14 LE COIN DES MUSICIENS INTERVIEW Sempre alto ! C’est le premier pupitre de cordes de l’orchestre que nous rencontrons, neuf sur dix étaient au rendez-vous, voici Mesdames et Messieurs les altistes ! Le choix de l’instrument » Parlez-nous un peu de votre parcours : vos études, la raison du choix de cet instrument… Inès Karsenty : Je suis venue à l’alto un peu par hasard.Comme beaucoup d’enfants, je voulais faire du piano ou du violon, mais au conservatoire de Noisiel, il ne restait de la place qu’en harpe et en alto ! Pour la harpe, mes parents ont dit : « On n’achète pas un break ! ». Donc, voilà, j’ai commencé comme ça. Ensuite je suis entrée au Conservatoire de Paris (CNSMDP). Je suis dans l’orchestre depuis trois ans. Catherine Méron : J’ai commencé par le violon en province, au conservatoire de Bourges et comme j’aimais les instruments graves, je suis passée à l’alto. Plus tard, je suis entrée au CNSM à Paris et j’ai passé le concours pour rentrer dans l’orchestre. J’y suis depuis sa création, en 1974. Anne-Marie Arduini : J’ai débuté par le violon dans un conservatoire de banlieue, puis j’ai voulu présenter le Conservatoire de Paris, mais j’ai échoué. Je me suis alors présentée à l’alto et j’ai été reçue tout de suite. C’est à sa création, que je suis arrivée à l’orchestre. De gauche à droite : [assises] Anne-Marie Arduini, Inès Karsenty, Muriel Jollis-Dimitriu, Chantal Ardouin. [debout] Catherine Méron, Sonia Badets, Solange Marbotin, Jean-Michel Vernier, Renaud Stahl. VL2 Altos CB VL1 VLC CHEF La place des altos dans l’orchestre. Sonia Badets : Pour ma part, au début, je ne savais pas ce qu’était un alto ! Abréviations : A = altos - CB = contrebasses - VLC = violoncelles - VL1 = premiers violons VL2 = seconds violons LE COIN DES MUSICIENS INTERVIEW J’avais sept ans et je voulais faire du violoncelle. Pour le violoncelle, mon père m’a dit : « Ouh la la la, vous êtes quatre – j’avais trois frères –, les départs en vacances dans la voiture…, non, ça ne va pas être possible ! ». J’ai donc fait du violon, avec un professeur qui apportait toujours un alto. Le fait d’entendre cet instrument qui sonnait plus grave, m’a donné envie de passer à l’alto. J’ai commencé à Beauvais, puis continué dans la région parisienne, avant d’entrer au Conservatoire de Paris. Je suis à l’orchestre depuis vingt ans. Solange Marbotin : J’ai commencé par le violon – j’ai eu mon prix au conservatoire de Versailles. Par la suite, étant trop âgée pour intégrer la classe de violon du Conservatoire de Paris, j’ai choisi l’alto. J’ai donc eu mon 1er prix du Conservatoire de Paris, en alto. Je suis entrée à l’orchestre il y a maintenant vingt ans Jean-Michel Vernier : J’ai commencé l’alto à onze ans au conservatoire de Besançon, même si à l’époque, je voulais faire du violon. J’ai poursuivi au Conservatoire de Paris, comme tout le monde apparemment ! Je suis à l’orchestre depuis 1984. Chantal Ardouin : Comme beaucoup de musiciens de ma génération, j’ai commencé par le violon – au conservatoire de Versailles, comme Solange. À cette époque, on manquait beaucoup d’altistes, et le directeur a suggéré à un grand nombre d’entre nous, de prendre l’alto. C’est un instrument que je ne connaissais pas du tout d’ailleurs ! Puis, comme j’étais un peu âgée pour le conservatoire, je suis entrée à l’École Normale de Musique de Paris dans la classe de Léon Pascal « Pour que cela soit plus harmonieux, ce sont les chefs de pupitre qui décident du style à adopter pour certains passages : plus “lié”, plus “à la corde” ou plus “sautillé”, par exemple. » – un professeur exceptionnel, très humain – où j’ai obtenu ma licence. J’ai intégré l’orchestre, il y a trente ans ! Renaud Stahl : Ma formation a débuté avec le piano, puis le violon. Comme j’étais entouré de gens qui jouaient très bien du violon – notamment, ma sœur et ma femme – je me suis dis qu’avec l’alto, je trouverais quelque chose de complémentaire – par rapport au violon. J’ai donc essayé, sans forcément savoir que l’alto allait devenir mon instrument privilégié. C’est un instrument qui correspond assez bien à ma personnalité. Je suis donc entré au