiquement mise en avant par rapport à l’esprit critique, avec une
véritable déconstruction du travail de la raison. La compétition, la lutte de tous contre tous est privilégiée par
rapport aux logiques de coopération et de solidarité. L'intérêt individuel, l'individualisme et l'égoïsme sont
privilégiés au détriment de la dimension humaine que porte chacun et qui le pousse à se relier aux autres, à
attendre des autres.
Quand l'objectif est d'agir sur le subconscient, à faire confiance sans argument, en fermant les yeux, il s’agit,
comme le montre Chomsky, d’une entreprise de propagande, avec une volonté de façonner l'homme de
demain, dans un sens qui paraît monstrueux à tous ceux qui sont attachés à l'émergence d'un monde plus
humain. Cette idéologie débouche inexorablement sur l'injustice et la violence.
Mais cette pente n’est pas fatale. Par une éducation au regard critique, il est possible de permettre à
beaucoup de se libérer de cette emprise. On peut se battre sur le sens des mots. Beaucoup inventent
aujourd’hui d’autres médias, notamment via Internet. Des voies s’ouvrent qu’il nous faut maintenant
élargir. C'est pourquoi nous espérons que ce travail, qui n'est qu'une première étape, suscitera de
nouvelles énergies pour aller plus loin.
29
Téléchargement