La supraconductivité
Texte extrait de «La supraconductivité », Julien Bok, Revue du Palais de la découverte, n0 159, juin 1988.
La supraconductivité découverte en 1911 par H. Kamerlingh Onnes à Leyden (Pays-Bas), est un phénomène
stupéfiant. C’est la disparition de toute résistance électrique dans certains métaux et alliages portés à très
basse température.
Les métaux usuels tels que le cuivre et l’aluminium sont conducteurs de l’électricité. Le courant électrique
dans un métal correspond à l‘écoulement d’un liquide chargé électriquement formé d’électrons se déplaçant
librement dans ce métaL. Mais cet écoulement est visqueux et donc dissipatif. Cette dissipation se manifeste
par un échauffement du fil conducteur lors du passage du courant. Lorsque le métal devient supraconducteur
cette viscosité disparaît, l’écoulement du fluide électronique se fait sans dissipation d’énergie. Un courant
électrique lancé dans un circuit fermé supraconducteur s’y maintient indéfiniment. L’expérience a été
réalisée sur plusieurs années sans que l’on ait pu observer une décroissance du courant supraconducteur.
La supraconductivité était jusqu’à présent liée aux très basses températures. C’est parce qu’il a réussi à Li-
quéfier de l’hélium, et à obtenir des températures de –269 0C ou 4 kelvins, que H. Kamerlingh Onnes a pu
observer La supraconductivité dans le mercure. Les applications potentielles de la supraconductivité sont im-
menses. On peut imaginer le transport d’électricité sans perte, la fabrication de très gros électroaimants, la
suspension des trains par lévitation magnétique, des ordinateurs à très grande densité d’intégration ... Peu
d’applications ont abouti à l’heure actuelle en raison des difficultés et du coût des technologies liées aux très
basses températures*.
Dès la découverte de la supraconductivité, l’ambition des physiciens a été d’augmenter la température
critique Tc (température au-dessous de laquelle le matériau est supraconducteur). De 1911 à 1986, les progrès
ont été lents. Tc est passé de 4 K pour le mercure à 23,3 K pour un composé niobium-germanium. Un bond
considérable a été fait en 1986. Le 17 avril 1986, J. G. Bednoz et K. A. Mùller, chercheurs d’IBM Zurich,
annoncent l’existence d’une Tc de 35 K pour un nouveau matériau supraconducteur. Ce matériau est une
céramique formée d’oxydes métalliques de cuivre, lanthane et baryum. Cette recherche s’appuyait sur les
travaux de l’équipe de B. Raveau à Caen, qui travaillait depuis 1981 sur ces céramiques à base d’oxydes de
cuivre.
Peu après, on a annoncé la découverte d’une céramique à base d’oxydes d’yttrium, baryum et cuivre dont la
Tc est 93 K (-1800C). Le seuil technologique de l’azote liquide (77 K) était franchi. Ceci revêt une
importance énorme car l’azote est très abondant et facile à liquéfier. [...]
La première application qui vient à l’esprit est la distribution d’électricité sans pertes, on estime que le trans-
port actuel par lignes de cuivre entraîne une perte par effet Joule de 7% environ, ce qui sur la consommation
mondiale, représente des milliards de dollars par an. Pour obtenir des pertes aussi faibles, on est conduit à
utiliser des lignes à très haute tension, jusqu’à 500 000 volts. Cette technique est assez coûteuse, elle nécessi-
te des stations de transformateurs au départ et à l’arrivée et des technologies d’isolation délicates. Elle en-
traîne aussi des nuisances dans l’environnement ionisation de l’air, parasites divers, etc. Des lignes de trans-
port supraconductrices ont été envisagées aux États-Unis, il y a une quinzaine d’années, mais la nécessité
d’utiliser l’hélium liquide, fluide cryogénique cher (40 F Le litre environ) n’a pas permis à ces projets
d’aboutir pour des raisons économiques. L’utilisation de l’azote liquide, fluide environ cinquante fois moins
cher, permettrait de relancer ce projet. Pour cela, il faut trouver des matériaux dont la température critique
soit nettement supérieure à la température d’ébullition de l’azote (77 K ou -1960C). »
*Les supraconducteurs sont utilisés dans les électroaimants qui créent des champs magnétiques intenses sans perte d’énergie (les
accélérateurs de particules, l’IRM, imagerie par résonance magnétique. etc). Des appareils permettant de mesurer des courants, des
tensions et des champs magnétiques avec une sensibilité sans précédent ont également été mis au point. Les applications de la
supraconductivité sont nombreuses et la recherche dans ce domaine est prometteuse.
Remarque : à ce jour, on a découvert des matériaux supraconducteurs à des températures critiques bien supérieures à 100 K.