FAQ – Océan - Club des Argonautes

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FAQ – Océan
Quelles sont les variations actuelles du niveau de la mer ? Observations et causes.
Bruno Voituriez - Juin 2012.
Compte tenu des concentrations humaines dans les régions côtières et dans les îles, l’élévation
probable du niveau de la mer est un véritable défi pour ce siècle en raison du changement
climatique que l’on sait maintenant inéluctable même si l’on peut encore espérer en limiter
l’ampleur par des politiques mondiales appropriées.
Sommaire
1. Les surfaces de référence : ellipsoide et géoide.
Les variations du champ de pesanteur.
La topographie dynamique de la surface de l’océan.
2. Les causes des variations du niveau moyen des océans.
3. La mesure des variations du niveau de la mer.
La marégraphie.
L’altimétrie satellitaire.
4. L’évaluation des causes.
L’expansion thermique des océans.
Les «transferts de masse».
Les calottes polaires.
Les glaciers de montagne.
Les eaux continentales.
5. Bilan global entre 1993 et 2011.
6. Variations spatiales et temporelles
7. El Niño, les variations interannuelles et les aux continentales.
8. Distribution régionale de l’élévation du niveau de la mer à long terme.
9. Conclusion
Compte tenu des concentrations humaines dans les régions côtières et dans les îles, l’élévation
probable du niveau de la mer est un véritable défi pour ce siècle en raison du changement
climatique que l’on sait maintenant inéluctable même si l’on peut encore espérer en limiter
l’ampleur par des politiques mondiales appropriées.
1. Les surfaces de référence : ellipsoïde et géoïde
Pour parler du niveau de la mer et de ses variations il faut une référence géométrique fixe :
c’est l’ellipsoïde de référence qui est au plus près de la forme de la Terre.
Par rapport à cette référence absolue le niveau des océans est la somme de deux
composantes.
Les variations du champ de pesanteur
La surface des océans en l’absence de tout mouvement, ce que naguère on appelait la
«surface des eaux tranquilles» pour illustrer l’horizontale est une surface équipotentielle
du champ de pesanteur ou géoïde ; c'est-à-dire qu’en en tout point la force de pesanteur lui
est perpendiculaire. Comme la Terre n’est pas homogène, la pesanteur à sa surface varie et
la surface de l’océan, géoïde, épouse les variations spatiales du champ de pesanteur qui font
du «géoïde» une sorte de patatoïde fait de creux et de bosses (figure 1 ci-dessous).
Ainsi par exemple entre l’océan Indien au sud de l’Inde et le Pacifique ouest du côté de
l’Indonésie observe-t-on, par rapport à l’ellipsoïde de référence, une différence de niveau de
la surface de l’océan-géoïde proche de 150 mètres.
La topographie dynamique de la surface de l’océan
La deuxième composante est due aux mouvements de l’océan et aux courants qui induisent
par rapport à ce géoïde des variations du niveau de la mer : c’est ce que l’on appelle la
topographie dynamique de la surface de l’océan dont on déduit les courants marins.
Plus la pente de la surface de la mer par rapport au géoïde est élevée et plus le courant est
intense. Dans le Gulf Stream par exemple cette pente atteint 1 mètre pour 100 km.
Si l’on s’intéresse aux variations du niveau moyen des océans c’est l’ellipsoïde
géométrique qu’il faut prendre comme référence ; si ce sont les courants et leurs
variations (la dynamique) qui nous préoccupent c’est le géoïde la bonne référence.
2. Les causes des variations du niveau moyen des océans
Ce qui détermine d’abord le niveau de l’océan c’est évidemment la masse d’eau qu’il
contient exactement comme la quantité d’eau dans une casserole. C’est ensuite sa
température moyenne qui détermine son degré de dilatation, c’est à dire son volume.
Les variations du niveau des océans dépendent donc de celles de sa température et des
quantités d’eau qu’il échange avec les autres réservoirs d’eau de la planète : les
glaciers, les calottes polaires (Groenland, Antarctique) et les eaux continentales
(rivières, lacs, nappes phréatiques etc.…).
