PRÉFACE
60 CPHYSICS IN CANADA /VOL. 67, NO. 2 ( APR.-June 2011 )
a supraconductivité, découverte il y a cent ans le 8
avril 2011 par Heike Kamerlingh Onnes et son équipe,
continue de nous émerveiller. La fameuse expérience
de lévitation que la plupart d'entre vous ont déjà vue,
nous surprend et nous touche tous, scientifiques ou non. Ce qui
surprend le plus le physicien ou la physicienne, peut-être, c'est
la variété de situations où la supraconductivité se manifeste:
dans les solides bien sûr, mais aussi dans les atomes froids,
l'helium-3 superfluide, la matière nucléaire, les étoiles à
neutron... Du point de vue du modèle standard des particules
élémentaires, le vide est un supraconducteur électro-faible. La
supraconductivité est omniprésente en physique.
Transporter l'électricité sans résistance suggère tout de suite
des applications. Le transport de l'énergie bien sûr, mais aussi
des résonateurs pour la téléphonie cellulaire et des électro-
aimants pour l'imagerie médicale et les trains à lévitation et
propulsion électro-magnétique. Les supraconducteurs amènent
à l'échelle humaine la magie de la mécanique quantique: la
lévitation, mais aussi l'interférence. La supraconductivité est au
transistor ce que le laser est à l'ampoule: c'est la forme
cohérente de l'électricité. On se sert déjà de l'interférence dans
des boucles supraconductrices pour fabriquer non seulement
les détecteurs de champ magnétique les plus sensibles mais
aussi des qubits, ces bits quantiques qui pourraient être la base
de l'ordinateur quantique du futur.
Comme bien d'autres phénomènes, la supraconductivité a dû
attendre la découverte de la mécanique quantique avant d'être
comprise. Mais dans ce cas-ci, la solution ne sautait pas aux
yeux des physiciens, même des génies comme Einstein,
Heisenberg, et Feynman. Il n'y avait pas de chemin direct
menant de l'équation de Schrödinger à la supraconductivité.
Deux nouvelles notions étaient nécessaires. Celle de paire de
Cooper et celle de symétrie brisée. Cette dernière notion n'était
pas complètement nouvelle mais c'est par la solution de
Bardeen, Cooper et Schrieffer (BCS) en 1957 qu'elle a
clairement été mise à jour. Ces deux concepts « émergents »
sont encore à la base de notre compréhension de l'état
supraconducteur.
La théorie BCS contenait en plus un mécanisme pour la
formation des paires de Cooper: une interaction attractive
médiée par les vibrations du réseau d'ions. Les
supraconducteurs à haute température (cuprates) découverts il
y a 25 ans ont surpris par leur température de transition
extrême (jusqu'à 164 K), mais aussi par le fait que le
mécanisme de BCS n'expliquait plus les observations. En effet,
alors qu'avec ce mécanisme on ne pouvait pas entrevoir de
supraconductivité à très haute température, il ne semble plus y
avoir de loi fondamentale de la physique qui empêche d'obtenir
un supraconducteur à la température de la pièce. C'est pour la
révolution verte qu'il provoquerait dans le transport de
l'électricité que Scientific American a déclaré, dans son numéro
de juin 2010, que l'avènement de la supraconductivité à
température ambiante serait un des douze événements qui
changeront tout.
Le mécanisme de formation des paires demeure donc le Saint-
Graal du domaine. De nouveaux matériaux sont constamment
découverts. Des organiques aux pnictures de fer, la
supraconductivité apparaît là où on l'attend le moins. Guidés
par le mécanisme originalement proposé par BCS on s'éloignait
du magnétisme, des isolants, de l'oxygène. Maintenant on
cherche des matériaux ayant ces caractéristiques pour trouver
des états supraconducteurs non-conventionnels et à haute
température. L'étude de ces matériaux ouvre une nouvelle
frontière dont les retombées dépassent la supraconductivité
puisque bien d'autres propriétés défient ce que les livres de
physique du solide courants enseignent. Il faut comprendre en
profondeur la physique de Mott, les points critiques
quantiques, le magnétisme, en un mot les corrélations fortes et
leurs conséquences et ce dans une vaste gamme de matériaux.
Ce numéro de La Physique au Canada illustre, dans un
contexte mondial, la contribution canadienne à ce vaste
domaine. L'impact de cette contribution est disproportionné par
rapport à la taille de la communauté scientifique canadienne.
Ceci est dû en bonne partie au leadership et à l'esprit de
coopération suscités par l'Institut canadien de recherches
avancées dont le programme Matériaux quantiques réunit
depuis plus de 20 ans synthétiseurs de matériaux,
expérimentateurs et théoriciens au Canada et à travers le
monde. Le succès de la recherche canadienne vient aussi de la
liberté accordée au chercheur par les organismes
subventionnaires comme le CRSNG et la FCI. Les progrès sur
la route qui mène à la supraconductivité à la température de la
pièce dépendront de cette liberté et de la collaboration à
l'échelle internationale. Puisse ce second siècle de recherche en
supraconductivité être caractérisé par cet esprit.
Louis Taillefer et André-Marie Tremblay
Université de Sherbrooke / ICRA
Rédacteurs honoraires, La Physique au Canada
Les commentaires de nos lecteurs au sujet de cet éditorial sont
bienvenus.
NOTE: Le genre masculin n’a été utilisé que pour alléger le
texte.
LASUPRACONDUCTIVITÉ : PROGRÈS ET PERSPECTIVES
L