Introduction
La dépendance de sentier est de plus en plus utilisée dans plusieurs disciplines des sciences
sociales sans une définition précise et claire (Pierson, 2000). Les travaux de North (1990) ;
David (1985, 2000) et Arthur (1989) ont montré la pertinence de la dépendance de sentier, son
implication et l'intérêt de son utilisation pour appréhender des phénomènes sociaux. De
même, les analyses récentes d'histoire comparée et sociologique de Mahoney (2000, 2001) ont
fait resurgir le rôle déterminant de ce concept en montrant que les principaux résultats en
terme d'analyses politiques et sociales ne s'inscrivent ni dans des processus de courte durée ou
uniques et encore moins dans des équilibres prévisibles.
En économie institutionnelle, la dépendance de sentier est apparue comme concept clé pour
comprendre des changements institutionnels souvent rigides (Cornelia, 2005). North (1990)
part de l’idée que lorsqu’une institution est mise en place, il est difficile voire impossible de la
démanteler, elle engage des dépendances de sentier. La dépendance de sentier apparaît comme
un élément explicatif des situations où un changement institutionnel souhaitable n'intervient
pas même si une amélioration du bien-être des individus concernés pourrait être envisagée
(Cornelia, 2005). Elle signifie que l'histoire importe « nous ne pouvons pas comprendre des
choix d'aujourd'hui sans tracer l'évolution incrémentale des institutions » ; les choix effectués
à l'instant (t) dépendent de ceux de (t – n). Mieux, la dépendance de sentier pour l'émergence
et le changement des institutions est façonnée par des effets de verrouillage (lock-in) et de
rétroaction (North, 1990).
Les sociologues historiens emploient la dépendance de sentier dans une conception plus large
se basant essentiellement sur le fait que « les événements passés influencent ceux futurs »
(Mahoney, 2000; Pierson, 2000) ou encore « les trajectoires de développement futur sont
empêchées ou verrouillées par celles du passé ». Cette conception selon laquelle les pas
précédents dans une trajectoire particulière induisent davantage de mouvement dans la même
trajectoire est bien capturée par le processus « increasing returns » ou d'auto-renforcement qui
exprime le fait qu'une fois un modèle institutionnel choisi, il devient de plus en plus difficile
de le transformer ou de choisir des options précédemment disponibles même si d'autres
options auraient été plus efficaces (Pierson, 2000). Cette tentative d'expliquer la dépendance
de sentier à partir de faits historiques « historical events2 » paraît moins précise pour
Mahoney qui ne distingue pas exactement ce qui change et ce qui demeure inchangé, ne
spécifie pas exactement comment une attention sur des processus, des séquences et le temps
soutiennent l'explication de la dépendance de sentier et dépouille le concept de sa portée
analytique. Les travaux théoriques féconds de Mahoney ou encore de Pierson ont apporté une
plus grande précision aux formulations en termes de "points de bifurcation" (critical
junctures) et de trajectoires historiques. Mahoney (2000, 2001) a contribué à plus de clarté
analytique en spécifiant divers mécanismes endogènes de reproduction institutionnelle
(Thelen, 2003). En adoptant une approche qui mobilise trois éléments d'analyse (critical
junctures, persistance structurelle et séquences réactives), il montre que la dépendance de
sentier implique en premier d'étudier les processus causant les événements passés ; ensuite
dans la séquence, les événements3 historiques récents « early historical events » sont des
occurrences contingentes qui ne peuvent pas être expliquées à partir des événements
antérieurs ou des conditions initiales ; enfin, une fois que les événements historiques
2Arthur (1989) précise que les faits historiques peuvent être les intérêts politiques, les expériences antérieures des
développeurs, la synchronisation des contrats, les décisions prises lors de réunions.
3Puisque ces événements historiques récents sont d'importance décisive pour les résultats finaux de la séquence, ce critère
élimine la possibilité de prévoir des résultats finaux sur la base des conditions initiales (Mahoney, 2000 p. 511).
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