Comparaison des politiques d’incitation à l’emploi des salariés âgés au Danemark, en Finlande et en Suède Dominique Redor* Le Danemark, la Suède, et dans une moindre mesure la Finlande 1, ont un système de protection sociale qualifié par certains théoriciens de « social-démocrate scandinave » (Esping-Andersen, 1990). Celui-ci se différencie nettement du modèle « conservateur-corporatiste » d’Europe continentale (dont font partie l’Allemagne, l’Italie, et dans une moindre mesure la France) et du modèle de protection sociale libéral anglo-saxon (cf. encadré 1) Encadré 1 : Les trois grands systèmes de protection sociale selon Esping-Andersen (1990) • Le régime social démocrate de type scandinave (exemples : le Danemark et la Suède) est universel et les droits sociaux sont ouverts à tous sur la base la citoyenneté. Il se caractérise par un taux d’emploi élevé (des hommes aussi bien que des femmes). Si la répartition économique sur la base du travail réalisé est fondamentale, la répartition sociale y tient une place très importante. Il assure à tous un niveau élevé de prestations sociales, mais qui sont soumises à un contrôle social fort. De plus ces prestations sociales sont financées par l’impôt. • Le régime corporatiste – conservateur (exemples : l’Allemagne, l’Italie, et dans une certaine mesure la France), se caractérise par la relative faiblesse du taux d’emploi. C’est le statut de salarié qui conditionne l’acquisition des droits sociaux : le système de protection sociale est financé pour l’essentiel par les cotisations calculées sur les rémunérations. Dans la mesure où l’éligibilité aux droits sociaux est conditionnée à la qualité de salarié, les périodes de chômage élevé ont des conséquences sociales beaucoup plus graves que dans le régime social-démocrate. • Dans le régime libéral (exemple : les États-Unis), la répartition du revenu national dépend essentiellement de facteurs économiques (les rémunérations), le taux d’emploi est élevé et la répartition sociale joue un rôle mineur. De nombreux risques considérés comme sociaux dans les deux autres régimes sont couverts par des assurances privées. L’offre de services sociaux est limitée, soumise à des conditions de ressources et souvent stigmatisante. La protection, pour sa partie collective, est financée par l’impôt. * Professeur à l’université de Marne-la-Vallée, directeur du GIP « Mutations des industries et des services ». 1 Même si la Finlande n’est pas, au sens strict, un pays scandinave, elle peut être rattachée à ce modèle type de protection sociale. 251 RFAS No 4-2003 De même que la plupart des autres pays européens, ces trois pays ont connu une grave crise de l’emploi dans les années quatre-vingt, et jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix. Ceci a mis en difficulté le système de protection sociale qui a la particularité de représenter une part élevée du PIB, et d’être financé essentiellement par l’impôt (Redor, 1999, chapitre 6). D’importantes mesures d’adaptation et de réforme ont été prises dès les années quatre-vingt-dix, visant à développer un système de workfare nettement différent cependant du workfare britannique qui, lui, s’inscrit dans le système de type libéral anglo-saxon. Le Danemark et la Suède, depuis fort longtemps, ont pratiqué des politiques visant à réaliser l’emploi le plus élevé possible de leur population (Kosonen, 1999). Au cours de la période récente, ils ont été rejoints par la Finlande avec un double objectif : – un haut niveau de protection sociale est maintenu pour l’ensemble de la population, cependant l’obtention des droits sociaux est soumise à un contrôle social renforcé. Ceci implique, notamment pour les personnes âgées de plus de 55 ans, un durcissement de l’accès aux pensions d’invalidité, aux pensions de chômage, et aux préretraites, avec des modalités qui peuvent varier suivant les pays. Étant donné le vieillissement de la population, particulièrement sensible dans les pays d’Europe du Nord, les personnes âgées de plus de 55 ans représentent une ressource importante pour éviter la décroissance de l’emploi total ; – l’incitation à l’emploi des chômeurs ou des actifs âgés peut être conçue de différentes façons (Kosonen, 1999). Les pays qui nous intéressent ici, ont choisi tout d’abord de réorienter les mesures « passives » vers des mesures « actives », substituant aux subventions ou indemnités versées aux chômeurs ou aux inactifs (pensions de préretraite ou d’invalidité), des investissements en formation ou requalification, ou encore dans les capacités de travail de la main-d’œuvre. De plus les mesures d’incitations financières ont été systématiquement préférées à des pénalités, sanctions ou contraintes légales ou réglementaires. L’incitation à chercher et reprendre un emploi pour les seniors est ainsi souvent conçue comme une aide à la mobilité du chômage vers l’emploi, de l’emploi à l’emploi (en cas de requalification), voire de la retraite à l’emploi (en cas d’autorisation de cumul emploi-retraite). L’objectif de la présente contribution est tout d’abord d’analyser les mesures qui ont été prises pour accroître l’emploi des seniors, c’est-à-dire des personnes âgées de plus de 55 ans, dans le cadre de ce workfare. Il s’agit du contenu des nouvelles règles, et nous examinerons successivement les mesures qui ont été prises pour diminuer les préretraites et promouvoir la retraite partielle, ainsi que les dispositions autorisant, dans certaines limites, à cumuler une pension de retraite ou de préretraite avec certaines formes d’emploi. Il sera montré que les chômeurs et invalides âgés ont eux aussi été incités à prendre un emploi, avec les modifications des régimes de 252 Comparaison des politiques d’incitation à l’emploi des salariés âgés au Danemark, en Finlande et en Suède pensions de protection sociale les concernant. Nous examinerons également les primes à l’emploi qui sont accordées aux travailleurs seniors qui acceptent de renoncer temporairement à certains droits à la préretraite ou à la retraite. Puis une attention spéciale sera portée aux programmes de formation et de « réhabilitation » des travailleurs seniors. Enfin les modalités d’application et l’efficacité des réformes entreprises feront l’objet d’une tentative d’évaluation et, en conclusion, nous nous interrogerons sur les conditions dans lesquelles elles ont été élaborées, notamment sur la participation des partenaires sociaux à l’élaboration de ces réformes. Encadré 2 : Méthodologie de l’étude de L’emploi des seniors en Europe