Comparaison des politiques d`incitation à l`emploi des

Comparaison des politiques d’incitation
à l’emploi des salariés âgés au Danemark,
en Finlande et en Suède
Dominique Redor*
Le Danemark, la Suède, et dans une moindre mesure la Finlande 1, ont un
système de protection sociale qualifié par certains théoriciens de
« social-démocrate scandinave » (Esping-Andersen, 1990). Celui-ci se dif-
férencie nettement du modèle « conservateur-corporatiste » d’Europe
continentale (dont font partie l’Allemagne, l’Italie, et dans une moindre
mesure la France) et du modèle de protection sociale libéral anglo-saxon
(cf. encadré 1)
Encadré 1 : Les trois grands systèmes de protection sociale
selon Esping-Andersen (1990)
Le régime social démocrate de type scandinave (exemples : le Dane-
mark et la Suède) est universel et les droits sociaux sont ouverts à tous sur la
base la citoyenneté. Il se caractérise par un taux d’emploi élevé (des hom-
mes aussi bien que des femmes). Si la répartition économique sur la base du
travail réalisé est fondamentale, la répartition sociale y tient une place très
importante. Il assure à tous un niveau élevé de prestations sociales, mais qui
sont soumises à un contrôle social fort. De plus ces prestations sociales sont
financées par l’impôt.
Le régime corporatiste – conservateur (exemples : l’Allemagne, l’Italie,
et dans une certaine mesure la France), se caractérise par la relative fai-
blesse du taux d’emploi. C’est le statut de salarié qui conditionne l’acquisition
des droits sociaux : le système de protection sociale est financé pour l’essen-
tiel par les cotisations calculées sur les rémunérations. Dans la mesure où
l’éligibilité aux droits sociaux est conditionnée à la qualité de salarié, les
périodes de chômage élevé ont des conséquences sociales beaucoup plus
graves que dans le régime social-démocrate.
Dans le régime libéral (exemple : les États-Unis), la répartition du revenu
national dépend essentiellement de facteurs économiques (les rémunéra-
tions), le taux d’emploi est élevé et la répartition sociale joue un rôle mineur.
De nombreux risques considérés comme sociaux dans les deux autres régi-
mes sont couverts par des assurances privées. L’offre de services sociaux
est limitée, soumise à des conditions de ressources et souvent stigmatisante.
La protection, pour sa partie collective, est financée par l’impôt.
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*Professeur à l’université de Marne-la-Vallée, directeur du GIP « Mutations des industries et
des services ».
1Même si la Finlande n’est pas, au sens strict, un pays scandinave, elle peut être rattachée à ce
modèle type de protection sociale.
De même que la plupart des autres pays européens, ces trois pays ont connu
une grave crise de l’emploi dans les années quatre-vingt, et jusqu’au milieu
des années quatre-vingt-dix. Ceci a mis en difficulté le système de protec-
tion sociale qui a la particularité de représenter une part élevée du PIB, et
d’être financé essentiellement par l’impôt (Redor, 1999, chapitre 6).
D’importantes mesures d’adaptation et de réforme ont été prises dès les
années quatre-vingt-dix, visant à développer un système de workfare nette-
ment différent cependant du workfare britannique qui, lui, s’inscrit dans le
système de type libéral anglo-saxon.
Le Danemark et la Suède, depuis fort longtemps, ont pratiqué des politiques
visant à réaliser l’emploi le plus élevé possible de leur population (Kosonen,
1999). Au cours de la période récente, ils ont été rejoints par la Finlande avec
un double objectif :
un haut niveau de protection sociale est maintenu pour l’ensemble de la
population, cependant l’obtention des droits sociaux est soumise à un con-
trôle social renforcé. Ceci implique, notamment pour les personnes âgées
de plus de 55 ans, un durcissement de l’accès aux pensions d’invalidité, aux
pensions de chômage, et aux préretraites, avec des modalités qui peuvent
varier suivant les pays. Étant donné le vieillissement de la population, parti-
culièrement sensible dans les pays d’Europe du Nord, les personnes âgées
de plus de 55 ans représentent une ressource importante pour éviter la
décroissance de l’emploi total ;
l’incitation à l’emploi des chômeurs ou des actifs âgés peut être conçue
de différentes façons (Kosonen, 1999). Les pays qui nous intéressent ici,
ont choisi tout d’abord de réorienter les mesures « passives » vers des
mesures « actives », substituant aux subventions ou indemnités versées aux
chômeurs ou aux inactifs (pensions de préretraite ou d’invalidité), des
investissements en formation ou requalification, ou encore dans les capaci-
tés de travail de la main-d’œuvre. De plus les mesures d’incitations finan-
cières ont été systématiquement préférées à des pénalités, sanctions ou
contraintes légales ou réglementaires.
