Reconnaître ce qui nous lie : l’identité
européenne
La question de l’identité européenne
dans la construction de l’Union
Compte rendu du séminaire du 24 novembre 2005
Projet de recherche coordonné par Aziliz Gouez
Avec la collaboration de Nadège Chambon et Marjorie Jouen
Et la participation de : Marc Abélès, Ash Amin, Robert Badinter, Louis Chauvel,
Jacques Delors, Christian Joerges, Antonio Padoa-Schioppa, Ben Rosamond, Jan
Sokol, Daniel Tarschys, Tzvetan Todorov, Henryk Woźniakowski
Aziliz Gouez
Diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, titulaire d’un DEA en anthropologie politique
(EHESS, Paris), Aziliz est actuellement doctorante en anthropologie culturelle (Irlandais,
« ethnic marketing », New York).
Avant de rejoindre Notre Europe, Aziliz a travaillé à la permanence parlementaire de Tulle, en
Corrèze, tout en effectuant des recherches sur les mécanismes du don, les échanges matériels
et symboliques qui lient élus et électeurs dans la politique locale française. De 2003 à 2004,
elle a été ingénieur d’études au CNRS (projet Cultpat, « Cultural Patterns of the European
Enlargement ») avant de partir pour New York, où elle a consacré un an à ses recherches
universitaires et à la collecte de matériaux pour sa thèse.
Elle est née en 1979 et a grandi en Bretagne.
Nadège Chambon
Diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon, titulaire d’un DEA en sociologie politique
(IEP, Strasbourg), Nadège est étudiante au Master Europe de l’IEP de Grenoble.
Auteur du rapport sur la langue française en Inde pour le Ministère des Affaires Etrangères
(L’état du français en Inde. Des hommes et des structures entre dynamiques indiennes et
mondialisation. 2004) elle a consacré ses recherches de DEA aux perceptions de l’Europe à
New Delhi.
Née en 1981, elle a grandi en Ardèche.
Marjorie Jouen
Diplômée en sciences politiques (1979), ancienne élève de l’ENA (1989). De 1993 à 1998 :
membre de la Cellule de prospective de la Commission européenne (Bruxelles), chargée des
questions territoriales et sociales. De 1999 à 2002, conseillère à Notre Europe pour les
questions relatives à l’économie sociale, au développement rural, à l’élargissement de l’Union
européenne et à la politique de développement régional.
Directrice de publication avec Bénédicte Caremier de L’avenir du travail, un débat européen,
Rennes, OPOCE - Editions Apogée (1999) et The future of work, London, Kogan Page (2000).
Auteur de Diversité européenne, mode d’emploi (European diversity, how to manage it), Paris,
Descartes et Cie - Editions Charles Leopold Mayer (2000).
Marjorie Jouen est consultante extérieure pour Notre Europe.
Notre Europe
Notre Europe est un groupement indépendant d’études et de recherches dédié à l’unité
européenne. L’association a été créée par Jacques Delors à l’automne 1996. Elle se compose
d’une petite équipe de chercheurs originaires de divers pays. En tant que laboratoire d’idées
sur la construction européenne, le groupement souhaite apporter une contribution aux débats
d’actualité avec le recul de l’analyse et la pertinence des propositions.
Notre Europe participe au débat public de deux manières : en publiant des études sous sa
responsabilité et en sollicitant des chercheurs extérieurs pour contribuer à la réflexion sur les
questions européennes. Ces documents sont destinés à un certain nombre de décideurs,
académiques et journalistes dans les différents pays de l’Union européenne. Ils sont aussi
systématiquement mis en ligne sur le site Internet. L’association organise également des
rencontres et des séminaires, le cas échéant en collaboration avec d’autres institutions ou des
organes de presse.
Notre Europe prend aussi position sur des sujets jugés primordiaux pour l’avenir de l’Union
européenne, par la voix de son Président ou de son Conseil d’Administration, qui a en charge,
outre la gestion de l’association, la fonction d’orientation et d’impulsion de ses travaux. Un
Comité International, composé de personnalités européennes de haut niveau, se réunit une ou
deux fois par an afin de traiter d’une thématique européenne importante.
Avant-propos
La question de l’identité européenne, qui avait occupé une place si importante dans les grands
débats d’idées dans la période de l’entre-deux-guerres mondiales, et jusqu’au début des
années 50, a connu une longue éclipse lorsque la construction de l’Union européenne que nous
connaissons aujourd’hui a commencé. Sans doute y a contribué l’approche délibérément
pragmatique, non idéologique, anti-rhétorique, de la méthode fonctionnaliste inventée par
Jean Monnet. Sa méthode est celle des projets concrets, des petits pas, du refus tactique du
grand dessein, de la patiente maturation d’intérêts communs. C’est grâce à elle qu’a pris forme
une réalité politique et institutionnelle nouvelle dans l’histoire moderne, regardée aujourd’hui
par les autres continents comme le modèle de relations internationales le mieux adapté au
monde dit post-Westphalien.