Le présent article utilise en partie les résultats d’une étude réalisée par le GIP « Mutations des industries et des services » pour la DARES. Le texte de cette étude (Violaine Delteil, Dominique Redor : L’emploi des salariés de plus de 55 ans en Europe du Nord, février 2003) peut être consulté sur le site du ministère du Travail (www.travail.gouv.fr). Cette étude est fondée sur une série d’entretiens qualitatifs réalisés entre janvier et novembre 2002 auprès d’experts, d’universitaires, de membres de l’administration du Travail, et de représentants des salariés et des employeurs des pays étudiés. Elle s’appuie également sur l’analyse de monographies, de documents et d’études recueillis lors des séjours à l’étranger, et sur une bibliographie spécialisée sur l’emploi des seniors. Certains de ces documents sont cités dans la bibliographie du présent article. Les autres sont répertoriés dans l’étude mentionnée ci-dessus. n Prolonger les fins de carrières : diminution des préretraites et promotion des retraites partielles Avant la réforme : de nombreux départs en retraite anticipée Le Danemark, la Finlande et la Suède ont connu une période de forte montée du chômage particulièrement au cours de la phase dépressive du cycle européen dans les années 1990-1995. Cette crise de l’emploi a été particulièrement ressentie en Finlande, avec la chute de l’URSS et la dépression économique qui l’a suivie en Russie. De même en Suède, ces années ont correspondu à de profonds déséquilibres macroéconomiques. Au cours de cette période, le taux d’emploi des seniors âgés de 55 à 64 ans a baissé davantage que celui du reste de la population. En effet, dans les trois pays, les dispositifs institutionnels préexistants ont été utilisés pour amortir 253 RFAS No 4-2003 le choc macroéconomique sur l’emploi. Dans ce cas, comme dans la plupart des autres pays européens, ce sont surtout les sorties anticipées d’activité institutionnalisées au cours des années soixante-dix et quatre-vingt qui ont été utilisées. Au Danemark, le système de préretraite datait de 1978 (Hansen, 2000, p. 175). Il était réservé à l’origine aux personnes ayant atteint 60 ans, et qui avaient cotisé à l’assurance chômage pendant au moins vingt-cinq ans. Lors de la crise des années quatre-vingt-dix, ce programme de préretraite fut étendu aux chômeurs ayant atteint 55 ans, et même 50 ans (de 1994 à 1996). Parallèlement, les pensions d’invalidité pouvaient être accordées, jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, pour les personnes âgées de 50 à 67 ans, non pas seulement pour des raisons médicales, mais en raison des difficultés particulières qu’elles rencontraient pour trouver un emploi sur le marché du travail (Jensen, 2002, p. 61-62). Au début des années quatre-vingt-dix, sur 25 000 nouvelles pensions d’invalidité attribuées, 8 000 l’étaient sur critères exclusivement sociaux. En Finlande également, les départs précoces en retraite ont été encouragés au cours de cette période. Tout d’abord des « pensions de chômage » étaient versées à partir de 56 ans aux chômeurs de longue durée qui avaient épuisé leurs droits à l’allocation chômage. Ils étaient ainsi dispensés de recherche d’emploi, et disparaissaient des statistiques de chômage. Les pensions d’invalidité furent, de plus, accordées généreusement aux travailleurs âgés. Au début des années quatre-vingt-dix, le quart des personnes âgées de 59 ans bénéficiaient d’une pension d’invalidité. Dans la classe d’âge 60 à 64 ans, à la même date, 30 % des personnes recevaient une pension d’invalidité, 18 % une pension de chômage, et 17 % une préretraite. Il existait deux possibilités de préretraites : la « préretraite individuelle » à partir de 55 ans pour les personnes qui avaient travaillé depuis au moins trente ans, et dont les capacités de travail étaient réduites. Par ailleurs, une « préretraite pour les personnes âgées » était possible à partir de 60 ans dans le secteur privé, et 58 ans dans le public (en 1995, la première concernait 20 % des personnes âgées de 63-64 ans et la seconde 10 % ; Employment Observatory, 1999). En Suède, les pensions d’invalidité ont également été largement utilisées comme moyen de passage de l’emploi à la retraite (Palme, Svensson, 1999, p. 384-389). En effet les critères d’attribution des pensions d’invalidité étaient très souples, de plus elles offraient des prestations supérieures aux pensions de chômage. En 1994, au sommet de la crise de l’emploi, 37 % des hommes de 64 ans, et 34 % des femmes, recevaient une pension d’invalidité, alors que 9 % des personnes de 64 ans (hommes et femmes) bénéficiaient officiellement d’une préretraite. Cependant, avant même que la situation de l’emploi se soit réellement améliorée, les trois pays, à partir du milieu des années quatre-vingt-dix, ont commencé à réviser de façon fondamentale leurs politiques de l’emploi. 254 Comparaison des politiques d’incitation à l’emploi des salariés âgés au Danemark, en Finlande et en Suède L’objectif était d’accroître les taux d’activité et d’emploi de la population dans son ensemble, avec un accent particulier sur les classes d’âge supérieures à 54 ans. Les projections (Eurostat, 2001, p. 126) montrent les effets très importants du vieillissement démographique à échéance de vingt ans. Alors qu’en 2000, les personnes de 60 ans et plus représentaient 22 % de la population totale en Europe du Nord, elles représenteront, en 2020, 25 % au Danemark, 28 % en Suède, et 29 % en Finlande. Outre les risques de pénuries de main-d’œuvre sur le marché du travail, déjà sensibles à la fin des années quatre-vingt-dix, l’équilibre des systèmes de retraite et de protection sociale était en question, dans des pays traditionnellement peu ouverts à l’immigration étrangère. Deux catégories de mesures en direction de la population ont été prises. La première a consisté à établir une législation plus restrictive ou (et) diminuer les incitations financières aux départs anticipés en retraite, quelle qu’en soit la forme (préretraite, pensions de chômage, pensions d’invalidité). Parallèlement, la retraite partielle a été promue au Danemark et en Finlande, qui sur ce point ont mené une politique opposée à celle de la Suède. La seconde a consisté à créer des incitations financières (prime à l’emploi), mais aussi non financières (formation/requalification/réhabilitation) à l’emploi des seniors. Ajoutons que les mesures très importantes de réforme des systèmes de retraite menées dans les trois pays à partir du milieu des années quatrevingt-dix