C H A P I T R E 2 Les rivières de Seine-Aval I Contexte physique 1 - Géologie et réseau hydrographique Le secteur Seine-Aval s’étend pour sa plus grande partie sur les formations crayeuses perméables du Crétacé supérieur, avec des recouvrements moins perméables sur ses marges : boutonnière du Bray, sables du Perche et de Fontainebleau. Le réseau hydrographique se différencie nettement selon les terrains en place. Sur la craie, roche perméable et fissurée qui favorise l’infiltration par rapport au ruissellement, le réseau hydrographique est très lâche. Il structure un paysage caractéristique composé de plateaux (Caux, Lieuvin, Pays d’Ouche, Roumois, plateaux du Neubourg et de Saint-André, Thymerais, Vexin), entrecoupés de vallées bien marquées, drainées par les rares cours d’eau, largement creusées aux temps géologiques par des fleuves beaucoup plus puissants. Le réseau secondaire pérenne est inexistant mais les vallons secs, car trop peu profonds pour drainer la nappe de la craie, sont nombreux. Le linéaire de cours d’eau pérennes est d’environ 3 000 km pour 17 000 km2, soit une densité très faible, inférieure à 0.2 km/km2 (elle est proche de 1 en Basse-Normandie). Les plateaux crayeux sont recouverts d’une couche plus ou moins discontinue d’argile à silex provenant de la décalcification du substrat par les eaux acides, et de limons éoliens (lœss) très fertiles et relativement perméables, déposés au quaternaire. Ces formations superficielles modulent localement la perméabilité. Elles sont ponctuées de points d’infiltration rapide (bétoires) témoignant d’une forte activité karstique. La craie n’affleure que dans les deux principales vallées (Seine, Eure), où elle forme de grandes corniches. Les flancs des vallées sont tapissés de dépôts argilo-limoneux issus des plateaux, alors que les fonds des vallées humides les plus larges sont comblés par des alluvions plus grossières (sables, graviers et cailloux), parfois organisées en terrasses successives. Ph. 2 - La craie affleure dans la vallée de la Seine, formant de hautes corniches. La boutonnière du Pays de Bray est une structure anticlinale originale. Dans cette dépression résultant de l’érosion, affleurent les terrains marno-calcaires du Crétacé inférieur et du Jurassique supérieur, moins perméables que la craie érodée. Les cours d’eau qui y prennent leur source (Béthune, Epte, Andelle) ont un cours amont caractérisé par un chevelu hydrographique plus dense. Dans le Perche, les craies glauconieuses peu perméables sont recouvertes par les sables argileux du Cénomanien (sables du Perche), qui renferment des petites nappes. Les cours d’eau du sud de la Seine (la Risle, l’Eure et ses affluents l’Iton et l’Avre) prennent naissance dans la forêt du Perche, véritable château d’eau au chevelu assez dense et aux nombreux étangs. Bon nombre de ces ruisseaux disparaissent quand ils abordent les craies fissurées du pays d’Ouche. Les quelques rivières pérennes présentent des pertes partielles (Risle) ou totales (Guiel, Iton, Meuvette…) car elles sont alors en position perchée par rapport à la nappe de la craie (cf p.19 échanges nappe-rivière). À l’est, les hauts bassins de la Drouette et de la Vesgre se situent dans le massif forestier des Yvelines sur les sables argileux de Fontainebleau, secteur également parsemé d’étangs et de petits rus. La Voise draine la nappe des calcaires de Pithiviers, de moindre puissance que la nappe de la craie. 17 2 - Les rivières de Seine-Aval 2 - Physico-chimie des eaux de rivière Les rivières de la craie, alimentées essentiellement par la nappe et peu soumises aux aléas du ruissellement, ont une composition physico-chimique stable et sont naturellement de bonne qualité. Leur température est peu élevée, avec une Composition moyenne des eaux de rivière issues de la craie Température - 12 ° C HCO3 298 mg/l Ca++ 92 mg/l pH 7 à 8.5 SiO2-- 11 mg/l Conductivité 484 ,us/cm Les eaux sont riches en sels minéraux résultant de la dissolution des carbonates dans des équilibres complexes, notamment entre les ions Ca++ (90 à 110 mg/l), CO3--, HCO3- (250 à 320 mg/l), équilibres régis par le dioxyde de carbone biogénique (photosynthèse) et atmosphérique en solution. Sont présents à l’état de trace dans la nappe de la craie : F, K, Na, Ptot , NH4+. NO3- est présent de manière très variable de 0 à 80 mg/l (la limite pour l’adduction d’eau potable est de 50 mg/l), ainsi que PO43-(0.02 à 0.2 mg/l), ce qui montre l’incidence des activités de surface. faible amplitude entre l’hiver et l’été (entre 6 et 18 °C) du fait des apports importants d’eau souterraine dont la température est voisine de 10°C, de l’écoulement rapide (0.3 à 0.5 m/s) et de la faible durée du transit entre la source et l’embouchure (pour les petites rivières du moins). L’écoulement turbulent en faciès lotique et la température basse favorisent une bonne oxygénation. Fraîches, bien oxygénées, bicarbonatées calciques, les rivières de la craie ont, dans les conditions naturelles et en dehors des pollutions, de fortes capacités biogéniques. Au voisinage des émergences de la craie et pour autant que les eaux de nappe soient exemptes de nitrates et d’orthophospates, les eaux de rivière ont un niveau trophique faible. Dès qu’elles sont enrichies en nutriments, leur productivité est forte. 3 - Facteurs climatiques La région doit à son climat océanique des précipitations assez abondantes et bien réparties (150 à 220 jours par an), avec un maximum en automne et hiver (60 % de la pluviométrie annuelle moyenne). Les écarts thermiques sont modérés. La nébulosité moyenne importante et la douceur des températures limitent l’évapotranspiration. La pluie efficace (différence entre les précipitations et l’évapotranspiration) est donc relativement élevée, proche de 100 % de la pluie incidente en automne et en hiver quand les sols sont nus, environ 50 % sur l’année. Cette situation moyenne doit toutefois être modulée. La pointe du Caux, plus directement exposée aux influences océaniques, est nettement plus arrosée que le sud du secteur Seine-Aval, où la tendance continentale s’accuse (plus de 1000 mm de précipitations annuelles à Bolbec contre 500 mm dans le Drouais). La température jouant dans le même sens, le bilan en termes de pluie efficace s’étage du nord-ouest au sud-est selon un gradient ombrothermique assez accusé, la lame de pluie efficace étant 4 fois plus élevée sur la pointe du Caux que dans le Thymerais. Ces valeurs moyennes fluctuent également dans le temps. En période humide (20002001 par exemple), la pluie efficace peut atteindre 2 à 3 fois la valeur moyenne et approcher zéro en période déficitaire (19751976 par exemple). 4 - Ruissellement, infiltration, régime des cours d’eau La pluie efficace alimente l’hydrosystème continental. Une partie ruisselle et est collectée en surface par le réseau hydrographique temporaire ou permanent (fossés, talwegs, rus et cours d’eau), une autre est stockée dans le sol et constitue notamment la réserve utilisable par les plantes (RFU de l’ordre de 60 à 90 mm). Enfin, une partie percole dans le sous-sol et recharge les nappes. Sur les craies, c’est à dire sur la plus grande partie du secteur, l’infiltration l’emporte normalement largement sur le ruissellement (sur un bassin crayeux non perturbé, en moyenne 85 % de la pluie efficace s’infiltre et 15 % ruisselle), avec pour conséquence un réseau hydrographique sans chevelu, alimenté essentiellement par le drainage du grand réservoir souterrain (de l’ordre de 500 000 m3/km2). Toutefois, l’augmentation croissante des surfaces imperméabilisées et l’évolution des pratiques culturales modifient les bilans hydriques actuels vers un ruissellement accentué sur la plupart des bassins (cf. p. 25). 