L’augmentation planétaire en cours et à venir de la température de la Terre ne peut
qu’induire une élévation de ce niveau puisqu’elle échauffe l’océan qui absorbe 90% du
surplus de chaleur introduit dans le système climatique par l’accroissement des gaz à effet de
serre dans l’atmosphère et fait fondre glaciers et calottes polaires.
D’où la nécessité de la détecter et d’en suivre l’évolution de manière à en évaluer l’ampleur
à venir.
Détecter c'est-à-dire mesurer : il n’y a pas d’autres sources de connaissance.
3. La mesure des variations du niveau de la mer.
La marégraphie
La manifestation la plus visible de variations du niveau de la mer, c’est la marée.
D’où les marégraphes installés dans les ports qui permettent d’établir les «annuaires des
marées» indispensables à la navigation côtière. On peut filtrer et éliminer le signal de la
marée pour accéder au niveau moyen de la mer. En le moyennant pour éliminer les
variations thermiques saisonnières on peut suivre les variations du niveau de la mer d’une
année à l’autre, en un point. C’est à partir de ces mesures marégraphiques à travers le monde
que l’on a pu faire une première évaluation de l’élévation du niveau de la mer au cours du
20ème siècle jusqu’à l’avènement des mesures satellitaires en 1992 : environ 18 cm soit en
moyenne à peu près 1,8 mm/an (figure 2 ci-dessous).
La répartition spatiale des marégraphes n’est pas idéale et même s’il y en a dans des îles, la
couverture mondiale est très faible. De plus liés à la terre ils en suivent les éventuels
mouvements verticaux (rebond post-glaciaire, mouvements tectoniques, volcanisme) qui
faussent la mesure.
L’altimétrie satellitaire.
La mesure directe depuis l’espace du niveau de la mer permet :
a. la continuité dans le temps : le satellite revient régulièrement sur sa trace,
b. la couverture de la totalité de l’océan
On dispose ainsi en tout temps et en tout lieu de mesures absolues des variations du
niveau de l’océan. Le principe en est simple si la réalisation ne l’est pas et si les corrections
sont nombreuses pour extraire du signal la précieuse mesure du niveau de la mer (figure 3
ci-dessous)
Il s’agit d’un radar embarqué sur un satellite qui envoie à la verticale une impulsion dont le
temps de trajet aller et retour satellite-océan-satellite dépend de la distance du satellite à la
surface de l’océan. Pour peu que l’on connaisse avec précision l’orbite du satellite, on en
déduit tout le long de la trace du satellite les variations du niveau de la surface des océans.
Les mesures précises (à mieux que 1 cm) ont commencé avec le satellite Topex/Poseidon
qui, lancé en août 1992, est resté opérationnel jusqu’en janvier 2006. La suite a été prise par
Jason 1 lancé en décembre 2001 et Jason 2 lancé en 2008.
Les mesures des satellites Topex/Poseidon , Jason 1 et Jason 2 ont permis de mettre en
évidence une augmentation de la vitesse de l’élévation du niveau moyen des océans :
elle a été de 3,2 mm/an entre 1993 et 2011 (figure 4 ci-dessous).
Autre résultat remarquable : les observations par satellite ont révélé pour la première fois
que le niveau de la mer ne monte pas de manière géographiquement uniforme.
4. L’évaluation des causes.
L’expansion thermique des océans.
Il n’existe malheureusement pas de capteurs satellitaires permettant de sonder les couches
internes océaniques et d’en mesurer la température ; les satellites ne donnent accès qu’à la
température de surface. Ce sont néanmoins les systèmes satellitaires qui ont permis de
s’affranchir des navires et de déployer dans tout l’océan des systèmes de mesure in situ
autonomes : mouillages fixes ou systèmes dérivant localisés par satellite qui transmettent les
données qu’ils récoltent par satellite également. Ainsi dans le cadre du programme Argo
lancé en 2000 ce sont, depuis 2007, plus de 3000 systèmes dérivants qui sont déployés dans
tout l’océan entre 2000 et 3000 mètres de profondeur et qui, tous les dix jours, montent en
mesurant la température et la salinité de toute la colonne d’eau jusqu’à la surface où ils
sont localisés et transmettent les données recueillies (figure 5 ci-dessous).
