L’Enseignement Philosophique Éditorial de mars - avril 2010 PHILOSOPHIE DANS LE SUPÉRIEUR ÉTAT DES LIEUX Le 13 mars dernier, l’APPEP organisait à la Sorbonne une demi-journée pour un état des lieux de l’enseignement de la philosophie dans le supérieur. On ne saurait se réjouir avec excès d’une activité somme toute normale, d’une journée ordinaire dans la vie d’une association qui fait son travail. Ce n’est pas la première fois. Cela n’interdit pas une juste satisfaction. Si cette journée a montré quelques originalités, outre sa prise en charge, c’est dans la diversité des orientations présentées et proposées pour l’avenir de la philosophie. Philosophie « hors les murs », se refusant à d’autres fins que celles qu’elle se donne, avec le Collège International de Philosophie défendant un « droit de la philosophie à disposer d’elle-même » ; hors les murs aussi en BTS Design, acceptant de s’adresser à ceux qui d’abord ne voient rien de philosophique dans leur propre projet, venant à la philosophie en dégageant progressivement les raisons de leur propre intérêt pour ce projet ; ou encore en faculté de médecine, enseignée relativement aux exigences de futurs infirmiers, médecins, etc., pris entre leur humanité et la facilité de réduire le soin à une mécanique. Y-avait-il une unité en cette diversité, unité aussi avec la philosophie enseignée dans ses lieux traditionnels, classes préparatoires ou universités ? Sans doute, par l’acceptation de la confrontation de la philosophie avec ce qui n’est pas elle. Bien sûr on pourrait dire qu’il s’agit seulement pour l’enseignement de la philosophie de faire de nécessité vertu. Si l’on peut envier l’indépendance du CIPh, au contraire, des BTS à l’université, l’enseignement de la philosophie ne décide pas seul de ses fins. Il compose avec un public exigeant qu’on réponde à ses attentes, des élèves plus immédiatement préoccupés par le souci de développer un goût, d’apprendre un métier, ou avec d’autres qui pourraient traiter la philosophie au mieux comme un supplément d’âme, comme avec l’obligation, à l’université, de lier les études de philosophie à des débouchés professionnels en créant des cursus pluridisciplinaires. Évidemment on peut en craindre une philosophie dégradée de n’être plus nulle part enseignée pour elle-même. Les classes préparatoires, qu’il faut défendre, y compris en ce qu’elles servent une authentique démocratisation, n’ont pas cette vocation. Il y a là un risque qu’on ne peut minorer. N’est-ce pas d’abord forte d’un enseignement fondamental dispensé dans des facultés de philosophie que celle-ci est à même de prendre le risque de cette confrontation à ce qui n’est pas elle, à ceux qui d’abord veulent qu’elle leur serve, montre son utilité ? Cette philosophie qui s’éparpille, se mêle, se disperse, ne fait-elle pas que sauver les apparences ? La philosophie à l’université va mal. Les facultés de province voient leurs effectifs se réduire. Bi cursus, fusion avec d’autres qui sont proches, sont d’abord l’effet de la nécessité de survivre. Les préparations aux concours ferment en proportion du faible nombre de postes ouverts, ne subsistant qu’à Paris, injustement. D’être parisiens n’empêchera pas que les UFR de philosophie devront de plus en plus attirer pour d’autres raisons que la seule philosophie. La concurrence des universités entre elles, pour créer des cursus originaux, porteurs, délivrer des équivalences avec une plus ou moins grande latitude, aux élèves venant des classes préparatoires par exemple, peut laisser dubitatif. Les moins prompts à s’adapter ou à savoir se vendre risquent la disparition, sélection qui n’est ni naturelle, ni juste, qui pénalisera bien des étudiants potentiels. C’est pourtant au contraire d’un pessimisme qu’est allée cette journée de réflexion. Aucun appel à la patrie en danger, aucune nostalgie d’un idéal perdu, aucun renoncement. C’est bien plutôt un appel à ne pas se lamenter, à une université « retrouvant son rang », que nous avons entendu. Nous ne pouvons que remarquer l’évidence pour de jeunes universitaires qu’ils ne se contentent pas de se désoler de l’effondrement d’un système. En ce sens, le refus de voir la philosophie définie par une utilité n’est aucunement refus de s’associer à l’utile. Tel fut le point commun des interventions. La philosophie ne se perd pas à s’associer ainsi à ce qui n’est pas elle, en contribuant, par exemple, à la formation de juristes. Qu’elle participe en classes préparatoires de l’approfondissement d’une culture générale, qu’elle oblige à concevoir les fins d’un métier ou qu’elle s’enseigne dans le même temps qu’une autre discipline, la philosophie gagne de ne pas se condamner à une reproduction incestueuse, de ne pas se reproduire auprès d’un seul public, prétendu naturel. N’oublions pas un des principaux objectifs de cette rencontre : nouer ou renouer des liens. À la source de ces diverses formes de présence de la philosophie dans le supérieur, est l’enseignement secondaire. Qu’il y ait des étudiants de philosophie dans les universités ne tient qu’à la rencontre de la philosophie au lycée. Il n’y aurait sans lui pas plus de cafés philosophiques que de demande de philosophie dans les facultés de médecine ou de droit, solidarité de fait dont personne ne doit se contenter. Tout est dit ainsi de la nécessité de s’associer. Le premier des enseignements à avoir compris qu’il faut savoir s’adresser à ceux dont la philosophie n’est pas en elle-même le but est celui actuellement dispensé dans les classes terminales, enseignement qui veut s’adresser à ceux qui le plus souvent ne feront jamais plus de philosophie. Un programme de notions renvoie à l’expérience humaine dans tous ses aspects. Nous devons donc plus que jamais réfléchir aux conditions de son extension face à une réforme insuffisante, notamment, pour relever la filière L. Simon PERRIER Président de l’APPEP 29 mars 2010