Mais cette approche a aussi eu pour conséquence de laisser à la disposition des adversaires du
projet européen le champ des passions. Certes, l’idée de fonder la paix et la réconciliation
entre les peuples du continent à partir d’un réseau dense d’intérêts communs n’était nullement
inspirée par une absence de passion ou par un matérialisme mesquin ; elle dérivait au
contraire de la prise de conscience passionnée des dérives perverties auxquelles la fureur
nationaliste pouvait conduire, en l’absence de limites de souveraineté établies d’un commun
accord.
« Europe sans âme, sans solidarité, otage des marchands et des banquiers, menaçant les
valeurs immatérielles les plus élevées, faisant appel à l’égoïsme des médiocres plutôt qu’à la
générosité des grands ». Voici donc les mots d’ordre dont ont pu se saisir les adversaires de la
construction européenne au fil des ans, occupant un vide de discours idéal en faveur de
l’Europe unie. Une malicieuse ironie de l’Histoire a entretenu cette confusion entre les fins
héroïques et les moyens très pratiques de la construction européenne. Pourtant, tous ceux qui
connaissent la vraie personnalité de Monnet, Schuman, Adenauer, De Gasperi, Spaak,
Mitterrand, Kohl, Gonzales, Andreotti, Delors savent quelles étaient les places respectives de la
passion et de l’intérêt dans leur œuvre de bâtisseurs de l’Europe, et combien ils étaient
éloignés de la mauvaise caricature d’une Europe purement marchande.
C’est sous la poussée de ce vent critique que la question de l’identité européenne a
graduellement repris le devant de la scène, pour devenir l’un des arguments-clés des partisans
du pouvoir absolu de l’État-nation. L’identité des peuples et des personnes serait nationale et
rien d’autre. La construction d’un pouvoir européen – même strictement limité par l’application
du principe de subsidiarité – porterait atteinte à l’identité même des peuples et des personnes.
Il n’y aurait pas d’identité européenne, il ne pourrait donc y avoir aucun autre pouvoir
européen que celui qui résulte de la libre coopération entre gouvernements nationaux, eux
seuls ayant droit à une place dans la filière identité-peuple-legitimité-pouvoir.
Les interrogations actuelles sur le devenir de l’Union européenne sont donc associées à la fois
à un malaise qui touche nos sociétés dans une phase de changement profond et au fait que la
construction européenne a atteint le point où la question de l’union politique est devenue
centrale. Pour que l’invocation d’une « crise identitaire » ou d’une « crise du sens » ne
devienne pas un motif pour se désister du projet d’union de l’Europe, les raisons qui ont
conduit à une telle situation doivent aujourd’hui être analysées sérieusement. C’est au prix de
cette réflexion que nous pourrons, collectivement, retrouver les fondements d’une conscience
des raisons d’être de l’union.
C’est sur la base de ces analyses que Notre Europe a décidé d’entreprendre un projet de
recherche pluridisciplinaire, qui a pour titre et fil conducteur « Reconnaître ce qui nous lie :
l’identité européenne ». Le projet se déroulera sur une durée de dix-huit mois, notamment
sous forme de séminaires, dont l’objectif sera d’explorer ce que partagent les Européens
aujourd’hui : leurs mémoires, leurs modes de vie, leurs institutions, leurs valeurs, leurs
représentations, leurs aspirations, etc. Le regard de l’Autre étant souvent plus aigu que celui
de l’intérieur, le point de vue de non-Européens sera également sollicité.
Notre Europe est un groupement d’études et de recherches militant pour la construction d’une
Europe unie. En décidant d’entreprendre des travaux sur l’identité européenne, notre
association n’a pas l’ambition scientifique de produire une contribution supplémentaire dans un
domaine qui occupe des bibliothèques entières. Elle entend contribuer de manière pratique à
définir la place et l’approche que devrait occuper la question de l’identité dans l’action politique
et dans le débat sur l’Europe à venir. Elle veut montrer combien la prétendue absence
d’identité européenne est une fausse idée, dérivée d’une déclinaison absolutiste de la culture
de l’Etat nation ; mettre en lumière la profondeur et l’étendue de la culture commune liant les
Européens entre eux ; faire comprendre en quoi la diversité qui caractérise les peuples
d’Europe est en soi une richesse et donc un élément d’identité partagée.
Pour lancer ce projet sur de bonnes bases, un premier séminaire a été organisé le 24
novembre 2005 à Paris. Comme les lecteurs le verront dans les pages suivantes, cette réunion
a permis à Notre Europe de définir plus précisément les contours de l’identité européenne et
de réunir une somme remarquable de réflexions sur ses enjeux. Ceux qui se sont engagés
pour promouvoir l’intégration européenne y trouveront de quoi nourrir leur réflexion et leur
action.
Tommaso Padoa-Schioppa
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