Ils replongent ensuite à leur niveau d’immersion jusqu’à la prochaine excursion vers la
surface. Les mesures des variations thermiques de l’océan se font ainsi, espère-t-on, de plus
en plus précises. Entre 1955 et 2003 la vitesse de l’élévation moyenne du niveau de la mer
due à l’expansion thermique a été évaluée à 0,4 mm/an. Elle a été de 1,1 mm/an entre 1993
et 2011. Soit près du tiers de l’élévation mesurée par altimétrie.
Les «transferts de masse».
Les mesures depuis l’espace des variations de la gravité avec le système Grace lancé en
mars 2002 apportent une nouvelle évaluation indépendante des transferts de masse d’eau :
- mesure des variations de
la masse océanique,
- mesures des variations de
masse des calottes glaciaires,
- mesure des variations des
eaux continentales.
Le système (figure 6 ci-contre)
est constitué de deux satellites
qui sur une même orbite, à
550 kilomètres d’altitude, se
suivent à une distance de 220
kilomètres.
Ils sont munis d’un instrument
qui mesure les variations de la
distance qui les sépare à moins
de dix micromètres. Lorsque le
satellite de tête arrive au-dessus
d’une zone où la gravité croît, sa vitesse augmente et donc aussi sa distance au satellite qui
le suit. De cette augmentation de distance (accélération) on déduit la variation
correspondante du champ de gravité. Les satellites Grace effectuent une couverture
globale de la Terre en un mois. C’est la première fois que l’on cartographie ainsi avec
précision la valeur du champ de gravité sur tout le globe dans un temps aussi court. La
partie constante de ce champ porte les signatures des structures tectoniques telles les
dorsales océaniques, monts sous-marin, zones de subduction dont la connaissance se trouve
ainsi grandement améliorée. Les variations temporelles sont, elles, le signe de transfert de
masses.
Exemple spectaculaire : Grace a pu mesurer la modification apportée au champ de gravité
par le tremblement de Terre d’Indonésie qui provoqua le tsunami du 26 décembre 2004. Et
pourtant la variation d’accélération correspondante n’est que de 20 nanomètres
(milliardièmes de m/s2) !
Les calottes polaires.
Ce sont les techniques de télédétection (aéroportées ou satellitaires) qui ont permis
depuis une vingtaine d’années d’avoir un nouveau regard sur les variations de masse
des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique.
L’altimétrie satellitaire sur orbite polaire (ERS-1/2, Envisat), les altimètres laser aéroportés
ou spatiaux (IceSat depuis 2003) permettent un suivi de l’évolution du niveau des calottes
polaires et donc de leur volume et de leur masse. Depuis 2003 le système Grace donne accès
directement aux variations de leur masse. En outre l’interférométrie appliquée aux radars à
ouverture synthétique embarqués sur satellite (ERS1/2…) fournit des mesures de
l’écoulement des glaciers et donc de leur décharge dans l’océan pour peu que l’on connaisse
l’épaisseur du glacier. On arrive ainsi à estimer le bilan net de masse des calottes polaires.
Chacune des techniques a ses propres incertitudes : les mesures de Grace par exemple
doivent être corrigées du GIA ou Rebond Isostatique Postglaciaire ; à savoir le soulèvement
des masses terrestres consécutif à la déglaciation encore à l’œuvre aujourd’hui et qui se
traduit par une évolution de la répartition des masses et que l’on doit modéliser. Néanmoins
les résultats obtenus s’accordent assez bien et montrent très clairement une accélération de la
perte de masse des calottes polaires durant la dernière décennie.
Accélération qui fait que la contribution de la fonte des calottes polaires à l’élévation du
niveau de la mer est de plus en plus importante (figure 7 ci-dessous).
Accélération qui fait aussi que le GIEC dans son quatrième rapport (2007) prévient que la
contribution des calottes polaires aux scénarios d’élévation du niveau de la mer qu’il projette
à l’horizon 2100 (entre 18 et 59 cm) pourrait être beaucoup plus importante (jusqu'à 1 mètre)
en cas d’accélération de l’écoulement vers la mer des glaciers, comme les observations
récentes le montrent.
Deux processus contribuent à cette accélération :
•
D’abord la «lubrification» du soubassement rocheux du fait de l’infiltration de l’eau
fondue en surface en été via les crevasses. C’est surtout semble-t-il valable pour le
Groenland.
