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La banalité de tels constats ne doit
pas tourner d’une analyse cri t i q u e
de ce vo c ab u l a i re et des catégo ries de
pensée corre s p o n d a n t e s . Et ce pré-
cisément parce que ce vo c ab u l a i re
et ces catégo ries de pensée se sont
b a n a l i s é s , s’imposant pro gre s s i ve-
ment avec toute la fo rce de l’évi-
dence dans l’analy s e , le discours
a u t o risé des journalistes et des
hommes politiques, vo i re dans
l ’ u s a ge commu n . Il fa u d rait ainsi pou-
voir réaliser,à propos de la vision éco-
nomique des questions culture l l e s ,l e
t ravail de déconstruction métho-
dique effectué pour d’autres sujets :
les « coûts et pro fi t s » de l’immigra-
t i o n
3
, l’« inflation » des diplômes
4
o u
e n c o re la « rationaliéconomique »
du choix électora l
5
. Si l’on ne peut
p r é t e n d re proposer une telle analy s e
dans le cadre de ce bref art i cl e ,o n
vo u d ra i t , plus modestement, p ro p o-
ser quelques pistes en ce sens.
L’ é m e rgence et la diffusion d’une
vision économique des choses de la
c u l t u re suivent grosso modo la ch ro-
n o l o gie du développement néra l
des scmes économiques de per-
ception de la réalité sociale. Le mou-
vement s’engage en effet dans les
années 1960, aux États-Unis, m a i s
aussi en Fra n c e , et s’accélère à part i r
du début des années 1980 tout par-
t i c u l i è rement dans le cas fra n ç a i s .S i
l ’ « économicisation » des questions
c u l t u relles s’inscrit donc dans une
é volution néra l e , elle ne va cepen-
dant pas de soi.Dans un pays comme
la France le champ culturel s’est
La vision économique
de la culture
Éléments pour une généalogie
Of f r e, d e m a n d e ,m a rc h é ,i n v e s t i s s e m e n t ,i n f l a t i o n ,c o û t ,p rofit Le vocabulaire
économique est aujourd’hui très largement diffusé. Cette diffusion tient à la
d i v e r sification des agents sociaux qui l’emploient : non plus seulement les
é c o n o m i s t e s,e n t re p re n e u r s ou experts financiers, mais les journalistes, les hommes
p o l i t i q u e s, et bien au-delà1. Cette diffusion se marque également par la diversification des
o b j e t s,p r atiques et relations sociales à propos desquels le vocabulaire économique est emplo :
non plus seulement l’économie « pure » de la pene libérale classique2,m a i s,e n t r e autre s,l a
p o l i t i q u e,l ’ é d u c a t i o n , les dias, les flux de population, e t , ce qui nous re t i e n d ra ici, la culture.
Vincent Dubois
Centre de sociologie européenne
(EHESS, Paris)
Groupe de sociologie politique
européenne (IEP, Strasbourg)
v i n c e n t . d u b o i s @ i e p . u - s t r a s b g . f r
1 .
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Paris, Le Seuil, 2000.
2 .
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Paris, Gallimard, 1983.
3 .
C f . Abdelmalek Sayad, « Coûts et profits de
l’immigration. Les présupposés politiques dun
débat économique », Actes de la recherche en
sciences sociales, 1986,61, p. 79-82.
4 .
C f . Jean-Claude Passeron, « L’inflation des
diplômes. Remarques sur l’usage de quelques
concepts analogiques en sociologie », R e v u e
fraaise de sociologie, 1982, XXIII, p. 551-584.
5 .
C f . Patrick Lehingue, « L’analyse économique
des choix électoraux », P o l i t i x , 1997, 40,
p. 88-112 et 1998,41, p. 82-122.
