III Face à l`éternité du monde : Maïmonide, Thomas d`Aquin

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Recherches sur les notions de création et éternité du
monde. (UNIA - 2015-2016 - 19 janvier 2016) - Richard Beaud.
III Face à l'éternité du monde : Maïmonide - Thomas
d'Aquin.
Introduction.
Notre rencontre de la semaine dernière, dans notre interrogation sur les notions de création et
d'éternité du monde, nous a amenés à nous arrêter longtemps aux textes d'Aristote (384-322) et
d'Averroès (1126-1198). Nous avons vu que, pour Aristote, l'éternité du temps et du mouvement
entraîne l'éternité de la matière, donc de tout ce qui est. Dans un éternel mouvement qui se
subdivise en sous-mouvements, par génération et corruption, les choses se font, se défont et se
refont sur le fondement des quatre causes, de la matière première et des formes substantielles, de
la puissance et de l'acte. Ce mouvement éternel ne peut s'expliquer que par la présence d'un
premier Moteur immobile, compris comme une cause finale qui meut sans être mû lui-même.
L'image qu'utilise Aristote pour expliquer ce fait est celle du Bien et de l'Intelligible (le Vrai) qui
meuvent la volonté et l'intellect. Ainsi, le premier Moteur immobile meut sans être mû lui-même.
Averroès reprend cette idée de l'éternité du monde. Il n'y voit pas d'opposition à sa foi
musulmane qui, d'après le Coran, présente Dieu dans son unicité, comme créateur. S'il y a
opposition entre éternité du monde et foi en la création, cela ne peut être que pour ceux qui n'ont
pas de culture philosophique, car il faut savoir distinguer, dit-il, entre le sens ésotérique et le sens
exotérique. Averroès demande aux théologiens qu'ils acquièrent une culture philosophique, car
elle est une protection contre toute compréhension simpliste et littérale du texte sacré. Averroès
fut néanmoins poursuivi, maltraité, persécuté et emprisonné à cause de ses positions
philosophiques jugées contraire à la foi islamiste.
Notre rencontre d'aujourd'hui a pour but l'étude des textes de deux défenseurs de la création.
D'abord un très grand penseur juif, Moïse ben Maïmoun, surnommé Moïse l'Egyptien, puis un très
grand penseur chrétien, dominicain, Thomas d'Aquin. L'un et l'autre ont étudié les textes
d'Aristote ainsi que ceux de leurs commentateurs arabes, Al-Ghazel, Avicenne, Averroès. Ils
étudient point par point leur cheminement, d'abord ceux d'Aristote mis en rapport avec les
commentateurs arabes. Ils étudient également point par point le texte biblique de la Genèse. Leurs
conclusions sont intéressantes. Ils admettent la logique et les conclusions d'Aristote et d'Avicenne
sur l'éternité du monde. Rationnellement leurs développements sont défendables. Néanmoins,
l'unité du cosmos, habité dans ses sphères et ses éléments de causalité si opposées, postule une
cause unique. Ainsi pour l'un et l'autre, bien que l'éternité du monde puisse se comprendre,
rationnellement, il est plus rationnel encore de postuler une cause première de tout. Mais
finalement, le texte biblique indique la voie à suivre, qui est celle de la foi au Dieu créateur. Il y a
une convergence entre la postulation d'une cause première et la révélation biblique. Pour cette
raison, c'est la notion de création qui s'impose. Maïmonide défend cette voie tout en disant que ce
n'est pas à cause du texte biblique que le dogme de la création "ex nihilo" s'impose, mais il est
admis, dit-il, par un besoin religieux (cf. Livre II, chap. XXV du Guide des égarés). Nous aurons
à donner des précisions sur ce "besoins religieux". Quant à Thomas d'Aquin, dans la même ligne,
1
il dit que c'est du fait de la révélation que le dogme de la création s'impose aux croyants. Comme
nous l'avons vu dans notre première conférence ("Au commencement Dieu créa..." Que dit le
texte de la Genèse ?), ce terme de "création", pour être compris, ne doit pas être séparé de la
notion biblique d'Alliance. Dans un premier point nous nous tournons vers Maïmonide; ensuite
dans un deuxième temps nous interrogerons les textes de Saint Thomas d'Aquin.
I -- La position de Maïmonide (1135-1204).
Maïmonide est un très grand penseur, philosophe-théologien, connaisseur aussi bien de la
tradition plus mystique des penseurs juifs d'où sortira la Cabbale, que de la tendance plus
proprement philosophique qui tenait en haute estime les philosophes grecs et, à ce titre, lisait et
traduisait les textes des philosophes arabes. Maïmonide appartient plus directement à cette
deuxième tendance. Il deviendra, grâce à ses Commentaires, une grande autorité dans le judaïsme.
Dans un premier temps, nous nous arrêterons quelques instants à sa biographie. Puis, ensuite
nous étudierons sa position sur l'éternité du monde et la création.
1 -- Quelques éléments biographiques et bibliographiques 1.
--> Maïmonide est né le 30 mars 1135 (14 Nissan 4895) à Cordoue. Son père, Maïmoun ben
Joseph, descendant d'une vieille famille de docteurs qui faisait remonter ses origines au rédacteur
de la Mischna, Rabbi Juda Ha-Nâci et même jusqu'au roi David, était un savant talmudiste,
mathématicien et astronome. C'est ainsi que le fils suivit les pas de son père. Il se plongea avec
ferveur dans les études rabbiniques, grecques, dans la médecine, la logique, la morale, les
mathématiques, l'astronomie, les sciences naturelles et la philosophie. Comme Averroès, il acquit
un savoir encyclopédique dans les divers domaines scientifiques. Cette ouverture d'esprit l'a aidé à
comprendre, à la différence de nombre de ses contemporains, qu'il ne peut pas y avoir
d'opposition entre la foi et la raison. Au contraire, ces deux domaines ne peuvent que s'unir dans
une belle harmonie.
--> En 1148, les Almohades, secte fanatique de l'Islam d'Afrique du Nord, pénètrent en Espagne,
s'emparent de Cordoue et imposent aux habitants le choix entre la conversion ou l'émigration.
Beaucoup de juifs partent vers le nord, tandis que d'autres, restant sur place, s'accommodent de
l'Islam tout en pratiquant leur religion en secret ; il semble que Maïmoun avec sa famille quitte
Cordoue pour l'Andalousie. Pendant tout ce temps, le jeune Maïmonide étudie et commente le
Talmud de Babylone qui n'avait jamais été commenté.
--> En 1160, Maïmoun avec ses deux fils (Moïse et David) ainsi que sa fille, se fixe à Fez, au
Maroc, alors que les Almohades faisaient régner la terreur. Toute la famille dût cacher sa religion
pour échapper à la persécution. Mais Maïmoun ne cessait d'exhorter ses frères à la fidélité à leur
foi et son fils Moïse le secondait dans cette activité. Il écrivit à cette époque une Lettre sur
l'apostasie. Il y défend entre autre l'idée intéressante qu'il vaut mieux, par fidélité à la foi juive,
faire semblant de pratiquer l'Islam plutôt que de s'y opposer et de s'exposer à la mort. Dieu saura
reconnaître les siens et leur fidélité intérieure. Maïmonide déploie une énorme activité par ses
exhortations écrites, par ses prêches, à tel point que l'autorité musulmane prit la décision de le
mettre à mort. Il dût son salut à l'intervention d'un poète et théologien arabe, Ibn Moïscha.
--> En 1165, Maïmoun et toute sa famille s'embarque pour la Palestine. Ils arrivent à Saint Jean
d'Acre, le 16 mai ; ils y sont reçus en grande fête. Ils partent pour Jérusalem et Hébron, au
tombeau des Patriarches.
--> Mais c'est finalement vers l'Egypte qu'ils vont se diriger. Arrivés à Alexandrie, ville où
résidaient trois milles familles israélites, ils vont s'installer à Fostat, près du Caire. C'est en cette
1
Pour cela, je me réfère à Louis-Germain Levy, Maïmonide, Paris, Félix Alcan, "Les Grands Philosophes",
1911, p. 1-27.
2
ville que Maïmonide va travailler jusqu'à sa mort. Son propre père mourut en 1166, un an après
leur arrivée dans cette ville. Puis c'est la mort de son frère David, commerçant en perles, mais sur
qui reposait la subsistance de la famille. Pour vivre, Maïmonide exerce la médecine, donne des
cours de philosophie, tout en travaillant à son Commentaire du Talmud, puis à un Commentaire
de la Mischna dont le but était de mettre l'étude de la tradition à la portée du public. Ce
commentaire passa d'abord inaperçu auprès des juifs orientaux qui n'avaient pas la culture des
juifs occidentaux.
--> En 1171, Saladin devint le seul maitre de l'Egypte, de la Palestine, Syrie jusqu'à l'Euphrate et
Bagdad. Les juifs eurent beaucoup à souffrir ; c'est à partir de cette période que Maïmonide devint
célèbre. Des troubles s'étaient manifestés dans la communauté juive du Yémen ; à ce moment, un
disciple de Maïmonide, Salomon ha-Cohen, publie les œuvres de son maître ; le docteur le plus
estimé des juifs du Yémen, Jacob el-Fayoumi, s'adresse à Maïmonide pour lui demander conseil.
Maïmonide lui envoie une lettre qui va devenir célèbre, pour encourager la communauté. C'est La
Porte de l'Espérance, (Pétah Tiqveh), appelée également Epitre du Sud. La réputation de
Maïmonide ne cesse de croître ; il devient Rabbin du Caire ; il est nommé médecin à la cours de
Saladin. C'est à cette époque qu'il écrira la Mischné Torah qui est une codification de la
législation et de la religion juive, biblique et rabbinique. Un autre ouvrage verra le jour ; il s'agit
du Livre des Préceptes du judaïsme (Sefer ha-Miçvoth). D'après la tradition, les lois mosaïques
sont au nombre de 613 dont 365 défenses et 248 commandements. Maïmonide compose
également un Traité de la Résurrection en 1191, pour protester contre des accusations selon
lesquelles il la niait au profit de l'immortalité de l'âme. C'est à cette époque que Richard Cœur de
Lion voulut le prendre à son service. Mais Maïmonide refusa. Ecoutons cet épisode intéressant :
vers 1187, Maïmonide courut un grand danger. Ibn Moïscha qui l'avait sauvé de la mort à Fez,
vers 1163-1164, accusa Maïmonide d'avoir pratiqué l'Islam pendant longtemps, puis d'être revenu
au judaïsme. Pour cela, il était un apostat, ayant quitté l'Islam. A ce titre, il méritait la mort.
Alfadhel, juge de la cour de Saladin, devant qui il comparut, l'acquitta en déclarant qu'une foi
imposée par la violence n'avait aucune valeur et pouvait tout à fait être abandonnée. Puis, grâce à
Alfadhel, Maïmonide fut nommé chef de toutes les communautés juives d'Egypte.
--> En 1190, parut le chef d'œuvre de Maïmonide, Le Guide des égarés (le Moréh Neboukhim)
qu'il faudrait plutôt appeler "Le Guide des indécis". Dans les dernières années de sa vie,
Maïmonide a entretenu une correspondance active avec les juifs de Provence et de Marseille. Il
mourut le 13 décembre 1204 à Fostat. Il fut inhumé à Tibériade.
Pour terminer, voici quelques mots sur Le Guide des égarés qui est l'œuvre la plus célèbre de
Maïmonide. Dans ce livre, il expose ses idées les plus intimes et les plus hardies dans les rapports
qu'il établit entre le texte sacré et la métaphysique. Pour Maïmonide, la philosophie d'Aristote
telle qu'elle avait été présentée par Elfarabi et Avicenne, est la vérité. Or la vérité est une. Il s'agit
de montrer que les conceptions juives et les conceptions philosophiques correspondent. Il s'agit de
faire œuvre théologique puisque la théologie est aussi la justification rationnelle d'une doctrine
religieuse. Pour Maïmonide, l'Ecriture renferme sous forme allégorique l'énoncé des vérités
métaphysiques ; ainsi il retrouve dans la Bible et dans le Talmud, les idées aristotéliciennes.
