Dr Olivier Cuignet
!
Acupuncture et fatigue chez les patients cancéreux :
confrontation entre les essais cliniques et les mécanismes
d’action par l’imagerie fonctionnelle.
Résumé.
La fatigue liée au cancer est d’origine multifactorielle. Elle potentialise les autres effets invalidants du cancer comme le
syndrome anxio-dépressif ou la douleur. Elle pourrait en outre augmenter le taux de récidive de cancer des patients. Son
traitement conventionnel pharmacologique ou psychologique n’a pas montré de niveau de preuve suffisant à ce jour.
L’acupuncture a démontré une amélioration des scores de fatigue aux alentours de 30% selon les différentes études
randomisées contrôlées. Cependant, lorsqu’elles sont comparées, les acupunctures factice et réelle exercent le même effet sur
les scores de fatigue. Ceci vient du fait que trop souvent les points utilisés dans les études sont des points non spécifiques à la
fatigue et que même l’acupuncture factice exerce un effet sur le cerveau. Cependant, une meilleure compréhension des
mécanismes provoquant la fatigue au niveau cérébral permet de comprendre comment cette fatigue est provoquée par
différents mécanismes et comment adapter un traitement acupunctural. Ainsi, des taux de glutamate augmentés dans l’insula
signent une hyperactivité des zones en connexion mutuelle dans le cerveau qui se corrigent après un protocole d’acupressure
stimulante. Lorsque les réserves énergétiques de l’insula sont abaissées, c’est par contre après un protocole d’acupressure
relaxante que les scores de fatigue s’améliorent et que les réserves en neuromédiateurs énergétiques remontent. Tout ceci
dessine de nouvelles perspectives pour le futur qui permettront d’adapter le traitement à chaque cause de fatigue
diagnostiquée préalablement.
Mots clés : Acupuncture cancer oncologie intégrative -chimiothérapie – radiothérapie - fatiguerésonnance magnétique
fonctionnelle cytokines glutamine créatine connectivité cérébrale - acupressure.
Introduction.
La fatigue est la plainte la plus fréquente chez les patients survivants d’un cancer [1].
Elle est en effet rapportée par 45% des patients au cours des traitements de leur cancer et elle persiste
chez 30% des patients jusqu’à plusieurs années après la fin de ces traitements, que ce soit aux USA [2]
ou en Europe [3].
Les origines de la fatigue liée au cancer sont multiple : outre les raisons éventuelles d’une fatigue
normale (activité physique, problèmes préalables de santé), la lourdeur des traitements du cancer, le
stress engendré, les déplacements occasionnés s’ajoutent à la fatigue psychique liée aux soucis, la
ruminations par rapport au cancer et à son impact sur la famille, le milieu professionnel et le quotidien.
Par ailleurs, les patients décrivent une fatigue propre au cancer, beaucoup plus invalidante que les
autres causes de fatigue et qui les potentialise [1].
De manière plus générale, la fatigue a un impact négatif sur toutes les fonctions de l’organisme du
patient cancéreux. Elle aggrave aussi les autres effets négatifs secondaires au cancer (douleurs,
syndrome anxio-dépressif, insomnies,...) [4].
Dernièrement, la fatigue est incriminée comme possible prédicteur de récurrence du cancer. Son
absence est en effet un facteur indépendant fortement prédicteur de survie. Ainsi, elle renforce la
valeur pronostique des marqueurs biologiques traditionnels (CEA, CA 125,…) après cancer du sein
[5], de gliome à haut grade de malignité [6], du cancer de l’œsophage [7], de la prostate [8] ou de
myélodysplasies [9].
Les traitements sont soit pharmacologiques, basés sur l’exercice ou sur des thérapies psychologiques
comportementales [10]. Cependant, qu’ils soient psycho-stimulants ou à base de corticoïdes, les
traitements pharmacologiques sont grevés d’effets secondaires significatifs. Leur efficacité n’a pas
non plus été démontrée à ce jour avec un niveau de preuve suffisant pour qu’ils soient recommandés
systématiquement. Il en va de même pour les thérapies psychologiques pour lesquelles le coût et la
disponibilité de praticiens formés peuvent aussi représenter un obstacle supplémentaire. L’exercice est
unanimement reconnu comme bénéfique mais la fatigue elle-même ou lacesside se déplacer pour
rencontrer un programme adapté sont autant de barrières empêchant souvent sa mise en pratique. Tout
ceci explique pourquoi les patients cancéreux souffrant de fatigue recourent aux thérapies alternatives
comme l’acupuncture (78% contre 77% pour l’anxiété ou la dépression) [11].
2. Etudes contrôlées randomisées (ECR) en acupuncture/ acupressure.
On dénombre 14 ECR étudiant une population très hétérogène de patients cancéreux présentant de la
fatigue puisque l’origine des cancers y est variée et qu’elles étudient les effets de l’acupuncture
pendant ou après la fin des traitements (table1).