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h i s t o riquement constitué dans l’op-
position à l’arge n t
6
,l ’ a p p r é h e n s i o n
économique des questions cultu-
relles et le ra p p ro c hement entre éco-
nomie et culture n’ont de fait rien de
n a t u re l .Trois fa c t e u rs méritent d’être
souligs parmi ceux qui les ont re n-
dus pensables et possibles : l ’ ex p a n-
sion de la science économique, l e s
conditions du développement de la
politique culturelle de l’État et les
t ra n s fo rmations interve nues dans le
fonctionnement du champ culture l .
Une science économique
de la culture
Le développement de la vision éco-
nomique est indissociable de celui
de l’économie comme discipline
s ava n t e . La science économique n’a
pas seulement délimité un terri t o i re
dont elle revendique le monopole
avec succès : le « marché » et les pra-
tiques qui s’y déploient,étuds indé-
pendamment de leurs fo n d e m e n t s
s o c i a u x , et donc indépendamment
des autres disciplines qui, comme la
s o c i o l o gi e ,p o u rraient également les
é cl a i re r
7
. Le fo rm i d able déve l o p p e-
ment de cette discipline dans le
champ scientifique et académique
tient également à une ex p a n s i o n
l ’ «é l a rgissement du marc », si l’on
p r é f è re –, qui a conduit à intégrer à
l ’ a n a l yse économique des objets sans
cesse plus nombreux et va ri é s .Au x
côtés d’une analyse économique de
la politique, du dro i t , de la sanou
e n c o re de l’administra t i o n ,l ’ é c o n o-
mie de la culture a ainsi fait son appa-
rition comme spécialité interne à la
discipline économique
8
.
Aux États-Unis, cette spécialité
é m e rge au milieu des années 1960,
autour d’économistes comme Wi l l i a m
B a u m o l . Ce dernier connt la con-
c ration qui consiste à donner son
nom à une « loi » économique :le défi-
cit stru c t u rel des entre p rises de spec-
t a cle vivant ne peut que s’accro î t re
du fait de la stagnation des re s s o u rc e s
et de l’augmentation inex o rable des
coûts de pro d u c t i o n
9
. À sa suite, d e
très nombreux travaux ont é consa-
crés à l’économie du spectacl e
v i va n t . S’y ajoutent l’analyse des
«m a rchés culturels » des « pro-
d u i t s » s’éch a n gent – marché de l’art ,
m a rché du livre , i n d u s t rie cinéma-
t o gra p h i q u e , e t c . et celle des
« consommations culturelles » pas-
sées au cri ble de la « rationaliéco-
nomique » telle quelle est finie par
G a ry Becke r. Les tenants de l’école
du p u blic choice appliquent aux
mu s é e s , aux subventions aux activi-
tés art i s t i q u e s , et à l’administra t i o n
c u l t u relle la thèse généralement
fo rmulée à propos des dépenses
p u bliques : elles pro fitent avant tout
aux bure a u c r aties et aux groupes de
p re s s i o n
1 0
. Ces analy s e s , et bien
d ’ a u t r es encore ,ont connu un impor-
tant essor au moins depuis les années
1 9 7 0 ,banalisant peu à peu la tra n s p o-
sition des schèmes de l’économie
g é n é r ale à la culture . S’il ne faut pas
s u restimer la place qu’occupent de
telles analyses dans le champ de la
science économique nord - a m é ri c a i n e ,
elles n’en ont pas moins connu un
i m p o rtant essor surtout depuis les
années 1970, ce dont témoignent
de nombreux colloques et plusieurs
rev u e s
1 1
.