18 2 - Les rivières de Seine-Aval "ILANHYDRIQUEL)TONÌ.ORMANVILLE MM Station de référence Pluie mm Pluie efficace mm Sortie à la station mm Bassin versant Avre Muzy 628 133 116 Epte Fourges 764 220 217 Iton Normanville 679 167 112 Risle Pont Authou 755 209 195 2ECHARGEANNUELLEMM 0LUIEANNUELLEMM RECHARGE Les graphiques comparent les variations d’entrée, de sortie et de stock pour le bassin de l’Iton à la station limnigraphique de Normanville, qui commande un bassin versant amont de 1052 km2. On observe que 1982-1987 a été une longue période de déstockage de la nappe, les pluies efficaces sont inférieures aux débits sortants. On constate également un important accroissement des stocks dans les années 1977-1981, puis de 1996 à 2001. La piézométrie a alors atteint des niveaux très élevés, qui se sont traduits par des débordements de la nappe et la réapparition de ruisseaux dans des vallons généralement secs. MM %NTRÏEPLUIEEFFICACEANNUELLE 3ORTIEDÏBITANNUEL 3TOCKAGEANNUEL Données extraites d’une étude menée par le BRGM sur le département de l’Eure. L’écart entre la pluie efficace et la sortie mesurée au limnigraphe tient aux incertitudes et aux exportations hors bassin du fait de l’homme (prélèvement des sources de l’Avre pour l’alimentation de la région parisienne, estimé à 19 mm) ou aux transferts souterrains (Risle vers Iton, Iton vers Eure). Échanges rivière - nappe La nappe s’écoule au travers de la craie poreuse à des vitesses de quelques centimètres par heure en suivant la topographie et fournit la majeure partie du débit des cours d’eau, par diffusion au travers de la couche d’alluvions plus ou moins perméable ou par des émergences ponctuelles, sources de débordement (Crevon, Cailly), vauclusiennes ou artésiennes (Durdent, Eure, basse vallée de l’Iton). Ce cheminement demande de quelques semaines à plus d’un an. A cette circulation lente se surajoute une circulation rapide par le réseau karstique, qui peut faire gonfler rapidement le débit des sources après un épisode pluvieux. Mais, globalement, la restitution des eaux météoriques aux rivières est largement tamponnée, différée et prolongée. Du fait de la complexité du réseau karstique, les bassins hydrogéologiques peuvent différer notablement des bassins de surface. Par le jeu des échanges souterrains, il arrive que des cours d’eau soient alimentés par des sources dont les débits sont sans rapport avec la topographie locale. Ainsi la Veules, petit fleuve de 2 km de long seulement, a un important débit, pratiquement constant toute l’année : débit d’étiage 480 l/s, module 520 l/s ! Selon la configuration hydrogéologique, il arrive que la rivière ne draine plus la nappe mais l’alimente, si son lit n’est pas colmaté. Ce cas est fréquent dans le Pays d’Ouche. 19 2 - Les rivières de Seine-Aval En raison de son passage sur un sous-sol de nature différente, la rivière peut devenir perchée. Le cours d’eau n’étant alors plus alimenté par la nappe, dont il est déconnecté, les débits sont constants, voire diminuent si le colmatage du lit et des berges n’est pas suffisant. C’est le cas général à la limite des départements de l’Orne et de l’Eure : le cours du Guiel est interrompu sur 3 km, l’Iton devient partiellement souterrain entre Damville et Glisolles, la Risle peut perdre dans le secteur de Grosley la moitié de son débit en étiage, ces eaux ressortant dans le secteur de Beaumont-le-Roger ou vers le bassin de l’Iton. Sur ces sections de rivière perchées, une attention particulière doit être apportée aux opérations de curage, pour ne pas accroître les pertes par un décolmatage intempestif. Les diagrammes ci-dessus comparent les hydrogrammes d’une rivière de la craie et d’une rivière du Pays de Bray. A Gournay-en-Bray, la rivière est alimentée uniquement par les eaux de ruissellement. La vidange de la nappe d’accompagnement est très faible et l’action régulatrice de la craie inexistante. L’étiage est sévère et chaque épisode pluvieux provoque la multiplication du débit par 2 ou 3. Dès l’automne, les mois humides sont marqués par une succession de crues brutales. A Touffreville au contraire, la vidange de la nappe est très régulière. A la reprise des précipitations, la réponse est rapide mais sans accident, les rapports entre les débits extrêmes n’ont pas dépassé trois. Le coefficient mensuel de débit (rapport des débits moyens mensuels au module) témoigne aussi de la diversité des régimes. On voit que sur les rivières de la craie, ce coefficient reste très proche de 1, alors qu’il est très variable à Saumont-la-Poterie dans le Pays de Bray. Fluctuations saisonnières La recharge de la nappe se fait généralement d’octobre à mars par infiltration de l’eau de pluie au travers du sous-sol. D’avril à septembre, la majorité de l’eau de pluie est absorbée par la végétation, la nappe n’est plus alimentée, sa hauteur diminue. Sa décharge continue assure toutefois aux rivières un débit régulier lentement décroissant, avec un étiage faiblement marqué, de septembre à novembre généralement, pour autant que leurs lits soient suffisamment enfoncés pour drainer effectivement la nappe, et avec des nuances locales. 5 - Étiages et crues Les étiages Sur les rivières de la craie, le soutien de la nappe tamponne les variations climatiques et assure des étiages peu marqués. L’étiage peut être sévère pour les rivières ou sections de rivières qui drainent des nappes de faible puissance (sables du Perche, sables de Fontainebleau) ou qui sont en position perchée par rapport à la nappe de la craie, comme les rivières issues du Perche dans leur traversée du pays d’Ouche (Risle, Guiel, Charentonne, Iton, Avre). C’est, d’une manière générale, également le cas sur la partie sud du bassin, où les précipitations efficaces sont modestes (cf. carte p.18) et où, en dehors du drain principal, la plupart des talwegs latéraux sont à sec presque en permanence. Les très bas débits peuvent provoquer différentes altérations : échauffement de l’eau, dilution insuffisante des polluants, eutrophisation, désoxygénation et suroxygénation (par excès de photosynthèse), atteintes aux biocénoses et stress pour les peuplements piscicoles. Des mesures de limitation de l’utilisation de l’eau sont alors nécessaires pour garantir l’intégrité biologique des milieux (maintien d’un débit réservé). Dans des biefs artificiels particulièrement concernés par les bas étiages, le maintien fonctionnel de certains ouvrages peut être utile pour assurer un niveau d’eau minimal. 20 Ph. 3 - L‘Iton sec à Gaudreville-la-Rivière. Les crues Trois types de phénomènes, qui peuvent se produire conjointement, doivent être distingués : les débordements de nappe, les crues de rivière et les coulées boueuses. 