Maïmonide reprend à Aristote sa constitution des sphères et du monde sublunaire, sa conception
de la forme et de la matière, celle de la puissance et de l'acte. Mais il sait aussi prendre ses
distances par rapport à Aristote. Contre celui-ci, il soutient que le monde a été crée "ex nihilo". La
métaphysique coïncide avec le plus haut degré de la religion. L'objet de la métaphysique, c'est de
solliciter "l'épanchement" (l'émanation) de l'intellect actif qui établit un rapport intime entre Dieu
et l'homme (cf. Livre II du Guide, chapitre XII :"De la véritable idée de l'épanchement (FEID)
ou de l'émanation). La vraie science, le but suprême des efforts, la plus noble des fins, c'est la
connaissance et l'amour de Dieu. Connaissance de Dieu, perfection morale, béatitude, c'est tout
un. L'intelligence humaine devenue intellect en acte, s'unit à l'intellect actif universel émané de
Dieu. Une fois l'intelligent identifié à l'intelligible, il n'y a plus oubli, parce que les facultés
inférieures de l'âme, telles que l'imagination et la mémoire, n'y ont aucune part. D'où cette
3
conséquence que seuls sont immortels les justes qui, dans cette vie, sont arrivés au degré de
l'intellect acquis, tandis que le commun est voué à la destruction. Voyons sur cette présentation
générale, ce que Maïmonide dit à propos de l'éternité du monde et de la création. Notre texte de
référence est Le Guide des égarés.
2 -- La question de l'éternité du monde - création.
Le Guide des égarés est l'oeuvre la plus célèbre de Moïse Maïmonide. Il se divise en trois
parties que je présente :
(1) - La première partie s'étale sur 76 chapitres composés, chacun, en moyenne, de cinq ou six
pages. Le but de cette première partie est de préparer le lecteur à aborder les grandes questions
philosophico-théologiques débattues dans la communauté juive et dans la communauté
musulmane car tous se trouvent, à partir de leur foi respective, confrontés aux grandes questions
qui viennent de la philosophie grecque et surtout de l'aristotélisme. Maïmonide explique un
certains nombre de mots homonymes que l'on trouve dans la Bible, et leur sens quand ils sont
attribués à Dieu. Il aborde la question des attributs divins et il montre qu'il faut écarter de Dieu
toute espèce d'attribut et il montre également dans quel sens il faut entendre les divers termes
attributifs employés soit dans la Bible, soit chez les philosophes. Il donne un résumé des systèmes
des théologiens musulmans adoptés en partie par les théologiens juifs d'Orient. Le but est de
montrer que si nécessaire que soit la philosophie, elle est impuissante à donner une base
rationnelle aux dogmes les plus importants de la religion, notamment pour démontrer l'existence
de Dieu, son unité et son incorporalité. Impuissante également à permettre de comprendre tout ce
qui est, car finalement seule la création "ex nihilo" permet d'entrer dans le mystère qu'est Dieu.
(2) - La deuxième partie est composée de 48 chapitres dont chacun est composé de sept à huit
pages. C'est la partie la plus aride du Guide dans laquelle il entre en discussion, sur la base de la
philosophie aristotélicienne, avec les théologiens musulmans. Cette deuxième partie est constituée
elle-même de deux parties.
Après avoir, dans les derniers chapitres de la première partie, fait voir toutes les subtilités
puériles des théologiens musulmans et leurs vaines tentatives pour démontrer les vérités
religieuses les plus hautes ainsi que les vérités philosophiques, dans cette deuxième partie,
Maïmonide veut établir ces vérités sur des bases sûres. Il y est dès lors question de l'existence d'un
Dieu unique non enfermé dans les limites de l'espace et du temps, de celles des êtres immatériels
par l'intermédiaire desquels il crée et conserve ce qu'il a créé, de la production du monde par la
volonté libre de Dieu. C'est dans cette deuxième partie que Maïmonide traite des questions de
l'éternité du monde et de la création, démontrant l'influence des démonstrations d'Aristote reprises
par les Arabes. Comme nous le verrons, il s'arrête longuement à l'insuffisance de la démonstration
de la création "par nécessité " de la théologie arabe, car seule la création relevant d'une libre
volonté correspond au texte biblique. Plus importante que la question de la création, il y va ici de
la conception de Dieu. Mais Maïmonide reconnaît que tout ce que dit Aristote est vrai ;
néanmoins, la révélation donne une vision plus large, plus profonde et plus complète. C'est pour
cette raison qu'il faut finalement s'engager dans cette voie.
La deuxième partie de cette deuxième partie est consacrée à la prophétie dans laquelle l'auteur
ne voit que l'entéléchie absolue des facultés intellectuelles et morales de l'homme. Celles-ci,
arrivées à leur plus haute perfection et aidées par la force de l'imagination qui place l'homme dans
un état extatique, nous rendent propres dès cette vie, à une union parfaite avec l'intellect actif.
Tous les hommes arrivés à ce stade de perfection, seraient nécessairement prophètes si la volonté
de Dieu n'avait pas réservé exclusivement le don de prophétie à certains hommes, comme Moïse,
qui sont élus, et ne l'avait pas refusé à tous les autres malgré leur aptitude. En ce sens, ce
deuxième sujet de la deuxième partie traitera également de la vision, des songes.
(3) - La troisième partie du Guide est composée de 54 chapitres, elle traite de sujets moins arides,
elle prolonge d'abord la réflexion sur la prophétie commencée dans la partie précédente. Six
4
chapitres sont consacrés aux visions d'Ezéchiel. Puis viennent les sujets de la Providence divine,
de la prescience de Dieu, du libre-arbitre et de questions de théologie morale.
Ce livre est une somme de théologie juive dont le but est d'insister sur l'inséparabilité de la
raison et de la foi, et en même temps sur la révélation particulière que Dieu a faite au peuple
d'Israël. Les chapitres consacrés à la question de l'éternité du monde se trouvent au début de la
deuxième partie du livre. Il s'agit des trente premiers chapitres dont les premiers concernent la
question qui leur est unie de l'existence, de l'unité et de l'incorporalité de Dieu. Les chapitres LXX
et LXXIV de la première partie concernent également la création ; il s'agit dans le "Calam" des
sept méthodes utilisées par les "Motécallémîn"2 , c'est à dire les théologiens représentant le
courant de la théologie rationnelle, pour démontrer la création du monde et, subséquemment,
l'existence de Dieu. Nous allons suivre les chapitres XIII à XXV de la deuxième partie
2.1 -- Les diverses positions concernant le sujet de la création (Chapitre XIII).
Maïmonide commence au chapitre XIII, par résumer les trois positions traditionnelles
concernant la création et l'éternité du monde. Ce sont les arguments des uns et des autres pour
appuyer leur théorie respective, qui vont retenir notre attention.
La première opinion est celle de ceux qui admettent la loi de Moïse, autrement dit les juifs
croyants et pratiquants. Ceux-ci admettent que c'est Dieu qui a produit l'univers du néant pur et
absolu. Rien n'existe avant lui. C'est lui qui a tout tiré du néant. La question sur laquelle
Maïmonide tient à attirer l'attention pour éviter toute incompréhension est celle du temps.
Création de tout par Dieu "ex nihilo" ne veut pas dire qu'il fut un temps dans lequel Dieu existait
et dans lequel, par un acte de création, il posât le monde. Le temps n'est pas une substance vide
préexistante ; c'est un accident de ce qui est. En conséquence, il n'y a pas d'avant la création, ni
temps préexistant, ni éternité. Le temps est un accident de ce qui est. C'est là que se trouve le
premier argument de Maïmonide contre l'éternité de la matière. Ainsi, on peut voir que pour
Maïmonide la question du commencement des choses et celle de l'éternité de Dieu ne se situent
pas au même niveau. Création au sens biblique, cela ne signifie pas commencement des choses.
Ceux qui défendent l'éternité de la création n'ont pas compris cette différence de niveau.
(2) - La deuxième opinion concernant la création-éternité du monde est, dit Maïmonide, celle de
philosophes pour lesquels il n'est pas possible que Dieu puisse créer à partir du néant. Les choses
sont faites de matière et de forme. Comment Dieu peut-il faire advenir les choses à l'existence en
leur insufflant leur forme et les laisser disparaitre en laissant réduire leur forme à néant ? La seule
manière de sortir de ce dilemme est d'admettre l'éternité de la matière. Telle est la position des
"Motécallémîn". Dieu cause l'existence des choses à partir de la "materia prima" préexistante et
éternelle. Maïmonide rejettera cette position basée sur une fausse compréhension du mot éternité.
Ce mot ne signifie pas un temps infini, car la notion de temps ne signifie qu'un accident des
choses. Elle ne concerne pas Dieu. Ainsi Maïmonide, en parlant de la création, veut rendre attentif
au fait que le sens des choses et du monde est inséparable de la notion de transcendance de Dieu.
(1) -
2
"Calam-Motécallémîn", les chapitres LXXI - LXXIV de la première Partie partent de l'origine du "Calam" et
de la méthode théologique des représentants de ce mouvement qui ne veut pas séparer la philosophie de la
théologie. C'est avec eux que discute Maïmonide. Tout en acceptant leur méthode théologique, il en démontre
l'insuffisance au profit de la révélation judaïque. "Calam" est un mot arabe qui signifie "discours", "parole",
"spéculation". Le mot "Motécallémîn" signifie "ceux qui spéculent", les "dialecticiens". Le mot hébreu qui
traduit ce mot est "Medabberim". Le "Calam" est une théologie orthodoxe musulmane qui se développa à
partir du IIème siècle de l'hégire et introduisit le "péripatétisme". Les "Motécallémîn" admettent la création de
la matière, la "nouveauté" du monde, un Dieu libre transcendant et agissant sur le monde, les atomes ; sans
cesse Dieu en crée de nouveaux. Tout ce qui existe est immédiatement l'oeuvre de Dieu. Les privations ou
accidents négatifs sont produits par Dieu, tout comme les accidents positifs. L'âme elle-même n'est qu'un
accident que Dieu continue de maintenir. Dieu seul est cause. Deux faits ne s'enchainent jamais nécessairement
l'un l'autre. L'ensemble de l'univers pourrait être tout autre qu'il n'est (cf. Louis-Germain Lévy, Maïmonide, p.
4, note1).
5
En conséquence, parler d'éternité de la création, c'est oublier qu'il y a une différence de niveau
entre Dieu et les choses. Et c'est confondre la notion d'éternité appliquée à Dieu avec celle d'une
indéfinité du temps. Il n'y a de temps que pour les choses.
(3) - La troisième opinion est celle d'Aristote pour lequel l'univers est tel qu'il existe depuis
toujours et existera toujours aussi. Je voudrais attirer votre attention sur un détail important
concernant la compréhension qu'a Maïmonide d'Aristote. Maïmonide ne parle pas comme
Aristote, de premier Moteur, mais de Dieu (ce que ne fait pas Aristote, nous l'avons vu quand
nous avons parlé du Livre "Lambda" de la Métaphysique). Néanmoins, il résume la position
d'Aristote quant à l'éternité du monde basée sur l'éternité du mouvement. C'est sur cette base qu'il
y a corruption et naissance des existants, le temps étant incompatible, exprimé par la permanence
des sphères. Pour les mêmes raisons que celles qui amènent Maïmonide à rejeter l'opinion
précédente, il rejette également celle d'Aristote.
2.2 -- Résumé de la démarche des Péripatéticiens et des "Motécallémîn" prouvant l'éternité
du monde (chapitre XIV).