TABLE 1. ETUDES CONTROLEES RANDOMISEES
Types de cancer
Per traitement
Post-traitement
Palliatif
Poumon
1
Leucémie
(pédiatrie)
1
Ovaire
1
Sein
2
6
Plusieurs
2
1
Les 5 ECR concernant les effets de l’acupuncture sur la fatigue présentée par les patients au cours de
leur traitement regroupent un collectif de 356 patients (table 2). Au delà des différences d’échelles
d’évaluation de la fatigue, d’origine des cancers ou de type de protocoles d’acupuncture, on retiendra
surtout le bénéfice significatif apporté par l’acupuncture quand elle est ajoutée aux traitements
conventionnels. Cependant, lorsque l’acupuncture réelle est comparée à l’acupuncture factice, aucune
différence significative n’est atteinte, même si les 2 traitements améliorent les scores de fatigue de
30% en moyenne.
TABLE 2. ETUDES RANDOMISEES CONTROLEES PENDANT TRAITEMENT
+ : différence statistiquement significative. différence non significative.
Type%de%cancer% Popula/on% 0%thérapie% Interven/on% Contrôle% Résultats%
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Ces conclusions sont identiques lorsque les ECR étudient le bénéfice de l’acupuncture pour améliorer
la fatigue des survivants d’un cancer après traitement chez 876 patients (table 3). Comparée aux
traitements conventionnels, l’acupuncture ou l’acupressure diminuent significativement les scores de
fatigues, améliorent les échelles d’évaluation de l’anxiété ou de la dépression et améliorent
significativement la qualité de vie. Cependant, lorsqu’on compare l’acupuncture verum et sham,
aucune différence statistique n’est mesurée.
TABLE 3. ETUDES CONTROLEES RANDOMISEESAPRES TRAITEMENT DU CANCER
+ : différence statistiquement significative. différence non significative.
En conclusion, il ressort de ces ECR une réduction significative de 30% en moyenne des scores de
fatigue lorsque l’acupuncture est proposée en plus des soins conventionnels. Aucun effet secondaire
n’est rapporté par les auteurs. Comparée à l’acupuncture factice, l’acupuncture réelle présente un petit
effect size. En d’autres termes, le nombre de patients à soigner doit être beaucoup plus important pour
mettre en évidence une différence significative entre acupuncture réelle et factice.
3. Différences entre acupunctures réelle et factice selon la spécificité des points choisis.
L’absence d’effets de l’acupuncture factice est actuellement remise en question car les stimulations
tactiles qu’elle exerce entraînent des modifications physiologiques significatives, contrairement au
placebo [25]. De plus, les récentes études de RMN-f suggèrent qu’elle produit des variations d’activité
dans les régions du cerveau incriminées dans la transmission de la douleur [26].
Il convient donc de redéfinir mieux le principe actif des traitements d’acupuncture, véritable acte
thérapeutique complexe reposant sur la stimulation somato-sensorielle, l’interaction médecin-patient,
l’attention, la prise en charge de sa propre évolution,…
Le peu de différences entre acupuncture réelle et factice vient peut-être du fait que dans les ECR, les
points utilisés sont très généraux et peu spécifiques à la fatigue selon la Médecine Traditionnelle
Chinoise. La figure 1 montre ainsi les points les plus utilisés dans les ECR: E36, zusanli, GI4, hegu,
RP6, sanjiao, entre-autres. L’étude de Balk [13] est de très bonne qualité méthodologique mais ne
montre pas de différence significative dans la réduction des scores de fatigue entre acupuncture réelle
et factice. Les patients y reçoivent 2 séances /semaine, pendant 6 semaines et sont évalués après 6 et
10 semaines. Les points choisis sont parmi les plus fréquents et généraux (figure 2). Malgré cela,
acupuncture réelle et factice réduisent quand même les scores de fatigue de 30%, comme dans les
autres ECR. Dans une autre ECR, Zick compare 2 protocoles d’acupressure relaxante ou stimulante
[24]. Le protocole relaxant réduit les scores de fatigue jusqu’à 70% et utilise des points spécifiques, peu
fréquemment utilisés dans les autres ECR (figure 3). Cette amélioration inattendue a été confirmée
récemment dans une ECR portant sur un très grand nombre de patientes [22]. Il est probable que l’effet
« dose » après 6 semaines d’auto-acupressure quotidienne soit responsable au moins en partie de ces
type%de%%
cancer% Sein%[17]%%
%
[18]%%
%
[19]%%
%
[20]%%
%
[21]%%
%
[22]%% Mélange%
[23]%%
%
[24]%%
%
Popula/on% 47% 302% 197% 13% 29% 288% 98% 43%
Interven/on% acupressure%
acupuncture%
acupuncture% acupuncture% éduca<on%
acupuncture%
acupressure%
acupuncture% 2%schémas%%
acupressure%
acupuncture% 2%schémas%
acupressure%
s<mulante%
Contrôle% acupuncture%%
fac<ce%
soins%
conven<onnels%
autoB%
acupuncture%
soins%%
conven<onnels%
acupuncture%%
fac<ce%
soins%%
conven<onnels%
acupuncture%
fac<ce%
acupressure%
relaxante%
Résultats% +%
%
acupuncture%
%et%
acupressure%
+% +% +% _% +%%
%
2%schémas%
acupressure%
_% +%
%%
acupressure%
relaxante%>%2%%
schémas%
s<miulants%
excellents résultats. Cependant, le protocole stimulant -réalisé avec la même répétition quotidienne- ne
réduit la fatigue que de 30% mais utilise des points généraux comme les autres ECR.