En Fra n c e , des travaux d’écono-
mistes sur les loisirs et la culture
p a raissent dès le but des années
1 9 7 0
1 2
. Les économistes fra n ç a i s
ab o rdent alors les questions cultu-
relles à partir d’une science écono-
mique moins modélisée et plus
s e n s i ble aux dimensions histori q u e s
et sociales que leurs homologues
n o rd - a m é ri c a i n s . Cette ori e n t a t i o n
t i e n t , au moins dans un pre m i e r
t e m p s ,à lorientation marxiste de cer-
tains de ces trava u x
1 3
.Elle se marq u e
ensuite par une ouve rt u re aux autre s
sciences sociales généralement plus
grande de la part des économistes de
la culture que des économistes en
g é n é ra l , ce qu’indique bien l’appella-
tion « socio-économie de la culture »
vo l o n t i e rs employ é e .Dans les années
1 9 8 0 , ces travaux se mu l t i p l i e n t ,e n
lien avec les commandes cro i s s a n t e s
en la matière du ministère de la
C u l t u re
1 4
. La création d’une A s s o-
ciation pour le développement et la
d i ffusion de l’économie de la culture ,
puis la publication de manuels et
o u v rages de synthèse témoignent de
la stru c t u ration d’une scialité
1 5
.
Comme c’est le cas plus généra l e-
ment en économie, les travaux d’ana-
Maître de conférences en science politique à
l’Institut d’études politiques de Strasbourg,
Vincent Dubois est actuellement en délégation
au CNRS, au Centre de sociologie européenne de
l’EHESS à Paris. Il est docteur en science politique.
Il a diri plusieurs ouvrages et est l’auteur de
La politique culturelle, genèse d’une catégorie
d’intervention publique et de La vie au guichet,
relation administrative et traitement.
6 .
C f . Pierre Bourdieu, Les gles de l’art. Gese
et structure du champ littéraire, Paris, Le Seuil,
1 9 9 2 .
7 .
C f . Pierre Bourdieu, Les structures sociales de
l ’ é c o n o m i e , Paris, Le Seuil, 2000.
8 .
C f . Xavier Dupuis, François Rouet, « L’ é c o n o m i e
au risque de la culture », Économie et culture. Les
outils de léconomiste à l’épreuve, Paris, La
Documentation française, 1987, p. 13-23.
9 .
Pour une présentation synthétique, c f .
Dominique Leroy, Économie des arts du spectacle
v i v a n t , Paris, Economica, 1980.
1 0 .
C f . Bruno S. Frey et William W. Pommerehne,
La culture a-t-elle un prix ? Essai sur l’économie de
l ’ a r t , Paris, Plon, 1993.
1 1 .
Citons par exemple le cas de l’université
d’Akron, siège de l’Association of Cultural
Economics qui publie le Journal of Cultural
E c o n o m i c s et a organi la première conférence
internationale sur l’économie de la culture en
1979. Pour une synthèse récente disponible en
français, voir Bruno S. Frey et William W.
Pommerehne, op. cit.
12.
Notamment à l’université de Paris I, est
créé le Groupe de recherche en économie de la
culture au début des années 1980.
1 3 .
C f . Alain Herscovici, Économie de la culture et
de la communication. Éléments pour une analyse
socio-économique de la culture dans le
“capitalisme avancé”, Paris, L’Harmattan, 1994.
1 4 .
Comme en témoigne par exemple
l’organisation en France, sous l’égide du ministère
de la Culture, de la quatrième rencontre
internationale sur l’économie de la culture en
1986, dont les actes ont été publiés à la
Documentation française.
1 5 .
C f . Françoise Benhamou, L’économie de la
c u l t u r e , Paris, La Découverte, 1996 ; Joëlle Farchy
et Dominique Sagot-Duvauroux, Économie des
politiques culturelles, Paris, PUF, 1994 ; Xavier
G r e f fe, Sylvie Pflieger, François Rouet, S o c i o -
économie de la culture. Livre, musique, P a r i s ,
Anthropos, 1990.
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lyse tro u vent un pro l o n gement pra-
tique et une fo rce sociale – dans les
applications qui en sont pro p o s é e s
par la ge s t i o n , le marketing et le
m a n agement culture l , d é ve l o p p é s
comme matières d’enseignement et
p ratiques pro fessionnelles s le
début des années 1980
1 6
. Si les acti-
vités culturelles se laissent appréhen-
der en termes d’off re ,de demande,d e
m a rch é ,e t c . ,c’est donc que la pensée
économique s’en est saisie et que
ses ava t a r s pragmatiques les ont in-
gr é e s
1 7
.
