Pour le pèlerin, l’événement décisif est la rupture, qui permet
l’appréhension d’un « ailleurs », physique et métaphysique. Il s’agit
de quitter sa vie habituelle, de se faire étranger à cause de Dieu, de
suivre le Christ le plus concrètement possible. Le monachisme est dans
le christianisme la forme la plus absolue de la rupture pour le Christ.
L’histoire de l’Église est en particulier marquée par la figure des
moines errant, « en exil sur la terre ». A la suite des martyrs et des
moines, le pèlerin chrétien s’efforce lui aussi d’incarner la liberté des
« enfants de Dieu » (Rm 8, 16). Ainsi, la rupture avec la vie quoti-
dienne manifeste le détachement chrétien, le témoignage de l’aspira-
tion à une patrie céleste.
Les routes vers Saint-Jacques de Compostelle témoignent de la
marche comme composante essentielle du pèlerinage. La marche est
une épreuve pour le pèlerin, mais également une forme de victoire,
une confirmation de la rupture avec la vie ordinaire, une anticipation
prophétique du Royaume. La route renvoie au Christ, qui est l’alpha
et l’oméga, mais également le chemin. La route, parcourue depuis
des siècles par des millions de pèlerins, permet également d’appré-
hender la dimension ecclésiale du pèlerinage :le groupe des pèlerins
est à l’image de l’Église «au long de son chemin sur la terre » (prière
eucharistique n°3).
Le but de la route est le sanctuaire, le lieu saint qui constitue
toutefois un paradoxe pour le christianisme : après la Résurrection et
l’Ascension, Dieu n’a plus de résidence sur la terre, il est présent dans
son Corps, qui est l’Église, ou dans son Corps eucharistique. Dans ces
conditions, pourquoi aller en pèlerinage vers un lieu saint, un sanc-
tuaire?En quoi la présence de Dieu y est-elle différente de celle que
nous pouvons trouver dans l’Église paroissiale et l’assemblée domini-
cale ? C’est qu’à l’inverse d’une église, construite par des hommes
pour permettrele commerce avec le Divin, dans un sanctuairede
pèlerinage, le chrétien perçoit que c’est Dieu qui a pris l’initiative de
mettre à part ce lieu pour en faire le lieu de la rencontre. Un lieu
devient saint par l’expérience qu’on y a faite de la présence du sacré
àun degré extraordinaire. Ainsi, ceux qui ont soif de voir la face de
Dieu prendront-ils toujours le chemin de ces lieux :àl’image de
Jérusalem d’où le Christ a disparu, le lieu saint chrétien est chargé de
mystèreet d’attente :en célébrant l’eucharistie dans ces lieux histo-
riques et eschatologiques, l’Église exprime son appartenance à la vie
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RÉFLEXIONS