Afin de montrer le manque de logique des démarches des Péripatéticiens et des "Motécallémîn"
dans leur preuve de l'éternité du monde aux chapitres XVII et XVIII, Maïmonide en donne un
résumé en ce chapitre XIV. Les quatre premières méthodes concernent les Péripatéticiens et les
trois autres concernent les "Motécallémîn". Toutes ces méthodes, dit Maïmonide, contredisent les
principes fondamentaux de la Loi :
(1) Pour les Péripatéticiens :
-- La première méthode des Péripatéticiens est basée sur l'éternité du mouvement et du temps.
Nous en avons amplement parlé.
-- La deuxième méthode, comme nous l'avons mentionné dans le point précédant, porte sur la
nécessaire éternité de la "materia prima" qui est au fondement des quatre éléments, support de tout
ce qui est. De ce fait, il est exigé que la "materia prima" soit éternelle.
-- La troisième méthode concerne le mouvement circulaire sur lequel repose l'unité de tout ce qui
est, assurant la cohésion des mouvements contraires des éléments des sphères. Cette cohésion
repose sur l'éternité du mouvement circulaire porteur du Tout.
-- La quatrième et dernière méthode repose sur la notion de nécessité. Il est important de la
retenir, car Maïmonide démontrera plus loin que l'enchevêtrement des causalités diverses qu'il y a
dans le monde, postule non pas un être nécessaire qui en assure la cohésion, mais un acte
volontaire et libre de la part d'un créateur. On voit qu'une fois de plus Maïmonide veut faire
accéder ses interlocuteurs à un niveau supérieur, transcendant. C'est à partir de là qu'une réponse
est possible concernant l'existence des choses, et surtout leur sens. Cette quatrième méthode des
Péripatéticiens qui concerne la nécessité, s'exprime ainsi : tout existant exige nécessairement, s'il
n'a pas en lui-même la raison de son existence et de son mouvement, un être antérieur.
Finalement, c'est l'éternité du mouvement et de la matière qui sont cette nécessité ultime.
Maïmonide répond que du fait que Dieu existe et ne peut pas ne pas exister, on ne peut poser en
lui une nécessité, ce qui serait une imperfection. Dieu est libre, et la création est un acte libre de
Dieu. Ainsi ce que Maïmonide va refuser, c'est que le mouvement et la "materia prima" puissent
être premiers. Le monde n'est pensable et n'a de sens que s'il repose sur une liberté et sur un
vouloir d'un Quelqu'un.
Telles sont les quatre méthodes des Péripatéticiens. La raison ultime pour laquelle Maïmonide les
rejette tout en reconnaissant le positif philosophique sur lequel elles reposent, est que le sens
ultime du monde exige un Quelqu'un à sa base.
Pour les Motécallémîn : c'est finalement également sur cet argument que repose son rejet des
trois méthodes des "Motécallémîn":
-- La première de leurs méthodes repose sur la notion de puissance et d'acte. Selon les
"Motécallémîn", si Dieu avait produit le monde du néant, il aurait dû lui-même passer de la
(2)
6
puissance à l'acte, car c'est à un moment précis qu'a eu lieu cette création. Or Dieu ne passe pas de
la puissance à l'acte, car ce serait une imperfection ; donc, il n'a jamais créé et le monde est éternel
comme Dieu.
-- La deuxième méthode des "Motécallémîn" est liée à la précédente. Elle dit ceci : si un agent
tantôt agit, tantôt n'agit pas, cela signifie qu'il est habité par des besoins et des manques, ou qu'il
est satisfait de son état quand il n'agit pas. Si Dieu a créé le monde, cela est le signe d'un besoin et
de sa non-perfection. Or ceci est inadmissible pour Dieu. De ce fait, le monde doit nécessairement
exister depuis toujours.
-- La troisième et dernière méthode des "Motécallémîn" est liée à la notion du monde le plus
parfait possible. Le monde, comme le dira plus tard Leibniz, est nécessairement le plus parfait
possible ; il correspond à la sagesse de Dieu qui, comme son essence, est éternelle. Or du fait que
l'essence de Dieu est éternelle, c'est depuis toujours que dans sa sagesse, il porte le monde. Donc,
celui-ci est éternel, comme Dieu et du fait que Dieu est ce qu'il est.
Telles sont les méthodes des Péripatéticiens et des "Motécallémîn" que Maïmonide résume pour
en montrer la faiblesse. L'argument ultime de Maïmonide, dans le rejet de ces méthodes, bien qu'il
en reconnaisse la précision philosophique, est qu'il y a chez ces gens, confusion entre l'éternité de
Dieu et l'éternité de la matière / monde. L'éternité de Dieu est un concept qui n'a rien affaire avec
le temps, tandis que l'éternité de la matière est liée à la notion de temps et doit être comprise au
sens d'indéfinité comme Kant le montrera dans la Critique de la Raison pure3.
2.3 -- Les faiblesses d'Aristote (Chapitre XV) et impossibilité de prouver la création "ex
nihilo" (Chapitre XVI).
Le chapitre XV de cette deuxième partie du Guide des égarés, est intéressant. Dans son analyse
de la démarche d'Aristote, dont il reconnaît constamment la pertinence philosophique et qu'en fait
il dit "vrai"4, Maïmonide montre qu'Aristote lui-même est "hésitant" dans ce qu'il dit. Il faut même
éviter de dire qu'Aristote "démontre" l'éternité du monde. En Physique VIII, Livre 1, Aristote dit
que tous les physiciens disent que le mouvement est impérissable et éternel, sauf Platon. Et il
s'empresse, dit Maïmonide, d'emboiter le pas des physiciens. Il essaie de démontrer avec force et
vigueur l'éternité du monde basée sur l'éternité du mouvement. Mais cet empressement ne serait-il
pas le signe d'une hésitation de la part d'Aristote quant à la réalité de l'éternité du monde, car ce
qui est évident s'impose sans démonstration ? D'autre part, dit encore Maïmonide, Aristote dans
son Traité du ciel (Livre 1, ch. 10) prône la bienveillance envers ceux qui affirment qu'un jour le
monde a commencé. Cette bienveillance ne serait-elle pas le signe d'une certaine hésitation
d'Aristote à ce sujet ? Pour Maïmonide, Aristote n'a pas la volonté de prouver l'éternité du monde.
Il veut simplement démontrer que sa démarche est plus pertinente que celle des autres physiciens.
De plus, dit encore Maïmonide, l'opinion d'Aristote paraît profonde et solide, mais à l'analyse, elle
ne résiste pas à la critique, car, écrit-il, rien de ce que dit Aristote sur l'éternité du monde et la
cause du mouvement " n'est susceptible de démonstration" (II, 126).
Quant au chapitre XVI, il démontre la méthode de Maïmonide et son honnêteté intellectuelle.
Certes il récuse les arguments des "Motécallémîn" (comme nous le verrons), mais il est d'avis que
la création "ex nihilo" n'est pas rationnellement plus défendable que l'éternité du monde. On peut
même dire que les deux positions, rationnellement, ont la même force de démonstration. Soit on
remonte indéfiniment de cause en cause jusqu'à l'éternité de la matière et du mouvement, soit on
postule une cause créatrice. Mais cette dernière n'a rien affaire avec ce que nous apprend le texte
biblique, car elle présuppose un temps appelé "éternité", avant la création. Dès lors, seule la
3
Cf. Première antinomie, in Critique de la raison pure, Kant, Paris, PUF, 1980, p. 338 ss ; cf. aussi La liberté
d'exister, de Maïmonide à Spinoza, Paris, DDB, Textes traduits par Rémi Brague
4
Finalement pour Maïmonide, quoique ce ne soit pas à cause du texte biblique qu'il faille tenir à la notion de
création, mais pour des raisons religieuses, comme il le dit, c'est la foi seule qui nous apprend la création "ex
nihilo". Il en est de même pour Saint Thomas d'Aquin.
7
position biblique est admissible car elle distingue radicalement l'éternité (non temporelle) de Dieu,
donc son absolue transcendance, de l'éternité au sens de l'indéfinité temporelle de la matière.
2.4 -- Réfutation des preuves des péripatéticiens et des "Motécallémîn" sur l'éternité du
monde (Chapitre XVII et XVIII).
Les arguments des péripatéticiens et des "Motécallémîn" concernant l'éternité du monde (chap.
XIV) ont été exposés à notre point 2.2 (page 6). L'argument de Maïmonide sur lequel repose son
rejet de ces preuves est, comme nous l'avons vu, la confusion qu'opèrent ces penseurs au sujet de
l'éternité de Dieu qui est a-temporelle, alors que la notion d'éternité du monde présuppose un
temps antérieur à la création, d'où éternité. Cette éternité n'est, en fait, qu'une indéfinité au sens de
la première antinomie kantienne. Les péripatéticiens et les "Motécallémîn" n'ont pas compris
l'absolue transcendance de Dieu. Néanmoins, il est intéressant de suivre ce texte de Maïmonide et
les raisons qu'il donne pour refuser la position de ses adversaires. Lisons ce texte que je me
permets néanmoins d'introduire. Pour Maïmonide, la permanence des lois que nous observons ne
peut pas être invoquée en faveur de l'éternité du monde. Cet argument n'est que « sophistiquerie »,
dit-il. On ne peut tirer argument du comportement d'un être parvenu à maturité sur ce qu'il était au
moment de sa naissance. Nous ignorons tout de notre état dans le sein de notre mère alors que
nous sommes devenus adultes. Quel rapport y a-t-il entre notre état avant notre naissance et notre
état d'adulte ? Maïmonide veut dire par là qu'il nous est impossible de nous exprimer sur l'état du
monde avant sa naissance effective. Le monde est comme nous, à l'état adulte. Nous ne pouvons
rien dire sur l'avant qui nous échappe. Ainsi l'hypothèse de l'éternité du monde n'a aucune base
sérieuse du point de vue rationnel, ni d'ailleurs celle de la création. Cette dernière a néanmoins
pour elle de respecter la notion de transcendance de Dieu et la différence entre l'éternité de Dieu et
l'indéfinité de la matière et du mouvement. En dernier ressort, cette dernière explication est
meilleure car elle correspond au texte mosaïque. Sur cette base, nous pouvons lire une partie du
texte de ce XVIIème chapitre :
" Toute chose nouvelle qui naît après ne pas avoir existé .... possède, après être née, achevée et arrivée à son état
définitif, une nature autre que celle qu'elle avait au moment où elle naissait et commençait à passer de la
puissance à l'acte ... On ne peut en aucune façon argumenter de la nature qu'a une chose, après être née,
achevée et arrivée finalement à son état le plus parfait, sur l'état où se trouvait cette chose au moment où
commençait son mouvement vers l'être. Et de même, on ne peut pas non plus argumenter de l'état où elle
commençait son mouvement vers l'être sur celui dans lequel elle se trouvait avant de commencer ce
mouvement. Dés que tu te trompes là-dessus et que tu persistes à argumenter de la nature d'une chose arrivée à
l'acte sur celle qu'elle avait étant en puissance, il te survient des doutes graves ; des choses qui doivent être te
paraissent absurdes, et des choses absurdes te semblent devoir être.
Que l'on fasse la supposition suivante : Un homme est né avec un naturel très parfait ; sa mère étant morte
après l'avoir allaité quelques mois, le mari s'occupa seul, dans une île retirée, d'achever l'éducation de cet
enfant, jusqu'à ce qu'il eût grandi et qu'il fut devenu intelligent et instruit. N'ayant jamais vu ni femme, ni
aucune femelle des animaux, il demanda un jour à un des hommes qui étaient avec lui : "Comment se fait-il que
nous existons, et de quelle manière avons-nous été formés ?" Celui à qui il avait adressé la question
répondit :"Chacun de nous a été formé dans le ventre d'un individu de notre espèce, semblable à nous, et qui
était une femme ayant telle ou telle forme ; chacun de nous était un petit corps dans l'intérieur du ventre, se
mouvant, s'alimentant, croissant petit à petit, vivant, jusqu'à ce qu'arrivé à telle limite de grandeur, il s'ouvrit à
lui, dans le bas du corps (de la femme), une porte par laquelle il apparut et sortit, et après cela il ne cessa de...