Conservatoire de Paris, puis à l’Orchestre National d’Ile de France, en 1997. Muriel Jollis-Dimitriu : J’ai commencé, je crois que j’avais sept ans, directement à l’alto – parce que mes parents sont musiciens. Nous habitions au Mans à l’époque et il y avait une jeune femme, professeur d’alto, très dynamique, qui formait les élèves sur un quart de violon avec des cordes d’alto. Je suis passée ensuite par l’École Normale de 15 Musique avec Léon Pascal comme professeur, puis par le conservatoire de Versailles et enfin, le CNSM de Paris. Je suis entrée à l’orchestre en 1982. Vous êtes chef de pupitre avec Renaud Stahl, pouvez-vous nous dire en quoi cela consiste ? M. J-D. : Nous sommes deux devant, comme pour les violons. Cela consiste – en ce qui concerne le pupitre en général – à régler les partitions avant la première répétition. Très exactement, nous réglons les coups d’archet – sens dans lequel on va tirer ou pousser l’archet – et nous essayons qu’il y ait une cohésion dans notre façon de jouer. Nous sommes très souvent soumis à ce que font les premiers violons, en l’occurrence le Concert Master qui décide d’un coup d’archet général. Par contre, si nous avons un grand solo de pupitre, nous mettons nos propres coups d’archet, sans dépendre des autres. Pour que cela soit plus harmonieux, ce sont les chefs de pupitre qui décident du style à adopter pour certains passages : plus « lié », plus « à la corde » ou plus « sautillé », par exemple. Jouez-vous de temps en temps en soliste, lorsqu’il y a un concerto pour alto ? R. S. : Cela arrive, mais c’est rare. Par contre, dans le répertoire symphonique, nous avons de beaux solos d’alto à jouer. Avez-vous eu des maîtres – particulièrement brillants – qui vous aient marqués ? C. M. : Serge Collot au CNSM de Paris. Une personnalité très marquante. S. M. : Etienne Ginot qui était un excellent professeur, un grand maître – au Conservatoire de Paris également. 16 LE COIN DES MUSICIENS INTERVIEW Le répertoire Dans l’ensemble, vous êtes bien servis par le répertoire symphonique, on a des chances de vous entendre dans presque tous les concerts… Ensemble : Dans tous les concerts ! M. J-D. : À l’orchestre les cordes sont toujours là, mais parfois il y a des effectifs réduits. R. S. : Et même dans le répertoire de la musique de chambre pour cordes, l’alto est toujours très présent. C’est un des attraits de l’instrument : il nous permet avec un rôle de milieu dans l’équipe, d’avoir une position un peu stratégique. On a vraiment accès à un répertoire magnifique ! S. B. : Enfin, là, nous sommes dans un orchestre symphonique, la musique de chambre, c’est quand même à part. Il ne faut pas oublier que lorsqu’on rentre à l’orchestre, c’est pour jouer de la musique symphonique, à grand effectif. Il faut quand même dire que la partie mélodique est généralement jouée par les violons, tandis que notre rôle est un rôle d’accompagnement. On a des parties moins alléchantes que les premiers violons, il faut savoir le reconnaître ! Cela dépend de l’écriture du compositeur… C’est mieux dans la musique contemporaine ou du XXe siècle, par exemple. I. K. à S. B. : Dans la musique classique aussi, même si ce ne sont que des parties harmoniques, si tu retires l’alto, cela change tout le paysage musical. C’est quand même très riche musicalement. M. J-D. : On a moins souvent le thème, c’est vrai. R. S. : On peut citer certains compositeurs, comme Brahms chez lequel on a beaucoup de parties intéressantes. Il a donné à l’alto un rôle vraiment très agréable. M. J-D. : Dans le répertoire romantique, nous avons pas mal de choses à jouer. Quand vous découvrez ce que vous allez jouer dans le courant d’une saison, avez-vous des moments de joie ou d’affliction ? Pourriez-vous nous dire Alto et archet. © 1990 by Dover Publications, Inc. Alto. © 1990 by Dover Publications, Inc. quels sont les compositeurs qui ont vos faveurs ? C. M. : Cela dépend énormément du chef qui nous dirige. L’avant dernière série : Les quatre fils avec Reinhard Goebel, était extrêmement enrichissante, or on n’avait pas nécessairement des parties très intéressantes à jouer. Mais, ce qu’il a