•
Ensuite la «cassure» de l’extrémité flottante des glaciers sur l’océan (ice shelf) qui
favorise leur écoulement. Cassure due à la fragilisation de l’ «ice shelf» au contact
d’une eau de mer qui s’échauffe provoquant une fonte du glacier à sa base et la
cassure qui libère de la place pour l’écoulement du glacier en amont qui s’accélère.
Le bilan est le suivant : de 1993 à 2003 la contribution totale des calottes polaires à
l’élévation du niveau de la mer était de 0,4 mm/an (à égalité 0,2 pour le Groenland et
l’Antarctique). Elle a plus que doublé par la suite : 1,1 mm/an (0,4 pour le Groenland, 0,7
pour l’Antarctique) de 2003 à 2009.
De 1993 à 2011 la contribution moyenne des deux calottes polaires a été de 0.9 mm/an.
Il n’est pas certain que cette accélération doive nécessairement se poursuivre comme le
suggèrent certaines simulations prévoyant un doublement de la vitesse de l’écoulement des
glaciers du Groenland d’ici 2100. D’une part il y a une limite mécanique probable à cette
vitesse d’écoulement. D’autre par les quelques 200 glaciers groenlandais qui ont été étudiés
sont loin d’être homogènes et différent par leur localisation géographique et les conditions
météorologiques et aussi la topographie du fond sur lequel ils s’écoulent.
Les glaciers de montagne
Ces glaciers sont répartis à travers le monde et aucun n’est à nul autre vraiment semblable.
Aussi est-il difficile de faire un bilan global de la masse de ces glaciers qui représentent
0,2 % du volume des glaces continentales soit un potentiel d’élévation du niveau de l’océan
de 50 centimètres. Les estimations du bilan de masse combinent des mesures in situ
(accumulation annuelle de neige et pertes par fonte) et des techniques géodésiques
(altimétrie et modèles numériques de terrain déduits des satellites d’observation de la Terre
comme Landsat et Spot) et elles se font glacier par glacier. On dispose d’informations sur
quelque 100 000 glaciers à travers le monde rassemblées au « World Glacier Monitoring
Service » WGMS à Zurich.
Seule une centaine d’entre eux fournissent chaque année des informations permettant de
faire leur bilan de masse. Sur cette centaine le WGMS a établi une liste de trente glaciers de
référence représentatifs des chaînes de montagne du monde dont on peut faire chaque année
le bilan de masse avec l’idée que les autres glaciers de la région dont les observations sont
beaucoup plus réduites ont une évolution comparable.
Et cela depuis 1980. Il en résulte que si la plupart des glaciers perdent régulièrement de
la masse cela n’est pas le cas de tous. Quelques uns peuvent avoir tendance à croître du fait
de l’augmentation des précipitations hivernales. Ce fut le cas des glaciers scandinaves de
1980 à 1990 et ça l’est encore pour certains glaciers Himalayens du Karakorum. Mais
globalement la décroissance est inexorable et s’accélère (figure 8 ci-dessous).
Dans son quatrième rapport le GIEC évaluait à 0,8 mm/an la contribution des glaciers
continentaux à l’élévation du niveau de la mer entre 1993 et 2003. Les évaluations les
plus récentes la donnent maintenant à 1,2 mm/an entre 2003 et 2009. Soit sur la
période 1993-2011 environ 1 mm/an.
Les eaux continentales.
Les eaux continentales (qui ici n’incluent pas les calottes polaires et glaciers) participent au
cycle de l’eau planétaire et sont à ce titre actrices de la machine climatique. Elles sont
constamment échangées avec l’atmosphère et l’océan (évaporation, transpiration,
ruissellement). Comme les autres acteurs du système climatique elles sont donc soumises
aux variations climatiques qui peuvent en affecter la quantité et à ce titre peuvent contribuer
aux variations du niveau de la mer.
Les activités humaines affectent également le stockage des eaux continentales dans les sols,
réservoirs et aquifères : barrages, pompage de l’eau, irrigation, urbanisation, déforestation,
agriculture etc. Elles ont aussi un impact possible sur le niveau de la mer dans un sens ou
dans l’autre. On ne dispose pas, pour les dernières décennies, d’observations globales
permettant d’estimer les variations des eaux continentales.