Cet enfant orphelin interrogera nécessairement de nouveau et dira :"Cet individu d'entre nous, pendant qu'il
était petit dans le ventre, vivant, se mouvant et croissant, mangeait-il ? Buvait-il ? respirait-il par la bouche et le
nez ?" - "Non", lui répondra-t-on. Mais lui, il s'empressera indubitablement de nier cela, et il démontrera
l'impossibilité de toutes ces choses qui, pourtant, sont vraies en argumentant de l'être parfait arrivé à son état
définitif.
"Si l'un de nous, dira-t-il, était pendant quelques moments privé de respiration, il mourrait, et ses mouvements
cesseraient ; et comment donc peut-on se figurer que quelqu'un d'entre nous puisse rester pendant des mois
dans une membrane épaisse, enfermé dans l'intérieur d'un corps, et avec cela vivre et se mouvoir ? Si l'un de
nous pouvait avaler un moineau, certes, ce moineau mourrait instantanément dès qu'il arriverait dans
l'estomac, et à plus forte raison dans le bas-ventre. Chacun de nous, s'il ne prenait pas de nourriture par la
8
bouche et s'il ne buvait pas, mourrait indubitablement au bout de quelques jours; et comment donc un individu
pourrait-il rester des mois sans manger ni boire ? ... Si l'on perçait le ventre à l'un de nous, il mourrait au bout
de quelques jours ; comment donc pourrait-on croire que ce foetus ait eu l'ombilic ouvert ? Comment enfin se
fait-il qu'il n'ouvre pas ses yeux, ni n'étende ses mains, ni n'allonge ses pieds comme vous le prétendez, puisque
tous ses membres sont en bon état, et n'ont aucun mal ? Et ainsi il poursuivra ses raisonnements, (pour
prouver) qu'il est impossible que l'homme se forme de cette manière.
Examine bien cet exemple et réfléchis-y, ô penseur !, et tu trouveras que c'est là également la condition dans
laquelle nous sommes vis-à-vis d'Aristote. En effet, nous tous, les sectateurs de Moïse, notre maître, et
d'Abraham, notre père, nous croyons que le monde a été formé de telle et telle manière, qu'il s'est développé de
telle manière, et que telle chose a été créée après telle autre ; mais Aristote se prend à nous contredire, en
argumentant contre nous de la nature de l'être arrivé à son état définitif, parfait et existant en acte, tandis que
nous, nous lui affirmons qu'après être arrivé à son état définitif et être devenu parfait, il ne ressemble à rien de
ce qu'il était au moment de naître, et qu'il a été produit du néant absolu. Quel argument donc peut-on tirer
contre nous de tout ce qu'il dit ? Car ces arguments ne frappent que celui qui prétend que c'est la nature de cet
être, arrivée à son état définitif, qui prouve (elle-même) qu'il a été créé, tandis que je t'ai déjà fait savoir que,
quant à moi, je ne soutiens pas cela5.
J'attire votre attention sur la dernière phrase " je t'ai déjà fait savoir que, quant à moi, je ne soutiens pas
Maïmonide veut dire par là que aussi bien l'éternité du monde que sa création sont
rationnellement indémontrables. Aucune des deux explications ne s'impose absolument. Ce sont
des raisons religieuses, c'est à dire qui relèvent de la conception de la transcendance de Dieu qui
est absolument autre que les choses créées, qui font pencher la balance vers l'acceptation de
l'explication donnée par le texte biblique. Pour Maïmonide, c''est Dieu qui a créé la "materia
prima" ainsi que le mouvement, et le mouvement circulaire. Mais Maïmonide insiste dans son
argumentation, contre les preuves des péripatéticiens sur l'éternité du monde, sur le fait que leur
réfutation ne constitue pas nécessairement une preuve de la création "ex nihilo". Cette
réfutation ne fait qu'indiquer que la création est du domaine du possible. Quant à la preuve des
"Motécallémîn" selon laquelle la matière est éternelle sous prétexte que Dieu ne peut pas passer
de la puissance à l'acte (ce qu'il ferait dans le cas de la création), Maïmonide la récuse en montrant
que le passage de l'acte à la puissance ne concerne que les êtres composés de matière et de forme.
Or ce n'est pas le cas de Dieu. De plus, pour ce qui concerne le deuxième argument des
"Motécallémîn" selon lequel un acte créateur de la part de Dieu dénoterait en lui un besoin, pour
Maïmonide, un tel raisonnement convient parfaitement pour un être qui aspire à quelque chose qui
est en dehors de lui. Or tel n'est pas le cas de la création. Il n'y aucune aspiration en Dieu vers
quelque chose d'extérieur à lui. La création relève d'une autre instance ; elle relève de la
profondeur de la libre volonté de Dieu et de sa sagesse qu'il nous est impossible de connaitre. La
sagesse de Dieu est insondable. Telle est également la réponse que donne Maïmonide au troisième
arguments des "Motécallémîn" selon lequel ce monde relève nécessairement de l'éternité de Dieu
par "émanation" puisqu'il est le meilleur des mondes possibles. Tous ces arguments, pour
Maïmonide, postulent pour la création du monde "ex nihilo" par Dieu.
cela".
2.5 -- La seule explication concernant l'existence du monde est qu'elle relève de la volonté
libre de quelqu'un, Dieu. Elle relève du dessein de Dieu qui crée "ex nihilo" (Chap. XIX XXII).
--> Ces chapitres sont d'une extrême importance, car Maïmonide suit pas à pas le texte d'Aristote
dans son explication de la diversité des existants. Il aboutit à la nécessité d'affirmer la création "ex
nihilo", à la différence d'Aristote. Voici son cheminement :
Une première question posée à Aristote (sur la diversité des espèces) reçoit une réponse que
Maïmonide accepte volontiers. La diversité des espèces et des existants dans le monde sublunaire
relève du mélange opéré en chacun des quatre éléments fondamentaux que sont le feu, la terre,
l'eau et l'air. Or cette sorte de matière (substratum), d'une seule forme spécifique, possède une
5
Le Guide des égarés, II, chap. XVII, p. 129-133 de l'édition S. Munk.
9
grande étendue de quantité et de qualité. C'est en raison de cette étendue qu'il y a une variété
d'individus de la même espèce. Le principe explicatif de cette variété relève donc de la "materia
prima" et du mélange des quatre éléments fondamentaux. Maïmonide accepte cette explication.
Mais la question rebondit : s'il est vrai, demande Maïmonide, que le mélange des éléments est
la cause qui dispose les matières à recevoir les forces diverses, qu'est-ce alors qui a disposé cette
matière première de manière qu'une partie reçût la forme de feu, et une autre partie le forme de
terre, et que ce qui est entre les deux devint apte à recevoir la forme d'eau et d'air ? Puisque le tout
a une matière commune, qu'est-ce qui a rendu la matière de la terre plus propre à la forme de terre
et la matière de feu, plus propre à la forme du feu ? La réponse que donne Aristote à cette
question, comme la précédente, satisfait également Maïmonide. La partie qui est la plus proche de
la circonférence a reçu de celle-ci, répond Aristote, une impression de subtilité et de mouvement
rapide et approche ainsi de sa nature, de sorte qu'ainsi préparée, elle reçut la forme du feu, tandis
que plus près du centre, elle devint terre, étant plus épaisse et plus consistante.
Mais on doit pousser l'analyse plus à fond. En analysant les sphères, on arrive à conclure que
toutes les sphères célestes ont une même matière, car toutes, elles se meuvent circulairement.
Aristote le démontre et Maïmonide lui donne son accord. Mais voici la nouveauté : "en fait de
forme, les sphères sont différentes les unes des autres, dit Maïmonide, car telle se meut de l'Orient vers
l'Occident, et telle autre de l'Occident à l'Orient, et, en outre, les mouvements diffèrent par la rapidité et la
lenteur. On doit dès lors adresser à Aristote encore la question suivante : puisque toutes les sphères ont une
matière commune, et que, dans chacune d'elles, le substratum a une forme particulière qui n'est pas celle des
autres, qui est donc celui qui a particularisé ces substrata et qui les a disposés pour recevoir des formes
diverses ? Y a-t-il, après la sphère, autre chose à quoi on puisse attribuer cette "particularisation", si ce n'est le
Dieu très haut ?" (chap. XIX, p. 151-152). C'est là que Maïmonide se voit obligé de conclure à
l'existence d'un Dieu créateur. Deux arguments l'y conduisent : (1) d'abord, la différence des
mouvements respectifs des sphères ainsi que la multiplicité des existants animés par des formes
différentes et propres impliquent un créateur unique. Celui-ci ne peut pas créer ces formes en
vertu d'une nécessité qui lui serait interne, car Dieu ne peut pas être soumis à quelque nécessité
que ce soit. Ainsi Maïmonide propose son deuxième argument : (2) Dieu ne peut créer que par un
acte libre, volontaire, sur la base d'un dessein qui vient de lui. L'ordre astronomique ne correspond
pas aux principes d'Aristote, "mais si l'on admet qu'il y a là une réalisation intentionnelle, il n'y a
absolument rien d'invraisemblable. Il n'y a plus lieu de scruter sinon à se demander quelle est la cause de ce
dessein ?"(chap. XIX). Cette cause est Dieu lui-même. C'est ce que Maïmonide va encore préciser.
--> Effectivement dit Maïmonide, Aristote ne peut pas arriver à l'affirmation d'un dessein
intelligent, il ne reste qu'à celle de la nécessité d'un premier Moteur exigé comme principe
explicatif de l'existence de toute chose. En voici les raisons : certes Aristote admet qu'il n'y a pas
de hasard car toutes les choses qui arrivent habituellement et dans les mêmes conditions, ne
peuvent relever du hasard. Aristote, d'autre part, réfute l'argument des partisans de ce que l'on
pourrait appeler "le spontanéisme", comme si tout venait au monde de manière inexpliquée. Les
partisans de cette explication sont eux-mêmes dans la contradiction car en même temps ils
affirment que les plantes et les animaux ne naissent pas par hasard (on en connait bien le
processus) et "d'autre part ils disent du ciel et des corps qui seuls parmi tous les corps visibles sont
véritablement divins, qu'ils ne sont nés que spontanément et qu'ils n'ont absolument aucune cause, comme en
ont tous les animaux et les plantes " (Chap. XX, p. 165-166). Les tenants du hasard et du spontanéisme
sont en pleine contradiction. Telle est selon Maïmonide, la position d'Aristote. Pour lui, il n'y a
pas de hasard.
Mais le refus du hasard par Aristote suffit-il pour expliquer l'existence des choses, demande
Maïmonide ? Certes Aristote, dans son système, remonte de cause en cause, jusqu'à l'affirmation
d'une Cause première, mais il y a une marge jusqu'à l'admission d'un dessein qui a pris la décision
de créer. Aristote s'arrête à la notion de nécessité. On est loin de la notion de dessein. L'idée de
nécessité n'arrive pas à concilier les opposés, or il y a des mouvements contraires, ceux des
sphères en sont la preuve. Seule la notion de dessein arrive à concilier les opposés, car elle est liée
à celle de volonté et de sagesse. D'où la nécessité de parler de création. Mais il faut encore
préciser.
10
--> Le chapitre XXII apporte ces précisions. Elles portent sur le rapport nécessité - dessein
(affirmation d'un créateur). Le raisonnement de Maïmonide reposera sur quatre propositions,
fondamentales, selon lui, dans le système aristotélicien :
-- Selon la première proposition, tous les philosophes et Aristote lui-même, s'accordent pour
affirmer que d'une chose simple, il ne peut émaner directement qu'une chose simple. En
conséquence, telle est d'ailleurs la position d'Aristote, " il n'y a eu d'émanation primitive de Dieu qu'une
seule intelligence simple, pas autre chose" (Chap. XXII, p. 173).