ne sont pas traitées ici 1. Les réformes des préretraites et de la retraite partielle Au Danemark, la réforme de 1999 a inclus à la fois le système de préretraite et de retraite partielle (Jensen, 2002). Jusqu’en 1999, étaient éligibles à la préretraite les personnes ayant cotisé au chômage pendant vingt ans au cours des trente dernières années. De plus, ces personnes ne pouvaient pas cumuler leur retraite avec un travail de plus de 200 heures par an. Par ailleurs, il existait une retraite partielle pour les personnes travaillant de 12 à 27,5 heures par semaine. La loi de juillet 1999 a durci les conditions d’éligibilité puisqu’il faut, depuis cette date, avoir cotisé vingt-cinq ans, au cours des trente dernières années, pour bénéficier de la préretraite. De plus la préretraite doit à présent être financée par une contribution spéciale. Par ailleurs, les conditions du cumul de la pension de retraite et de l’emploi ont été très assouplies et ont inclus la retraite partielle. En effet, suivant la nouvelle réglementation, tout préretraité peut travailler jusqu’à 29,6 heures par semaine. Le montant de la pension de préretraite est automatiquement diminué en proportion du temps travaillé. 1 Voir la partie réservée à ce sujet dans le présent numéro. 255 RFAS No 4-2003 Cette réforme, contrairement aux traditions sociales danoises, n’a pas fait l’objet d’une large concertation avec les partenaires sociaux, et elle a été fortement contestée par les syndicats (Delteil, Redor, 2003, p. 135-143). Tout d’abord la pension de préretraite a été réduite (elle est passée de 100 % à 91 % de l’indemnisation du chômage correspondante), ensuite, les opportunités de travail à temps partiel sont très inégales selon les qualifications et les secteurs d’activité, ce qui introduit une forte inégalité dans les possibilités de cumuler un emploi à temps partiel et une partie de la préretraite. En Finlande, des restrictions aux préretraites ont été imposées à partir de 1994. La limite pour bénéficier des préretraites individuelles est passée de 56 à 58 ans (Employment Observatory, 1999). Quant aux retraites partielles, elles avaient été introduites à la fin des années quatre-vingt afin de rendre le passage à la retraite plus tardif et plus progressif, et elles devaient offrir une alternative par rapport aux pensions d’invalidité et de chômage. Jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix, elles ont cependant connu une extension très limitée. En 1998, il fut décidé de rendre le dispositif plus attractif en abaissant l’âge de la retraite partielle à 56 ans (Takala, 1999). Ceci a entraîné un développement relatif des retraites partielles. Alors qu’elles s’élevaient à peine à 1 000 au début des années quatre-vingt-dix, elles atteignaient 10 000 en 1998 et 20 000 en 2000 (Ministry of Labour, 2000, p. 56). Néanmoins, ce volet de la réforme finlandaise (restrictions sur les préretraites, développement des retraites partielles) laisse sceptiques les analystes finlandais eux-mêmes. Tout d’abord le nombre de préretraites a effectivement décru, mais dans le même temps, le chômage des plus de 55 ans a peu diminué, surtout il est resté constant pour les personnes non qualifiées. De ce fait, le chômage est demeuré un moyen de transition entre l’emploi et la retraite pour une forte proportion de salariés (Takala, 1999, p. 6). Certains se demandent dans quelle mesure les pensions de chômage n’ont pas remplacé les préretraites (Ministry of labour, 2000, p. 5). Par ailleurs, la montée des retraites partielles est difficile à interpréter. Elle est notamment trop récente pour déterminer si les préretraites concernent des personnes qui de toute façon auraient conservé leur emploi, ou au contraire auraient cessé leur activité (Takala, 1999, p. 3-4). De plus en Finlande, comme dans les autres pays, la retraite partielle ne se développe que dans les secteurs et pour les qualifications où le travail à temps partiel est déjà répandu (Takala, 1999, p. 9 à 12). En Suède, la réforme des retraites, mise en application à partir de 2001, est la pierre angulaire de la stratégie visant à prolonger l’emploi des seniors 1. La plupart des changements qui sont intervenus depuis le milieu des années 1 Voir l’article de Ole Settergren dans le présent numéro. 256 Comparaison des politiques d’incitation à l’emploi des salariés âgés au Danemark, en Finlande et en Suède quatre-vingt-dix ont pour objectif de limiter, voire de supprimer, les possibilités de départ en dehors du système de retraite. En ce sens, les changements sont fondés tout autant sur la réglementation et les contraintes légales que sur les incitations financières du nouveau système de pension de retraites. Le « modèle suédois » apparaît sur ce point nettement différent des modèles danois et finlandais. Une autre particularité du système suédois est qu’il privilégie l’emploi des seniors à plein temps au détriment du temps partiel, jugé trop coûteux. En effet, au cours des années soixante-dix avaient été mis en œuvre des dispositifs attractifs pour les retraites partielles à partir de 59 ans. Une des formules les plus intéressantes pour les salariés permettait de compenser, grâce à une subvention de l’État, 65 % de la perte de salaire induite par la réduction du temps de travail. Les dispositifs favorables à la réduction du temps de travail en fin de carrière ont connu un grand succès dans les années quatre-vingt, et ont atteint leur maximum en 1993-1994, au moment où le chômage était le plus élevé. À cette date, le pourcentage de personnes employées à temps partiel était pour la classe d’âge de 60 à 64 ans de 46,5 % pour les hommes, et de 68,5 % pour les femmes (pour respectivement 9,6 % et 45,9 % pour les personnes âgées de 16 à 64 ans ; Wadensjö, 2001). Pour les entreprises, pendant cette période de crise, ce modèle d’emploi a constitué un élément de flexibilité du coût salarial. Malgré cela, dès 1995, l’État a fortement diminué les subventions en faveur des retraites partielles, entraînant une rapide diminution de celles-ci. Cependant les voies d’une retraite anticipée sont multiples et l’on peut se demander dans quelle mesure les restrictions sur les préretraites (voire, dans le cas de la Suède, sur les retraites partielles) se sont reportées sur les pensions d’invalidité, et les pensions de chômage. n La réforme du système des pensions de chômage, d’invalidité et la prime à l’emploi des seniors Les pensions de chômage et d’invalidité et l’emploi des seniors Au Danemark, d’une manière