apporté dans cette musique là nous a donné envie de jouer. Il a demandé des accompagnements très actifs. I. K. : De la même manière qu’une symphonie de Brahms peut devenir très lassante, si le chef nous la rend ennuyeuse. M. J-D. : Cela dépend vraiment si le chef a tendance à privilégier le milieu ou non. Un chef nous a dit dernièrement : « Je veux vous entendre, j’aime les voix du milieu ! ». Il a demandé à ce que la base harmonique soit plus importante, parce que cela lui manquait. D’autres demandent le contraire. Vous demandiez quel(s) compositeur(s) on préférait ? Je n’ai pas de compositeur préféré. En revanche, j’aimerais bien qu’on nous donne l’occasion de jouer certaines œuvres où le pupitre d’altos est vraiment mis en valeur. Par exemple, la Seconde Sérénade de Brahms où les altos tiennent la place des premiers violons. C’est une superbe partie, Brahms écrivait magnifiquement pour notre instrument. Il y aussi les Symphonies pour cordes de Mendelssohn que l’on ne joue jamais, avec deux parties somptueuses d’alto, dans lesquelles nous avons à jouer autant que les violonistes. LE COIN DES MUSICIENS INTERVIEW 17 Et dans le musique du XXe siècle : Bartok, Stravinski… M. J-D. : Dans toutes les grandes œuvres du XXe siècle, il y a beaucoup à jouer. Vous arrive t-il de jouer en dehors de l’orchestre ? De la musique de chambre par exemple ? I. K. : Dès que je peux, car il y a de très belles parties d’alto en musique de chambre, où la sonorité de l’instrument est vraiment mise en valeur. A-M. A. : Je joue en duo – violon/alto – de temps en temps. S. B. : Avant oui, mais maintenant, je n’ai plus le temps. C’est un choix. Je ne l’ai pas dit tout à l’heure, mais j’aime lorsqu’on joue Mahler, c’est plein de contrastes. S. M. : J’ai joué en musique de chambre lorsque j’étais jeune, mais plus maintenant. J-M. V. : Moi aussi, j’en ai fait lorsque j’étais plus jeune. J’ai fait de la variété aussi, puis je me suis rendu compte que j’avais besoin de temps pour faire autre chose – aller au cinéma, voir des expositions –, alors j’ai beaucoup réduit cette pratique. Aujourd’hui, je me consacre presque exclusivement à l’orchestre. Pour ce qui est de la musique d’influence romantique, je trouve que Richard Strauss a écrit des parties magnifiques. C. A. : J’ai fait de la musique de chambre quand j’étais jeune également, puis je n’ai plus eu de temps, à cause de l’enseignement. Désormais, je fais uniquement l’orchestre. M. J-D. : Je fais de la musique de chambre dans le cadre de l’orchestre. Et en dehors, j’ai deux formations. En revanche, je n’enseigne pas. R. S. : Je fais du quatuor à cordes (2 violons, 1 alto, 1 violoncelle) régulièrement. Cela prend beaucoup Bela Bartok, Concerto pour alto, extrait du second mouvement, partie d’alto solo. ©1949 in U.S.A. by Boosey & hawkes, Inc. de temps, car c’est un travail qui se fait sur la durée. Cela demande de la régularité et beaucoup d’énergie, pour chaque concert. Mais, le répertoire du quatuor pour l’alto est passionnant. L’enseignement C. M. : J’enseigne à temps partiel au conservatoire de Bourg-la-Reine. J’aime le contact avec les enfants, essayer de transmettre un peu ce qu’est l’alto. Vous prenez les élèves à partir de quel âge ? À partir de cinq ans et cela va jusqu’à quinze, seize ans. Ce n’est pas toujours facile d’enseigner aux tout petits, il faut beaucoup de patience, mais j’aime ça. R. S. : J’enseigne au conservatoire du 13e arrondissement où j’ai essentiellement des petits. Pourquoi le choix de l’alto ? Je pense qu’au départ ils ont envie de jouer un instrument à cordes et pour eux, l’alto est un violon qui a une sonorité bien spéciale. Je fais un peu d’éveil musical et je présente l’instrument. Ensuite, il y a la personne, ce qu’on propose comme dynamique de cours. 