-- Selon la deuxième proposition, rien n'émane fortuitement de n'importe quoi. Il y a
nécessairement une relation entre la cause et l'effet. Un animal ne met pas au monde une fleur !
Ainsi, les accidents ne peuvent émaner au hasard les uns des autres, comme par exemple la
quantité de la qualité et vice et versa : " De même, une forme ne saurait émaner de la matière, ni la matière
de la forme" (Ibid., p. 174).
-- La troisième proposition est très importante : "Tout agent qui agit avec dessein et volonté, et non par
nature, peut exercer des actions diverses et nombreuses" (Ibid, p. 174). A partir de cet argument Maïmonide
dira qu’il a bien fallu un Quelqu’un pour penser la diversité des choses et donc pour les créer.
-- La quatrième proposition joue un rôle important, comme nous le verrons ; elle porte sur les
substances diverses juxtaposées qui forment plus véritablement une "composition" qu'un tout
composé de substances diverses mêlées ensembles. Par exemple, les os et les veines sont plus
simples que l'ensemble de la main ou des pieds.
Cet ensemble de propositions ne peut que conduire à la postulation d'un créateur. Maïmonide le
montre à partir des notions de nécessité et de composition. Selon Aristote, il y a une succession
nécessaire des causes qui se succèdent de cause à effet. De cette façon "la dernière de ces intelligences
sera toujours indubitablement simple" (Ibid., p. 174). Dans ce cas, se pose la question de l'origine de
composition qui devrait exister par nécessité dans les êtres d'ici-bas. Il est vrai, reconnait
Maïmonide, qu'à mesure que les Intelligences s'éloignent de la première, elles perdent en vigueur,
et il se rencontre en elles une plus grande composition d'idées. Mais la question subsiste sur
l'origine de sphères émanant de ces Intelligences. Maïmonide pose la question :"Quel rapport y a-t-il
entre la matière des sphères et l'Intelligence séparée qui est absolument immatérielle ?" (Ibid, p. 174). Et la
question se complique encore de la manière suivante : si l'on suppose, pour répondre à cette
question, que l'Intelligence qui a produit cette sphère est elle-même composée, du fait qu'elle se
pense elle-même et qu'en même temps elle pense ce qui est en dehors d'elle, de sorte qu'elle est
elle-même composée de deux choses, dont l'une produit l'autre intelligence qui est au-dessous
d'elle et dont l'autre produit la sphère, alors la question se pose : "Cette chose une et simple de laquelle
émane la sphère, comment a-t-elle pu produire la sphère, puisque celle-ci est composée de deux matières et de
deux formes qui sont d'une part la matière et la forme de la sphère et d'autre part la matière et la forme de
l'astre fixé dans la sphère ?" (Ibid., p. 175). Il faut reconnaitre que l'explication de la composition ne
peut se trouver dans la notion de nécessité " car il nous faudrait nécessairement supposer dans cette
intelligence composée une cause également composée de deux parties, dont l'un pût produire le corps de la
sphère et l'autre le corps de l'astre" (Ibid., p. 175). On est, dès lors, amené à la conclusion, dit
Maïmonide, que la notion de nécessité à partir d'une cause qui procède selon sa nature ne peut
expliquer la multiplicité. De plus, si l'on disait que la matière de tous les astres est une et que c'est
leur forme qui est la cause de la diversité, il faudrait expliquer le principe cause de la diversité.
La nécessité en est incapable puisque l'effet suit nécessairement la forme de la causalité. Cela
nous amène à la conclusion de la nécessaire admission du dessein d'un être agissant avec
intention. La multiplicité des êtres trouve son origine dans les profondeurs de la sagesse d'un être
qui crée par liberté. Cet être est Dieu.
Néanmoins, en philosophe, Maïmonide reconnait que tout ce que dit Aristote, concernant son
explication de la multiplicité qui trouverait son origine dans la perte de vigueur des sphères à
mesure de l'éloignement par rapport à la sphère supérieure, peut se comprendre et est juste. La
raison ne se trompe pas dans cette analyse philosophique car il y a une autonomie des lois du réel,
mais pour Maïmonide tout ce qu'Aristote dit à propos de ce qui est à partir de la sphère de la lune
et au-dessus "ressemble, à peu de choses près, à de simples conjectures" (Ibid., p. 179), car la multiplicité
11
ne peut s'expliquer qu'à partir d'un acte volontaire posé par un Créateur. Ainsi, pour Maïmonide,
la voie philosophique la plus certaine est celle d'un créateur qui crée "ex nihilo", d'un acte
volontaire et libre. La création relève donc de la raison et il se trouve que Maïmonide rencontre
avec cette affirmation, les affirmations du texte mosaïque.
2.6 -- La création du monde "ex nihilo" est admise non pas à cause du texte biblique, mais
par un besoin religieux (Chapitre XXV).
Le chapitre XXV de la deuxième partie du Guide des égarés mérite qu'on s'y arrête quelques
instants, car il nous permet de comprendre la position de Maïmonide par rapport au problème Foi
et Raison. Il commence par la phrase suivante que Maïmonide adresse à son lecteur : " Sache que si
nous évitons de professer l'éternité du monde, ce n'est pas parce que le texte de la Loi proclamerait le monde
créé " (Chapitre XXV, p.195). La reconnaissance de la création repose bien plutôt, comme il le dit
ailleurs, sur un « besoin religieux ». C'est cette expression "besoin religieux" qui mérite
maintenant une explication. Pour Maïmonide, en juif pratiquant, la raison humaine est
naturellement tournée vers Dieu dont, d'ailleurs, elle est l'image. Elle est re-liée à Dieu, telle est sa
nature. Voilà ce que signifie l'expression "besoin religieux". Le mot "besoin" n'exprime pas du
tout un manque ou le désarroi d'une âme séparée de Dieu. Maïmonide exprime simplement l'idée
selon laquelle la nature ne se comprend que par rapport au créateur. Cette reconnaissance est
l'expression du fonctionnement normal de la raison humaine. Tout autre est la démarche explicite
de la foi. Celle-ci implique l'adhésion volontaire et libre à une Parole révélée qui fonde une
existence pratique nouvelle qui s'exprime par une conversion permanente au niveau éthique et qui
se manifeste par la célébration liturgique communautaire. Il y a des domaines de la vie et de la
réflexion qui relèvent aussi bien de la raison, c'est-à-dire du "besoin religieux", que de la foi.
L'admission de la création "ex nihilo" de la part de Dieu, par un acte libre et volontaire, relève de
la raison et non pas de l'adhésion à la littéralité du texte biblique. D'autant plus que le texte
biblique doit s'interpréter de manière allégorique ; cela veut dire que le texte de la création de la
Genèse, de la même manière que de nombreux passages du texte biblique qui attribuent à Dieu
une corporéité (cf. le buisson ardent, les trois anges qui se manifestent à Abraham, etc. …), doit
s'interpréter de manière allégorique, car Dieu est transcendant et incorporel; ainsi en est-il du texte
de la création dans la Genèse. L'interprétation allégorique de ce texte montre que l'auteur utilise
des images. Celles-ci pourraient très bien être comprises au sens d'une éternité du monde. Mais ce
n'est pas le cas, car la raison aboutit, dans sa réflexion philosophique, à l'affirmation d'un Dieu
transcendant, incorporel et libre, qui crée quand il le veut le monde dans sa multiplicité et
diversité. De ce fait, c'est bien de création "ex nihilo" dont parle le texte biblique. Ainsi,
l'admission de la création "ex nihilo" relève d'un "besoin religieux" (= la raison) et non pas des
textes bibliques. Telle est l'interprétation à donner de ce chapitre XXV. Maïmonide y redit sur ces
bases, et pour résumer sa pensée, qu'en fait l'éternité du monde n'a jamais été réellement et
sérieusement démontrée. Elle est contraire à l'incorporalité de Dieu et surtout elle lie Dieu à la
nécessité. Ce faisant, elle escamote la transcendance de Dieu. Sa différence d'avec les choses du
monde et le monde lui-même, est de ce fait impensée. Pour Maïmonide, l'éternité du monde sape
les bases de la religion (Ibid., p. 197).
Conclusion.
Le chapitre XXXI de cette deuxième partie du Guise des égarés, propose indirectement une
réflexion intéressante sur le sujet de la création du monde, car il parle des raisons du repos
sabbatique. Selon Genèse 2, 3 le septième jour, Dieu chôma après tout l'ouvrage qu'il avait fait ; il
bénit et sanctifia ce septième jour. Le judaïsme voit en ces textes le fondement théologique du
Shabbat. Or c'est le septième jour qui donne un sens ultime à tout ce texte, dit "de la création du
monde". La bénédiction de Dieu ne s'étale pas que sur ce jour, mais à partir de lui, sur toute la
création. Cela indique que le récit de la création ne décrit pas un "faire" de Dieu, - ainsi que nous
l'avons dit lors de notre première conférence "Au commencement Dieu créa.." Que dit le texte de
12
la Genèse" ? - mais cela est le signe que le texte biblique se situe au niveau de la question du
sens. C'est Dieu, dans sa transcendance, qui fonde le sens. Dans leur profondeur, le monde et
l'homme viennent de Dieu. Il est leur vis-à-vis. C'est cela que Maïmonide veut exprimer en faisant
remonter le monde à Dieu. Maïmonide dépasse le texte aristotélicien et celui des "Motécallémîn"
qui eux se situent dans la simpliste interrogation du commencement, alors que Maïmonide se situe
au niveau du sens. C'est ce qui ressort de la deuxième raison pour laquelle il est nécessaire pour
Israël de célébrer le Shabbat. En Egypte, Israël n'était pas libre, il ne pouvait pas célébrer le
Septième jour. Mais libéré d'Egypte, la célébration du Shabbat permet d'entrer dans le sens de la
création. Nous pouvons terminer par la lecture de ce chapitre XXXI de la deuxième partie du
Guide des égarés (p. 257-259) :
"Tu as peut-être déjà reconnu la raison pourquoi on a tant insisté sur la loi du sabbat et pourquoi elle a (pour
pénalité) la lapidation, de sorte que le prince des prophètes a (en effet) infligé la mort à cause d'elle. Elle occupe
le troisième rang après l'existence de Dieu et la négation du dualisme [car la défense d'adorer un autre être que
lui n'a d'autre but que d'affirmer l'unité]. Tu sais déjà, par mes paroles, que les idées ne se conservent pas si
elles ne sont pas accompagnées d'actions qui puissent les fixer, les publier et les perpétuer parmi le vulgaire.
C'est pourquoi il nous a été prescrit d'honorer ce jour, afin que le principe de la nouveauté du monde fut établi
et publié dans l'univers par le repos auquel tout le monde se livrerait le même jour ; car si l'on demandait
quelle en est la cause, la réponse serait : "Car en six jours l'Eternel a fait etc.…" (Exode, XX, 11).
Mais on a donné à cette loi deux causes différentes, qui devaient avoir deux conséquences différentes : dans le
premier Décalogue (Exode, chap. XX), on dit, pour motiver la glorification du sabbat : "Car en six jours
l'Eternel a fait etc.", tandis que dans le Deutéronome (V, 15) on dit " Et tu te souviendras que tu as été esclave
dans le pays d'Egypte … ; c'est pourquoi l'Eternel ton Dieu t'a prescrit de célébrer le jour du sabbat". Et cela
est juste. En effet, la conséquence indiquée dans le premier passage, c'est l'illustration et la glorification de
ce jour, comme on a dit : "C'est pourquoi l'Eternel a béni le jour du sabbat et l'a sanctifié (Exode XX, 10), ce
qui est la conséquence résultant de la cause (indiquée par ces mots) : "Car en six jours etc.,". Mais si on nous
en a fait une loi, et s'il nous a été ordonné, à nous, d'observer ce jour, c'est une conséquence (résultant) de
cette autre cause : que nous étions "esclaves en Egypte", où nous ne travaillions pas selon notre choix et
quand nous voulions, et où nous n'étions pas libres de nous reposer. On nous a donc prescrit l'inaction et
le repos, afin de réunir deux choses : 1° d'adopter une opinion vraie, à savoir (celle de) la nouveauté du
monde qui, du premier abord et par la plus légère réflexion, conduit à (reconnaitre) l'existence de Dieu ;
2° de nous rappeler le bien que Dieu nous a fait en nous accordant le repos "de dessous les charges de
l'Egypte" (Exode VI, 6 et 7). C'est en quelques sorte un bienfait qui sert à la fois à confirmer une opinion
spéculative et à produire le bien-être du corps."
