III Face à l`éternité du monde : Maïmonide, Thomas d`Aquin

1
Recherches sur les notions de création et éternité du
monde. (UNIA - 2015-2016 - 19 janvier 2016) - Richard Beaud.
III Face à l'éternité du monde : Maïmonide - Thomas
d'Aquin.
Introduction.
Notre rencontre de la semaine dernière, dans notre interrogation sur les notions de création et
d'éternité du monde, nous a amenés à nous arrêter longtemps aux textes d'Aristote (384-322) et
d'Averroès (1126-1198). Nous avons vu que, pour Aristote, l'éternité du temps et du mouvement
entraîne l'éternité de la matière, donc de tout ce qui est. Dans un éternel mouvement qui se
subdivise en sous-mouvements, par génération et corruption, les choses se font, se défont et se
refont sur le fondement des quatre causes, de la matière première et des formes substantielles, de
la puissance et de l'acte. Ce mouvement éternel ne peut s'expliquer que par la présence d'un
premier Moteur immobile, compris comme une cause finale qui meut sans être lui-même.
L'image qu'utilise Aristote pour expliquer ce fait est celle du Bien et de l'Intelligible (le Vrai) qui
meuvent la volonté et l'intellect. Ainsi, le premier Moteur immobile meut sans être mû lui-même.
Averroès reprend cette idée de l'éternité du monde. Il n'y voit pas d'opposition à sa foi
musulmane qui, d'après le Coran, présente Dieu dans son unicité, comme créateur. S'il y a
opposition entre éternité du monde et foi en la création, cela ne peut être que pour ceux qui n'ont
pas de culture philosophique, car il faut savoir distinguer, dit-il, entre le sens ésotérique et le sens
exotérique. Averroès demande aux théologiens qu'ils acquièrent une culture philosophique, car
elle est une protection contre toute compréhension simpliste et littérale du texte sacré. Averroès
fut néanmoins poursuivi, maltraité, persécuté et emprisonné à cause de ses positions
philosophiques jugées contraire à la foi islamiste.
Notre rencontre d'aujourd'hui a pour but l'étude des textes de deux défenseurs de la création.
D'abord un très grand penseur juif, Moïse ben Maïmoun, surnommé Moïse l'Egyptien, puis un très
grand penseur chrétien, dominicain, Thomas d'Aquin. L'un et l'autre ont étudié les textes
d'Aristote ainsi que ceux de leurs commentateurs arabes, Al-Ghazel, Avicenne, Averroès. Ils
étudient point par point leur cheminement, d'abord ceux d'Aristote mis en rapport avec les
commentateurs arabes. Ils étudient également point par point le texte biblique de la Genèse. Leurs
conclusions sont intéressantes. Ils admettent la logique et les conclusions d'Aristote et d'Avicenne
sur l'éternité du monde. Rationnellement leurs développements sont défendables. Néanmoins,
l'unité du cosmos, habité dans ses sphères et ses éléments de causalité si oppoes, postule une
cause unique. Ainsi pour l'un et l'autre, bien que l'éternité du monde puisse se comprendre,
rationnellement, il est plus rationnel encore de postuler une cause première de tout. Mais
finalement, le texte biblique indique la voie à suivre, qui est celle de la foi au Dieu créateur. Il y a
une convergence entre la postulation d'une cause première et la révélation biblique. Pour cette
raison, c'est la notion de création qui s'impose. Maïmonide défend cette voie tout en disant que ce
n'est pas à cause du texte biblique que le dogme de la création "ex nihilo" s'impose, mais il est
admis, dit-il, par un besoin religieux (cf. Livre II, chap. XXV du Guide des égarés). Nous aurons
à donner des précisions sur ce "besoins religieux". Quant à Thomas d'Aquin, dans la même ligne,
2
il dit que c'est du fait de la révélation que le dogme de la création s'impose aux croyants. Comme
nous l'avons vu dans notre première conférence ("Au commencement Dieu créa..." Que dit le
texte de la Genèse ?), ce terme de "création", pour être compris, ne doit pas être séparé de la
notion biblique d'Alliance. Dans un premier point nous nous tournons vers Maïmonide; ensuite
dans un deuxième temps nous interrogerons les textes de Saint Thomas d'Aquin.
I -- La position de Maïmonide (1135-1204).
Maïmonide est un très grand penseur, philosophe-théologien, connaisseur aussi bien de la
tradition plus mystique des penseurs juifs d'où sortira la Cabbale, que de la tendance plus
proprement philosophique qui tenait en haute estime les philosophes grecs et, à ce titre, lisait et
traduisait les textes des philosophes arabes. Maïmonide appartient plus directement à cette
deuxième tendance. Il deviendra, grâce à ses Commentaires, une grande autorité dans le judaïsme.