générale, l’incitation à prendre un emploi s’est traduite par une restriction des droits des chômeurs, l’objectif étant de créer une incitation plus forte aux chômeurs pour retrouver un emploi (Jøergensen et alii, 2000, p. 164-165). À partir de 1995, les plans personnalisés (handlings plan) sont venus compléter ces dispositifs. Il s’agit d’un contrat passé entre le service public de l’emploi et les chômeurs. Le non-respect de ce contrat peut entraîner, pour la personne concernée, la perte des allocations de chômage. Cette politique d’activation s’est appliquée aux chômeurs âgés. Rappelons que les pensions de chômage ont 257 RFAS No 4-2003 été réduites (voir ci-dessus). Les agences locales de l’emploi ont pris en charge la plus grande part de la politique de l’emploi à l’égard des chômeurs âgés. L’objectif est de traiter les seniors de la même façon que les autres travailleurs (Hansen, 2000, p. 193-194). Néanmoins ceux-ci bénéficient jusqu’à 60 ans de sessions de formation-requalication adaptées. À la fin des années quatre-vingt-dix, parmi les personnes n’ayant pas d’emplois, entre 55 et 59 ans, les plus nombreuses étaient les titulaires de pensions d’invalidité (43,6 %), suivis des chômeurs (17,9 %). Entre 60 et 66 ans, les préretraites dominaient (52,6 %), suivies des pensions d’invalidité (35,6 %) (Bingley, Gupta, Petersen, 2002). Or, le système de pension d’invalidité a lui-même été réformé en 1999 et 2000. En effet, les pensions d’invalidité ne sont plus à présent financées par l’État, mais par les municipalités qui décident de leur attribution (Jensen, 2002, p. 14-16). Même si les pensions d’invalidité ne concernent pas spécifiquement les seniors, ceux-ci sont les premiers touchés par la réforme. En effet, les critères sociaux d’attribution qui les concernaient particulièrement (impossibilité de trouver localement un emploi compte tenu de la qualification des personnes considérées) sont supprimés, au profit du seul critère d’incapacité physique et (ou) intellectuelle d’exercer une activité professionnelle. En Finlande, les pensions de chômage ont été progressivement réduites (âge minimum fixé à 60 ans), et finalement, à partir de 2001, supprimées pour les personnes nées après 1949 (Hietanen, 2001, p. 2). Jusqu’à 65 ans ces personnes percevront les indemnités de chômage, selon les mêmes conditions que les autres chômeurs. D’une manière générale, la situation des chômeurs âgés à la fin des années quatre-vingt-dix en Finlande était considérée comme défavorable (Employment Observatory, 1999, p. 81-82). Tout d’abord la possibilité de retrouver un emploi non aidé pour les personnes de plus de 55 ans était faible (5 % en une année pour les hommes, 4 % pour les femmes), malgré les programmes de formation mis en œuvre. Ceci montre les limites des politiques fondées sur l’incitation de l’offre de travail de la part des travailleurs âgés, si par ailleurs la demande de travail des entreprises n’est pas elle-même transformée. Le comportement des entreprises a été pris en compte en Finlande par la réforme de 1997. Celle-ci a, en effet, transféré une fraction des coûts des pensions de chômage et d’invalidité sur les employeurs au prorata de la taille des entreprises. La participation de celles-ci au financement de la pension de chômage est de 50 % au maximum (pour les entreprises de plus de 300 salariés). La contribution au financement de la pension d’invalidité est de 100 % maximum (pour les entreprises de plus de 1 000 salariés). Cependant ces mesures ont pu avoir un effet dissuasif sur l’embauche des salariés âgés. Pour contrer cet effet pervers, une mutualisation des risques liés à l’embauche des travailleurs de plus de 50 ans a été instituée en 1999. 258 Comparaison des politiques d’incitation à l’emploi des salariés âgés au Danemark, en Finlande et en Suède Suivant cette mesure, le dernier employeur d’un salarié de plus de 50 ans partage les risques afférents à cette embauche pendant trois ans avec les précédents employeurs. En Suède, dès 1992, les conditions d’accès à la pension d’invalidité qui précédemment ont constitué la principale modalité de passage indirect de l’emploi à la retraite (notamment pour les chômeurs parvenus en fin de droit) ont été durcies. En effet, le critère d’attribution d’une pension lié à l’impossibilité de trouver un emploi sur le marché du travail a été abandonné pour les personnes de moins de 63 ans (Olofsson, Petersson, 1994). Ces mesures ont entraîné une baisse sensible du nombre de nouvelles pensions d’invalidité accordées chaque année. En 1992, elles se sont élevées à 60 000, et sont tombées à 34 000 en 1999, tous âges confondus. Pour la classe d’âge 60-64 ans, elles sont passées de 20 000 en 1992, à 7 600 en 1998 (Wadensjö, 2001). Le régime de chômage a également été l’objet d’une réforme allant dans le même sens d’une prolongation de l’activité des seniors. Dans le but affiché de tenter de raccourcir la durée du chômage (quel que soit l’âge), le taux de remplacement de la rémunération précédant le chômage est passé de 90 à 75 % (Olofsson, 2001). Par ailleurs, l’exemption de recherche d’emploi ou de participation à des programmes de formation, accordées jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix aux chômeurs âgés, a été remise en cause par la réforme du régime général du chômage 1. En effet, depuis 1997, l’éligibilité aux indemnités pour tous les chômeurs est conditionnée à l’acceptation d’un emploi « soutenable », ou d’un programme de formation (Sianesi, 2001). L’année 2000 a confirmé la direction suivie jusqu’alors, avec la mise en place d’un programme « d’activité garantie ». Ce programme destiné aux chômeurs inclut l’ensemble des mesures de politique de l’emploi : les programmes de formation, les programmes valorisant l’expérience professionnelle et les mesures de subvention à l’emploi (Arnkil, Spangar, 2001). Les personnes bénéficiaires de l’activité garantie ne sont pas enregistrées comme chômeurs, mais reçoivent la même compensation que celle versée par le système d’indemnisation du chômage. Le terme « garanti » signifie qu’il n’y a pas a priori de période définie pour la fin du programme. En 2001, un tiers des chômeurs concernés avaient plus de 55 ans (Wadensjö, 2001). Ceci montre que les seniors sont surreprésentés parmi les chômeurs de longue durée et suggère que les programmes d’activité garantie ont pris partiellement le relais des pensions d’invalidité. Si l’on tient compte de l’ensemble des programmes de politiques actives de l’emploi, dont aucun n’est spécialement réservé aux seniors, la participation de ces derniers est élevée. En mars 2001, 55 % des seniors à la recherche d’un emploi participaient à ces programmes. Selon Wadensjö 1 Cf. supra. 