II -- La position de Thomas d'Aquin (1224/25 - 1274).
Saint Thomas d'Aquin, à la suite de son maître Albert le Grand, est l'introducteur de la
philosophie d'Aristote pour penser le contenu de la foi chrétienne. La théologie utilisait
largement, à la suite de Saint Augustin, la philosophie platonicienne qu'elle arrangeait à ses
fins. Nous nous rappelons que l'Université de Paris fut fondée par Philippe Auguste en janvier
1200. Celle-ci jouissait d'une certaine d'une certaine indépendance par rapport aux pouvoirs
politique et religieux. Elle ne dépendait que des tribunaux ecclésiastiques, chargés de la
protéger. Dès sa fondation, elle fut divisée en quatre facultés : Droit Canon, Médecine,
Théologie et Arts libéraux où se trouvait la Philosophie. Avant la fondation de l'Université,
l'enseignement était donné dans les abbayes et monastères. A Paris, il y avait l'Ecole
Cathédrale où les étudiants se réunissaient autour de maîtres renommés. Le livre de base de
l'enseignement de la théologie était Les Sentences de Pierre Lombard (1095-1160). Ce
13
chanoine de Notre Dame de Paris avait composé ce manuel qu'il avait divisé en quatre livres6
comprenant les textes des Pères de l'Eglise au sujet des données fondamentales de la foi
chrétienne.
L'université n'était pas un lieu de paix et de sérénité, car les courants philosophiques les
plus divers s'y rencontraient et s'y opposaient parfois : le platonisme augustinien, le
nominalisme, la philosophie aristotélicienne dont les Dominicains avec Albert le Grand et
Thomas d'Aquin, étaient les porte-paroles. C'est par l'intermédiaire des philosophes arabes
que la philosophie aristotélicienne s'introduit à l'université, mais aussi à partir de traductions
nouvelles faites à partir du grec dans les monastères chrétiens. Il en résulte des interprétations
différentes, d'où des conflits, d'autant plus que ces discussions touchaient directement la
formulation de la foi chrétienne et la vision de Dieu et de l'homme. Nous avons vu l'année
dernière, la question de "l'intellect agent" séparé et unique pour tous les hommes. Saint
Thomas d'Aquin s'est opposé aux tenants de l'averroïsme pour sauver l'unité de la personne
humaine et son indépendance. Le conflit portait sur l'interprétation de la théorie de la
connaissance aristotélicienne.
Mais ce n'est pas le seul conflit qui déchire l'Université. Un autre s'ouvre, plus grave encore
pour la foi chrétienne. C'est celui qui a déjà opposé les théologiens musulmans à la
philosophie d'Aristote concernant l'éternité du monde dont Aristote se fait un partisan dans le
Livre "Lambda" de la Métaphysique ainsi que dans sa Physique. Nous connaissons la
position d’Averroès (1126-1198), dont nous avons parlé la dernière fois. Le philosophe juif
Maïmonide (1135-1204), sans rejeter la possibilité rationnelle de l'éternité du monde, va
néanmoins refuser cette solution moins rationnelle que l'explication par la création "ex
nihilo", celle-ci ayant l'avantage de rejoindre la vision biblique. A l'Université de Paris, il y a
les partisans d'Averroès, il y a les partisans de l'augustinisme, et il y a ceux qui, reconnaissant
la pertinence de la démarche d'Aristote et d'Averroès, prennent position pour la formulation
chrétienne du dogme de la création "ex nihilo". D'une part, il y a les théologiens franciscains,
Guillaume de Baglione, Saint Bonaventure et son successeur, plus brillant que son maître,
Jean Peckham. Pour eux, création, cela signifie commencement de tout ce qui est dans le
temps, alors que pour Saint Thomas d'Aquin, il est possible que quelque chose soit créé par
Dieu, mais qu'en même temps, cela ait toujours été. Il s'agirait d'une création éternelle.
Position très subtile qui veut donner tous ses droits à la raison, tout en sauvegardant le dogme
chrétien de la création. De ce fait, le climat à l'Université de Paris n'était pas de tout repos.
Mais cette discussion souvent houleuse autour de cette question sur l'éternité de la création a
permis de mieux comprendre la nécessaire autonomie de la raison dans son inséparabilité par
rapport à la foi. C'est dans ce problème que nous allons entrer à partir d'un opuscule de
Thomas d'Aquin, écrit certainement en 1270 et qui s'intitule De Aeternitate Mundi. Mais
d'abord rappelons quelques données biographiques concernant Thomas d'Aquin. Dans un
deuxième temps nous étudierons cet opuscule.
1 -- Quelques éléments biographiques et bibliographiques.
Comme nous avons longuement traité ce sujet l'année dernière, nous allons aujourd'hui
nous limiter à l'essentiel. Thomas est né en Italie du sud, à Aquin entre Rome et Naples, non
loin du Mont Cassin, dans le château familial de Roccasecca en 1224/1225 (Maïmonide est
mort en 1204, Averroès en 1198). Il reçoit une première éducation à l'Abbaye bénédictine du
Mont Cassin, de 1230-1239 ; puis il fait ses études à Naples, à l'université (1239-1244). Il
prend la décision d'entrer dans l'ordre dominicain, fraichement fondé (1221), mais il dût
surmonter l'opposition de la famille qui finalement cède devant sa détermination. De 1245 à
6
La division des Sentences est la suivante : I La Trinité; II La création, la Grâce et le péché; III La
Christologie, les Vertus, les Commandements; IV Les Sacrements et les fins dernières.
14
1248, il fait ses études à Paris, auprès d'Albert le Grand, théologien ouvert à Aristote ; il
devient assistant de son maître qui part pour Cologne de 1248 à 1252 ; retour à Paris de 1252
à 1256, comme enseignant. En 1256, il devient Maître à Paris, puis régent de 1256 à 1259.
Publication durant ce temps de la question De Veritate, commentaire du Traité de la Trinité
de Boèce. De 1259 à 1265, il est d'abord à Naples, puis Lecteur au couvent d'Orvieto. Intense
activité littéraire : Somme contre les Gentils, Contre les erreurs des Grecs, Sur Job, Catena
aurea. De 1265 à 1268, Maître et Régent à Rome ; c'est là qu'il commence la rédaction de la
Somme de Théologie, commentaires d'Aristote ; de 1268 à 1272, deuxième régence à Paris
où il continue la rédaction de la Somme de Théologie ; les Commentaires des Evangiles de
Jean et de Matthieu. C'est durant cette époque, en 1270, qu'il écrit l'opuscule "De Aeternitate
Mundi. De 1272 à 1273, il est Régent à Naples et continue son activité littéraire,
Commentaire de l'Epître aux Romains, Commentaire sur les Psaumes. Le 7 Mars 1274,
Saint Thomas meurt au Couvent bénédictin de Fossanova, au sud de Rome, en se rendant au
Concile de Lyon.
2 -- Saint Thomas d'Aquin et la question de l'éternité du monde.
Thomas d'Aquin a longuement parlé du thème de la création. Ce thème est fondamental
dans la foi chrétienne, comme cela est le cas pour l'islam et le judaïsme. Il expose longuement
cette théologie dans la Somme de théologie, première partie, questions 44 à 119 ; puis dans la
Somme contre les Gentils, Livre II ; il y consacre 101 questions ; il est question aussi de la
création, dans le Livre II du Commentaire des Sentences que Thomas a écrit. Enfin, il en est
question dans l'opuscule De Aeternitate Mundi, écrit alors que Thomas était pour la deuxième
fois Régent à Paris, en 1270. L'Université de Paris, en débat avec la philosophie d'Aristote et
son interprétation par Averroès, est en pleine effervescence. Les deux questions agitées sont
d'une part celle de l'unicité de l'Intellect agent séparé, et d'autre part celle de l'éternité du
monde. Cette question est épineuse car elle touche la foi et sa formulation en christianisme.
Le débat est donc double : d'une part, débat par rapport à la philosophie d'Averroès qui tient à
l'éternité du monde, tout en disant que l'admission de la création "ex nihilo" est plus
rationnelle; mais débat d'autre part, entre théologiens chrétiens, car d'un côté, il y a les
théologiens franciscains, plutôt augustiniens, qui refusent absolument toute éternité de la
création, identifiant l'acte créateur avec le commencement du monde, et de l'autre côté,
Thomas d'Aquin, aristotélicien, qui ne voit pas d'obstacle à accepter une création éternelle ou
une éternité de la création. C'est sur ces deux fronts que Thomas va devoir se battre, donc
avec les tenants de l'éternité du monde (Aristote - Averroès) et avec les tenants d'un refus de
toute éternité de la création (Saint Bonaventure et Jean Peckham). Nous allons nous
concentrer sur l'opuscule De aeternitate mundi qui concerne directement notre sujet. Le texte
de cet opuscule est difficile à comprendre, il fait appel à toutes les subtilités de la logique de
la scolastique du Moyen Age. Dans un premier temps, nous allons, dans une présentation,
essayer de comprendre les raisons de la position de Thomas d'Aquin, et dans un deuxième
temps nous lirons quelques extraits de ce texte fascinant 7.
2.1 -- Présentation de la problématique de cet opuscule.
La problématique dans laquelle se trouve Thomas d'Aquin est donc la suivante :
-- d'une part, il y a les philosophes aristotéliciens qui défendent, à la suite d'Aristote, l'éternité
du monde ;
7
Je me réfère pour cette présentation à l'excellente étude de Olivier Boulnois qui a traduit le texte dans
Thomas d'Aquin et la controverse de l'éternité du monde, sous la direction de Cyrille Michon, Paris,
Flammarion, Cerf n° 1199 ; le texte sur l'éternité du monde se trouve aux pages 145-161.
15
-- d'autre part, il y a les théologiens franciscains pour lesquels la position de la foi chrétienne
est claire : le monde a commencé d'exister dans le temps par un acte créateur de la part de
Dieu.
Thomas d'Aquin est un théologien pour lequel la foi en la création appartient évidement au
Credo chrétien, mais, étant un très fin philosophe et connaisseur de la philosophie d'Aristote,
il arrive à la conviction, sans porter atteinte à la foi chrétienne, de la possibilité d'un monde
éternel créé. Dans cet écrit, le but n'est pas d'évaluer les arguments contre l'éternité du monde.
Comme Maïmonide, Thomas est d'avis que les arguments d'Aristote pour l'éternité du monde
sont faibles. Le but de cet écrit est de réfuter les arguments des théologiens franciscains, en
particulier Jean Peckham, qui prétendent démontrer le commencement temporel du monde. Il
s'agit donc d'un débat entre théologiens chrétiens. Thomas défend la possibilité d'un monde
éternel créé. Cette affirmation n'est pas contradictoire à l'affirmation de la création du monde
par Dieu. Essayons de suivre son raisonnement en suivant les 21 paragraphes de cet opuscule.
Thomas a déjà traité cette question, avons-nous dit, dans son Commentaire des Sentences
de Pierre Lombard, et dans les deux Sommes de théologie. Il est clair que pour lui la foi en
la création du monde par Dieu s'impose. Il ne remet pas cela en cause en tant que théologien.