2 - Les rivières de Seine-Aval Les débordements de nappe Après une succession d’années où la recharge de la nappe est excédentaire, son toit s’élève, ainsi que celui de la nappe alluviale d’accompagnement qui affleure alors dans les zones les plus basses. Comme il est illusoire d’espérer se prémunir contre cet aléa par des endiguements, seule la mise en œuvre d’une politique de prévention peut limiter les risques. Le toit de la nappe peut également recouper le lit des vallées sèches et ainsi alimenter des cours d’eau temporaires. Ce phénomène a pris une grande ampleur entre 1998 et 2001, quand les nappes ont atteint leur plus haut niveau depuis 50 ans. Ph. 4 - Écoulement exceptionnel par émergence de la nappe, inhabituellement haute en 2001, sur le plateau près d’Étrépagny, dans un talweg habituellement sec. Les crues de rivière Les rivières de la craie ont un régime régulier. Les débits de crue décennale ne dépassent guère 5 fois le module (2.7 pour la Durdent à Vittefleur, 2.6 pour l’Iton à Normanville). Sur l’amont des bassins versants de l’Epte, de l’Andelle et de la Risle, ce rapport peut atteindre 30 à 40, ce qui reste modeste comparé à d’autres régimes hydrologiques. Sur les grandes rivières (Eure, Avre, Iton, Risle, Epte, Andelle), une conjonction d’épisodes pluvieux sur les sous-bassins amont peut générer une onde de crue et provoquer des débordements à l’aval. Il est possible d’en limiter les effets par un système d’annonce de crue optimisant la gestion coordonnée des ouvrages, et surtout par la création de zones de ralentissement dynamique ou de stockage dans le lit majeur en favorisant la rétention partout où elle est possible. Cette approche, qui demande de relativiser les enjeux locaux pour privilégier une approche solidaire et de bassin, est encore très rare. Il est indispensable de poursuivre et de parachever la mise en place des PPR-inondation et de développer une politique d’aménagement des lits majeurs visant à identifier, préserver et restaurer les zones d’expansion des crues. Crue : Période pendant laquelle un cours d’eau présente des débits très supérieurs aux valeurs moyennes. Au-delà du débit de « plein bord », la rivière déborde de son lit mineur et occupe sa plaine d’inondation, ce qui est un événement naturel et nécessaire. L’hydrogramme de crue permet d’interpréter la réponse du bassin relativement à un épisode pluvieux. L’intensité d’une crue est déterminée statistiquement par sa période de retour (crue décennale, vingtennale, cinquantennale, centennale). Le volume et surtout l’intensité des crues tendent à s’accroître du fait de l’augmentation du ruissellement et de l’accélération des transferts, imputables au retournement des prairies, à l’imperméabilisation, au drainage et à la déstructuration croissante des sols. Les temps de concentration se réduisent et les débits de pointe augmentent. La nappe, moins bien alimentée, se vidange plus vite. Maintenir fonctionnelles les zones naturelles d’expansion des crues permet de tamponner et d’écrêter efficacement les crues. Ph. 5 - A l’entrée de l’agglomération chartraine, la Prairie de Luisant, zone humide heureusement préservée, joue pleinement son rôle de tampon lors des crues en stockant un grand volume d’eau. 21 2 - Les rivières de Seine-Aval catastrophes naturelles, détermine les zones exposées à un risque majeur et constitue une servitude d’utilité publique s’imposant aux documents d’urbanisme et aux autorisations d’occupation du sol. Ces mesures anciennes se sont révélées peu efficaces pour diverses raisons : difficulté de mise en œuvre, faible implication des services instructeurs, manque de sensibilisation des élus et des citoyens. Ces documents restent en vigueur tant qu’ils n’ont pas été remplacés par la nouvelle procédure du PPR. Le risque est la confrontation d’un aléa inondation (phénomène naturel par essence imprévisible) avec des enjeux (humains, économiques ou environnementaux). La vulnérabilité exprime le niveau des conséquences prévisibles de l’inondation sur les enjeux. Facteurs aggravants : L’urbanisation récente s’est faite souvent sans tenir compte de la vulnérabilité des zones concernées. La modification des conditions d’écoulement de l’eau (réduction des champs d’expansion de crues, imperméabilisation, accélération des transferts d’eau…) aggrave l’aléa. La présence d’activités humaines dans les lits majeurs accroît les enjeux. Les dispositifs de protection actifs (digues, bassins de retenue…) encouragent l’occupation du lit majeur. À travers le risque de débordement ou de rupture, l’existence de ces protections fait souvent peser sur la plaine alluviale une menace finalement plus forte que si elle n’était pas protégée. Un atlas régional des zones inondables, établi à partir des relevés des événements passés (quand ils sont connus) et d’études de modélisation, permet d’évaluer le risque inondation. Il est consultable en préfecture. Prévention : Il faut à la fois agir en amont pour réduire l’aléa érosion-ruissellement, et en aval pour limiter l’impact des inondations sur les personnes et les biens. Procédures administratives : La première procédure, instituée par le décret-loi du 30 octobre 1935, est le Plan de Surface Submersible (PSS) qui visait le libre écoulement des eaux et la préservation des champs d’inondation. Après 1955, le Périmètre R.111-3, issu de l’article R. 111-3 du Code de l’Urbanisme, délimite un périmètre de risques à l’intérieur duquel le permis de construire et les autres autorisations d’occuper le sol sont subordonnés à des conditions spéciales. Le Plan d’Exposition aux Risques (PER), institué par la loi du 13 juillet 1982 relative à l’indemnisation des victimes de 22 Le Plan de Prévention des Risques naturels (PPR), créé par la loi Barnier de 1995 (articles L562-1 à L562-9 du Code de l’environnement), clarifie et renforce la politique de prévention des risques. Dans le cas du risque inondation, le PPRi est élaboré sous l’autorité des services de l’État, DDE le plus souvent, aidés de bureaux d’études spécialisés et en recherchant la concertation avec les acteurs locaux. Le PPRi délimite des zones en fonction de leur niveau de risque et propose des mesures appropriées : • contrôle strict de l’urbanisation dans les zones d’expansion des crues ; • interdiction de toute construction nouvelle dans les zones soumises aux aléas les plus forts et diminution du nombre des constructions exposées ; • réduction maximale de la vulnérabilité des constructions dans les zones moins dangereuses. Le PPR approuvé vaut servitude d’utilité publique. Il s’impose à tous (particuliers, collectivités, État), notamment lors de la délivrance d’un permis de construire. Les manquements à l’application de ses dispositions sont passibles de sanctions pénales. Le PPR peut rendre obligatoire, dans un délai maximal de cinq ans, la réalisation de mesures de prévention, de protection et de sauvegarde. L’État peut être amené à des mesures d’expropriation en cas de menaces graves pesant sur des biens non protégeables, financées grâce à un fonds spécial. La circulaire du 1er octobre 2002 relative aux plans de prévention des inondations (dite Circulaire Bachelot) favorise l’émergence de projets de bassin privilégiant le ralentissement dynamique, la réduction de la vulnérabilité, la sensibilisation du public