18 LE COIN DES MUSICIENS INTERVIEW Les altos pour débutants sont-ils différents ? C. M. : Ce sont soit des violons montés en alto – avec des cordes d’alto –, soit des petits altos fabriqués par des luthiers, ce qui coûte plus cher, mais sonne très bien. Il est important que l’enfant ait un son satisfaisant lorsqu’il débute. L’instrument Sur quel instrument jouezvous, en avez-vous plusieurs, jouez-vous de l’alto baroque ? R. S. : Je n’ai jamais utilisé d’alto baroque. Je n’ai qu’un seul instrument. M. J-D. : Je joue sur un instrument moderne (E. Blot). Je n’ai jamais fait de baroque non plus ; ceci dit, j’ai un petit alto du XVIIIe siècle qu’on appelle « alto de dame », qu’on m’a fait changer dès que je suis entrée au Conservatoire de Paris. J’aimerais bien un jour, me mettre au baroque sur cet instrument qui s’y prête, mais je me rends compte que c’est très différent. Je crois que cela nécessiterait de faire un stage sur la technique de l’archet, en particulier. C. A. : J’ai un instrument ancien, un vieux Paris de la fin du XVIIIe siècle. Quant à mon luthier, c’est Renaudin. J-M. V. : J’ai trois altos : deux modernes – l’un de Quenoil, l’autre de Millant – et un instrument du XVIIIe siècle, de Leclerc. J’en change souvent selon le répertoire ou selon mon état de fatigue physique. Leur taille et leur poids différents me permettent de privilégier soit la sonorité, soit la virtuosité. On obtient plus d’agilité sur un instrument plus petit, mais souvent au détriment de la sonorité. S. M. : J’ai deux instruments, un alto Salomon – un luthier français du XVIIIe siècle – et un Sylvestre & Maucotel – luthiers français du XXe siècle. S. B. : J’ai un instrument moderne qui a été fait pour moi, adapté à ma taille. « En effet, nous sommes comme des danseurs, des sportifs : nous devons nous exercer, nous entretenir ». Il n’est pas lourd du tout et sonne toujours très bien. A-M. A. : J’ai toujours le même instrument que celui que j’avais au Conservatoire de Paris. C’est un Laberthe qui a cent ans. C. M. : Je possède deux instruments : un Quenoil que j’ai commandé quand je suis entrée au Conservatoire de Paris. Il y a peu de temps, j’ai acheté un italien du début du XXe siècle, un peu plus grand, mais très léger et très facile à jouer. Je peux passer de l’un à l’autre sans problème, car le diapasonnage est similaire. I. K. : J’ai un instrument qui a été fait pour moi, un Prochasson, le diapason a été spécialement adapté. Sinon, j’ai un ami qui me prête un instrument baroque. Beaucoup de sensations changent au niveau de l’articulation. Lorsqu’on a un archet baroque, les cordes en boyau ne répondent pas du tout de la même manière. La pratique de l’instrument chez soi Avez-vous beaucoup de travail à la maison ? R. S. : Cela dépend grandement des programmes et de ce que l’on connaît ou pas. Personnellement, j’écoute les enregistrements, ce qui permet de prévenir les éventuelles difficultés de certaines partitions. M. J-D. : Tout dépend de la connaissance antérieure que l’on a de l’œuvre et de ce que le chef nous demande. Parfois, il y a des coups d’archet et des tempi surprenants ! On travaille alors davantage les partitions chez nous. S. B. : Il n’y a pas seulement le travail des partitions d’orchestre de la série en cours. En effet, nous sommes comme des danseurs, des sportifs : nous devons nous exercer, nous entretenir. Personnellement, c’est une remise en question constante, je travaille donc souvent la technique chez moi. À la différence de beaucoup d’instruments, nous créons notre note et notre son, – contrairement à un pianiste, par exemple. Il faut donc s’entraîner fréquemment. J-M. V. : Le travail d’orchestre est distinct du travail personnel. Il faut à la maison refaire régulièrement un travail de technique de base. La justesse par exemple, est très fluctuante à l’orchestre et l’on doit en permanence s’adapter à la justesse collective. Le travail personnel permet de retrouver une certaine stabilité. Le rôle du chef d’orchestre Qu’est-ce que vous attendez d’un chef ? C. M. : Beaucoup de choses ! Il doit avoir une idée musicale de l’œuvre qu’il dirige et nous sommes là aussi pour servir sa pensée. L’important, c’est qu’il insuffle quelque chose. I. K. : Il faut effectivement que l’on puisse suivre une idée musicale car, s’il n’y en a pas, cela part dans tous les sens et il n’y a plus d’unité. J-M. V. : Quelqu’un qui n’a pas de conception et qui attend tout de nous, c’est épuisant. Propos recueillis par E. Lucchini et F. Regnault