L’incitation à chercher et reprendre un emploi pour les seniors est ainsi sou-
vent conçue comme une aide à la mobilité du chômage vers l’emploi, de
l’emploi à l’emploi (en cas de requalification), voire de la retraite à l’emploi
(en cas d’autorisation de cumul emploi-retraite).
L’objectif de la présente contribution est tout d’abord d’analyser les mesu-
res qui ont été prises pour accroître l’emploi des seniors, c’est-à-dire des
personnes âgées de plus de 55 ans, dans le cadre de ce workfare. Il s’agit du
contenu des nouvelles règles, et nous examinerons successivement les
mesures qui ont été prises pour diminuer les préretraites et promouvoir la
retraite partielle, ainsi que les dispositions autorisant, dans certaines limi-
tes, à cumuler une pension de retraite ou de préretraite avec certaines for-
mes d’emploi. Il sera montré que les chômeurs et invalides âgés ont eux
aussi été incités à prendre un emploi, avec les modifications des régimes de
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pensions de protection sociale les concernant. Nous examinerons égale-
ment les primes à l’emploi qui sont accordées aux travailleurs seniors qui
acceptent de renoncer temporairement à certains droits à la préretraite ou à
la retraite. Puis une attention spéciale sera portée aux programmes de for-
mation et de « réhabilitation » des travailleurs seniors.
Enfin les modalités d’application et l’efficacité des réformes entreprises
feront l’objet d’une tentative d’évaluation et, en conclusion, nous nous
interrogerons sur les conditions dans lesquelles elles ont été élaborées,
notamment sur la participation des partenaires sociaux à l’élaboration de
ces réformes.
Encadré 2:Méthodologie de l’étude de L’
emploi des seniors
en Europe
Le présent article utilise en partie les résultats d’une étude réalisée par le GIP
«Mutations des industries et des services » pour la DARES. Le texte de
cette étude (Violaine Delteil, Dominique Redor :
Lemploi des salariés de plus
de 55 ans en Europe du Nord
, février 2003) peut être consulté sur le site du
ministère du Travail (
www.travail.gouv.fr
).
Cette étude est fondée sur une série d’entretiens qualitatifs réalisés entre
janvier et novembre 2002 auprès d’experts, d’universitaires, de membres de
l’administration du Travail, et de représentants des salariés et des
employeurs des pays étudiés.
Elle s’appuie également sur l’analyse de monographies, de documents et
d’études recueillis lors des séjours à l’étranger, et sur une bibliographie spé-
cialisée sur l’emploi des seniors. Certains de ces documents sont cités dans
la bibliographie du présent article. Les autres sont répertoriés dans l’étude
mentionnée ci-dessus.
nProlonger les fins de carrières : diminution des
préretraites et promotion des retraites partielles
Avant la réforme : de nombreux départs en retraite
anticipée
Le Danemark, la Finlande et la Suède ont connu une période de forte
montée du chômage particulièrement au cours de la phase dépressive du
cycle européen dans les années 1990-1995. Cette crise de l’emploi a été
particulièrement ressentie en Finlande, avec la chute de l’URSS et la
dépression économique qui l’a suivie en Russie. De même en Suède, ces
années ont correspondu à de profonds déséquilibres macroéconomiques.
Au cours de cette période, le taux d’emploi des seniors âgés de 55 à 64 ans a
baissé davantage que celui du reste de la population. En effet, dans les trois
pays, les dispositifs institutionnels préexistants ont été utilisés pour amortir
Comparaison des politiques d’incitation à l’emploi des salariés âgés
au Danemark, en Finlande et en Suède
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le choc macroéconomique sur l’emploi. Dans ce cas, comme dans la plupart
des autres pays européens, ce sont surtout les sorties anticipées d’activité
institutionnalisées au cours des années soixante-dix et quatre-vingt qui ont
été utilisées.
Au Danemark, le système de préretraite datait de 1978 (Hansen, 2000,
p. 175). Il était réservé à l’origine aux personnes ayant atteint 60 ans, et qui
avaient cotisé à l’assurance chômage pendant au moins vingt-cinq ans. Lors
de la crise des années quatre-vingt-dix, ce programme de préretraite fut
étendu aux chômeurs ayant atteint 55 ans, et même 50 ans (de 1994 à 1996).
Parallèlement, les pensions d’invalidité pouvaient être accordées, jusqu’au
début des années quatre-vingt-dix, pour les personnes âgées de 50 à 67 ans,
non pas seulement pour des raisons médicales, mais en raison des difficul-
tés particulières qu’elles rencontraient pour trouver un emploi sur le marché
du travail (Jensen, 2002, p. 61-62). Au début des années quatre-vingt-dix,
sur 25 000 nouvelles pensions d’invalidité attribuées, 8 000 l’étaient sur
critères exclusivement sociaux.