et le développement de la solidarité amont-aval. De tels projets sont en cours sur les bassins de la Lézarde et de l’Austreberthe. La loi relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages (Loi n°2003-699 du 30 juillet 2003) reconnaît juridiquement les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) œuvrant pour la prévention, crée des commissions départementales des risques majeurs ayant une obligation d’information des citoyens, autorise les servitudes pour le surstockage et demande la pose de repères pérennes de crues. Surveillance et alerte : Le service de prévision des crues (SPC, ancien service « d’annonce de crues » renforcé pour faire de la prévision), appuyé par le SCHAPI (Service central d’hydrométéorologie et d’appui à la prévision des inondations), opère par surveillance hydrométéorologique à partir d’un réseau automatisé de collecte de données. Les données sont télétransmises au préfet, qui décide, en tant que de besoin, d’alerter les maires de chaque localité. Ces services fonctionnent pour les rivières de plaines. Les cours d’eau à crues brutales et les petits cours d’eau ne peuvent évidemment pas être couverts par un tel service, dont on ne saurait garantir la fiabilité. 2 - Les rivières de Seine-Aval Les apports latéraux (coulées boueuses) Le ruissellement, bien que normalement faible et globalement négligeable par rapport à l’infiltration sur un bassin non perturbé, peut devenir prépondérant lors de fortes pluies ou lorsque les sols sont saturés. Les fleuves côtiers de Seine-Maritime et les affluents de la rive droite de la Seine en aval de Rouen sont des rivières de faible longueur avec un temps de réponse très court des bassins versants. Les crues les plus importantes y résultent du ruissellement sur les plateaux. Les désordres liés au ruissellement sont en augmentation, évolution essentiellement imputable aux activités humaines. Ils sont évoqués plus précisément dans la partie II de ce chapitre, consacrée aux pressions subies par les milieux aquatiques. Ph. 6 - 7 - L’Austreberthe, lors des inondations de mai 2000. 6 - Hydrométrie La connaissance des débits des rivières et de leurs variations (régime hydrologique) est essentielle à divers titres : connaissance générale et patrimoniale, dimensionnement des ouvrages, protection des lieux habités, réponse aux demandes de prélèvements et de rejets, gestion des situations de crise (étiages et crues), exercice des polices administratives. Le réseau hydrométrique comprend des stations de jaugeage (systématiques ou occasionnelles) et quelques stations limnimétriques. Le jaugeage consiste à déterminer le champ des vitesses par des mesures au moulinet, le débit étant obtenu par intégration sur la section mouillée. Les stations limnigraphiques enregistrent et télétransmettent en continu la hauteur enregistrée, le débit étant alors obtenu par corrélation avec une courbe de tarage. Après validation, les résultats sont intégrés dans la banque nationale du SCHAPI, qui permet l’extraction de données statistiques. Les contraintes matérielles (coût) et pratiques (fiabilité, représentativité) limitent ce réseau. Il est géré par les DIREN de Haute-Normandie et du Centre avec une participation financière de l’Agence de l’eau pour sa modernisation et son exploitation. Des échelles limnimétriques et quelques stations dédiées à l’annonce de crue le complètent. La carte ci-contre localise les principaux limnigraphes avec, pour chacun, les débits caractéristiques QMNA5 et module. Les débits de référence en d’autres points sont couramment estimés à partir de la station hydrométrique la plus proche, au prorata de la surface de bassin versant dont les eaux se concentrent au point considéré, hypothèse réductrice qui suppose une isotropie des bassins rarement réalisée, compte tenu notamment du caractère karstique du sous-sol. La corrélation de jaugeages au micromoulinet avec les débits enregistrés à la station hydrométrique proche est une méthode plus fiable. 23 2 - Les rivières de Seine-Aval Quelques débits de référence courants : • Débit moyen interannuel ou module : débit moyen calculé d’abord sur l’année hydrologique (septembre à août) puis sur l’ensemble de la période d’observation de la station. Il y est fait référence dans la définition du débit réservé qui doit être au moins égal au dixième du module (notion de débit biologique minimum). • Pour les débits de basses eaux ou d’étiage : QMNA5, débit moyen mensuel sec de récurrence 5 ans (en probabilité) ou débit d’étiage quinquennal. C’est le débit de référence utilisé dans les procédures d’autorisation et de déclaration (décret nomenclature 93-743) et pour l’élaboration et la révision des objectifs de qualité des rivières. On utilise également le VCN10, valeur minimale du débit moyen calculé sur 10 jours consécutifs. Sur les rivières de la craie, le rapport QMNA5/module est souvent supérieur à 0.4. Il est inférieur à 0.1 dans le Pays de Bray. • Pour les crues, on s’intéresse principalement aux débits de pointe et on caractérise leur fréquence en les comparant (statistiquement) aux crues antérieures. On utilise souvent les débits de crue de fréquence décennale ou centennale. La crue centennale est déterminée par modélisation, sa valeur reste théorique. • Le débit spécifique est ramené à la surface du bassin versant commandée par la station limnigraphique. Il dépend du fonctionnement hydrogéologique et climatique du bassin. Par exemple, le module spécifique à Muzy (Avre) est de 4 l/s/km2, ce qui correspond à une lame annuelle écoulée de 125 mm. Les débits de référence sont des grandeurs statistiques, donc entachées d’une incertitude fonction décroissante de la taille de l’échantillon. Ils doivent être entendus comme la valeur centrale d’un intervalle de confiance dont le demi-diamètre est rarement inférieur à 10 % de cette valeur, et pour des séries portant sur plus de dix ans. Ils peuvent dériver légèrement dans le temps selon l’hydraulicité des dernières années prises en compte, mais aussi parce que les comportements hydrologiques des bassins évoluent, en réponse aux changements des modes d’occupation des sols. Pour d’autres valeurs de débits : www.haute-normandie.ecologie.gouv.fr, www.centre.ecologie.gouv.fr, hydro.rnde.tm.fr II Pressions subies par les milieux aquatiques 1 - L’occupation des lits mineurs et majeurs Les modifications du lit et des berges par l’homme conduisent la rivière à rechercher un nouvel équilibre, ce qui peut avoir des conséquences inattendues comme l’accentuation de l’érosion ou des dépôts, conduisant parfois au résultat inverse de celui qui était visé. Les curages excessifs, par exemple, aboutissent souvent à un élargissement du lit, entraînant une diminution des vitesses et un envasement généralisé. D’où la nécessité de procéder à une analyse précise avant toute intervention (cf. chap. 1 et chap. 4). Moulins et ouvrages transverses L’utilisation de l’énergie hydraulique débute au Moyen Âge pour les scieries puis les moulins à farines, se poursuit au XIX ème siècle pour l’essor des industries naissantes et, plus récemment, pour la fourniture d’électricité. Cet usage est encore présent comme une survivance anachronique sur quelques ouvrages, les faibles hauteurs de chute