Le guide clinique néerlandais sur la prise en - chu

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Kinesither Rev 2015;15(159):36–40
Pratique
Recommandations professionnelles
Le guide clinique néerlandais sur la
prise en charge en kinésithérapie du
patient lombalgique
Dutch clinical practice guideline for patients with low
back pain
Jean-Louis Estrade
Chemin du Postillon, 36100 Issoudun, France
C
e guide de bonnes pratiques cliniques est paru en 2013 [1] mais a
été traduit secondairement du néerlandais à l'anglais pour une plus ample diffusion. Nous nous proposons d'en souligner
les particularités différant ou appuyant ce
qui est classiquement admis dans la prise
en charge du patient lombalgique en kinésithérapie. Le lecteur pourra se référer au
guide de bonnes pratiques cliniques du
NICE, parues en 2009 [2] et déjà abordé
dans Kinésithérapie, La Revue [3], pour
une mise en perspective de l'évolution des
concepts thérapeutiques.
Les kinésithérapeutes néerlandais sont soit
généralistes, soit spécialisés en thérapie
manuelle, mais ces recommandations s'appliquent aux deux pratiques.
GÉNÉRALITÉS
Pronostic
La lombalgie aiguë se résout souvent spontanément, bien que pouvant s'accompagner de
plaintes résiduelles ou récurrences. Quatrevingt-dix pour cent des lombalgiques continuent à travailler lors de l'épisode douloureux.
Les 10 % restant reprennent majoritairement
le travail avant un mois. Des plaintes persistantes à cette date sans reprise du travail
s'accompagnent d'une faible probabilité de
guérison complète.
Évolution normale
Le degré d'activité augmente au fil du temps,
la douleur devant diminuer. Cela ne signifie
pas que la lombalgie disparaît complètement,
mais qu'elle ne limite pas sérieusement les
activités du patient.
Évolution anormale
Aucune augmentation nette du degré d'activité après 3 semaines.
Mots clés
Guide clinique
Lombalgie
Keywords
ÉVALUATIONS
Clinical guideline
Low back pain
Contre-indications à la prise en
charge en kinésithérapie
Les patients néerlandais bénéficient d'un
accès direct aux soins de kinésithérapie. Le
kinésithérapeute doit vérifier l'absence de
contre-indications (red-flags). Dans le cas
contraire, la présence de signes ou symptômes
isolés ou cumulés, nécessite un avis médical.
Il faut noter que ce guide clinique ne traite pas
des lombo-radiculalgies (présence d'une douleur dans la jambe, douleur dans le membre
inférieur plus importante que la douleur
lombaire).
Il y a consensus à propos des drapeaux rouges
suivants.
Suspicion d'un processus évolutif
malin
Survenue d'une lombalgie après 50 ans, douleur continuelle non liée à la position ou au
mouvement, douleur nocturne, sensation de
malaise général, antécédents tumoraux, perte
de poids inexpliquée, VS augmentée.
Suspicion d'une ostéoporose, d'une
fracture vertébrale
Fracture récente (moins de 2 ans), antécédents de fracture vertébrale, âge au-delà
de 60 ans, poids inférieur à 60 kg, IMC inférieur
à 20 kg/m2, patient âgé ayant eu une fracture
de hanche, utilisation prolongée de corticostéroïdes, douleur réveillée par la percussion
rachidienne, sensibilité et douleur lors de
Adresse e-mail :
[email protected]
http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2015.01.007
© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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l'appui vertical sur le rachis, perte de taille importante, augmentation de la cyphose thoracique.
Histoire et circonstances d'apparition de la
lombalgie
Suspicion d'une arthrite vertébrale, d'une PSR
EVA, Patient-Specific Complaints (PSC), et Quebec Back
Pain Disability Scale (QBPDS) sont les indicateurs recommandés au début et à la fin de l'épisode lombalgique, les deux
premiers pouvant être utilisés une fois toutes les trois
semaines.
Bien qu'il existe des questionnaires permettant d'identifier des
facteurs psycho-sociaux, ce guide n'en recommande aucun,
de part la nécessité d'une formation spécifique pour les administrer et de l'absence d'un seuil bien défini pour juger de
l'impact de ces facteurs.
Survenue d'une lombalgie avant l'âge de 20 ans, sujet masculin, iritis, présence d'une arthrite périphérique inexpliquée ou
d'une maladie intestinale dans les antécédents, douleur
essentiellement nocturne avec une raideur matinale supérieure à une heure, diminuée en décubitus ou lors de l'activité,
répondant bien aux AINS, avec une VS augmentée.
Suspicion d'une fracture vertébrale
Lombalgie intense consécutive à un traumatisme.
Examen du patient
Suspicion d'un spondylolisthésis sévère
Survenue de la lombalgie avant l'âge de 20 ans, avec un
défaut d'alignement palpable des processus épineux au
niveau L4-L5.