Mais il reste le problème de savoir si, indépendamment de cette proposition de foi tenue pour
vraie par les croyants, celle que soutiennent les philosophes est possible, à savoir que le
monde est éternel. Thomas rejette cette proposition, mais soutient l'éternité du monde créé.
Donc, Thomas ne pense pas un monde éternel indépendant de Dieu, subsistant depuis toujours
sans avoir été créé par Lui. Ceci n'est pas possible car pour un théologien, l'être, c'est Dieu. Il
est donc impossible de penser le monde sans participation à celui qui est la source de l'être.
Donc la question traitée par Thomas est celle d'essayer de comprendre comment on peut
penser à la fois que le monde est éternel et qu'il a été créé par Dieu.
Thomas, dans sa démonstration (§ 2), part de l'argument suivant : si une chose ne peut
être faite (cela veut dire pour notre question : s'il est faux que le monde aurait pu être
toujours), c'est soit parce que Dieu ne le peut pas (1), soit parce que c'est impossible en soi (2).
Mais rien de possible n'est impossible à Dieu. Cela veut dire : dès lors qu'un monde éternel est
possible, rien ne peut empêcher Dieu de le produire. De ce fait, c'est sur la deuxième branche
de l'alternative qu'il faudra porter notre attention, c'est à dire que si une chose ne peut être
faite, c'est parce que c'est impossible à Dieu (§3). La question devient alors : "Est-ce que
l'éternité du monde est impossible à Dieu ?". Là, si on réfléchit bien, surgit une autre question :
"Que signifie possible et impossible ?". Ces mots ont un sens métaphysique et un sens logique :
-- Sens métaphysique : une chose peut être impossible par suppression de la puissance passive
(2.1).
-- Sens logique : une chose peut être impossible par contradiction de concepts, par exemple
dire qu'une chose blanche est noire en même temps qu'elle est blanche (2.2). Cette
impossibilité-là ne pose pas de problème.
Revenons donc à l'impossibilité métaphysique, c'est à dire qu'une chose peut être
impossible par suppression de la puissance passive. Mais j'explique d'abord ce qu'est la
puissance passive : c'est la possibilité pour une essence d'être actuée. Ou bien, c'est la
possibilité pour un objet qui est ici d'être déplacé ailleurs, ou encore c'est la possibilité pour
un homme de 20 ans, d'en avoir 30 un jour. Donc, pour qu'il y ait puissance passive, il faut
qu'il y ait un "substrat" capable de recevoir ces formes. Revenons maintenant à notre question
qui est celle de l'impossibilité d'une chose par suppression de la puissance passive.
Reconnaissons que pour qu'une essence n'ait pas la puissance passive d'être, il faudrait que
cette capacité de recevoir l'être soit écartée de l'essence. Mais, nouvelle question : peut-on
considérer la puissance de recevoir l'être comme une capacité objective de recevoir les
formes ? Y a-t-il une incapacité du substrat lorsqu'il n'y a pas de substrat ? La puissance
(1) --
16
passive suppose l'existence d'un substrat de cette puissance de la même manière que la
matière est le substrat de tout changement physique ; or ce n'est pas le cas lorsque ce qui est
en puissance d'être, n'est rien. Il n'y a pas de substrat lorsque ce qui est en puissance d'être
n'est rien.
-- Ici intervient un renversement métaphysique fondamental par rapport à Aristote pour
lequel toute forme nouvelle a besoin d'un substrat. Cela est normal pour lui puisque la matière
est éternelle. Pour Thomas, l'apparition de formes n'exige pas nécessairement la matière. Pour
le montrer, il prend l'exemple de l'ange qui n'a pas de matière, mais qui a sa forme. Avant la
création du premier ange, il n'y avait pas, pour cet ange, de puissance passive puisqu'il n'y
avait rien. Mais si Dieu a créé un ange, c'est qu'il avait la puissance de le créer, alors qu'il n'y
avait pas pour cet ange la puissance passive objective d'être fait. Ceci nous amène à
reconnaître que si le philosophe mesure la possibilité à partir du seul être en puissance, il est
obligé de dire que la puissance passive a toujours été objectivement présente hors de Dieu.
Donc, il est obligé de postuler une forme d'éternité incréée, puisque l'être en puissance
préexiste éternellement, comme une strate préalable à la toute puissance divine. Telle est,
d'une certaine manière, la position d'Aristote. Or ceci se trouve en contradiction avec la foi
chrétienne qui ne peut admettre une forme d'éternité incréée.
(2)
-- C'est là que Thomas va faire œuvre philosophique géniale. Il va passer de cette
proposition intenable pour la foi chrétienne, à savoir l'être en puissance éternelle à la thèse,
possible selon lui, selon laquelle il existe un être éternel hors de Dieu. Le but de Thomas n'est
pas d'affirmer l'effectivité de cette proposition, mais d'en établir la possibilité philosophique,
c'est à dire établir la possibilité philosophique de l'éternité du monde dont, en tant que
croyant, il ne peut admettre la réalité. Thomas passera de la préexistence éternelle d'une
puissance passive hors de Dieu à la thèse selon laquelle un monde éternel est possible parce
que Dieu peut le créer comme il a créé l'ange. Du fait qu'il n'y a pas de puissance réelle
métaphysique, préexistant à Dieu, comme nous l'avons vu, il n'y a pas d'obstacle à sa toute
puissance (2.1). Il n'y aurait impossibilité, comme nous l'avons vu, que s'il y avait
contradiction logique entre les concepts, comme que quelque chose de blanc soit en même
temps noir (2.2). On en arrive ainsi au cœur métaphysique du débat (§ 6). La contradiction
porte sur deux concepts : création et éternité, c'est à dire comment peut-il y avoir possibilité
philosophique métaphysique de l'éternité du monde en même temps que la création ? Pour
Thomas, il n'y a que deux raisons qui les rendent incompatibles ; ce sont les deux raisons
suivantes : soit la cause précède toujours l'effet dans le temps (2.2.1), soit, pour la création, le
non-être précède l'être en durée (2.2.2). Ainsi, puisque la création est le passage du non-être à
l'être, sous l'action de Dieu, il n'y a que deux concepts qui peuvent conduire à temporaliser la
création : Dieu comme cause, et le non-être; comme point de départ.
(3)
-- Examinons de près ces deux raisons qui peuvent rendre la création et l'éternité
incompatibles :
-- Première raison : nous avons dit d'abord que ce qui les rend incompatibles, c'est d'abord le
fait que la cause précède toujours l'effet dans le temps. Est-ce toujours le cas ? Non (§7). La
cause ne précède pas nécessairement son effet dans le temps (2.2.1). La preuve est que les
causes instantanées produisent par définition leur effet dans l'instant même où elles agissent
(§8). Elles ne sont donc pas soumises à l'écoulement d'une durée ; elles sont contemporaines
de leurs effets. Sous cet angle, la création peut être comparée à l'acte de la propagation de la
lumière, où on ne peut pas dire que la cause précède l'effet. Il y a une instantanéité de la cause
et de l'effet.
(4)
17
-- Deuxième raison : la deuxième raison qui rend incompatible la création et l'éternité, nous
avons dit qu'elle repose sur le fait que le non-être précède l'être en durée (2.2.2) (§13).Mais
si l'on regarde de près, pour que quelque chose existe, il n'est pas nécessaire que le non-être
précède l'être en durée. Pour les théologiens franciscains qui s'opposent à Saint Thomas, du
fait que toute création part du non-être, elle présuppose nécessairement l'antériorité du nonêtre. Pas du tout, répond Thomas. Voici ce qu'il leur répond : une chose a été créée du nonêtre lorsqu'elle a été créée, mais il n'y a pas un quelque chose d'où cette chose provient. Le
non-être n'indique pas un point de départ, mais il indique une pure négation. Il indique
seulement le " pas de quelque chose". Cela veut dire que l'on n'est plus ici dans un ordre de
succession temporelle, mais dans un ordre logique ou de nature (§14).
A la base du raisonnement de Thomas, il y a la distinction avicennienne entre l'ordre de
nature et l'ordre temporel afin de penser ensemble l'éternité et la création. Il interprète la
création à partir de la distinction que fait Avicenne entre l'être et l'essence. L'essence est
antérieure par nature aux accidents. Ce qui revient à l'essence par elle-même est antérieur à ce
qui lui est conféré par sa cause. Pourtant, si être convient à Dieu par essence, l'être ne
convient pas à la créature par elle-même. La créature n'est pas par soi, mais elle est par un
autre. La créature est par sa cause, Dieu, qui l'a créée. En conséquence, ce qui lui revient par
essence, le non-être est antérieur par nature à ce qui lui est conféré par accident, l'être. De la
même manière, la lumière est exactement contemporaine de sa cause, si bien que les planètes
sont toujours illuminées par le soleil, sans que cela implique un temps où elles étaient dans
l'obscurité. Cela revient à dire qu'abandonnée à elle-même, la créature sans principe
retomberait dans le non-être. La création enveloppe la conservation. Donc éternité du monde
et création ne sont donc pas philosophiquement incompatibles, car par essence le monde est
en tant que non-être. En ce sens, il est éternel ; mais il est effectif quand cette essence reçoit,
accidentellement, l'être. Il y a bien coexistence de l'éternité du monde et de la création, vu du
point de vue philosophique. Un commencement du monde n'est donc pas incompatible avec
l'éternité du monde. Le raisonnement repose sur la notion de "non-être". Cette notion est un
concept positif, en ce sens qu'il n'indique pas une durée antérieure à l'existence effective.
"Non-être" veut dire que ce qui reçoit l'existence ne vient pas d'un quelque chose d'antérieur.
De ce fait, rien ne s'oppose philosophiquement à la possibilité d'un monde éternel créé, bien
que la foi tienne à la création "ex nihilo" dans le temps. Thomas, en théologien, explique la
création "ex nihilo" dans le temps, mais prend position contre les théologiens franciscains qui
dans l'affirmation de cette même foi, refusaient que du point de vue philosophique rien ne
s'oppose à l'affirmation de l'éternité de la création.
2.2 -- Illustration par la lecture des §§ 13-14 et du début du § 15 du texte du De
Aeternitate Mundi.
Nous avons dit, plus haut, que si Dieu ne peut faire un monde éternel, la raison peut en être
que celui-ci serait un monde contradictoire. Notre question est alors devenue la suivante : Y at-il contradiction entre création et éternité ? Nous avons dit que deux raisons peuvent rendre
incompatibles ces deux notions. Ces deux raisons sont
-- D'abord : soit que la cause précède toujours l'effet dans le temps. Nous avons vu que cette
exigence n'est pas toujours nécessaire. Il peut y avoir instantanéité entre cause et effet
(exemple : le soleil et la lumière). Donc cette raison ne rend pas nécessairement
contradictoires les notions de création et d'éternité.
-- Mais nous avons vu une deuxième raison qui peut rendre contradictoires ces deux notions ;
c'est celle-ci : soit pour la créature, le non-être précède toujours l'être en durée. Dans ce cas,
puisque la création est le passage du non-être à l'être sous l'action de Dieu, il n'y a, dans ce
cas, que deux concepts qui peuvent conduire à temporaliser la création : ce sont Dieu comme
18
cause et le non-être comme point de départ. Et nous avons vu qu'il n'y a pas, là, contradiction
car le non-être ne signifie pas un état de durée de ce qui n'est pas. Dans l'expression "nonêtre", il n'y a pas de notion de temporalité. Non-être signifie un "pas quelque chose". Donc,
c'est un concept positif. Dieu peut faire que ce qui n'est pas existe concrètement. Il y a donc
une existence logique de ce "pas quelque chose" qui coïncide avec la possibilité d'existence. Il
n'y a donc pas de contradiction entre éternité et création.