Dans un premier temps, nous nous arrêterons quelques instants à sa biographie. Puis, ensuite
nous étudierons sa position sur l'éternité du monde et la création.
1 -- Quelques éléments biographiques et bibliographiques 1.
--> Maïmonide est le 30 mars 1135 (14 Nissan 4895) à Cordoue. Son père, Maïmoun ben
Joseph, descendant d'une vieille famille de docteurs qui faisait remonter ses origines au rédacteur
de la Mischna, Rabbi Juda Ha-Nâci et même jusqu'au roi David, était un savant talmudiste,
mathématicien et astronome. C'est ainsi que le fils suivit les pas de son père. Il se plongea avec
ferveur dans les études rabbiniques, grecques, dans la médecine, la logique, la morale, les
mathématiques, l'astronomie, les sciences naturelles et la philosophie. Comme Averroès, il acquit
un savoir encyclopédique dans les divers domaines scientifiques. Cette ouverture d'esprit l'a aidé à
comprendre, à la différence de nombre de ses contemporains, qu'il ne peut pas y avoir
d'opposition entre la foi et la raison. Au contraire, ces deux domaines ne peuvent que s'unir dans
une belle harmonie.
--> En 1148, les Almohades, secte fanatique de l'Islam d'Afrique du Nord, pénètrent en Espagne,
s'emparent de Cordoue et imposent aux habitants le choix entre la conversion ou l'émigration.
Beaucoup de juifs partent vers le nord, tandis que d'autres, restant sur place, s'accommodent de
l'Islam tout en pratiquant leur religion en secret ; il semble que Maïmoun avec sa famille quitte
Cordoue pour l'Andalousie. Pendant tout ce temps, le jeune Maïmonide étudie et commente le
Talmud de Babylone qui n'avait jamais été commenté.
--> En 1160, Maïmoun avec ses deux fils (Moïse et David) ainsi que sa fille, se fixe à Fez, au
Maroc, alors que les Almohades faisaient régner la terreur. Toute la famille dût cacher sa religion
pour échapper à la persécution. Mais Maïmoun ne cessait d'exhorter ses frères à la fidélité à leur
foi et son fils Moïse le secondait dans cette activité. Il écrivit à cette époque une Lettre sur
l'apostasie. Il y défend entre autre l'idée intéressante qu'il vaut mieux, par fidélité à la foi juive,
faire semblant de pratiquer l'Islam plutôt que de s'y opposer et de s'exposer à la mort. Dieu saura
reconnaître les siens et leur fidélité intérieure. Maïmonide déploie une énorme activipar ses
exhortations écrites, par ses prêches, à tel point que l'autorité musulmane prit la décision de le
mettre à mort. Il dût son salut à l'intervention d'un poète et théologien arabe, Ibn Moïscha.
--> En 1165, Maïmoun et toute sa famille s'embarque pour la Palestine. Ils arrivent à Saint Jean
d'Acre, le 16 mai ; ils y sont reçus en grande fête. Ils partent pour Jérusalem et Hébron, au
tombeau des Patriarches.
--> Mais c'est finalement vers l'Egypte qu'ils vont se diriger. Arrivés à Alexandrie, ville
résidaient trois milles familles israélites, ils vont s'installer à Fostat, près du Caire. C'est en cette
1 Pour cela, je me réfère à Louis-Germain Levy, Maïmonide, Paris, Félix Alcan, "Les Grands Philosophes",
1911, p. 1-27.
3
ville que Maïmonide va travailler jusqu'à sa mort. Son propre père mourut en 1166, un an après
leur arrivée dans cette ville. Puis c'est la mort de son frère David, commerçant en perles, mais sur
qui reposait la subsistance de la famille. Pour vivre, Maïmonide exerce la médecine, donne des
cours de philosophie, tout en travaillant à son Commentaire du Talmud, puis à un Commentaire
de la Mischna dont le but était de mettre l'étude de la tradition à la portée du public. Ce
commentaire passa d'abord inaperçu auprès des juifs orientaux qui n'avaient pas la culture des
juifs occidentaux.
--> En 1171, Saladin devint le seul maitre de l'Egypte, de la Palestine, Syrie jusqu'à l'Euphrate et
Bagdad. Les juifs eurent beaucoup à souffrir ; c'est à partir de cette période que Maïmonide devint
célèbre. Des troubles s'étaient manifestés dans la communauté juive du Yémen ; à ce moment, un
disciple de Maïmonide, Salomon ha-Cohen, publie les œuvres de son maître ; le docteur le plus
estimé des juifs du Yémen, Jacob el-Fayoumi, s'adresse à Maïmonide pour lui demander conseil.
