ligne!», l’examen du traitement du public souligne une succession de séries d’actions effectuées par un
ensemble de personnes appartenant à différents groupes (STRAUSS, 1989). Le groupe des spectateurs
est traité simultanément par les vendeurs (location de places) et les placeurs (contrôle des billets,
placement) mais aussi par des régisseurs et le responsable de l’entretien (contrôle des accès) ainsi que
des cadres de l’organisation ou des acteurs (pour l’accueil personnalisé de certains spectateurs).
Par ailleurs, parce qu’elle prend place dans un lieu (BECKER, 2002 [2000]) et qu’elle intègre la
dimension temporelle liée à toute forme d’organisation sociale, l’ethnographie d’un théâtre autorise à
la fois une appréhension de la culture d’un groupe comme processus en constante définition et une
meilleure compréhension de l’impact des changements organisationnels sur les conditions de travail
du personnel. Elle permet, tout d’abord, de mettre au jour les dispositifs fixes et les rituels autorisant la
mise en place d’une organisation du travail spécifique!: absence de plateau, scène en trois quarts de
cercle, animations diverses, simulation de participation du public à l’œuvre en représentation,
coopération active d’une partie des spectateurs à la diffusion. Replacés dans l’évolution de l’art
dramatique depuis la fin du XIX° siècle, ils s’inscrivent dans une filiation artistique allant de
Pottecher, Gémier, Appia, Meyerhold et Craig à Artaud, Brecht, Grotowski. L’esthétique (BECKER,
1988) de l’organisation apparaît ainsi dans toute ses dimensions. La mise en perspective historique
permet également de souligner la prégnance des éléments symboliques dans la constante définition des
situations de travail. Ainsi, la majeure partie du personnel du TDC est embauchée de façon
intermittente et habituée à travailler avec de nombreuses personnes différentes sur chaque projet.
L’arrivée d’un directeur administratif disposant d’une berline avec chauffeur et dépensant de grosses
sommes dans l’aménagement d’un bureau luxueux renforce la perception d’une dégradation des
conditions de travail reposant initialement sur quelques licenciements et sur le remplacement d’une
petite partie du personnel régulièrement renouvelé par de nouveaux employés ayant connu d’autres
expériences professionnelles.
Enfin, la prise en compte des histoires de vie, des carrières et des points de vue des différents
participants que permet l’ethnographie d’un théâtre dotée des outils de la sociologie du travail,
rapportée à leur rôle social au sein de l’organisation permet également d’appréhender les raisons de
leur participation au fonctionnement de l’entreprise et du renouvellement de celle-ci, soit de redéfinir
les ressorts de l’implication. L’implication étant le fait pour un individu de s’engager dans un travail
au sein d’une organisation en maintenant une attitude cohérente sur une certaine durée tout en rejetant
d’autres alternatives (BECKER, 1960). L’analyse de l’implication dans le travail théâtral qui domine
actuellement se fonde sur la compréhension de mécanismes de marché qui reposent sur une vision de
la relation employeur – employé en termes de transaction marchande. Les participants au
fonctionnement des organisations théâtrales sont vus comme des personnes qui, pour la plupart,
offrent leur travail en procédant à une péréquation entre «!salaire d’efficience!», évaluation
réputationnelle des compétences, mécanismes de prise en charge des périodes de chômage et
satisfactions psychologiques liées à l’absence de travail routinier dues à l’existence d’une production
par projet (MENGER, 1991,1997, 2002 et 2005). Or, comme le dirait Florence Weber (WEBER,
2000), si ceci est une façon d’appréhender les relations, elle ne tient pas compte de toute l’épaisseur
des liens entre partenaires de la relation. Ainsi, le travail ethnographique effectué au Théâtre du Cercle
permet d’inscrire les liens entre participants dans une histoire et une durée qui affectent sans cesse les
interactions et la définition des ressorts de l’implication. Le Théâtre du Cercle est une entreprise
théâtrale fondée par un metteur en scène qui dispose initialement de certains attributs du leader
charismatique définit par Max Weber (1996 [1910-13]). Il est doté de «!qualités prodigieuses!» (ses
mises en scène connaissent un succès grandissant, il s’est engagé dans une remise en question des
conventions théâtrales). Il est doté d’une autorité morale qui transcende la qualité de l’œuvre (il mène
une vie ascétique) et d’une autorité intellectuelle (il a, par ses écrits, contribué à la théorisation de l’art
dramatique). Sa position de metteur en scène et de directeur artistique lui permet, par ailleurs, de
renforcer son rôle de leader. En effet, il concentre le pouvoir de décision dans le processus de
production et dans la définition du travail artistique entre ses mains et participe donc à un étiquetage
(BECKER, 1985 (1963) du travail artistique. Pascal Laville, régisseur lumière depuis plus de vingt ans
ne peut prétendre à une étiquette artistique puisque le metteur en scène a limité la valorisation de ses
compétences techniques spécifiques en requérant une polyvalence qui ne lui permet pas d’acquérir une
reconnaissance auprès de ses pairs. Il recourt à des équipes d’acteurs multiculturelles ce qui le place en
pivot incontournable des interactions. Il s’appuie sur le charisme d’un lieu lui-même doté de qualités