Économie de la culture
et politique de l’État
Cet avènement d’une économie
de la culture et, avec elle, l ’ a p p r é-
hension économique des questions
c u l t u relles ont partie liée avec les po-
litiques culturelles de l’État. C e rt e s ,
ces politiques sont largement pen-
sées et justifiées dans un ra p p o r t
négatif au « marché ».C’est le cas dans
la conception libérale cl a s s i q u e ,q u i
c o n fie à l’État les tâches que « le mar-
ché » ne peut assumer comme la
p rotection du patri m o i n e .C’est le cas
également lorsque l’intervention cul-
t u relle publique est pensée et présen-
tée comme un moyen de préserve r
les activités culturelles et art i s t i q u e s
« des lois du marché » que l’on
pense au prix unique du livre ou au
soutien à la création « non re n-
t abl e »
1 8
. Le développement de la
politique culturelle go u ve rn e m e n t a l e
n’en a pas moins joué un rôle moteur
dans l’ex p o rtation des modes de
pene de l’économie ve rs le ch a m p
c u l t u re l .
Chacun connaît en effet l’épopée
de la « réconciliation entre l’écono-
mie et la culture » pro mue par le
m i n i s t r e de la Culture au début des
années 1980. Le fo rt déve l o p p e m e n t
des dépenses culturelles publ i q u e s
s’est alors accompagné de nouve l l e s
c royances économiques : c roya n c e
dans l’importance des « gi s e m e n t s
d’emplois culture l s » et dans la possi-
bilité d’une stra t é gie « culture l l e »
de sortie de crise ; c royance dans les
ve rtus et la nécessité d’une saine
« gestion culture l l e » .L’ a n a lyse écono-
mique est ainsi deve nue partie pre-
nante des représentations de la
c u l t u re . La notion d’« e n t re p rise cul-
t u re l l e » et les pratiques corre s p o n-
d a n t e s ,a u t re f ois impensabl e s ,se sont
peu à peu imposées. Si la référence à
la « demande » culturelle est demeu-
rée vag u e , l’action ministérielle a
explicitement consisté en une « po-
litique de l’off re » multipliant les
équipements et favo risant le déve-
loppement des « p ro d u c t e u rs » de
c u l t u re plasticiens, musiciens ou
c o m p agnies tâtra l e s .
On connaît peut-être moins l’éco-
nomisme à l’œuvre aux débuts de
l’institutionnalisation des politiques
c u l t u re l l e s , quand le Plan fo rmait un
lieu décisif de l’élab o ration de la
«d o c t ri n e » d’action culturelle du
m i n i s t è re
1 9
. Au but des années
1 9 6 0 , l ’ existence d’une politique
c u l t u relle d’État est encore loin d’ap-
p a ra î t r e « naturelle »,au sein même du
champ politico-administra t i f. Et les
d i s c o u rs ly riques d’André Malraux ne
s u ffisent pas à en établir lacessité,
aux yeux notamment des agents du
m i n i s t è re des Fi n a n c e s . Les commis-
sions dites « de l’équipement et du
d é veloppement culture l » , mises en
place à l’occasion des 4eet 5ep l a n s ,
c o rrespondent alors à une doubl e
l o gique : é t ablir la gitimité de l’in-
t e rvention culturelle publique et élar-
gir au « facteur humain » le domaine
de compétence des planifi c a t e u rs ,
jusque-là cantonnés à la re c o n s t ru c-
tion et à la production industri e l l e .C e
moment fo rt de lhumanisme tech n o-
c ratique est l’occasion d’ab o r der les
p ro bmes culturels par le prisme de
la vision économique. On quantifi e
les « besoins culturels », on établit des
« indices » et des « c ri t è res » à part i r
desquels on espère « optimiser le re n -
dement des investissements ». À la
d i ff é rence de ce qui se passe deux dé-
cennies plus tard , ce discours « m o-
d e rniste » sort peu du cercle des
fo n c t i o n n a i res et ex p e rts de l’État
c e n t ra l . Il n’en est pas moins impor-
t a n t ,en ce qu’il contribue à stru c t u re r
une pensée culturelle d’État.
