
fication de l’énergie lumineuse émise par un « corps noir ». 
En 1905, Einstein est amené à introduire des « grains de 
lumière » pour expliquer cette émission. Cette audace au 
sein d’un électro-magnétisme uniquement décrit alors 
en termes d’ondes lui permet de rendre compte du seul 
effet photo-électrique. En 1913, Bohr donne un schéma de 
l’atome qui parle de résonateurs, d’orbites, d’états station-
naires… En 1924, après la caractérisation du « photon », 
Louis de Broglie remarque que la lumière est décrite comme 
étant à la fois ondes et corpuscules, alors que la matière est 
uniquement corpuscules. Pour rétablir la beauté dans la 
physique, il associe à toute particule une onde. Matière et 
lumière deviennent à la fois ondes et corpuscules, « tigre et 
requin » dira omson. En 1931, Dirac établit une équation 
relativiste décrivant l’électron et introduit la notion d’anti-
particule. 
En énonçant toutes ces conjectures, les Pères fondateurs 
établissent des passerelles entre la mécanique « classique » et 
ce qu’ils découvrent. Leurs travaux marquent l’étape indis-
pensable de la continuité entre ce qui est devenu la physique 
nouvelle et celle qui la précédait. Pour cela, ils n’ont pas 
introduit de noms nouveaux – ou peu –, pas d’objet physique 
différent. Les électrons et les photons sont « à la fois » ondes 
et corpuscules.
Des notions dont l’enseignement doit être revisité
Ces ratures continuent à être enseignées comme des concepts 
alors que toutes ces notions ont été revisitées et réinterprétées 
depuis. Par exemple, les « particules quantiques » sont discrètes 
en nombre, continues en extension, non localisées : elles ne 
sont ni ondes, ni corpuscules : pour éviter toute confusion, 
il serait pertinent de les désigner par un nom nouveau : les 
quantons. Au dualisme de la physique classique succède 
le monisme quantique 2. Le positron est dit antiparticule 
de l’électron : même masse, charge opposée ; de fait, il est 
le symétrique de l’électron, comme ma main droite l’est 
de ma main gauche. Appelle-t-on celle-ci une « anti-main 
droite » ? Un changement de terminologie éviterait de nom-
breuses confusions. Les atomes ne répondent pas à la 
description enseignée : ils sont formés d’un noyau, d’électrons 
et de ce qui le fait tenir ensemble, le champ électromagné-
tique, c’est-à-dire les quantons de ce champ, qui s’appellent 
justement des photons. Les échanges de photons entre le 
noyau chargé et les électrons chargés assurent la cohésion 
de l’atome. Les photons, de masses nulles, sont donc aussi 
substantiels que les électrons et les protons qui en ont une. 
La notion de substance s’élargit.
2 Jean-Marc Lévy-Leblond, De la matière, relativiste, quantique, interactive, 
Paris, éd. du Seuil, Traces écrites, 2006.
Les traces de l’histoire dont témoignent les appellations et 
les notions qui sont utilisées dans l’enseignement et dans la 
vulgarisation brouillent, on le voit, la compréhension des 
conceptions modernes. Affirmant ceci, j’ai l’air de justifier 
que l’enseignement des sciences se réduise à la transmission 
des normes actuelles. Et pourtant, je soutiens que l’histoire 
des sciences doit faire partie intégrante de l’enseignement 
des sciences. Contradiction ? Non, si l’on veut bien admettre 
que cet enseignement ne peut se réduire à un dressage et à 
la disciplinarisation des savoirs actuels.
Former à l’exercice de la pensée scientique
Je conçois l’enseignement des sciences comme devant être 
une éducation à la pensée scientifique, une pensée vivante 
qui porte en elle sa propre capacité de contestation : le recours 
à l’expérience. Une pensée qui apprend à poser des pertinences 
comprises entre des limites de validité. Une pensée qui est 
une œuvre collective, s’enrichit de « l’autre », ne saurait 
donc être ni universelle, ni hégémonique. Comment initier 
à cette pensée féconde ? En étudiant comment les hommes 
qui nous ont précédé ont pensé, hésité, échangé, reculé… 
sans souvent formuler ces « lois » qui leur sont aujourd’hui 
attribuées, maintenant que la décantation s’est effectuée.
Les travaux du passé ne sont pas périmés : les approches 
modernes permettent de les re-visiter, d’en établir les limites 
de validité. La mécanique newtonienne est totalement 
incluse dans la Relativité, la Quantique ne l’est pas. Les 
théories successives ne sont pas des poupées russes qui 
s’empilent les unes dans les autres et, même lorsqu’elles le 
sont, leurs domaines de validité sont exploitables : il est plus 
qu’inutile de décrire la trajectoire d’une fusée au moyen de 
la Relativité ! Apprenons à penser... et aussi à analyser com-
ment une logique, comment les réductions que nous opérons, 
comment les questions que nous posons dépendent de la 
culture, de la société, d’une époque.
La science réussit parce qu’elle est réductionniste. Comme 
elle est réductionniste, elle n’a pas réponse à tout. Mieux 
vaut essayer de poser de nouvelles questions que d’apporter 
des réponses à des questions qui se révéleront mal posées. 
Voici le sens que renferme l’étude de l’histoire de la pensée 
scientifique.
mémoires de sciences : rubrique dirigée par Rémi Franckowiak et Bernard Maitte / LNA#63 
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