Procédures diagnostiques
Même dans le cas où le patient est adressé au kinésithérapeute par le médecin traitant, le kinésithérapeute doit juger de
la pertinence de la prise en charge rééducative.
À travers l'examen de l'appareil musculo-squelettique, le
kinésithérapeute doit tâcher d'identifier les déficits du patient
en rapport avec ses limitations d'activités et restrictions de
participation. Si l'anamnèse fait suspecter une lombo-radiculalgie, le test d'élévation de la jambe tendue (Straight Leg
Raising Test) doit être pratiqué pour la mettre en évidence,
associé à une recherche de déficits musculaires et à la
mesure d'une distance doigts-sol en antérieur (le test est
positif en présence d'une distance doigts-sol supérieure
à 25 cm).
Figure 1. Algorithme I.
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Analyse
TRAITEMENTS
Après élimination d'une suspicion de lombalgie spécifique,
trois profils de patients sont décrits (Fig. 1) :
une lombalgie avec évolution normale ;
une lombalgie à l'évolution anormale sans la présence de
facteurs psycho-sociaux majeurs ;
une lombalgie à l'évolution anormale avec présence de
facteurs psycho-sociaux majeurs.
Facteurs pouvant ralentir l'évolution favorable de
la lombalgie
Douleur intense, irradiante, avec de sévères limitations des
activités.
Facteurs personnels (âge, mauvais état général).
Facteurs psycho-sociaux (stress, peurs, kinésiophobie, somatisation, dépression).
Facteurs liés à l'activité (mauvaises relations de travail, port de
charges lourdes).
Profils de lombalgies non spécifiques
Le profil de la lombalgie est le point de départ et le fil rouge du
plan de traitement (Fig. 2). Le plan de traitement permet de
déterminer le nombre de séances (le dépassement du nombre
estimé conduit à une évaluation voire une révision du type de
profil).
L'utilisation de règles de prédiction clinique dans le cadre de la
lombalgie manque de preuves, ce qui conduit les auteurs de
ce guide clinique à ne pas recommander leur usage en
pratique.
Lombalgie d'évolution normale
Le kinésithérapeute doit :
insister sur l'évolution favorable de la lombalgie la plupart du
temps, rassurer le patient, sans oublier de préciser qu'il y a
Figure 2. Algorithme II.
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de forts risques que des douleurs réapparaissent après la fin
de l'épisode, sans que cela doivent entraver l'activité du
patient ;
expliquer que la lombalgie n'est pas une affection grave et
que les douleurs présentes ne sont pas en relation avec des
atteintes anatomiques ;
informer le patient qu'une activité physique modérée et
progressive favorise la guérison, a contrario du repos, susceptible de déconditionner le patient s'il est prolongé au-delà
de 2 jours. Il doit encourager le patient à reprendre le travail
le plus tôt possible éventuellement en adaptant son poste de
travail ;
éviter d'encourager les comportements passifs, encourager
les comportements actifs ;
expliquer qu'une augmentation de l'activité ne peut pas
entraîner de dommages sur les structures anatomiques
lombaires ;
limiter sa prise en charge à 3 séances.
Lombalgie d'évolution anormale sans présence
prédominante de facteurs psycho-sociaux
susceptibles de ralentir la récupération
Elle doit comprendre la même prise en charge que pour une
lombalgie d'évolution normale, mais le kinésithérapeute doit
prescrire un programme de thérapie par exercices.
Comme la littérature ne permet pas aujourd'hui de déterminer
quel est le programme le plus pertinent, le guide clinique
recommande une adaptation aux besoins du patient comme
à l'expérience et l'expertise du kinésithérapeute.
Si le patient est en arrêt maladie depuis plus de 4 semaines, le
kinésithérapeute se doit de prendre contact avec le médecin
du travail ou le kinésithérapeute de l'entreprise afin de mettre
en place des stratégies permettant cette reprise.
Le kinésithérapeute estime que les contraintes liées au travail sont trop importantes, il se doit de contacter le médecin
ou le kinésithérapeute salariés par l'employeur pour mettre
en place des stratégies permettant une reprise du travail
réussie.
Si le kinésithérapeute estime qu'il existe des déficits de l'appareil musculo-squelettique pouvant être en rapport avec la
persistance de la douleur et des limitations ou en présence
d'une exacerbation des symptômes, l'emploi de techniques de
mobilisation passive ou de manipulation vertébrale peut être
indiqué. Si le kinésithérapeute n'a pas de spécialisation en
thérapie manuelle, il se doit d'adresser le patient à un confrère
spécialisé.
L'application de chaleur ou de massages sont indiqués chez
les patients présentant des tonicités musculaires élevées,
mais le kinésithérapeute se doit de limiter les formes passives
de traitements.
Pour la même raison, l'électrothérapie, le TENS, les ondes
courtes, ultra-sons et thérapie laser ne doivent pas être utilisés
dans la durée. Les auteurs de ce guide n'encouragent pas de
telles pratiques, pas plus que des tractions, de part l'insuffisance de preuves d'efficacité.