En Finlande également, les départs précoces en retraite ont été encouragés
au cours de cette période. Tout d’abord des « pensions de chômage »
étaient versées à partir de 56 ans aux chômeurs de longue durée qui avaient
épuisé leurs droits à l’allocation chômage. Ils étaient ainsi dispensés de
recherche d’emploi, et disparaissaient des statistiques de chômage. Les
pensions d’invalidité furent, de plus, accordées généreusement aux travail-
leurs âgés. Au début des années quatre-vingt-dix, le quart des personnes
âgées de 59 ans bénéficiaient d’une pension d’invalidité. Dans la classe
d’âge 60 à 64 ans, à la même date, 30 % des personnes recevaient une pen-
sion d’invalidité, 18 % une pension de chômage, et 17 % une préretraite.
Il existait deux possibilités de préretraites : la « préretraite individuelle » à
partir de 55 ans pour les personnes qui avaient travaillé depuis au moins
trente ans, et dont les capacités de travail étaient réduites. Par ailleurs, une
« préretraite pour les personnes âgées » était possible à partir de 60 ans dans
le secteur privé, et 58 ans dans le public (en 1995, la première concernait
20 % des personnes âgées de 63-64 ans et la seconde 10 % ; Employment
Observatory, 1999).
En Suède, les pensions d’invalidité ont également été largement utilisées
comme moyen de passage de l’emploi à la retraite (Palme, Svensson, 1999,
p. 384-389). En effet les critères d’attribution des pensions d’invalidité
étaient très souples, de plus elles offraient des prestations supérieures aux
pensions de chômage. En 1994, au sommet de la crise de l’emploi, 37 % des
hommes de 64 ans, et 34 % des femmes, recevaient une pension d’invali-
dité, alors que 9 % des personnes de 64 ans (hommes et femmes) bénéfi-
ciaient officiellement d’une préretraite.
Cependant, avant même que la situation de l’emploi se soit réellement amé-
liorée, les trois pays, à partir du milieu des années quatre-vingt-dix, ont
commencé à réviser de façon fondamentale leurs politiques de l’emploi.
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L’objectif était d’accroître les taux d’activité et d’emploi de la population
dans son ensemble, avec un accent particulier sur les classes d’âge supé-
rieures à 54 ans. Les projections (Eurostat, 2001, p. 126) montrent les effets
très importants du vieillissement démographique à échéance de vingt ans.
Alors qu’en 2000, les personnes de 60 ans et plus représentaient 22 % de la
population totale en Europe du Nord, elles représenteront, en 2020, 25 % au
Danemark, 28 % en Suède, et 29 % en Finlande. Outre les risques de pénu-
ries de main-d’œuvre sur le marché du travail, déjà sensibles à la fin des
années quatre-vingt-dix, l’équilibre des systèmes de retraite et de protec-
tion sociale était en question, dans des pays traditionnellement peu ouverts
à l’immigration étrangère.
Deux catégories de mesures en direction de la population ont été prises. La
première a consisté à établir une législation plus restrictive ou (et) diminuer
les incitations financières aux départs anticipés en retraite, quelle qu’en soit
la forme (préretraite, pensions de chômage, pensions d’invalidité). Parallèle-
ment, la retraite partielle a été promue au Danemark et en Finlande, qui sur ce
point ont mené une politique opposée à celle de la Suède. La seconde a
consisté à créer des incitations financières (prime à l’emploi), mais aussi non
financières (formation/requalification/réhabilitation) à l’emploi des seniors.
Ajoutons que les mesures très importantes de réforme des systèmes de
retraite menées dans les trois pays à partir du milieu des années quatre-
vingt-dix ne sont pas traitées ici 1.
Les réformes des préretraites et de la retraite partielle
Au Danemark, la réforme de 1999 a inclus à la fois le système de préretraite
et de retraite partielle (Jensen, 2002).
Jusqu’en 1999, étaient éligibles à la préretraite les personnes ayant cotisé au
chômage pendant vingt ans au cours des trente dernières années. De plus,
ces personnes ne pouvaient pas cumuler leur retraite avec un travail de plus
de 200 heures par an. Par ailleurs, il existait une retraite partielle pour les
personnes travaillant de 12 à 27,5 heures par semaine.
La loi de juillet 1999 a durci les conditions d’éligibilité puisqu’il faut,
depuis cette date, avoir cotisé vingt-cinq ans, au cours des trente dernières
années, pour bénéficier de la préretraite. De plus la préretraite doit à présent
être financée par une contribution spéciale. Par ailleurs, les conditions du
cumul de la pension de retraite et de l’emploi ont été très assouplies et ont
inclus la retraite partielle. En effet, suivant la nouvelle réglementation, tout
préretraité peut travailler jusqu’à 29,6 heures par semaine. Le montant de la
pension de préretraite est automatiquement diminué en proportion du temps
travaillé.
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au Danemark, en Finlande et en Suède
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