disponibles ne permettant qu’une production d’énergie électrique dérisoire, sans rapport avec les coûts écologiques induits. De ces anciens usages des rivières, il reste un patrimoine architectural parfois intéressant, mais surtout un très grand nombre d’ouvrages en désuétude, non ou mal gérés, qui altèrent les fonctionnalités du cours d’eau, compliquent les écoulements et entravent la circulation des espèces. Les biefs lentiques des bras dérivés ont des potentialités biologiques et piscicoles considérablement réduites. Le chapitre 8 est spécifiquement consacré à cet aspect. Agglomérations Le régime régulier des rivières, l’abondance de la ressource en eau et la modestie des crues ont permis l’implantation durable d’activités humaines dans les lits mineurs et majeurs. Aujourd’hui encore, les vallées concentrent la majorité des centres urbains et les densités de population les plus fortes. Les constructions se sont propagées à partir des secteurs les plus rarement inondés. Elles empiètent trop souvent sur les zones inondables et réduisent leur fonctionnalité, avec amplification des crues et des dommages. Les milieux aquatiques ont payé un lourd tribut à ce mode d’aménagement des vallées, avec une forte réduction des zones naturelles d’expansion des crues et de leurs milieux humides. Ph. 9 - Sur la basse vallée de la Durdent, on note la régression des milieux humides au profit de cultures maraîchères. Les débordements de la Durdent, rivière particulièrement régulière, sont préjudiciables aux maraîchers qui ont recours à des faucardages préventifs. Ph. 8 - Bief d’amenée d’un moulin en position perchée, totalement artificialisé et d’un intérêt biologique très faible, sur une rivière de première catégorie (le Rouloir). Cette situation est fréquente. 24 2 - Les rivières de Seine-Aval La nécessaire protection des lieux habités a été à l’origine d’une conception très hydraulique de l’aménagement des rivières et de leur gestion, recherchant la suppression de toute submersion et l’accélération maximale des écoulements. Ces pratiques, qui se soldent par un report sur l’aval des problèmes locaux, tendent à évoluer au profit d’une approche préventive plus réaliste prônant notamment la rétention en amont, mais elles ont fortement marqué certaines rivières. Les ballastières Les alluvions ont été activement exploitées pour la fourniture de granulats dans les principales vallées (Eure, Iton, Avre, Risle, Epte, Bresle…). L’extraction active des granulats, encadrée par les plans départementaux des carrières, est devenue réduite, mais elle a généré des centaines de plans d’eau qui ont des effets négatifs multiples sur la ressource en eau : disparition des zones humides et appauvrissement des milieux ; fragilisation de la nappe alluviale par élimination du filtre protecteur des alluvions ; apport possible à la rivière d’eaux d’une nature physicochimique différente ; dérive des peuplements piscicoles indigènes quand il y a communication avec la rivière (par un exutoire ou lors des crues), par contamination des peuplements et compétition interspécifique, les plans d’eau étant le plus souvent empoissonnés en cyprinidés d’eau calme, à des fins halieutiques. 2 - Le ruissellement L’érosion hydrique est un phénomène naturel que l’activité humaine accélère. potentiel des sols agricoles et leur plus grande sensibilité à la battance. S’il est vrai qu’en situation normale et moyenne le ruissellement est faible par rapport à l’infiltration, plusieurs facteurs se conjuguent pour que les désordres liés au ruissellement soient particulièrement cruciaux sur certains bassins, en particulier en Seine-Maritime et dans le nord-ouest de l’Eure : Le ruissellement est d’abord sous la dépendance de l’aléa climatique : intensité et répétition des épisodes pluvieux. Les pratiques culturales sont déterminantes dans son déclenchement : sols labourés à nu ou insuffisamment couverts, ou déstructurés par des travaux inadaptés. La diminution des haies et des herbages est un facteur aggravant. sols limoneux fragiles (cf. encart ci-dessous) ; plus grande abondance des précipitations sur le nord-ouest de la région, donc sols plus facilement saturés et incapables de retenir davantage d’eau ; augmentation des surfaces imperméabilisées sur les bassins versants ; augmentation des grandes cultures céréalières et industrielles au détriment des prairies (taux moyen de retournement pour la Haute-Normandie estimé à 40 % entre 1975 et 2004) et évolution des pratiques agricoles entraînant une dégradation du Les écoulements se concentrent dans les vallons. L’ampleur et la rapidité de ces phénomènes causent des dégâts importants, comme en juin 1997 à St-Martin-de-Boscherville en vallée de l’Austreberthe, en mai 1998 à Fécamp, en mai 2000 sur tout le pays de Caux, de façon répétitive sur la Lézarde… Le ruissellement tend à s’accroître partout, y compris sur le Pays de Bray. La conjonction des facteurs qui augmentent le ruissellement modifie le comportement hydrologique des bassins, amplifie les phénomènes de crues et leurs conséquences. La sensibilité d’un sol à l’érosion tient essentiellement à sa structure. Un sol bien structuré est formé d’agrégats grumeleux. Il est aéré et offre à l’eau à la fois une bonne pénétration et une importante rétention. Pauvres en argiles et formés d’éléments fins, les sols limoneux qui couvrent une grande partie de la région manquent de cohésion et sont naturellement fragiles, tout particulièrement lorsqu’ils ne sont pas couverts par la végétation. L’impact des gouttes de pluie sur les sols nus casse les agrégats (effet splash) et arrache les particules plus fines qui colmatent les pores, réduisant la perméabilité. Le ruissellement est amorcé lorsque les éléments fins constituent par sédimentation un glaçage imperméable en surface, la croûte de battance. La perméabilité d’un sol peut ainsi passer de 30 à 60 mm/h pour un sol bien structuré, à moins de 1mm/h, c’est-à-dire que la quasi totalité de la pluie ruisselle. Ph. 10 - Érosion des sols sur une parcelle laissée nue. Une étude effectuée par la DIREN de Haute-Normandie en 1999 sur le bassin de l’Austreberthe montre assez clairement que, pour une pluviométrie sensiblement constante (légère augmentation non significative des épisodes pluvieux les plus intenses), les crues sont plus fréquentes, avec des montées en charge plus rapides et des volumes écoulés nettement plus importants aujourd’hui qu’il y a trente ans. L’Austreberthe, affluent de la Seine rive droite en aval de Rouen, est une rivière peu sinueuse : longueur hydraulique de 23.3 km pour une longueur de talweg de 18.5 km de pente 5 o/oo. Son bassin s’étend sur 211 km2 et compte 50 000 habitants. L’urbanisation s’est fortement accrue dans les années 1970 (lotissements, ZAC) et se concentre en vallée, où la population est passée de 380 hab./km2 en 1967 à plus de 500 aujourd’hui. Les communes de Barentin, Pavilly, Duclair sont durement touchées par des inondations récurrentes. 