259 RFAS No 4-2003 (2001), cette forte participation pourrait expliquer en partie le relèvement du taux d’emploi des seniors à partir de 1998. Il faut aussi noter que dans le cadre de l’activité garantie, le gouvernement a renforcé les aides à l’embauche des chômeurs de longue durée, et en particulier des chômeurs de plus de 57 ans. Pour ces derniers, au chômage depuis plus de deux ans, l’aide versée aux entreprises prend la forme d’une réduction fiscale équivalant à 75 % du coût salarial pour les deux premières années d’embauche. Pour les chômeurs ayant moins de 57 ans, et quatre ans d’ancienneté au chômage, l’aide s’établit à 75 % du coût salarial pour la première année, et 50 % pour la seconde (Sweden Action Plan for Employment, 2000). La prime à l’emploi en faveur des seniors D’une manière générale, les travailleurs seniors sont également incités à prolonger leur activité par les réformes des retraites qui ont été introduites à la fin des années 1990, ou au début des années 2000. C’est particulièrement le cas des réformes qui, comme dans le cas suédois, appliquent le principe de la « neutralité actuarielle » qui revient à prendre en compte pour le calcul de la pension de retraite l’ensemble des revenus salariaux au cours de la totalité du cycle de vie des individus. Dans certains cas d’ailleurs, l’incitation à prendre un emploi, par exemple à temps partiel, s’appuie sur la garantie que la retraite partielle ne diminuera pas le montant final de la pension, voire l’augmentera. Par ailleurs, certains pays (surtout anglo-saxons, mais aussi la France depuis 2000), ont instauré des primes à l’emploi (parfois dénommés « impôts négatifs »), pour inciter les chômeurs ou inactifs à prendre un emploi, même faiblement rémunéré (Cahuc, 2002). Il est intéressant d’examiner les mesures spécifiques de ce type qui ont été prises en faveur des salariés âgés. Pour le Danemark, dans le cadre déjà mentionné ci-dessus de la réforme des préretraites de 1999, une prime fiscale à la prolongation de l’emploi est offerte aux personnes qui ont acquis les droits pour partir en préretraite avant 65 ans, mais acceptent de prolonger leur activité jusqu’à ce terme (Bingley, Gupta, Petersen, 2002, p. 17-18 ; Jensen, 2002). Cette prime est fixe et elle est égale à 50 % du revenu salarial d’un ouvrier qualifié (13 900 euros par an). Cette disposition montre que ce sont les travailleurs les moins qualifiés que l’on veut inciter à prolonger leur activité, les cols blancs et surtout les cadres prennent en effet déjà leur retraite aux alentours de 65 ans (Delteil, Redor, 2003, p. 135). En Finlande également depuis 1998, il existe une prime à l’emploi des chômeurs âgés de plus de 55 ans qui acceptent une activité à temps partiel ou un travail temporaire, et le montant de leurs droits à retraite est garanti. Cependant le montant de la prime est modeste et semble peu attractif (Employment Observatory, 1999). 260 Comparaison des politiques d’incitation à l’emploi des salariés âgés au Danemark, en Finlande et en Suède En Suède, les avantages fiscaux consentis aux personnes en retraite partielle ont été fortement réduits à partir de 1995 (cf. supra). Au total la prime à l’emploi des salariés âgés occupe une place modeste parmi les mesures prises par les pays d’Europe du Nord, surtout si l’on compare aux mesures non monétaires de formation et requalification des travailleurs âgés qui vont être étudiées à présent. Il est possible que ce phénomène soit lié à la nature même des économies et sociétés d’Europe du Nord. En effet, si l’on considère la question du financement des primes à l’emploi dans des sociétés où les inégalités salariales sont faibles, pour que ces dernières aient un impact significatif sur les titulaires de bas revenus, il faut taxer une large part des salariés (disposant de salaires élevés et moyens), ce qui a des effets négatifs sur l’offre de travail de ces catégories (Cahuc, 2002). n Les programmes de formation et d’amélioration des capacités des travailleurs seniors D’une manière générale, il serait erroné de considérer que les mesures en faveur de la prolongation de l’activité des salariés seniors reposent essentiellement sur des incitations financières. Les mesures non financières, fondées sur la formation tout au long de la vie, l’amélioration des conditions de travail et de santé de la population sont, dans les trois pays, considérées comme des facteurs de l’activité et de l’emploi des seniors tout aussi importants que les incitations financières. Ces éléments ont de longue date fait l’objet d’un consensus social au Danemark et en Suède. Au cours des années quatre-vingt-dix, la Finlande a développé un important programme de recherche sur les facteurs de l’activité des seniors qui a donné lieu à de nombreuses décisions visant à améliorer les capacités de travail de la population. Au total les pays d’Europe du Nord sont, dans l’Union, ceux dans lesquels la formation continue aux âges avancés (55-64 ans) est la plus développée, et ceux où les conditions de travail sont les moins pénibles (la pénibilité est mesurée en fonction du pourcentage de personnes supportant des charges lourdes, des mauvaises postures ou des tâches répétitives ; Delteil, Redor, p. 262-263). Au Danemark, la formation en alternance est importante, et de plus en plus de personnes de plus de 40 ans reprennent des études universitaires. Finalement de nombreux « étudiants », quelle que soit la classe d’âge à laquelle ils appartiennent (moins de 25 ans, mais aussi parfois beaucoup plus), travaillent à temps partiel, et parfois même à plein temps, tout en poursuivant des cycles de niveau universitaire (Andersen, 2002). La formation continue concerne 63 % des personnes de 55 à 64 ans, (80 %) pour les classes d’âge inférieures. 