FIGURE 1. HEATMAP DES POINTS UTILISES DANS LES ETUDES SELON LEUR
FREQUENCE D’UTILISATION
FIGURE 2. POINTS D’ACUPUNCTURE CHOISIS DANS UNE ETUDE COMPARANT
ACUPUNCTURE REELLE ET FACTICE
FIGURE 3. POINTS D4ACUPUNCTURE CHOISIS DANS UNE ETUDE RAPPORTANT UNE
PLUS GRANDE EFFICACITE (70%) POUR REDUIRE LES SCORES DE FATIGUE
4. Mécanismes de la fatigue liée au cancer.
Les causes de la fatigue secondaire au cancer sont multifactorielles et ont été décrites précédemment
mais les modifications au sein de l’organisme qui produisent la fatigue restent non encore élucidés. Le
modèle le plus communément admis incrimine les concentrations en cytokines et autres marqueurs de
la réaction inflammatoire, plus élevées chez les patients survivants d’un cancer qui présentent de la
fatigue [27]. Ces cytokines passent la barrière hémato-encéphalique et entraînent des modifications
d’activité de zones du système limbique dont l’amygdale, l’hippocampe, le cortex préfrontal ou l’axe
hypothalamo-hypophysaire. Comme dans les modèles bio-psycho-sociaux, ces modifications sont
corrélées avec des variations d’humeur, d’insomnie et de fatigue chronique [28]. Néanmoins, jusqu’il y
a peu, personne n’avait isolé ni les variations dactivité des zones cérébrales ni celles des
neuromédiateurs provoqués par les cytokines et responsables de la fatigue. C’est chose faite avec
l’étude de Zick qui démontre au niveau de l’insula des taux élevés de glutamate (signant une
hyperactivité) et du rapport créatine/ [créatine + phospho-créatine] (signant un épuisement des
réserves énergétiques) [29]. L’insula est une zone du cortex développée chez les grands primates et
particulièrement chez l’homme. Elle est responsable de l’intégration affective, cognitive et mémorielle
de tous les stimuli en provenance de la périphérie. L’augmentation anormale de son activité a déjà été
corrélée avec le développement d’états dépressifs et de fatigue chronique [30]. Les auteurs avancent
donc l’hypothèse que la fatigue liée au cancer peut s’expliquer par une hyperactivité et un épuisement
énergétique des fonctions du cerveau chargées de l’intégration de ce qui nous entoure dans le champ
de nos expériences personnelles et de notre conscience. Néanmoins, l’augmentation des cytokines
plasmatiques et de la glutamine insulaire et la diminution de ses réserves énergétiques sont des
marqueurs indépendants. En d’autres termes, ils peuvent être associés à des mécanismes différents
provoquant la fatigue. Le modèle de fatigue secondaire aux taux élevés de cytokines n’explique donc
pas toutes les causes de fatigue chez les survivants d’un cancer. La même équipe a démontré que la
connectivité (càd le fonctionnement conjoint de différentes zones cérébrales qui s’associent dans le
cadre d’une tâche particulière) des survivantes de cancer souffrant de fatigue était augmentée entre des
zones différentes que pour les survivantes non fatiguées [31]. Lors du dernier congrès de la Society of
Acupuncture Research à Boston en Novembre 2015, Zick et collègues ont exposé les effets de 2
protocoles d’acupressure relaxante et stimulante sur la connectivité cérébrale et les neuromédiateurs de
19 patientes survivantes d’un cancer dus sein et souffrant de fatigue. Les 2 protocoles utilisent des
points repris en figure 4 et auto-administrés pendant 6 semaines à raison de 3 minutes par point.
FIGURE 4. PROTOCOLE D’ACUPRESSURE RELAXANTE ET STIMULANTE
1 / 7 100%