25 2 - Les rivières de Seine-Aval Ph. 11 Ruissellement sur le Pays de Caux. Ph. 12 - Bassin de la Lézarde : les berges sont sapées, le lit bouleversé et encombré des plus gros dépôts. Les berges devront être végétalisées, mais ces aménagements risquent d’être emportés si rien n’est fait pour limiter le ruissellement à sa source. Ph. 13 - Bassin de la Lézarde : les riverains de ce ruisseau ont érigé des protections lourdes pour éviter l‘érosion de leurs berges, mais le flot dissipe son énergie sur le fond et le ru s’enfonce lors des crues. Les murs de part et d’autre, sapés à la base, ne vont pas tarder à s’effondrer. Le ruissellement apporte aux nappes et aux rivières des matières en suspension, des matières organiques, des particules microbiennes, des produits phytosanitaires et des micropolluants en provenance des terres agricoles, des chaussées et des surfaces imperméabilisées. Ces apports diffus altèrent non seulement la qualité physico-chimique de l’eau, mais aussi les habitats (colmatage des frayères). Ils soumettent les biocénoses à un stress chronique plus ou moins important selon les périodes. Sur les bassins où ce problème est endémique (Lézarde, Commerce), les atteintes aux milieux aquatiques, déjà considérables, sont encore aggravées par les opérations de curage et de désenvasement - sans commune mesure avec l’entretien courant - qui répondent aux arrivées massives de sédiments. 3 - Les rejets Rejets diffus L’évolution du paysage agricole (diminution des prairies, extension des surfaces labourées) et des pratiques (cultures spécialisées à hauts rendements, gourmandes en engrais et en pesticides), le drainage et l’assainissement des terres agricoles, l’aggravation récente des phénomènes d’érosion et de ruissellement ont conduit à une augmentation très significative des atteintes subies par les milieux aquatiques et imputables aux activités agricoles, cultures et élevage. Les apports en rivières de matières en suspension arrachées aux terres agricoles, d’azote et de phosphore issus des engrais non assimilés et de produits phytosanitaires se font par ruissellement, par percolation dans le cas des parcelles cultivées immédiatement en bordure de la rivière, et par les drains. 26 Drainage : La finalité du drainage est d’évacuer du sol le plus vite possible l’eau en excès. Ses conséquences sur les débits de crue suscitent un large débat. La densité du réseau de drainage accélère à coup sûr la concentration des écoulements de surface et la réponse du bassin versant à un épisode pluvieux. En améliorant le ressuyage, le drainage tend à augmenter l’infiltration et à diminuer le ruissellement, donc à améliorer la capacité de stockage du sol et à réduire le débit de pointe de crue, mais ceci n’est vrai que pour les horizons superficiels et à l’échelle de la parcelle drainée. La situation au niveau du bassin versant est généralement complexe, elle dépend des conditions hydriques préalables, des types de drains (ouverts ou enterrés) et de leur situation par rapport à la nappe. Au-delà des nuances locales, on considère que le drainage non seulement réduit les temps de concentration sur le bassin versant, ce qui accroît le débit de pointe de crue à l’exutoire, mais augmente les volumes d’écoulement annuels aux dépens de l’infiltration profonde. 2 - Les rivières de Seine-Aval La plupart des sols qui pouvaient être drainés à des fins agricoles l’ont été au cours des dernières décennies. La demande reste encore forte dans le Pays d’Ouche et le Perche. Les conditions de réalisation et la localisation des drains et émissaires sont difficilement connues. On estime les surfaces drainées à 6 000 ha en Seine-Maritime, 30 000 ha dans l’Eure et 115 000 ha en Eure-et-Loir. Les études convergent pour montrer que le drainage a des effets non négligeables sur le milieu : il concourt notamment à la disparition des milieux humides, et augmente et accélère les transferts d’intrants vers la rivière. Rejets ponctuels domestiques et industriels Jusqu’au milieu du XXème siècle, les rejets dans le milieu naturel se faisaient généralement sans traitement ou avec des traitements rudimentaires. L’accroissement de la population agglomérée riveraine a conduit, au droit et en aval des agglomérations, au dépassement des capacités d’absorption des cours d’eau et à leur détérioration généralisée. La prise de conscience de ce dysfonctionnement s’est faite dans les années 1950. La première loi sur l’eau de 1964 a organisé la lutte contre la pollution de la ressource, notamment par la définition Les produits phytosanitaires Ce sont toutes les substances utilisées pour préserver les cultures : fongicides, insecticides, herbicides, rodenticides. Plusieurs centaines de molécules actives sont utilisées, dont certaines particulièrement toxiques, rémanentes ou présentant des risques de bioamplification dans les chaînes trophiques. Une proportion non négligeable des substances épandues dérive hors de la zone visée avec des effets néfastes pour les biocénoses. Le lessivage, le ruissellement et le drainage sont les voies principales du transfert des phytosanitaires vers l’hydrosystème. Celui-ci peut être élevé si une pluie survient peu de temps après un épandage. L’atrazine (interdite depuis 2003) est la substance chimique la plus couramment détectée dans les eaux. La Directive Cadre Européenne pour l’eau a établi une liste de 32 substances chimiques préoccupantes pour la qualité des eaux superficielles, parmi lesquelles 11 sont prioritaires et devront disparaître des milieux d’ici 2020. Les zones tampons entre les parcelles cultivées et les milieux aquatiques, en particulier les bandes enherbées le long des berges, sont déterminantes pour la prévention de ces pollutions (cf. ch. 5). d’objectifs de qualité pour les rivières. La généralisation de l’assainissement des collectivités et l’amélioration des niveaux de traitement des eaux urbaines et industrielles ont permis une nette amélioration en aval des principales agglomérations et des points noirs, malgré quelques effets pervers dus au transfert de pollution vers la rivière. Mais les objectifs de qualité sont loin d’être atteints partout et toute l’année. Les cartes départementales d’objectifs de qualité affectent à la plupart des cours d’eau un niveau de qualité en référence à une grille « multiusages » établie en 1971 qui détermine cinq classes de qualité : 1A, 1B, 2, 3, et Hors Classe. En pratique, seuls quelques paramètres physicochimiques sont utilisés : température, pH, Oxygène dissous, DBO5 , NH4+, accompagnés parfois d’un paramètre biologique. Les objectifs de qualité sont censés être satisfaits en permanence et notamment en situation d’étiage (l’étiage de référence étant le QMNA5). Ils s’imposent aux services de police de l’eau pour les autorisations de rejets. Les paramètres classiquement suivis sont surtout aptes à caractériser les pollutions de type urbain. Les micropolluants, toxiques, pesticides, phytosanitaires, très néfastes au bon fonctionnement des écosystèmes, peuvent être suspectés via des paramètres intégrateurs (indices biologiques, état des populations piscicoles), mais ne sont révélés que par des analyses spécifiques, de coût élevé et qui restent encore rares. Ces objectifs de qualité ont été proposés dans les années 1980, en concertation avec les usagers, en prenant en compte les rejets existants et les améliorations que permettaient les techniques de traitement d’alors. Ils sont donc peu ambitieux et ignorent les rejets diffus. Le SDAGE a proposé la réévaluation à la hausse de certains objectifs et assigne par défaut à tout cours d’eau qui n’a pas fait l’objet d’une désignation explicite l’objectif 1B. La mise en oeuvre de la DCE implique la définition de nouveaux objectifs concernant l’état chimique d’une part, et l’état écologique d’autre part (cf. p. 29). Évolution du nombre de stations du secteur Seine-Aval respectant leur objectif de qualité Cet histogramme témoigne de l’amélioration moyenne de la qualité physico-chimique ces dernières années. Il importe toutefois de remarquer que les paramètres classiquement retenus pour le suivi de la qualité prennent essentiellement en compte les pollutions organiques urbaines, qui sont les mieux maîtrisées. Les pollutions diffuses, les micropolluants toxiques, les atteintes aux biocénoses et aux biotopes sont ignorés. 