261 RFAS No 4-2003 De plus le ministère du Travail a lancé en 1998 un programme (Finansministeriet, 1999, p. 4-5), pour aider les entreprises à intégrer les seniors dans leur organisation. En effet, les entreprises peuvent obtenir grâce à un financement du ministère, les services de sociétés de conseil spécialisées pour améliorer les conditions de travail des seniors. En Finlande, à l’initiative et sous la direction de l’Institut de santé professionnelle, a été lancé le programme « Finn Age, respect for the ageing ». L’objectif de ce programme était de prévenir le déclin prématuré des capacités de travail des salariés vieillissants par la promotion de leur santé, de leur capacité de travail, et de leur bien-être. Les orientations pour la période suivante ont été fixées par un comité incluant tous les partenaires sociaux. Ce comité est à l’origine des quarante mesures qui sont incluses dans le programme national pour les travailleurs vieillissants (1998-2002), ce programme est cogéré et cofinancé par les ministères des Affaires sociales, du Travail et de l’Éducation avec le soutien du Fonds social européen. Suivant Ilmarinen (2001), « le maintien des capacités de travail peut être à l’origine de gains partagés entre différents groupes d’acteurs : gain en termes de bien-être pour les salariés, gain en productivité et qualité de travail pour les entreprises, gain pour la collectivité en raison du recul de l’âge de départ en retraite. » Finalement, le programme national finlandais pour les travailleurs vieillissants se distingue d’autres voies suivies en Europe sur deux points fondamentaux. : – il relève tout d’abord d’une approche collective incluant la totalité des partenaires sociaux, et ne fait pas prioritairement appel aux incitations financières dirigées vers les salariés. L’objectif est plutôt de donner aux salariés âgés, en améliorant leurs capacités de travail, la possibilité d’accroître leurs performances et de ce fait leurs rémunérations ; – ensuite, les mesures proposées sont non autoritaires et non coercitives, ce qui suppose qu’elles fassent l’objet d’une large consultation et d’un consensus social. En matière de formation des travailleurs et chômeurs âgés, la Finlande, jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, était très en retrait par rapport au Danemark et à la Suède (Delteil, Redor, 1999, p. 107). Mais à partir de 1997, des formations ont été systématiquement proposées aux chômeurs de longue durée, dans le cadre du programme national pour les salariés âgés. Il semble cependant que ces formations aient peu profité aux chômeurs âgés (Myrmann, 2000 ; Employment Observatory, 1999, p. 81-82). Les difficultés rencontrées par les chômeurs âgés plaident en faveur du renforcement de la formation continue à tous les âges de la vie. C’est ce qui était également prévu par le programme national. Dans ce cadre, une aide financière à la formation pour une durée de dix-huit mois est offerte aux salariés (la durée est 262 Comparaison des politiques d’incitation à l’emploi des salariés âgés au Danemark, en Finlande et en Suède fonction du nombre d’années travaillées, ce qui favorise les salariés âgés). Cette aide peut être utilisée intégralement ou répartie en plusieurs périodes. La Suède est, quant à elle, le pays où la formation continue est la plus développée en Europe, y compris pour les classes d’âge supérieures à 45 et à 55 ans (Delteil, Redor, 2003, p. 263, et Eurostat, Labour Froce Survey, 2001). Outre un système de formation professionnelle qui favorise l’alternance et la formation continue, de nombreux dispositifs permettent le financement de la formation tout au long de la vie. La formule épargne-formation est bien adaptée et poursuit son développement. Au début de l’année 2002, une telle formule a été négociée entre syndicats de salariés et groupements d’employeurs. Il était prévu qu’elle fonctionne sur la base du volontariat. Les personnes intéressées pouvaient cotiser à un fonds spécialement constitué à cet effet. La contribution de chaque salarié s’élevait à 2 % de sa rémunération, à laquelle s’ajoutaient une contribution de l’entreprise et une incitation fiscale. Ce compte d’épargne-formation pouvait servir à financer des périodes de formation-requalification tout au long de la vie. Dans le prolongement de l’accord européen de mars 2002 sur la formation tout au long de la vie, la loi suédoise de juin 2002 a repris certaines des dispositions conventionnelles du début de cette même année, en les améliorant. Aux termes de la loi, tous les salariés sont concernés par l’épargne-formation, et des encouragements fiscaux sont prévus pour les personnes qui prennent un congé formation, mais aussi pour les entreprises qui contribuent à ces périodes de formation (Berg, 2003). n Premiers éléments d’évaluation des politiques d’incitation à l’emploi des seniors Maintien d’un haut niveau de protection sociale pour les seniors La politique d’incitation à l’emploi des personnes âgées de plus de 55 ans, mise en place à partir du milieu des années quatre-vingt-dix, constitue en fait une adaptation, et non un bouleversement, du modèle social-démocrate scandinave défini en introduction. Certes le système de workfare dans les trois pays a abouti à restreindre le nombre de pensions d’invalidité et de pensions de chômage accordées aux travailleurs âgés de plus de 55 ans. Il en est de même des préretraites dont les conditions d’accès ont été beaucoup durcies. De plus, l’accès au statut de chômeur a été soumis à des conditions strictes d’acceptation des emplois ou (et) des stages de formation, qui sont proposés aux chômeurs âgés, de la même façon que pour les classes d’âge inférieures. 263 RFAS No 4-2003 Il n’en reste pas moins que le niveau et la durée d’indemnisation du chômage pour les seniors, comme pour les autres salariés, demeurent très supérieurs à la moyenne européenne (Kosonen, 1999). Plus que la contrainte économique, l’attrait des emplois et stages, qui sont offerts aux chômeurs et les rémunérations qui y sont attachées, sont l’incitation principale à reprendre un emploi. De ce point de vue, c’est la formation continue sur la plus grande partie du cycle de vie, ainsi que les cycles de formation et requalification qui sont proposés aux salariés et aux chômeurs, quel que soit leur âge, qui constituent leur principal atout pour se maintenir en emploi, ou trouver un nouvel emploi. Les capacités de travail et l’employabilité supérieures dans les pays d’Europe du Nord ont permis aux seniors âgés de 55 à 59 ans de profiter de l’embellie économique de la fin des années quatre-vingt-dix (cf. graphiques en annexe). En 2000, leur taux d’emploi a rejoint celui de la moyenne de la population en Suède (hommes et femmes) et au Danemark (hommes), ou s’en est approché (femmes au Danemark, hommes et femmes en Finlande). Il faut mentionner cependant que les politiques engagées ont eu jusqu’en 2000 un faible impact sur l’emploi de la classe d’âge supérieure (60-64 ans). Principales caractéristiques de la politique de l’emploi des seniors Comment