Le kinésithérapeute se doit d'évaluer régulièrement le traitement et ses résultats, essentiellement en interrogeant le
patient. Si le traitement n'a pas d'effet après 3 semaines (pour
ce qui est de l'augmentation d'activité et du degré de participation), le kinésithérapeute se doit de contacter le médecin
traitant.
Lombalgie d'évolution anormale avec présence
prédominante de facteurs psycho-sociaux
susceptibles de ralentir la récupération
Le kinésithérapeute doit informer le patient de la présence de
ces facteurs et de leur caractère péjoratif dans la résolution
des symptômes.
Le traitement est basiquement le même que dans les deux
autres profils à ceci près :
il faut accentuer les conseils et les informations ;
il peut être nécessaire d'envisager une consultation multidisciplinaire ;
il faut mettre davantage l'accent sur les principes comportementaux dans le programme par exercices ; certains
patients peuvent par exemple éviter certains mouvements
au motif qu'ils ralentireraient le processus de récupération
ou avoir des idées erronées sur les origines ou conséquences de leur lombalgie. Le kinésithérapeute doit exposer
graduellement le patient à ces mouvements « dangereux ».
Si le patient a des tendances dépressives ou une somatisation
qui ne peuvent être modifiées par la kinésithérapie ou la thérapie
manuelle, le kinésithérapeute doit contacter le médecin traitant
et/ou un psychologue pour élaborer une prise en charge
complémentaire ou différente. Une autre option est de contacter
un kinésithérapeute spécialisé en psycho-somatique.
Si le patient abuse de traitements médicamenteux ou pratique
de façon exagérée, le nomadisme médical (physician shopping), s'il existe un conflit au travail, le kinésithérapeute peut
contacter le médecin de famille.
Le kinésithérapeute doit développer un programme d'activités
graduelles. Ce programme doit permettre au patient de se
focaliser sur l'activité et non sur la douleur. Cela ne signifie
pas qu'il doive négliger la douleur du patient mais il doit faire
apprendre au patient comment faire pour que la douleur ne soit
pas au centre de ses préoccupations.
Les exercices doivent préférentiellement ressembler aux
actions problématiques que le patient rencontre lors du travail
ou de ses activités usuelles. La fin du programme prescrit par
le kinésithérapeute doit correspondre à la date estimée de
reprise du travail.
Le kinésithérapeute doit aborder avec le patient l'évolution des
facteurs psycho-sociaux au décours de la lombalgie. Si le
traitement est sans effet après 3 à 6 semaines (pour ce qui
est de l'augmentation d'activité et du degré de participation), le
kinésithérapeute doit contacter le médecin traitant pour discuter d'options futures.
Conclusion du traitement
Il se termine dès que les objectifs sont atteints. Même dans le
cas contraire, le traitement doit prendre fin un jour. Cela doit
s'anticiper en informant le patient qu'en l'absence d'amélioration
en 3 à 6 semaines, comme les chances d'amélioration après
cette date sont faibles, il n'est pas nécessaire de le poursuivre.
Le kinésithérapeute doit :
encourager le patient à rester actif, même avec des douleurs
résiduelles, par exemple en s'inscrivant dans un club de
sport ;
informer qu'il existe un risque de récidive, mais que celui-ci
ne doit pas distraire le patient de la poursuite de ses activités
physiques, qui ne sont pas responsables de cette récidive ;
conseiller la poursuite de l'activité professionnelle même
lors de récidive.
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Recommandations professionnelles
Données thérapeutiques
Le kinésithérapeute doit conserver les rapports thérapeutiques
réalisés lors du traitement, communiquer ses conclusions
auprès du médecin traitant, comme du dernier spécialiste
consulté, même lors d'une prise en charge en première
intention.
Déclaration d'intérêts
L'auteur déclare ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet
article.
ANNEXE A
MATÉRIEL COMPLÉMENTAIRE
Le matériel complémentaire accompagnant la version en ligne
de cet article est disponible sur http://www.sciencedirect.com
et http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2015.01.007.
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RÉFÉRENCES
[1] KNGF Clinical Practice Guideline for Physical Therapy in patients
with low back pain. Royal Dutch Society for Physical Therapy.
ISSN 1567-6137. July 2013. Disponible librement sur https://www.
fysionet-evidencebased.nl/images/pdfs/guidelines_in_english/
low_back_pain_practice_guidelines_2013.pdf.
[2] Nice. Low back pain: early management of persistent non-specific
low back pain. Mai 2009. Disponible librement sur http://www.nice.
org.uk/nicemedia/pdf/CG88fullguideline.pdf.
[3] Estrade JL. Lombalgie : les recommandations du Nice donnent
un cadre plus précis. Kinesitherapie 2010;10(101):26–7.
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