27 2 - Les rivières de Seine-Aval 4 - Les espèces invasives L’apparition d’espèces étrangères aux biocénoses locales, ou le caractère envahissant d’espèces autochtones, ont pris depuis quelques années une ampleur sans précédent. Ces phénomènes tiennent à de nombreux facteurs : développement des échanges commerciaux augmentant les risques d’introduction accidentelle d’espèces, rempoissonnements, multiplication des plans d’eau, fragilisation des écosystèmes perturbés. Jusqu’alors peu pris en considération par les gestionnaires, ils sont pourtant, après la destruction des habitats, le second facteur de la disparition d’espèces sous l’effet de la compétition interspécifique, des dérives génétiques, de la transmission potentielle de maladies ou de parasites… Ils font émerger de nouveaux problèmes pour la gestion des milieux. Une espèce végétale ou animale est invasive lorsqu’elle a tendance à évincer les autres espèces du même biotope. Elle peut devenir invasive en dehors de son aire de répartition, cas de nombreuses plantes exotiques introduites telles que les renouées du Japon, les élodées, la jussie, ou lorsqu’elle se trouve favorisée par un changement des conditions du milieu préjudiciable aux espèces locales de moindre amplitude écologique. C’est la cas, en rivière, pour les espèces végétales adaptées aux niveaux trophiques croissants, comme les algues filamenteuses ou le cornifle nageant. Une espèce animale devient envahissante lorsque sa population n’est pas ou n’est plus contrôlée par une pression de prédation et lorsque les conditions de son environnement (nourriture, habitat) ne contrarient pas sa multiplication. Il s’agit souvent d’espèces introduites. Les problèmes de gestion de la rivière et de ses berges générés par les espèces végétales envahissantes sur le secteur Seine-Aval sont analysés dans les chapitres thématiques consacrés au lit (chap. 4) et à la ripisylve (chap. 6). Une fiche du Les écrevisses exotiques : chapitre 6 est consacrée aux Plusieurs espèces d’écrevisses rongeurs (ragondins et rats exotiques sont présentes sur les musqués), qui causent des rivières du secteur Seine-Aval, sans qu’on dispose de données suffisandégâts parfois considérables tes pour dresser un état des lieux aux berges. D’autres espèces de leurs populations. L’écrevisse animales exogènes invasives américaine (Orconectes limosus), échappée d’élevages, est nettement peuvent se rencontrer dans les envahissante. Plus prolifiques et tomilieux aquatiques et annexes et lérantes vis-à-vis des perturbations doivent être connues à ce titre : du milieu, elles entrent en compétition avec les populations naturelles le vison d’Amérique, le poisson qu’elles finissent par supplanter. chat, la perche soleil, la tortue Elles peuvent être porteuses saines champignon parasite, Aphanode Floride, la grenouille taureau, d’un myces astaci, vecteur de la « peste les écrevisses exotiques, des des écrevisses », mortelle pour les oiseaux comme le grand cormoran espèces autochtones. Il est souhaitable que les pêcheurs soient en (cf. p. 99) ou l’érismature rousse, mesure d’identifier ces espèces afin un insecte comme le capricorne de les distinguer des espèces indiasiatique, xylophage. Ces espèces gènes : l’écrevisse à pattes rouges (Astacus astacus) et l’écrevisse à ne sont pas encore une gêne pattes blanches (Austropotamobius véritable sur le secteur Seine-Aval pallipes), inscrite à l’annexe II de la et ne concernent pas directement directive Habitats. le gestionnaire de la rivière. III Le suivi qualitatif des milieux aquatiques La complexité des milieux aquatiques rend très difficiles la connaissance fine de leur état et de leur fonctionnement : il faudrait investiguer tous les compartiments de l’écosystème - eau, biotopes, biocénoses (benthos, necton, hydrophytes, ripisylve…) - et disposer de descripteurs aptes à qualifier globalement leur état, ce qui nécessiterait des protocoles complexes, inutilisables en routine. Le projet de SEQ-physique repose sur quatre principes : 1. L’évaluation porte sur des tronçons homogènes de cours d’eau. On a aujourd’hui une assez bonne connaissance de la physicochimie de base (MES, MO, N, P…), pour laquelle des réseaux de suivi sont organisés depuis 1975 : réseau national de bassin (RNB) et réseaux locaux (en Eure-et-Loir notamment). Des réseaux spécialisés ont été créés plus récemment pour appréhender les pollutions particulières (métaux, toxiques, produits phytosanitaires). 2. La description des tronçons se fait au moyen d’une fiche unique renseignant un ensemble de variables, informations le plus souvent qualitatives. La grille multicritère utilisée depuis 1971 pour les objectifs de qualité et leur suivi a été remplacée par un outil national d’évaluation de la qualité des eaux de surface, le SEQ-Eau. • Une note globale de qualité du milieu physique sous forme d’un indice variant de 0 à 100. Depuis janvier 2002, le SEQ-Eau est l’outil national d’évaluation de la qualité des eaux de surface (lettre circulaire du Ministère de l’Environnement du 10 juin 1999). Il permet d’évaluer la qualité physico chimique de l’eau d’une rivière et son aptitude à assurer certaines fonctionnalités. 156 paramètres sont regroupés en 15 altérations (matières azotées, nitrates, acidification…), qui permettent de définir 5 classes de qualité physico-chimique de « très bonne » à « très mauvaise ». Le SEQ permet également d’évaluer en 5 classes d’aptitude l’incidence de la qualité de l‘eau sur la biologie et sur les usages (production d’eau potable, loisirs aquatiques, irrigation, abreuvage, aquaculture). Sur le secteur Seine-Aval, 70 stations (dont 24 en Seine) font l’objet d’une continuité de mesures depuis 1990. 28 Une réflexion est en cours pour compléter le SEQ-Eau par un SEQ-Bio et un SEQ-Physique, mais on ne dispose pas à ce jour de descripteurs standardisés de la qualité des habitats ou du milieu physique. 