peut-on évaluer les principales dispositions visant à accroître l’emploi des personnes âgées de plus de 55 ans dans les trois pays, sans négliger les différences nationales que l’on peut rencontrer ? L’approche de l’emploi des seniors y a été globale et n’est pas centrée uniquement sur les incitations financières. Certes les leviers financiers n’ont pas été négligés avec la réforme des préretraites et des retraites, et dans certains cas l’instauration de primes à la prolongation de l’activité au-delà de l’âge minimal légal ou conventionnel de cessation d’activité. Mais les évolutions et adaptations concernant la formation, la santé, les conditions de travail tiennent une place fondamentale dans les réformes engagées, et il apparaît que les incitations financières et non financières sont complémentaires et indissolublement liées. Certes, la Suède a joué davantage sur les systèmes de préretraite et de retraite, et le Danemark et la Finlande davantage sur les conditions de travail et de formation. Cette différence est peut-être explicable par l’avance traditionnelle du premier pays par rapport au deuxième et au troisième dans ces domaines. En second lieu, l’ensemble des mesures prises vise à améliorer l’emploi et sa qualité tout au long du cycle de vie, plutôt que d’instaurer des mesures spécifiques pour les seniors. Ceci s’applique spécialement aux chômeurs âgés qui sont de plus en plus assimilés à l’ensemble des chômeurs. Ils y perdent des conditions spéciales d’indemnisation et la dispense de recherche 264 Comparaison des politiques d’incitation à l’emploi des salariés âgés au Danemark, en Finlande et en Suède d’emploi, mais ils y gagnent une formation plus approfondie et, à long terme, du fait de la diminution de la stigmatisation de l’âge, une plus forte probabilité de retrouver un emploi. Le Danemark est exemplaire en la matière puisque les travailleurs seniors ont à peu de choses près les mêmes droits et obligations que les autres salariés (mise à part la possibilité de cumuler la retraite et un emploi à temps partiel). Par ailleurs, les formules de retraite partielle ont, dans les pays du Nord, de même que dans les autres pays européens, les faveurs des salariés âgés (Toomingas, Kilbom, 1999). Néanmoins elles se sont peu développées au cours des années 1990 et au début des années 2000 en Europe du Nord. En premier lieu, la Suède a fortement diminué les subventions antérieures jugées trop onéreuses, et a pris le parti de privilégier l’emploi des seniors à temps plein. Au Danemark et en Finlande, la retraite partielle a connu une extension limitée. Tout d’abord elle entraîne une perte de salaire non négligeable par rapport au temps plein. Ensuite, et surtout, les entreprises sont très réticentes à employer les seniors à temps partiel, si cette forme de travail n’est pas déjà répandue dans leur organisation. Ces analyses concernent uniquement l’offre de travail, qu’en est-il du côté de la demande de travail ? Les enquêtes menées dans les entreprises des pays d’Europe du Nord montrent que celles-ci sont, en moyenne, de même que dans les autres pays européens, peu préparées à intégrer des salariés plus âgés dans leur organisation (Delteil, Redor, p. 21-22). En fait les difficultés sont variables suivant les secteurs. L’emploi des travailleurs manuels de l’industrie ne dépasse guère 59 ans, même en Suède et au Danemark. Ces travailleurs sont soumis en effet durant tout leur cycle de vie à des conditions de travail plus pénibles que les autres (même si l’ergonomie a allégé en partie les contraintes physiques), et ont plus de difficultés à profiter de la formation tout au long de la vie. C’est pourquoi de nombreuses conventions de branches ou d’entreprises continuent à organiser des départs anticipés des « cols bleus ». À l’inverse, les salariés des secteurs des services travaillent jusqu’à un âge plus avancé (64-65 ans). C’est le cas du commerce et des organismes financiers et d’assurances dans lesquels, en outre, le travail à temps partiel est relativement développé. n Conclusion : la place de l’État et des partenaires sociaux dans les réformes On peut donc évaluer positivement les résultats des réformes analysées qui ont amorcé le relèvement de l’emploi des seniors, à l’intérieur d’une politique de l’emploi qui reste généreuse par rapport aux deux autres régimes définis en introduction (libéral et conservateur corporatiste). Certes ce relèvement ne touche jusqu’en 2000 que la tranche d’âge quinquennale des 55-59 ans, mais on peut penser cependant que « l’effet de cohorte » jouera 265 RFAS No 4-2003 dans les années à venir, et que lorsque cette classe d’âge aura vieilli de cinq ans, l’augmentation se répercutera sur la classe d’âge supérieure. Il faut s’interroger, finalement, sur les méthodes, les procédures de concertation et de décisions qui ont permis d’atteindre ce résultat. Il doit être rappelé tout d’abord que dans les trois pays considérés, traditionnellement, les relations de travail, d’emploi et professionnelles sont régies par des conventions, le plus souvent négociées de façon bipartite, entre syndicats de salariés et représentants des employeurs. Les accords nationaux laissent cependant une large autonomie aux secteurs et entreprises pour compléter ou amender ces accords. L’État a un rôle modeste dans ce domaine, il se contente de confirmer, par des lois, les accords les plus importants, et mène une politique économique et de l’emploi qui s’appuie fortement sur un des principaux instruments de régulation indirecte de l’économie : la fiscalité. Cependant, dans le cas présent, dans les trois pays, l’État est intervenu directement et a pris une part très active dans les réformes visant à accroître l’emploi des seniors. Au Danemark, la réforme des préretraites et des retraites partielles de 1999, a été imposée par le gouvernement sans réelle consultation avec les partenaires sociaux, ce qui a entraîné une opposition très forte des syndicats, et compromis, au moins pour un temps, le consensus social dans ce pays (Delteil, Redor, 2003, p. 142-143). En Suède, la réforme des retraites promue par l’État a rencontré une forte opposition syndicale. De même la diminution des avantages fiscaux consentis aux seniors prenant une retraite partielle, à partir de 1995, a été fortement critiquée par les syndicats suédois (Delteil, Redor, 2003, p. 83-85). Enfin en Finlande, l’État a également introduit des mesures restrictives sur les préretraites et les pensions d’invalidité. Surtout, il a joué un rôle moteur en associant tous les partenaires sociaux au programme national pour les travailleurs vieillissants qui a guidé les actions sur les capacités et les conditions de travail au cours de la période 1998-2002. Plusieurs enquêtes d’opinion et les avis des principaux syndicats (Vinni, 2002) montrent que les mesures du programme national ont été bien accueillies du côté des salariés. Elles concernent, en effet, des domaines auxquels les salariés sont spécialement sensibles : les conditions de travail pour les salariés quels qu’ils soient, et particulièrement pour les salariés âgés, ainsi que la sécurisation des fins de carrière. On peut se demander cependant pourquoi, dans les trois pays étudiés, l’État est intervenu aussi directement dans les relations d’emploi. La réponse la plus simple à cette question est que ces réformes n’auraient sans doute pas émergé spontanément des négociations bipartites, car elles heurtent bien souvent les intérêts soit des salariés, soit des employeurs, et parfois des deux en même temps (c’est le cas de la réduction des préretraites 266 Comparaison des politiques d’incitation à l’emploi des salariés âgés au Danemark, en Finlande et en Suède par exemple). Un argument plus théorique peut être emprunté à la théorie des jeux. Il est possible en effet d’interpréter la question de la prolongation de l’emploi des seniors en terme de dilemme du prisonnier, ou encore d’opposition, entre les intérêts de deux groupes sociaux pris individuellement, et l’intérêt de la collectivité. Rappelons que dans cette situation deux agents économiques, en poursuivant chacun leur intérêt individuel, parviennent à une décision qui n’est pas Pareto optimale 1 et nuit aux deux parties qui négocient. Dans le cas de l’emploi des seniors, les salariés peuvent avoir intérêt à ne pas accroître l’âge de leur cessation d’activité, et les employeurs au contraire à l’augmenter de façon à limiter le montant des cotisations à leur charge ou (et) à atténuer les effets des pénuries de main-d’œuvre, sans contrepartie en terme d’amélioration des conditions de travail et de formation pour les seniors. Mais en maintenant le statut quo, les salariés vont voir leur retraite baisser ou vont être obligés de travailler plus longtemps dans de mauvaises conditions. Les entreprises peuvent se trouver confrontées à des pénuries de main-d’œuvre ou être contraintes d’employer des salariés plus âgés démotivés, et dont les capacités de travail seront diminuées. Une intervention extérieure, en l’occurrence celle de l’État, peut permettre de briser le dilemme. Chacun accepte de se soumettre à la loi, car chacun bénéficie du fait que les autres s’y soumettent. On peut se référer ici à la citation, citée plus haut, de Ilmarinen, théoricien finlandais du plan national pour les travailleurs âgés. Encore faut-il que chaque partie sache que l’effort qui lui est demandé est équivalent à celui des autres parties. Il peut y avoir alors un gain collectif à l’accroissement de la production nationale du fait de l’emploi supérieur des seniors. De plus, l’amélioration des conditions de travail est un élément qui accroît la productivité donc la rémunération du travail ainsi que l’efficacité des entreprises. Enfin, on peut aussi se poser la question de savoir si, malgré les interventions directes de l’État, les structures de concertation et de négociations traditionnelles n’ont pas contribué à l’adoption des réformes. Il nous semble que la réponse à cette question est affirmative pour deux raisons : – tout d’abord, les lois et règlements de l’État peuvent toujours être amendés s’il y a accord des partenaires sociaux au niveau des branches et des entreprises. Dans le système juridique suédois, la loi ne constitue pas un minimum qui ne peut être qu’amélioré au bénéfice des salariés, mais c’est 1 Un équilibre est Pareto optimal lorsqu’on ne peut pas améliorer la situation d’un agent sans dégrader celle d’un autre. Dans le cas présent, chacun va préserver le statut quo et refuser la réforme. L’intervention d’un arbitre extérieur, ici l’État, va améliorer la situation des deux agents. Le statu quo n’était donc pas Pareto optimal 267 RFAS No 4-2003 un cadre qui peut être modifié par la négociation collective en cas d’accord bipartite ; – ensuite, certains domaines des relations de travail ne peuvent vraiment être réformés qu’avec le concours des partenaires sociaux au niveau de chaque entreprise. Or les pays étudiés possèdent une tradition de négociation collective de branche et d’entreprise qui inclut l’adaptation des employés à l’évolution technologique et à la concurrence internationale. L’évolution démographique nécessite, de même que ces deux autres phénomènes, des solutions négociées et « coopératives » adaptées à chaque entreprise, voire qui soient conçues « sur mesure » pour chaque catégorie de salariés. Dans le cadre du modèle de négociation collective scandinave, la formation a toujours joué un rôle primordial, visant à développer les qualités de chacun pour le rendre moins vulnérable aux évolutions technologiques et de la concurrence nationale et internationale. La formation tout au long de la vie, par exemple, qui est un élément déterminant de la capacité de travail des seniors s’intègre facilement à ce cadre. En ce sens, le système de négociation collective scandinave, dans sa composante décentralisée a contribué et continuera, à l’avenir, à faciliter l’introduction dans les entreprises des réformes concernant l’emploi des seniors. 268 Comparaison des politiques d’incitation à l’emploi des salariés âgés au Danemark, en Finlande et en Suède Annexe Graphiques 1 et 2 : Évolution du taux d’emploi au Danemark suivant les classes d’âge Source : OCDE, Données démographiques. Graphiques 3 et 4 : Évolution du taux d’emploi en Finlande suivant les classes d’âge Source : OCDE, Données démographiques. 269 RFAS No 4-2003 Graphiques 5 et 6 : Évolution du taux d’emploi en Suède suivant les classes d’âge Source : OCDE, Données démographiques. Graphiques 7 et 8 : Évolution du taux d’emploi dans l’Union européenne suivant les classes d’âge Source : OCDE. 270 Comparaison des politiques d’incitation à l’emploi des salariés âgés au Danemark, en Finlande et en Suède Bibliographie ANDERSEN J.G., (2002), Destandardisation of the life course in the context of a Scandinavian welfare model : the case of Denmark, Paper prepared for Seminar « Recomposing the stages of life course », Maison de sciences de l’homme, Paris, June 5-6. 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