Le texte que nous allons lire des §§ 13-14 et début du § 15, concerne cette question et, pour
faire comprendre cette non-contradiction entre éternité et création, Thomas d’Aquin prend
l'exemple d'un homme dépressif dont la tristesse est sans cause. On dit d'un tel homme qu'il
est attristé de rien. Mais il n'en découle pas pour autant que la créature ait d'abord été nonêtre, puis qu'elle soit devenue être. S'il y a un ordre de postérieur à antérieur, c'est sûrement
d'ordre logique, de nature et non pas de succession temporelle, disions-nous plus haut. Donc,
il est possible, de ce fait, de penser ensemble l'éternité et la création. Il faut bien comprendre
que l'expression "non-être" n'a aucune connotation temporelle. Elle n'exprime aucune durée
antérieure avant l'existence. Elle a uniquement une signification logique ; elle exprime une
existence de raison. De ce point de vue, on peut penser ensemble éternité du monde et
création. C'est cela que Thomas veut dire.
Il le dit autrement au § 14. Tout ce qui appartient à une essence, est antérieur, du point de
vue logique, à son existence. Or il appartient à l'essence de pouvoir exister. C'est ce pouvoir,
cette possibilité qui est l'éternité. Ainsi, quand cette possibilité est "actuée", rien n'est changé
dans la possibilité. Celle-ci restera toujours possibilité, même si, par hasard, elle était
"actuée". Donc l'acte, la création n'est pas contradictoire à cette possibilité qu'est l'éternité. On
peut donc penser ensemble éternité et création. Pour Thomas, donc, l'éternité de la création
n'est pas contradictoire. C'est une possibilité. Il l'affirme contre les théologiens franciscains
qui ne veulent parler de création qu'à partir d'une effectivité dans le temps. Thomas accepte
bien évidemment cette donnée de foi ; mais il tient à dire que rationnellement éternité du
monde et création ne sont pas contradictoires. Il est tout à fait possible de parler de l'éternité
de la création. Nous pouvons maintenant lire les §§ 13-14 et le début du § 15 de De l'éternité
du monde 8 :
La création à partir du néant n'implique pas de commencement temporel.
[13] Maintenant il reste à voir s'il est contradictoire pour la pensée que quelque chose qui a été fait n'ait
jamais été inexistant, en raison de quoi il serait nécessaire que son non-être l'ait précédé dans la durée,
parce qu'il est dit avoir été fait de rien.
Mais pour que ce ne soit en rien contradictoire, une phrase d'Anselme le montre dans la Monologion,
chapitre 8, quand il explique en quel sens la créature est dite faite à partir de rien. "La troisième
interprétation, déclare-t-il, par laquelle on dit que quelque chose a été fait de rien (de nihilo), c'est quand
nous entendons qu'il a été fait, mais qu'il y a quelque chose (aliquid) à partir de quoi il a été fait. C'est par
une semblable signification qu'on semble dire, quand un homme est attristé sans cause, qu'il est attristé
de rien (de nihilo). Si donc on entend en ce dernier sens ce que nous avons conclu plus haut : qu'hormis
l'essence souveraine, tout ce qui vient d'elle a été fait de rien (ex nihilo), c'est à dire pas de quelque chose
(non est aliquo), rien d'inconvenant n'en découle". Selon cette explication, il est donc manifeste qu'on ne
pose aucun ordre de ce qui est fait envers <le> rien comme s'il fallait que ce qui a été fait ait <d'abord> été
rien, et qu'ensuite il ait été quelque chose.
[14] Supposons en outre que reste affirmé un ordre envers <le> rien impliqué par la préposition <de>, si
bien que le sens de : "la créature a été faite de rien (ex nihilo)", serait <la créature> a été faite après le
rien ; cette expression "après" implique absolument un ordre.. Mais il y a plusieurs sortes d'ordre, l'ordre
de durée et l'ordre de nature ; et si donc, du commun et de l'universel ne découlent ni le propre ni la
particulier, il ne sera pas nécessaire, parce qu'on attribue à la créature l'être après <le> rien, qu'elle soit
antérieurement en durée rien et qu'ensuite elle soit quelque chose, mais il suffit qu'elle soit antérieurement
en nature rien plutôt qu'étant. En effet, tout ce qui convient à une chose en elle-même lui est inhérent,
antérieurement en nature à ce qu'elle tient seulement d'un autre ; or la créature n'a <l'> être que par un
autre, laissée à elle-même et considérée en elle-même, elle n'est rien : c'est pourquoi le néant est pour elle
8
La traduction est d'Olivier Boulnois, op. cit à la note 7, p. 154-155.
19
naturellement antérieur à l'être. Mais ce n'est pas parce que le néant ne précède pas en durée l'être (ens)
qu'il est nécessaire qu'ils soient simultanés ; en effet, si la créature a toujours été, on ne pose pas que dans
un temps donné elle ne soit rien, mais on pose que sa nature serait telle qu'elle ne serait rien si elle était
laissée à elle-même ; de même si nous disions que l'air a toujours été éclairé par le soleil, il faudrait dire
que l'air a été rendu lumineux par le soleil. Et puisque tout ce qui devient (fit) devient à partir d'un noncoexistant, c'est à dire à partir de ce dont il n'arrive pas qu'il soit en même temps que ce qu'on dit être
fait, il faudra dire qu'il est fait lumineux à partir du non-lumineux et du ténébreux ; non pas au sens où il
aurait jamais été non lumineux ou ténébreux, mais parce qu'il le serait si le soleil l'abandonné à lui-même.
Et c'est plus expressément évident pour les étoiles et les sphères, qui sont toujours illuminées par le soleil.
[15] Ainsi donc il est manifeste qu'il n'y a aucune contradiction conceptuelle à dire que quelque chose a été
fait par Dieu et n'a jamais été non existant."
Conclusion.
Dans une conférence antérieure, nous avons vu qu'Aristote et Averroès tiennent à l'éternité
du monde. La raison en est que le temps et le mouvement sont éternels. En conséquence, la
matière qui est temporalité, ne peut être qu'éternelle. Tout tient en une unité portée dans le
mouvement circulaire de la première Sphère. Le premier moteur aristotélicien se tenant dans
son immobilité, tout près mais à l'extérieur de cette sphère. Averroès reprend l'idée de
l'éternité du monde. Elle est suspendue à l'éternité de Dieu. Il ne voit pas de contradiction
entre cette position et foi musulmane en la création. Pour lui, les théologiens doivent
apprendre à distinguer entre le sens ésotérique et exotérique du texte sacré. Sa position lui a
causé , nous l'avons vu, bien des déboires. Retenons à son actif, qu'il a essayé de penser les
rapports "philosophie-foi" en insistant sur le nécessaire respect de la raison dans le domaine
de la foi.
Maïmonide et Thomas sont deux croyants, l'un juif, l'autre chrétien. Ce sont deux
théologiens et philosophes, connaisseurs et adeptes de la philosophie d'Aristote. Pour eux non
plus, il ne doit pas y avoir opposition entre foi et raison. Ils vont, en ce domaine, très loin, car
étant croyants, c'est à dire tenant à la foi en la création, ils veulent néanmoins montrer que
cette foi n'est pas contradictoire à l'éternité du monde. Maïmonide insiste pour cela, sur
l'absolue transcendance de Dieu. Là se trouve la source de tout ce qui est dans un dessein libre
et volontaire de Dieu. Le monde trouve son sens dans son être en vis-à-vis par rapport à Dieu.
Finalement Maïmonide pose, plus que la question d'un commencement matériel du monde,
celle du sens. La création trouve son sens dans le Shabbat.
Quant à Thomas d'Aquin, c'est surtout avec les théologiens franciscains qu'il se bat. Ceux-ci
refusent toute discussion avec les tenants d'une création éternelle. Pour eux, il n'y a que la
création qui commence dans le temps. Thomas leur montre que les notions de création et
d'éternité du monde ne sont pas contradictoires. Au contraire, il appartient à l'essence
d'exister, mais cet "exister" ne peut lui être donné que par une cause. Le "non-être" est un
concept logique qui n'exprime pas du tout un temps existant avant l'existence concrète, mais
une possibilité d'être. Or cette possibilité est une existence logique qui peut être actuée. En
conséquence, il n'y a pas d'empêchement à penser ensemble possibilité d'éternité et création.
Thomas se fait donc le porte-parole d'une possibilité de la création éternelle, tout en étant un
croyant en la création du monde par Dieu ainsi que l'exprime la foi. Croire à la possibilité
d'une création éternelle n'est pas en contradiction avec la foi .Nous aurons à en reparler lors de
notre prochaine rencontre dont le thème sera " Big bang ou création ?"
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BIBLIOGRAPHIE
I --Maïmonide et sur Maïmonide
-- Le Guide des Egarés, traité de théologie et de philosophie, traduction S. Munk, Préface de
Haïn Zaprani ; nouvelle édition des trois parties en un volume, Paris, Maisonneuve et
Laroche, 2003.
-- Michné Torah, traduction Binyamin Appelbaub, Paris, Ed. du Beth Loubavitch.
-- le Livre de la connaissance, traduction Valentin Nikiprowetsky et André Zaoui, Paris,
PUF, "Quadrige", 1996.
-- Traité d'éthique, traduction Rémi Brague, Paris, DDB, 2001.
-- Epitre sur la persécution au Yémen (1172), sur la Résurrection (1191), traduction Jean
de Hulster, Paris, Gallimard, "Tel", 1953.
-- Louis-Germain Lévy, Maïmonide, Paris, Félix Alcan, "Les Grands Philosophes", 1911.
-- Maurice-Ruben Hayoum, Maïmonide ou l'autre Moïse, Ed. Jean-Claude Lattès, "Agora",
1994.
-- Ronah Hen, L'Esprit de grâce, Introduction à la philosophie de Maïmonide, traduction
Eric Smilévitch, Lagrasse, Verdier, 1994.
-- Léo Strauss, Maïmonide, Paris, PUF, "Epiméthée", 1988.
-- Pierre BOURETZ, Lumières du Moyen Âge, Maïmonide philosophe, Paris, NRF Essais
Gallimard, 2015.
II -- Saint Thomas d'Aquin et sur Saint Thomas d'Aquin.
-- Somme théologique, 4 volumes, Paris, Cerf, 1984-1986.
-- Somme contre les Gentils, 4 vol., Paris, Flammarion, "GF", 1999.
-- La Création, I a q- 44-49, Ed. "Revue des Jeunes", Paris-Tournai-Rome, A-D Sertillanges,
1963.
-- Thomas d'Aquin et la controverse sur l'éternité du monde, sous la direction de Cyrille
Michon, Paris, Flammarion, "GF", 2004.
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TABLE DES MATIERES.
Introduction.
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I -- La position de Maïmonide (1135-1204).
1 -- Quelques éléments biographiques et bibliographiques.
2 -- La question de l'éternité du monde-création.
2.1 -- Les diverses positions concernant le sujet de la création.
2.2 -- Résumé de la démarche des péripatéticiens et des Motécallémîn
pronant l'éternité du monde.
2.3 -- Les faiblesses d'Aristote et impossibilité de prouver la création
"ex nihilo".
2.4 -- Réfutation des preuves des péripatéticiens et des Motécallémîn
sur l'éternité du monde.
2.5 -- La seule explication concernant l'existence du monde est qu'elle
relève de la volonté libre de quelqu'un, Dieu. Elle relève d'un
dessein de Dieu qui crée "ex nihilo".
2.6 -- La création du monde "ex nihilo" est admise non pas à cause du
texte biblique, mais par un besoin religieux.
Conclusion.
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4
4
II -- La position de Thomas d'Aquin (1224/1225- 1274).
1 -- Quelques éléments biographiques et bibliographiques.
2 -- Thomas d'Aquin et la question de l'éternité du monde.
2.1 -- Présentation de la problématique de son opuscule "De Aeternitate
Mundi".
2.2 -- Illustration par la lecture des paragraphes 13-14 et début du 15.
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Conclusion.
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Bibliographie.
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Table des matières.
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