3. Une typologie des cours d’eau permet d’apprécier l’état « naturel » de référence des variables descriptives selon le type de cours d’eau. 4. Des indices de qualité sont obtenus en combinant les variables, chaque variable étant pondérée en fonction de l’importance qu’elle a dans le fonctionnement du type de cours d’eau étudié. Il permettra d’obtenir tronçon par tronçon : • Une note par compartiment (berge, lit majeur, lit mineur…), par critère (plaine d’inondation, annexes fluviales, ripisylves…) et par variable fonctionnelle (hydrologie, connectivité…) permettant d’affiner le diagnostic. • Une note par fonction naturelle élémentaire (autoréparation, alimentation de la nappe, régulation hydrologique) et par usage anthropique permettant de juger de l’aptitude du cours d’eau à satisfaire ces fonctions ou usages. Les analyses physico-chimiques donnent un aperçu instantané et ponctuel d’une situation complexe conditionnée par les apports amont, les processus biologiques et les aléas climatiques. Le suivi de la qualité physico-chimique s’impose à divers titres dans la gestion de l’eau et des milieux (maîtrise des pollutions ponctuelles industrielles ou domestiques et des 2 - les rivières de Seine-Aval effluents d’élevages par exemple), mais il ne suffit pas à évaluer l’état écologique des milieux et n’est pas, a priori, un indicateur permettant une corrélation lisible avec un programme de gestion de la rivière. Des paramètres biologiques intégrateurs basés sur les invertébrés benthiques (IBG), les diatomées (ID), les peuplements piscicoles (IP), sont utilisés pour qualifier la qualité globale des milieux. L’indice biologique global normalisé (IBGN) donne une expression synthétique de la qualité générale d’un cours d’eau au moyen d’une analyse des macro-invertébrés benthiques : valeur d’indice comprise entre 0 et 20, qui peut être affinée par une analyse des listes faunistiques (abondance et variété des taxons). L’IBGN est un indice adapté aux cours d’eau de faible profondeur, intéressant pour évaluer, dans les limites de sa sensibilité, l’effet de travaux qui ont un effet positif ou négatif sur les habitats. Les stations de prélèvement choisies doivent être représentatives de la portion de rivière concernée par les interventions. Elles doivent faire l’objet d’une description précise à l’échelle des faciès, avant et après intervention. Pour que le diagnostic soit fiable, il doit porter sur un cycle annuel, ce qui suppose trois à quatre campagnes (jamais moins de 2), par exemple en mars, juin et septembre, en évitant les conditions de fort débit et les périodes qui suivent de possibles bouleversements du fond (crue morphogène, pollution, travaux). Voir norme Afnor NF T 90-350. L’indice biologique diatomées (IBD), normalisé en 2000 (NF T 90-354), permet de caractériser la qualité physico-chimique des eaux, par la détermination d’algues brunes microscopiques sensibles notamment aux pollutions organiques et toxiques. Il définit cinq classes de qualité, de très mauvaise (indice < 5) à bonne (indice > 17). Depuis 1995, le Conseil Supérieur de la Pêche assure, par l’interprétation de pêches électriques, le suivi d’un réseau hydrobiologique et piscicole (RHP) riche de 24 stations sur Seine-Aval. Les poissons sont un indicateur global de la qualité du milieu car ils sont au sommet des chaînes alimentaires et sont directement affectés par la qualité de l’eau et des habitats. L’indice poisson , en usage depuis 2001, mesure l’écart entre le peuplement présent, déterminé à la suite d’une pêche électrique, et un peuplement de référence attendu en l’absence de perturbation. En fonction de la présence et de l’abondance d’espèces caractéristiques, l’indice permet de définir 5 classes de perturbation de nulle (indice compris entre 0 et 7) à très forte (indice> 35). Les données des quatre dernières années disponibles témoignent d’une altération importante de l’état des peuplements sur les rivières du secteur, puisque trois stations seulement ont des résultats bons (mais non excellents) sur la période. Il est à noter que les grands migrateurs ne font pas partie des espèces caractéristiques. L’indice poisson n’intègre donc que de manière imparfaite l’importante perturbation due au cloisonnement généralisé des rivières du secteur. La mise en œuvre de la Directive Cadre Européenne sur l’Eau adoptée en 2000 demande une réorganisation des réseaux de suivi des milieux afin d’intégrer les paramètres permettant de qualifier l’état écologique des masses d’eau (aspects quantitatifs, chimiques et biologiques). Cette réorganisation est en cours de définition. Un « réseau patrimonial » (l’équivalent du RNB) permettra de surveiller la qualité des eaux. Il sera complété par des réseaux locaux dits « opérationnels » ou « de contrôle », non pérennes, pour évaluer l’efficacité des actions entreprises localement pour atteindre le bon état écologique. Un réseau « de référence » piloté par les DIREN définit pour chaque type de masse d’eau l’état biologique vers lequel il faut tendre (objectif de bon état écologique à atteindre partout en 2015) et permet de mesurer les écarts éventuels à l’objectif. Le MEDD a publié, le 26 juillet 2005, une circulaire de cadrage sur la définition du bon état écologique, qui fixe les valeurs seuils à adopter pour les eaux douces de surface. Une typologie des masses d’eau de surface fondée sur les hydroécorégions et sur la taille des cours d’eau permet de fixer, pour chaque grand type de milieu, les valeurs de référence définissant le bon état au sens de la DCE. La circulaire précise quels éléments biologiques pertinents retenir pour évaluer l’état d’une masse d’eau, au moins sur la base d’un indice végétal (IBMR, IBD) et d’un indice animal (IBGN, IP) et en retenant l’élément le plus déclassant. La physicochimie et l’hydromorphologie interviennent dans l’analyse des facteurs explicatifs de l’état biologique. Bon état écologique des masses d’eau de type « tables calcaires » IBGN Cours d’eau grands à moyens (classe B – rangs de Stralher 5 à 4) 15 [14 ; 12]* Cours d’eau petits à très petits (classe A – rangs de Stalher 3 à 1) 17 [16 ; 14] Cours d’eau moyens (classe B – rang de Stralher 4) 15 [13 ; 12] Cours d’eau petits (classe A – rang de Stralher 3) 15 [13 ; 12] IBD IP 16 [15 ; 13] [7 ; 16] Type général Sous-type « Normandie Picardie » * valeur de référence [limite supérieure du bon état ; limite inférieure du bon état] 29 2 - les rivières de Seine-Aval Sur le secteur Seine-Aval, toutes les masses d’eau de surface appartiennent au type « Tables calcaires », au sein duquel on distingue, pour les seuils concernant l’IBGN, un sous-type « Tables calcaires Normandie Picardie ». Hydroécorégion 22 hydroécorégions de niveau 1 (HER-1) ont été identifiées par le Cemagref sur la base de critères combinant la géologie, le relief et le climat, considérés de manière universelle comme les déterminants primaires du fonctionnement des écosystèmes d’eaux courantes. Ces HER-1, couplées à une description longitudinale du réseau à partir des rangs de Stralher, fournissent la base de la typologie requise pour la mise en application de la DCE (typologie des eaux courantes et des peuplements de référence d’invertébrés). Un type de masse d’eau est donc défini par son appartenance à une hydroécorégion et à une classe de taille, qui croît de l’amont vers l’aval selon l’arborescence du bassin versant. Le bon état écologique est défini pour chacun de ces types, tenant donc compte de la répartition régionale et longitudinale des espèces biologiques. Les chapitres thématiques 4 à 8 proposent quelques outils et orientations pour juger, sans investigations coûteuses, de l’état de fonctionnalité des milieux aquatiques locaux et de leur réponse aux interventions courantes. 30