Les modèles climatiques récemment développés permettent de calculer le bilan des
échanges d’eau et d’énergie à la surface de la Terre et d’en déduire les variations dans le
stockage des eaux continentales en fonction des paramètres atmosphériques près de la
surface (température, précipitations, humidité, vent).
De 1950 à 2000 il ne se dégage aucune tendance climatique à long terme mais de
grandes variations interannuelles et décennales.
Les interventions humaines peuvent avoir des effets contradictoires qu’il est difficile
d’évaluer. D’un côté le pompage d’eau souterraine pour les besoins de l’agriculture et de
l’industrie et les usages domestiques qui se traduit par une perte d’eau et donc une élévation
du niveau de la mer ; de l’autre la construction de nombreux barrages sur les cinquante
dernières années qui au contraire retiennent l’eau et a plutôt tendance à faire baisser le
niveau de la mer. Des études récentes concluent à un match quasi-nul pour ces deux
tendances au cours des décennies passées mais avec des valeurs relativement élevées :
+ 0,55 à 0,64 pour la hausse contre - 0,55 à la baisse.
Le satellite Grace mesure les variations temporelles des quantités d’eau à la verticale (eaux
de surface, humidité des sols, eaux souterraines) sans discriminer les contributions des
réservoirs individuels ni distinguer la part climatique de celle attribuable directement aux
activités humaines (figure 9 ci-dessous).
D'après les résultats de Grace, une étude portant sur la période 2003-2006 concluait à une
contribution positive inférieure à 0,2 mm/an à l’élévation du niveau de la mer. Une étude
ultérieure portant sur la période 2002-2008 concluait à une contribution négative voisine de
- 0,2 mm/an confirmant ainsi que la variabilité climatique interannuelle est le signal
dominant (qui est faible en tout état de cause) pour les eaux continentales.
Trois conclusions s’imposent :
•
les eaux continentales ont été de peu de poids dans l’évolution à long terme du
niveau de la mer au cours des dernières décennies ;
•
la variabilité climatique aux échelles pluriannuelles et décennales est importante ;
•
les activités humaines induisent à long terme de grands changements dans
l’hydrologie continentale même si, rapportés au niveau de la mer les effets pour
l’instant s’annulent ce qui ne sera pas forcément le cas à l’avenir.
On ne peut donc discerner à l’heure actuelle aucune tendance à long terme dans les
variations des eaux continentales. Pour l’avenir, la construction de barrages décroissant
nettement et le pompage d’eau continuant à un rythme soutenu, on peut s’attendre à une
contribution positive au niveau de la mer.
5. Bilan global entre 1993 et 2011.
Après évaluation des différentes variations qui peuvent influencer le niveau de la mer, un
bilan a été établi pour la période 1993-2011 (figure 10 ci-dessous).
Bilan 1993-2011 de l’élévation du niveau de la mer : mesure altimétrique du niveau de la mer et évaluation de la
contribution des diverses composantes.
Mesure altimétrique directe : .........................
3,2 mm/an +/-0.5
Composante thermique : ....................................
1,1 mm/an
Glaciers : .........................................................
1,0 mm/an
Calottes polaires : .............................................
0,9 mm/an
Eaux continentales : .........................................
négligeable
Total des contributions : .................................
3 mm/an
On voit qu’entre la mesure directe altimétrique et la somme de l’évaluation de chacune des
composantes l’écart est très faible et reste dans la marge d’incertitude.
6. Variations spatiales et temporelles
L’obsession du réchauffement global ne doit pas occulter la variabilité climatique
«naturelle» aux échelles temporelles pluriannuelles et décennales. Ne considérer que des
valeurs globales moyennes peut faire oublier que l’élévation du niveau de l’océan et les
variations de son contenu thermique ne se font pas de manière homogène. Loin de là. Si les
mesures altimétriques faites depuis 1992 (Topex/Poseidon) montrent que le niveau de
la mer s’est élevé en moyenne de 3,2 mm/an, elles montrent aussi que cette valeur varie
d’une région à l’autre (figure 11 ci-dessous).
Différences de niveau de l’océan entre 2011 et 1992 ; mesures satellitaires.