Si une vision économique de la
culture s’est peu à peu diffusée, ce
n’est donc pas enpit des politiques
c u l t u relles mais,pour partie au moins,
à la faveur de leur déve l o p p e m e n t .
La culture
au risque de l’économie
Cette vision et les croyances qui y
sont associées ne se seraient sans
doute pas impoes si elles n’ava i e n t
été socialement fondées dans des
t ra n s fo rmations objectives qui ont
a ffecté le fonctionnement du ch a m p
c u l t u re l . On se contentera d’en indi-
quer deux, i n t e r ve nues de manière
p a rt i c u l i è rement manifeste au cours
des deux dern i è res décennies.
La pre m i è re tient à l’essor de nou-
veaux métiers culturels : a d m i n i s t ra-
t e u r,m é d i a t e u r,m a n age r,ge s t i o n n a i r e
c u l t u re l ,e t c . Ces métiers se fo n d e n t
sur la revendication de comtences
n o u velles dans le champ culturel qui,
bien souve n t , sont importées du
champ économique : ge s t i o n ,m a n a-
ge m e n t , m a rketing ou commu n i c a-
t i o n . Au t rement dit, si une vision
économique des activités culture l l e s
s ’ i m p o s e , c’est que des positions éta-
blies sur une compétence d’ord re
économique se sont imposées dans le
champ culture l .Dans le secteur pri v é
des industries culture l l e s , ce doubl e
L A V I S I O N É C O N O M I Q U E D E L A C U LT U R E
1 6 .
C f . Vincent Dubois, La politique culturelle.
Genèse d’une cagorie d’intervention publique,
Paris, Belin, 1999, p. 266 sq.
1 7 .
C f . Eve Chiapello, A r t i s t e s versus managers. Le
management culturel face à la critique artiste,
Paris, Métailié, 1998.
1 8 .
C f . Pierre-Michel Menger, « L’ É t a t - p r o v i d e n c e
et la culture. Socialisation de la création,
prosélytisme et relativisme dans la politique
culturelle publique », Pratiques culturelles et
politiques de la culture, sous la direction de
François Chazel, Bordeaux, Maison des sciences de
l’homme d’Aquitaine, 1987, p. 29-52. Vo i r
également Philippe Urfalino, L’invention de la
politique culturelle, Paris, La Documentation
française, 1996.
1 9 .
C f . Vincent Dubois, op. cit., p. 189-231.
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34
p rocessus a été précipité par les mu l-
tiples concentrations réalisées sous
l ’ é gide des grands groupes de com-
munication pour l’édition
2 0
, ou de
fab r icants de matériel pour le disque
( S o ny et Philips v i a Po ly gra m ) . L a
m a n i è re dont sest opérée la spéciali-
sation des fonctions d’encadre m e n t
c u l t u r el dans le secteur public et
p a ra p u blic a quant à elle contrib
à brouiller les fro n t i è res le sépara n t
du pri v é . Tout un espace interm é-
d i a i re s’est constitué entre adminis-
t ration culture l l e ,c o m mu n i c a t i o n ,e t
m é c é n a t
2 1
.