Maïmonide lui envoie une lettre qui va devenir célèbre, pour encourager la communauté. C'est La
Porte de l'Espérance, (Pétah Tiqveh), appelée également Epitre du Sud. La réputation de
Maïmonide ne cesse de croître ; il devient Rabbin du Caire ; il est nommé médecin à la cours de
Saladin. C'est à cette époque qu'il écrira la Mischné Torah qui est une codification de la
législation et de la religion juive, biblique et rabbinique. Un autre ouvrage verra le jour ; il s'agit
du Livre des Préceptes du judaïsme (Sefer ha-Miçvoth). D'après la tradition, les lois mosaïques
sont au nombre de 613 dont 365 défenses et 248 commandements. Maïmonide compose
également un Traité de la Résurrection en 1191, pour protester contre des accusations selon
lesquelles il la niait au profit de l'immortalité de l'âme. C'est à cette époque que Richard Cœur de
Lion voulut le prendre à son service. Mais Maïmonide refusa. Ecoutons cet épisode intéressant :
vers 1187, Maïmonide courut un grand danger. Ibn Moïscha qui l'avait sauvé de la mort à Fez,
vers 1163-1164, accusa Maïmonide d'avoir pratiqué l'Islam pendant longtemps, puis d'être revenu
au judaïsme. Pour cela, il était un apostat, ayant quitté l'Islam. A ce titre, il méritait la mort.
Alfadhel, juge de la cour de Saladin, devant qui il comparut, l'acquitta en déclarant qu'une foi
imposée par la violence n'avait aucune valeur et pouvait tout à fait être abandonnée. Puis, grâce à
Alfadhel, Maïmonide fut nommé chef de toutes les communautés juives d'Egypte.
--> En 1190, parut le chef d'œuvre de Maïmonide, Le Guide des égarés (le Moréh Neboukhim)
qu'il faudrait plutôt appeler "Le Guide des indécis". Dans les dernières années de sa vie,
Maïmonide a entretenu une correspondance active avec les juifs de Provence et de Marseille. Il
mourut le 13 décembre 1204 à Fostat. Il fut inhumé à Tibériade.
Pour terminer, voici quelques mots sur Le Guide des égarés qui est l'œuvre la plus célèbre de
Maïmonide. Dans ce livre, il expose ses idées les plus intimes et les plus hardies dans les rapports
qu'il établit entre le texte sacré et la métaphysique. Pour Maïmonide, la philosophie d'Aristote
telle qu'elle avait été présentée par Elfarabi et Avicenne, est la vérité. Or la vérité est une. Il s'agit
de montrer que les conceptions juives et les conceptions philosophiques correspondent. Il s'agit de
faire œuvre théologique puisque la théologie est aussi la justification rationnelle d'une doctrine
religieuse. Pour Maïmonide, l'Ecriture renferme sous forme allégorique l'énoncé des vérités
métaphysiques ; ainsi il retrouve dans la Bible et dans le Talmud, les idées aristotéliciennes.
Maïmonide reprend à Aristote sa constitution des sphères et du monde sublunaire, sa conception
de la forme et de la matière, celle de la puissance et de l'acte. Mais il sait aussi prendre ses
distances par rapport à Aristote. Contre celui-ci, il soutient que le monde a été crée "ex nihilo". La
métaphysique coïncide avec le plus haut degré de la religion. L'objet de la métaphysique, c'est de
solliciter "l'épanchement" (l'émanation) de l'intellect actif qui établit un rapport intime entre Dieu
et l'homme (cf. Livre II du Guide, chapitre XII :"De la véritable idée de l'épanchement (FEID)
ou de l'émanation). La vraie science, le but suprême des efforts, la plus noble des fins, c'est la
connaissance et l'amour de Dieu. Connaissance de Dieu, perfection morale, béatitude, c'est tout
un. L'intelligence humaine devenue intellect en acte, s'unit à l'intellect actif universel émané de
Dieu. Une fois l'intelligent identifié à l'intelligible, il n'y a plus oubli, parce que les facultés
inférieures de l'âme, telles que l'imagination et la mémoire, n'y ont aucune part. D'où cette
4
conséquence que seuls sont immortels les justes qui, dans cette vie, sont arrivés au degré de
l'intellect acquis, tandis que le commun est voué à la destruction. Voyons sur cette présentation
générale, ce que Maïmonide dit à propos de l'éternidu monde et de la création. Notre texte de
référence est Le Guide des égarés.