Ainsi entre 1992 et 2011 on observe une augmentation de plus de 10 mm/an dans l’ouest du
Pacifique tropical mais une baisse à peu près équivalente du côté des Aléoutiennes, et sur les
côtes américaines du Pacifique. Dans l’Atlantique on note aussi un contraste marqué entre la
mer du Labrador (augmentation) au sud du Groenland d’une part et juste au sud dans la
région du Gulf Stream (diminution) d’autre part. Il y a pour à peu près la même période
(1993-2003) une très grande similitude avec les variations de l’expansion thermique déduite
des mesures in situ (figure 12, 1 & 2 ci-dessous) qui est donc manifestement le signal
dominant.
Or sur une période plus longue (1955-2003) (figure 12, 3 ci-dessous) on observe une
situation très différente quasiment inverse dans ces deux régions: là où l’expansion
thermique était maximale dans le Pacifique intertropical ouest on observe maintenant une
diminution significative et dans l’est une élévation au lieu d’une diminution ; de même dans
l’Atlantique nord la situation s’inverse-t-elle entre la région du Gulf Stream et celle de la
mer du Labrador.
Cela traduit incontestablement le poids très fort des variabilités climatiques pluriannuelles et
du couplage océan/atmosphère qui ont un impact, via les variations de la circulation
océanique associée, sur la répartition du contenu thermique des couches superficielles des
océans et donc sur celle de l’élévation du niveau de la mer.
Par exemple : la «NAO» et le Gulf Stream :
La NAO est une oscillation que l’on caractérise par la différence de pression atmosphérique
entre l’anticyclone des Açores et les basses pressions d’Islande. Plus cette différence est
élevée (anomalie positive de l’indice NAO) et plus le régime des vents d’ouest est fort aux
latitudes tempérées assurant à l’Europe de l’ouest des hivers doux et humides et
réciproquement. Si la NAO variait d’année en année de manière aléatoire tout cela n’aurait
pas beaucoup d’importance : l’océan n’aurait guère le temps d’enregistrer de manière
durable les perturbations d’une année que l’année suivante viendrait effacer. Il ne s’agirait
que d’un bruit de fond sans conséquence à moyen et long terme.
Évolution de l’ indice NAO (North Atlantic Oscillation) 1860-2000.
Différence de pression atmosphérique entre Lisbonne et Reykjavik
Mais il n’en est pas ainsi, et c’est bien pourquoi on parle d’oscillation : les anomalies ont
une certaine durée comme on le voit sur la figure de l’évolution de l’indice de NAO depuis
le milieu du XIXe siècle. Notamment une phase négative de 1950 à 1970 puis positive
jusqu’en 2000 (figure 13 ci-contre).
Le transport du Gulf Stream est corrélé, avec un retard de quelques mois, aux variations de
la NAO : à indice élevé (vents d’ouest forts) correspond une intensification du Gulf Stream
et réciproquement. Il en est évidemment de même des transports de chaleur océanique et
donc du contenu thermique océanique de l’Atlantique nord… D’où l’impact probable sur la
répartition du contenu thermique océanique et le signal altimétrique. Autre exemple dans le
Pacifique : une oscillation analogue PDO témoigne des variations des conditions thermiques
océaniques du Pacifique nord sur des périodes de vingt à trente ans dont la signature
ressemble beaucoup à l’alternance observée dans le signal altimétrique entre l’est et l’ouest
du Pacifique.
Ces oscillations, d’El Niño à la NAO, à la PDO et d’autres encore se chevauchent et
interagissent. Elles induisent des fluctuations de la distribution géographique du
contenu thermique de l’océan, des fluctuations climatiques (précipitations,
évaporation, ruissellement), des modifications de la circulation océanique qui toutes
ont leur signature dans le signal altimétrique et sa répartition géographique sans que
l’on puisse encore démêler complètement l’écheveau.
7. El Niño, les variations interannuelles et les aux continentales.
En deçà de la variabilité climatique pluriannuelle évoquée plus haut la courbe d’évolution du
niveau moyen des océans de la figure 4 fait apparaître des oscillations de beaucoup plus
coutes périodes de quelques mois à un ou deux ans dites interannuelles. Peuvent ainsi
apparaître à ces échelles de temps des périodes où le niveau de la mer diminue. Les
climato sceptiques ont d’ailleurs cherché à tirer pari de ces épisodes éphémères pour mettre
en doute la réalité du changement climatique qui se situe pourtant à une tout autre échelle.