Une seconde série de tra n s fo rm a-
tions tient au développement mu l t i-
fo rme de ce qu’il est conve nu
d’appeler « l’internationalisation de
la culture ». Donnons-en quelques
exe m p l e s .D ’ ab o rd , la « mondialisa-
tion du marché de l’art
22
» n’a pas pu
rester sans conséquence sur la
m a n i è r e d’env i s ager les « p ro d u i t s
c u l t u rels » en l’occurrence les
œ u v res d’art tant du de l’ac-
tion publ i q u e ,exposée à de nouve l l e s
c o n t ra i n t e s , que du côté des art i s t e s ,
c o l l e c t i o n n e u rs et march a n d s , a u x-
quels se sont plus que jamais ajous
des inve s t i s s e u r s économiques. E n-
s u i t e , les débats récurrents à l’occa-
sion du GATT (General A gre e m e n t
on Ta ri ffs and Trades) et de l’AMI
( A c c o rd mu l t i l a t é ral sur l’inve s t i s s e-
ment) n’ont pas seulement ravivé la
c rainte de l’unifo rmisation culture l l e ;
ils ont aussi constitun rappel fo rc é
au « alisme économique » obl i ge a n t
à penser les enjeux culturels dans des
t e rmeséconomiques imposés à la
faveur d’une nouvelle confi g u ra t i o n
i n t e r nationale des industries cultu-
re l l e s .E n fi n ,l ’ i n t é gration euro p é e n n e
a pour l’heure plutôt favo risé une
appréhension économique de la cul-
t u re . Les clauses déro g a t o i res aux
gles de la libre concurrence et de la
l i b re circulation dont bénéficient les
« biens culturels » y ont éconquises
de haute lutte,et restent menacées
2 3
.
Quant au financement de projets
c u l t u rels par l’Union euro p é e n n e ,i l
passe pour l’essentiel non par des
p ro g rammes spécifiquement culture l s
mais par des fonds et pro grammes en
faveur d’un développement écono-
mique auquel la culture est censée
c o n t ri b u e r
2 4
.
Si les questions culturelles sont
d é s o rmais couramment ab o rd é e s
sous l’angle économique, ce n’est
donc pas seulement en raison d’un
« ch a n gement de mentalités », m a i s
p a rce qu’elles ont éplus que jamais
d é p l a c é e s sur le terrain de l’écono-
mie et de la fi n a n c e .
R evenir ainsi sur les logi q u e s
s c i e n t i fi q u e s , politiques et socio-
économiques au principe de la diff u-
sion d’une vision économique de la
c u l t u re ne vise pas,bien au contra i re ,
à congédier toute prise en compte
des dimensions pro p rement écono-
miques – au sens de la science éco-
nomique du fonctionnement du
champ culture l . C’est en reva n ch e
i nviter à ne pas der à un écono-
misme qui re l é g u e rait au second ra n g
vo i re occulterait ses spécificités et
ses autres dimensions – sociales,s y m-
b o l i q u e s ,p o l i t i q u e s .C ’ e s t ,p a rt a n t ,a l i-
menter un re g a rd critique à l’égard
des pre s c riptions implicites à lœuvre
dans l’apparente neutralité des dis-
c o u rs économiques. Sans doute est-
ce le « prix à payer » pour tra i t e r
et pas seulement dans l’analyse les
enjeux économiques de la culture à
leur juste mesure .
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RE Y N A U D, Bénédicte, « L’emprise des groupes. Sur
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2 0 .
C f . Bénédicte Reynaud, « L’emprise des
groupes. Sur l’édition française au début des
années 1980 », Actes de la recherche en sciences
s o c i a l e s , 1999, n° 130, p. 3-10.
2 1 .
Sur la constitution de cet espace
intermédiaire voir, outre notre ouvrage précité, la
thèse en cours de Sabine Rozier sur le mécénat.
2 2 .
C f . Raymonde Moulin, « Patrimoine national
et marcinternational. Les dilemmes de l’action
publique », Revue française de sociologie, 1 9 9 7 ,
XXXVIII, p. 465-495.
2 3 .
Que lon pense par exemple au débat
récurrent sur le maintien des législations
nationales fixant un prix unique du livre.
2 4 .
C f . Vincent Dubois, « L’Europe culturelle »,
Dictionnaire des politiques culturelles, P a r i s ,
Larousse, à paraître.
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