2 -- La question de l'éternité du monde - création.
Le Guide des égarés est l'oeuvre la plus célèbre de Moïse Maïmonide. Il se divise en trois
parties que je présente :
(1) - La première partie s'étale sur 76 chapitres composés, chacun, en moyenne, de cinq ou six
pages. Le but de cette première partie est de préparer le lecteur à aborder les grandes questions
philosophico-théologiques débattues dans la communauté juive et dans la communauté
musulmane car tous se trouvent, à partir de leur foi respective, confrontés aux grandes questions
qui viennent de la philosophie grecque et surtout de l'aristotélisme. Maïmonide explique un
certains nombre de mots homonymes que l'on trouve dans la Bible, et leur sens quand ils sont
attribués à Dieu. Il aborde la question des attributs divins et il montre qu'il faut écarter de Dieu
toute espèce d'attribut et il montre également dans quel sens il faut entendre les divers termes
attributifs employés soit dans la Bible, soit chez les philosophes. Il donne un résumé des systèmes
des théologiens musulmans adoptés en partie par les théologiens juifs d'Orient. Le but est de
montrer que si nécessaire que soit la philosophie, elle est impuissante à donner une base
rationnelle aux dogmes les plus importants de la religion, notamment pour démontrer l'existence
de Dieu, son unité et son incorporalité. Impuissante également à permettre de comprendre tout ce
qui est, car finalement seule la création "ex nihilo" permet d'entrer dans le mystère qu'est Dieu.
(2) - La deuxième partie est composée de 48 chapitres dont chacun est composé de sept à huit
pages. C'est la partie la plus aride du Guide dans laquelle il entre en discussion, sur la base de la
philosophie aristotélicienne, avec les théologiens musulmans. Cette deuxième partie est constituée
elle-même de deux parties.
Après avoir, dans les derniers chapitres de la première partie, fait voir toutes les subtilités
puériles des théologiens musulmans et leurs vaines tentatives pour démontrer les vérités
religieuses les plus hautes ainsi que les vérités philosophiques, dans cette deuxième partie,
Maïmonide veut établir ces vérités sur des bases sûres. Il y est dès lors question de l'existence d'un
Dieu unique non enfermé dans les limites de l'espace et du temps, de celles des êtres immatériels
par l'intermédiaire desquels il crée et conserve ce qu'il a créé, de la production du monde par la
volonté libre de Dieu. C'est dans cette deuxième partie que Maïmonide traite des questions de
l'éternité du monde et de la création, démontrant l'influence des démonstrations d'Aristote reprises
par les Arabes. Comme nous le verrons, il s'arrête longuement à l'insuffisance de la démonstration
de la création "par cessité " de la théologie arabe, car seule la création relevant d'une libre
volonté correspond au texte biblique. Plus importante que la question de la création, il y va ici de
la conception de Dieu. Mais Maïmonide reconnaît que tout ce que dit Aristote est vrai ;
néanmoins, la révélation donne une vision plus large, plus profonde et plus complète. C'est pour
cette raison qu'il faut finalement s'engager dans cette voie.
La deuxième partie de cette deuxième partie est consacrée à la prophétie dans laquelle l'auteur
ne voit que l'entéléchie absolue des facultés intellectuelles et morales de l'homme. Celles-ci,
arrivées à leur plus haute perfection et aidées par la force de l'imagination qui place l'homme dans
un état extatique, nous rendent propres dès cette vie, à une union parfaite avec l'intellect actif.
Tous les hommes arrivés à ce stade de perfection, seraient nécessairement prophètes si la volonté
de Dieu n'avait pas réservé exclusivement le don de prophétie à certains hommes, comme Moïse,
qui sont élus, et ne l'avait pas refusé à tous les autres malgré leur aptitude. En ce sens, ce
deuxième sujet de la deuxième partie traitera également de la vision, des songes.
(3) - La troisième partie du Guide est composée de 54 chapitres, elle traite de sujets moins arides,
elle prolonge d'abord la réflexion sur la prophétie commencée dans la partie précédente. Six
5
chapitres sont consacrés aux visions d'Ezéchiel. Puis viennent les sujets de la Providence divine,
de la prescience de Dieu, du libre-arbitre et de questions de théologie morale.