Les phénomènes El Niño/La Niña (ENSO) sont emblématiques de l’interaction entre l’océan
et l’atmosphère et de la variabilité naturelle du climat aux échelles interannuelles. En
période normale les eaux chaudes équatoriales poussées par les alizés s’accumulent sur le
bord ouest de l’océan Pacifique où elles forment ce que l’on appelle la Warm Pool où la
température peut dépasser 30 °C. C’est la région où les échanges océan/atmosphère
atteignent leur paroxysme et les pluies y sont abondantes. À l’inverse les eaux sont
relativement froides le long de l’équateur et le climat est très sec sur les côtes du Pérou et du
Chili. La Niña est le paroxysme de cette situation normale : les alizés à leur maximum
accumulent le maximum d’eaux chaudes à l’ouest alors que dans l’est du Pacifique et le long
de l’équateur les températures de surface de l’océan sont au plus bas. El Niño correspond à
une inversion de cette situation. Les alizés faiblissent au point qu’ils ne sont plus en mesure
de retenir les eaux de la Warm Pool qui se répandent le long de l’équateur jusqu’aux côtes
de l’équateur et du Pérou amenant précipitations et inondations dans ces régions
normalement sèches. Une zone de pluies intenses s’étend tout le long de l’équateur.
Il y a donc entre les deux situations une différence radicale dans les échanges
océan/atmosphère et les régimes de précipitations. Différence qui ne se limite d’ailleurs pas
au Pacifique équatorial. Ces variations ont un impact sur les eaux continentales. Le pic que
l’on observe en 1997/98 sur la courbe d’évolution du niveau de la mer (figure 4) correspond
exactement au fort El Niño que connut l’Océan Pacifique à cette date et coïncide aussi avec
une forte diminution du stock d’eaux continentales au profit de l’océan (figure 14 cidessous).
Évolutions parallèles du niveau de la mer dont on a soustrait la tendance en rouge
et du stock d’eau continentale changé de signe en vert (exprimé en équivalent mm)
Ceci démontre que si, sur le long terme, la variation des eaux continentales joue peu sur le
niveau de la mer (voir plus haut) elle est prépondérante aux échelles interannuelles. Sur la
courbe de la figure 4, à l’inverse d’El Niño, les épisodes Niña (2007/2008 et 2011) qui se
traduisent par une diminution sensible du niveau de la mer correspondent à un accroissement
des eaux continentales (figure 15 ci-dessous)).
8. Distribution régionale de l’élévation du niveau de la mer à long terme.
Au-delà de la variabilité pluri annuelle et décennale évoquée précédemment, l’élévation du
niveau de la mer ne se fait pas de manière homogène.
Il y a et il n'y aura des variations régionales importantes pour diverses raisons :
•
D’abord pour des raisons de dynamique océanique qui affectent la composante
stérique. Le changement climatique induit, comme son nom l’indique, une
modification progressive du climat qui a un impact durable sur la circulation
océanique et donc sur la répartition du contenu thermique de l’océan. Ce que les
modèles climatiques peuvent prévoir.
•
Ensuite la fonte des calottes polaires et des glaciers et les transferts d’eaux
continentales provoquent des modifications du champ de pesanteur donc du
géoïde et du niveau (par rapport à l’ellipsoïde de référence) de la surface des
océans qui l’épouse. Au sortir de la dernière période glaciaire la fonte des calottes
glaciaires nord américaines et européennes a provoqué une montée rapide du niveau
des océans (~130 m). Il y correspond un transfert de charges : décharge sur les
continents à laquelle répond une surrection des masses continentales et surcharge sur
l’océan qui provoque une subsidence des fonds marins. Ces mouvements se
propagent sur toute la Terre et sont encore en cours aujourd’hui : surrection ici,
subsidence ailleurs qui modifient la géométrie des bassins océaniques et auxquels
correspondent aussi des modifications dans la répartition des masses et donc dans
celle du champ de pesanteur et par conséquent dans la forme de la «surface-géoïde».
C’est ce que l’on appelle le rebond post-glaciaire (GIA) qu’il faut prendre en compte
dans le bilan global des composantes qui contribuent aux variations du niveau de la
mer et que l’on modélise. A ce rebond post glaciaire correspond une diminution
actuelle moyenne du niveau moyen de la mer de 0,3 mm/an qui est prise en compte
dans l’évaluation de l’élévation du niveau moyen par rapport à l’ellipsoïde de
référence. Cette correction n’est pas homogène et elle provoque des disparités
spatiales actuellement faibles par rapport à celles produites par la composante
stérique qui domine aux échelles des observations dont on dispose pour la mesure du
niveau de la mer. La fonte des glaces et le transfert des eaux continentales dus au
changement climatique qui introduisent une nouvelle perturbation du champ de
pesanteur contribuent aussi à une spatialisation de l’élévation du niveau de la mer.
•
Enfin, dernier élément, l’attraction des masses continentales sur l’océan à
proximité des côtes.
Plus la masse continentale est importante plus elle «attire» la mer et le niveau de la
mer a tendance à être élevé et inversement. La diminution des masses des calottes
glaciaires affaiblit cette force d’attraction et tend donc à faire baisser le niveau de la
mer à proximité. Phénomène relativement local qui contribue à spatialiser les
variations du niveau de la mer en introduisant cette fois une composante négative.
Une étude récente s’appuyant sur trois scénarios d’émission de gaz à effet de serre
(SRES) du Giec et rassemblant l’ensemble de ces phénomènes a simulé la répartition
spatiale du niveau de la mer à l’horizon 2100. Il en ressort que pour chaque scénario
qualitativement la répartition spatiale de l’élévation du niveau de la mer est très
similaire. La figure 16 ci-dessous correspond au scénario A2 et à une élévation
moyenne de 50cm.
Il est à noter que ces simulations s’appuient sur les résultats du 4ème rapport du GIEC qui
ne prennent pas en compte l’accélération constatée de la fonte des calottes glaciaires qui
pourrait conduire en 2100 à des élévations beaucoup plus importantes de 80 cm à 2 mètres
dans les conditions les plus défavorables. Mais on peut penser que la répartition spatiale sera
qualitativement analogue.
9. Conclusions
La mer, incontestablement et inexorablement, monte… Elle le fait à un rythme variable aux
échelles pluriannuelles et décennales qui intègrent les réponses propres des différentes
composantes qui y contribuent au réchauffement global d’une part et à toutes les échelles de
variation climatique d’autre part…Ce rythme risque de s’accroître compte tenu de
l’accélération du mouvement vers la mer des glaciers qui bordent les calottes polaires et dont
les processus sont encore mal pris en compte dans les modèles.
Avec à l’horizon 2100 une perspective d’élévation du niveau moyen des océans qui
pourrait atteindre voire dépasser 1 mètre, perspective nettement supérieure à la
projection la plus pessimiste du quatrième rapport du Giec (2007) qui était de 59
centimètres.
Nous disposons des moyens techniques opérationnels d’observation pour en suivre le
mouvement, en déterminer et quantifier les différentes contributions, comprendre les
mécanismes qui les relient et donc améliorer et alimenter les modèles prévisionnels
d’évolution du climat. Il faut assurer leur pérennité.
À développement durable… système durable d’observation de la planète Terre pour
comprendre et prévoir l’évolution de notre biosphère. Ainsi à défaut, le cas échéant, d’avoir
pris les mesures nécessaires en temps utile pour s’assurer dans l’avenir un confort
climatique, l’Homme aura-t-il au moins la consolation de comprendre le pourquoi des
désagréments auxquels il sera exposé.
À voir aussi :
FAQ :
Quel est le rôle de l'océan dans le changement climatique anthropique?
Commentaires sur les résultats présentés dans le 4ème rapport du GIEC (2007).
Jacques Merle - Mars 2007 - Mis à jour novembre 2007
Pourquoi la connaissance précise du champ de gravité terrestre est-elle si importante pour le climat ? Quels sont les
moyens de mesures actuels ?
François Barlier - Novembre 2010
Autres :
Observation de l'océan depuis l'océan - Mesures in-situ
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