Ce livre est une somme de théologie juive dont le but est d'insister sur l'inséparabilité de la
raison et de la foi, et en même temps sur la vélation particulière que Dieu a faite au peuple
d'Israël. Les chapitres consacrés à la question de l'éternité du monde se trouvent au début de la
deuxième partie du livre. Il s'agit des trente premiers chapitres dont les premiers concernent la
question qui leur est unie de l'existence, de l'unité et de l'incorporalité de Dieu. Les chapitres LXX
et LXXIV de la première partie concernent également la création ; il s'agit dans le "Calam" des
sept méthodes utilisées par les "Motécallémîn"2 , c'est à dire les théologiens représentant le
courant de la théologie rationnelle, pour démontrer la création du monde et, subséquemment,
l'existence de Dieu. Nous allons suivre les chapitres XIII à XXV de la deuxième partie
2.1 -- Les diverses positions concernant le sujet de la création (Chapitre XIII).
Maïmonide commence au chapitre XIII, par résumer les trois positions traditionnelles
concernant la création et l'éternité du monde. Ce sont les arguments des uns et des autres pour
appuyer leur théorie respective, qui vont retenir notre attention.
(1) - La première opinion est celle de ceux qui admettent la loi de Moïse, autrement dit les juifs
croyants et pratiquants. Ceux-ci admettent que c'est Dieu qui a produit l'univers du néant pur et
absolu. Rien n'existe avant lui. C'est lui qui a tout tiré du néant. La question sur laquelle
Maïmonide tient à attirer l'attention pour éviter toute incompréhension est celle du temps.
Création de tout par Dieu "ex nihilo" ne veut pas dire qu'il fut un temps dans lequel Dieu existait
et dans lequel, par un acte de création, il posât le monde. Le temps n'est pas une substance vide
préexistante ; c'est un accident de ce qui est. En conséquence, il n'y a pas d'avant la création, ni
temps préexistant, ni éternité. Le temps est un accident de ce qui est. C'est que se trouve le
premier argument de Maïmonide contre l'éternité de la matière. Ainsi, on peut voir que pour
Maïmonide la question du commencement des choses et celle de l'éternité de Dieu ne se situent
pas au même niveau. Création au sens biblique, cela ne signifie pas commencement des choses.
Ceux qui défendent l'éternité de la création n'ont pas compris cette différence de niveau.
(2) - La deuxième opinion concernant la création-éternité du monde est, dit Maïmonide, celle de
philosophes pour lesquels il n'est pas possible que Dieu puisse créer à partir du néant. Les choses
sont faites de matière et de forme. Comment Dieu peut-il faire advenir les choses à l'existence en
leur insufflant leur forme et les laisser disparaitre en laissant réduire leur forme à néant ? La seule
manière de sortir de ce dilemme est d'admettre l'éternité de la matière. Telle est la position des
"Motécallémîn". Dieu cause l'existence des choses à partir de la "materia prima" préexistante et
éternelle. Maïmonide rejettera cette position basée sur une fausse compréhension du mot éternité.
Ce mot ne signifie pas un temps infini, car la notion de temps ne signifie qu'un accident des
choses. Elle ne concerne pas Dieu. Ainsi Maïmonide, en parlant de la création, veut rendre attentif
au fait que le sens des choses et du monde est inséparable de la notion de transcendance de Dieu.
2 "Calam-Motécallémîn", les chapitres LXXI - LXXIV de la première Partie partent de l'origine du "Calam" et
de la méthode théologique des représentants de ce mouvement qui ne veut pas séparer la philosophie de la
théologie. C'est avec eux que discute Maïmonide. Tout en acceptant leur méthode théologique, il en démontre
l'insuffisance au profit de la révélation judaïque. "Calam" est un mot arabe qui signifie "discours", "parole",
"spéculation". Le mot "Motécallémîn" signifie "ceux qui spéculent", les "dialecticiens". Le mot hébreu qui
traduit ce mot est "Medabberim". Le "Calam" est une théologie orthodoxe musulmane qui se développa à
partir du IIème siècle de l'hégire et introduisit le "péripatétisme". Les "Motécallémîn" admettent la création de
la matière, la "nouveauté" du monde, un Dieu libre transcendant et agissant sur le monde, les atomes ; sans
cesse Dieu en crée de nouveaux. Tout ce qui existe est immédiatement l'oeuvre de Dieu. Les privations ou
accidents négatifs sont produits par Dieu, tout comme les accidents positifs. L'âme elle-même n'est qu'un
accident que Dieu continue de maintenir. Dieu seul est cause. Deux faits ne s'enchainent jamais nécessairement
l'un l'autre. L'ensemble de l'univers pourrait être tout autre qu'il n'est (cf. Louis-Germain Lévy, Maïmonide, p.
4, note1).
1 / 22 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !